Expertise comptable et secret professionnel



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Réflexions d expert Expertise comptable et secret professionnel Edition 2014 collection pratique professionnelle

EXPERTISE COMPTABLE ET SECRET PROFESSIONNEL Les travaux de mise à jour ont été coordonnés par Annabelle MINEO, Responsable juridique, sous la direction de Gaëlle PATETTA, Directeur juridique et Secrétaire Général adjoint du Conseil supérieur de l ordre des experts-comptables. A participé à la rédaction de cet ouvrage : Jacques MIDALI, Ancien commandant de police, Responsable opérationnel lutte contre l exercice illégal

«Le secret professionnel est l apanage d une profession libérale organisée et responsable. Il favorise le climat de confiance indispensable à l accomplissement de la mission du professionnel et garantit aux individus l inviolabilité d une certaine sphère d activité» 1 1 Motion du Conseil supérieur de l Ordre des experts-comptables du 7 mai 1980

Sommaire 3 SOMMAIRE DEFINITION DU SECRET PROFESSIONNE L... 5 CHAPITRE 1 textes et portée... 6 1. Informations secrètes... 6 2. Obligation de confidentialité et devoir de discrétion... 8 3. Les personnes soumises au secret professionnel... 9 4. La notion de client... 11 4.1. Propriétaire de parts sociales... 12 4.2. Ancien dirigeant... 13 CHAPITRE 2 Levée du secret professionnel... 15 APPLICATIONS CONCRÈTES... 17 CHAPITRE 1 Application dans le cadre de la mise en cause du professionnel... 18 1. Mise en cause du professionnel... 18 2. Contrôle de qualité... 19 CHAPITRE 2 Application dans le cadre des relations entre professionnels... 21 1. Échanges d informations entre experts-comptables pour une mission ponctuelle... 21 2. Echanges d informations entre professionnels libéraux... 22 CHAPITRE 3 Application dans le cadre des relations avec les administrations... 25 1. Le droit de communication de l administration fiscale... 25 1.1. Nature du droit de communication de l administration fiscale... 25 1.2. Informations et documents pouvant être exigés dans le cadre du droit de communication... 25 1.3. L utilisation du droit de communication à l encontre de l expert-comptable... 27

4 Sommaire 2. Le droit de communication des organismes de sécurité sociale... 28 3. Le droit de communication en droit de la consommation... 30 4. Le droit de communication de l administration des douanes... 31 5. Le droit de communication en matière de lutte contre le travail illégal... 32 6. Application dans le cadre des enquêtes de concurrence... 33 CHAPITRE 4 Application dans le cadre des procédures collectives... 34 CHAPITRE 5 Application dans les relations avec les services de police et l autorité judiciaire... 37 1. Le droit de communication dans le cadre de l enquête et de l instruction pénale... 37 2. La procédure de perquisition et les saisies pénales... 39 3. Audition pénale de l expert-comptable... 43 4. Le point de vue de l OPJ... 44 4.1. Focus sur les réquisitions... 45 4.2. Focus sur les auditions... 46 5. Dénonciation en matière pénale... 47 5.1. Principe : interdiction de dénonciation de crimes et délits... 47 5.2. Exception : la dénonciation de crimes ou d opérations en rapport avec le blanchiment de capitaux... 48 CHAPITRE 6 Application dans le cadre de la procédure civile... 54 1. La mesure d instruction fondée sur l article 145 du Code de procédure civile... 54 2. Le droit de communication de l expert judiciaire... 55

5 PREMIERE PARTIE DEFINITION DU SECRET PROFESSIONNEL

6 Première partie : Définition du secret professionnel CHAPITRE 1 TEXTES ET PORTEE Les professionnels soumis au secret professionnel sont définis par l article 21 de l ordonnance du 19 septembre 1945. L alinéa 1 de cet article indique ainsi que «sous réserve de toute disposition législative contraire, les experts-comptables, les salariés mentionnés à l article 83 ter et à l article 83 quater les expertscomptables stagiaires sont tenus au secret professionnel dans les conditions et sous les peines fixées par l article 226-13 du Code pénal». L alinéa 2 dispose que «[ ] les personnes mentionnées au cinquième alinéa du I de l article 7 ter [dirigeants et administrateurs d AGC], sont tenus au secret professionnel dans les mêmes conditions». L article 226-13 du Code pénal précise que «la révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende». Il faut ajouter à ces sanctions pénales la possibilité pour le professionnel de voir sa responsabilité civile et/ou disciplinaire engagée. L article 226-14 prévoit quant à lui que «L'article 226-13 n'est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret». Il ressort de ces textes que l expert-comptable commet le délit d atteinte au secret professionnel, réprimé à l article 226-13 du Code pénal, lorsqu il révèle une information à caractère secret dont il est dépositaire, si aucun texte ne prévoit la levée de ce secret. 1. Informations secrètes Les textes ne donnent pas de définition précise des informations qui relèvent du secret professionnel. Toutefois, il faut déduire de la jurisprudence et de la doctrine que les informations couvertes par le secret professionnel le sont, non en raison de

Textes et portée 7 la profession de leur dépositaire (par exemple l expert-comptable), mais en raison de leur caractère secret. Plus précisément, «L information à caractère secret est donc l information non connue (qui peut avoir été confiée ou non) ou l information qui a été confiée à titre de confidence» 2, et ce quelle que soit la forme de la confidence 3. Il faut donc en conclure que toutes les informations dont le professionnel de l expertise comptable a connaissance dans sa relation avec son client ne sont pas couvertes par le secret professionnel. Ainsi, par exemple, pourra être produite une lettre adressée par un avocat relatant la teneur de ses entretiens avec un client au cours d une réunion à laquelle l expert-comptable a participé, les informations échangées à cette occasion ne pouvant avoir un caractère secret à l égard de ce professionnel (idem pour les lettres faisant état de faits notoires). En revanche, un expert-comptable ne pourra produire en justice la lettre d un avocat à un client dans un litige l opposant à ce même client, peu important que la lettre lui ait été communiquée par l avocat pour information 4. De plus, les informations qui ont vocation à être rendues publiques ne sont pas couvertes par le secret professionnel. En effet, «à la différence de certains secrets professionnels (médecins, confesseurs, avocats) qui relèvent du droit de la personnalité, le secret professionnel des experts-comptables et des commissaires aux comptes participe au secret des affaires ; il est donc institué essentiellement dans l intérêt du maître du secret et il devient sans objet quand la divulgation ne peut plus causer un préjudice quelconque à celui-ci. 5» Il est question ici, par exemple, des comptes de certains types de sociétés qui, d après une obligation légale, doivent être déposés auprès du tribunal de commerce. Ce dépôt constitue une mesure de publicité et écarte donc, pour ces documents, la notion de secret indispensable au secret professionnel. A noter que les sociétés en nom collectif, dont au moins l un des associés est une personne physique, et les sociétés civiles ne sont pas dans l obligation de déposer leurs comptes annuels. 2 3 4 5 V. Malabat, Droit pénal spécial, 6 ème éd., 2013 Cass. com., 29 janv. 2013, n 11-27.333 Cass., civ. 1 ère, 14 janv 2010, n 08-21.854 CA Limoges, 30 mai 1985, Bull CNCC 1985 n 58, p.243

8 Première partie : Définition du secret professionnel Il importe peu que le fait dont on reproche la divulgation soit déjà connu par ailleurs dans la mesure où la confirmation de sa réalité par un professionnel lui donne plus grande certitude encore 6. Le professionnel ne peut se prévaloir du secret professionnel en toute circonstance et à l égard de tout type d informations. Cela ne signifie pas pour autant qu il peut disposer à sa guise des informations «publiques» obtenues dans le cadre de sa mission. En effet, en plus du secret professionnel, le professionnel de l expertise comptable est tenu à une obligation de confidentialité et à un devoir de discrétion. 2. Obligation de confidentialité et devoir de discrétion L article 147 du Code de déontologie impose aux professionnels un devoir de discrétion dans l utilisation de toutes les informations dont ils ont connaissance dans le cadre de leur activité. Le client qui contracte avec un expert-comptable doit avoir l assurance que les informations fournies à celui-ci ne seront ni divulguées sans son accord, ni utilisées à des fins étrangères à la mission, notamment dans l intérêt du professionnel ou d un tiers. La discrétion vise toutes les informations générales, recueillies au cours de la mission, hors celles couvertes par le secret, et que l expert-comptable ou ses collaborateurs ne doivent pas divulguer sans l accord exprès (écrit) du client. Un expert-comptable ne peut donc transmettre des informations comptables à des tiers sans l autorisation de son client, sous peine de voir une action disciplinaire engagée contre lui. Exemple : la révélation du nom d un client sur un support de communication du professionnel. Pour ce faire, l accord exprès et préalable du client doit être recueilli. Le terme «discrétion», utilisé à l article 147 du code précité, renvoie au terme de «confidentialité», utilisé à la section 140 du Code de déontologie de l International Ethics Standards Board for Accountants (IESBA). 6 «Le secret professionnel de l expert-comptable», Maxime Delhomme, Petites Affiches, 25 septembre 2000, n 191, p. 49

Textes et portée 9 Si la terminologie varie, le contenu de ces deux textes est, quant à lui, semblable. La responsabilité civile du professionnel est de nature contractuelle dans les relations avec son client (articles 1134, 1135, 1147 du Code civil) ou quasi-délictuelle vis-à-vis des tiers (article 1382 du Code civil). La responsabilité du professionnel pour violation de l obligation de confidentialité, invoquée par le client, sera de nature contractuelle. La responsabilité contractuelle est celle qui résulte de l inexécution ou de la mauvaise exécution d un contrat. L obligation de confidentialité est une obligation «de ne pas faire». Le client est dès lors en droit de demander une indemnisation par l octroi de dommages et intérêts en cas de manquement. En effet, selon l article 1142 du Code civil : «Toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d'inexécution de la part du débiteur». Contrairement au secret professionnel, l obligation de confidentialité peut être levée avec l accord du client. Le professionnel devra donc entrer en contact avec son client afin que ce dernier l autorise par écrit à transmettre tels documents et informations. Dans ce cas, le professionnel ne pourra voir sa responsabilité engagée en raison de la divulgation de l information. 3. Les personnes soumises au secret professionnel L article 21 de l ordonnance du 19 septembre 1945 prévoit que sont soumis au secret professionnel les experts-comptables, les salariés autorisés mentionnés à l article 83 ter et à l article 83 quater, les dirigeants et administrateurs d AGC ainsi que les experts-comptables stagiaires. Il s agit uniquement de personnes physiques. Sont également soumis à cette obligation en vertu du même article les membres des juridictions et organismes rattachés à l Ordre pour les affaires dont ils ont à connaître à l occasion de leur fonction. Les membres de la commission d inscription des AGC (article 42 bis de l Ordonnance de 1945), de la commission nationale de discipline des AGC (article 49 bis de l Ordonnance de 1945), et des chambres de discipline sont également tenus au secret professionnel.

10 Première partie : Définition du secret professionnel Le professionnel ayant qualité d arbitre 7 et de conciliateur 8 dans un litige entre un professionnel et son client, ou entre professionnels, est astreint au secret professionnel. Le contrôleur qualité est tenu au secret en ce qui concerne toutes les informations dont il a connaissance à l occasion du contrôle 9. Concernant les salariés employés par les experts-comptables, ceux-ci ne sont pas mentionnés dans l article 21 de l ordonnance du 19 septembre 1945. Aucun texte ne les soumet au secret professionnel à la différence des collaborateurs des commissaires aux comptes (article L. 822-15 du code de commerce «Sous réserve des dispositions de l'article L. 823-12 et des dispositions législatives particulières, les commissaires aux comptes, ainsi que leurs collaborateurs et experts, sont astreints au secret professionnel pour les faits, actes et renseignements dont ils ont pu avoir connaissance à raison de leurs fonctions»). Par conséquent, c est le droit du travail qui leur est applicable. La convention collective nationale des cabinets d experts-comptables et de commissaires aux comptes prévoit dans son article 8.5.2 que : «Les collaborateurs sont tenus, indépendamment d'une obligation de réserve générale, à une discrétion absolue sur tous les faits qu'ils peuvent apprendre en raison de leurs fonctions ou de leurs missions ainsi que de leur appartenance au cabinet. Cette obligation de réserve concerne exclusivement la gestion et le fonctionnement du cabinet et des entreprises clientes, leur situation financière et les projets les concernant. Ces dispositions ne font pas obstacle à l'application de l'article L. 432-5 (2 e alinéa) du Code du travail. Les documents ou rapports qu'ils établiront ou dont communication leur sera donnée sont la propriété du cabinet ou du client du cabinet. Ils ne pourront ni en conserver de copies ou de photocopies, ni en donner communication à des tiers sans l'accord écrit du membre de l'ordre ou de la compagnie. Toute inobservation à cette stricte obligation constitue une faute lourde, et justifie non seulement un congédiement immédiat, mais en outre, la réparation du préjudice causé». Ainsi, les salariés de l expert-comptable sont soumis par la convention collective à un devoir de discrétion. Cette obligation implique qu il est interdit au salarié 7 8 9 Décret du 30 mars 2012, article 160 Ordonnance de 1945, article 21 Règlement intérieur, article 417

Textes et portée 11 de divulguer à des tiers les informations auxquelles ses responsabilités lui donnent accès. Si secret professionnel et obligation de discrétion (ou confidentialité) peuvent sembler similaires dans leurs définitions, leurs implications sont quant à elles très différentes. Contrairement au secret professionnel dont la violation est sanctionnée pénalement 10, l obligation de discrétion ne peut donner lieu qu à sanction disciplinaire ou licenciement dans certains cas. Par ailleurs, les conditions de l obligation de confidentialité sont moins strictes que celles du secret professionnel. Si la levée du secret professionnel doit être prévue par la loi, la jurisprudence a admis que la divulgation d informations «publiques» par le salarié ne constituait pas une faute dans de nombreuses hypothèses. A titre d exemple, le fait pour un salarié de porter à la connaissance de l'inspecteur du travail des faits concernant l'entreprise lui paraissant anormaux, qu'ils soient ou non susceptibles de qualification pénale, ne constitue pas en soi une faute 11. De même, ne doit pas être sanctionné le salarié qui a porté à la connaissance du procureur de la République des faits, susceptibles de constituer des infractions pénales, se déroulant au sein d un établissement de soins 12. A noter que les salariés des organismes de gestion agréés sont tenus au respect du secret professionnel en vertu de l article 371 QA de l'annexe II du CGI qui dispose que «Les statuts doivent comporter des clauses selon lesquelles les associations s'engagent [ ] à exiger de toute personne collaborant à leurs travaux le respect du secret professionnel». 4. La notion de client L expert-comptable est tenu par le secret professionnel vis-à-vis de son client. Par conséquent, il doit s assurer que la personne ou l entité à laquelle il transmet des informations est bien la personne avec laquelle il a contracté. En pratique, ce principe est parfois relativement complexe à appliquer. 10 Code pénal, article 226-13 11 Cass. soc., 14 mars 2000, n 97-43.268, Bull. civ. V, n 104 12 Cass. soc., 12 juillet 2006, n 04-41.075, Bull. civ. V, n 245

12 Première partie : Définition du secret professionnel 4.1. Propriétaire de parts sociales Lorsque le professionnel signe une lettre de mission avec une entreprise ou une société, c est cette dernière qui est «le client». Il doit donc transmettre des informations tout au long de sa mission uniquement à la personne habilitée à la représenter, sous peine de violer l article 226-13 du Code pénal. Forme juridique Société civile SARL EURL SA à Conseil d administration SA à directoire SAS SASU Société en commandite par actions Société en commandite simple Société en nom collectif Représentants légaux Gérant(s) Gérant(s) Gérant Président du Conseil d administration ou Directeur Général Membres du directoire Président ou Directeur(s) Général (aux) ou Directeur(s) général (aux) délégué(s) (selon les statuts) Président Gérant(s) Gérant(s) Gérant(s) Ainsi, le professionnel peut engager sa responsabilité s il transmet des informations secrètes à une personne qui est «uniquement» propriétaire de parts sociales et non représentante de l entreprise. Ceci étant, en pratique, les qualités de propriétaire de parts sociales et de représentant de l entité juridique sont souvent réunies en une seule et même personne. Il faut par ailleurs souligner le fait que le propriétaire de parts sociales d une entreprise dispose d un droit d information sur les activités et la santé de la société. Si aucun texte n affirme clairement ce principe pour chaque type de société, le dirigeant a un devoir de loyauté envers les «propriétaires» de

Textes et portée 13 l entreprise. Il se doit d informer les «associés», sous peine de violer cette obligation. L expert-comptable ne peut ainsi transmettre de sa propre initiative ou sur leur demande la moindre information aux «propriétaires», mais il doit rappeler à son client que celui-ci est tenu à une obligation de loyauté visà-vis de ces derniers. Un expert-comptable peut-il refuser de communiquer des documents comptables à la femme de son client dont le couple est en instance de divorce, alors qu elle est associée? Le mari, gérant de la société et signataire de la lettre de mission, est le client de l expert-comptable. En conséquence, ce dernier n'a de comptes à rendre qu'à celui-ci, et de manière générale uniquement au signataire de la lettre de mission, si bien que la femme du client n'a aucun titre pour avoir communication d'un document comptable de l'entreprise de son mari. Les experts-comptables et leurs collaborateurs salariés sont soumis à un devoir de discrétion dans l utilisation de toutes les informations dont ils ont connaissance dans le cadre de leur activité (article 147 du décret du 30 mars 2012). Un expert-comptable ne peut donc pas transmettre des informations comptables à quelqu'un avec qui il n'a pas de lien contractuel sous peine de voir une action disciplinaire engagée contre lui. La responsabilité civile professionnelle de l expert-comptable pourrait également être mise en cause sur ce fondement et donner lieu à des dommages et intérêts. Si l expert-comptable doit refuser de communiquer des documents comptables à un associé de la société, en revanche, il peut utilement rappeler au mari, qu en sa qualité de gérant, il doit respecter son devoir de loyauté envers ses associés qui consiste notamment à les informer sur les activités et la santé de l entreprise. 4.2. Ancien dirigeant L exemple du dirigeant révoqué ou démissionnaire permet de rappeler que l expert-comptable viole l obligation du secret professionnel s il transmet des informations secrètes à toute personne extérieure à la société ou n étant pas son représentant légal. Le professionnel n est obligé qu envers la société et les personnes qui ont mandat pour la représenter. Or, un ancien dirigeant ne bénéficie plus de ce mandat ; il est devenu un tiers. Par conséquent,

14 Première partie : Définition du secret professionnel le professionnel est tenu de lui opposer le secret professionnel. Toute violation de ce secret contreviendrait aux articles 226-13 du Code pénal et 21 de l ordonnance du 19 septembre 1945. A l issue de sa mission, l expert-comptable peut-il restituer les documents comptables à un tiers à la demande du client? Si les documents comptables sont couverts par une simple obligation de confidentialité, l expert-comptable peut les restituer au tiers. L expertcomptable doit recueillir au préalable une autorisation écrite du client. En revanche, si les documents en question sont couverts par le secret professionnel, il est recommandé à l expert-comptable de restituer l ensemble des documents comptables directement au client. Le consentement du client à la transmission d informations couvertes par le secret professionnel n exonère en effet pas le professionnel de sa responsabilité. Il pourrait être poursuivi pénalement pour violation du secret professionnel.

Levée du secret professionnel 15 CHAPITRE 2 LEVÉE DU SECRET PROFESSIONNEL L article 226-14 du Code pénal prévoit que le professionnel est exonéré de son obligation dans «les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret». Les cas où le secret professionnel ne peut être opposé sont donc limitativement énumérés. De plus, la loi pénale est d interprétation stricte : seuls doivent être appliqués les cas cités par la loi. Si la levée du secret professionnel est expressément prévue par certaines dispositions légales 13, il arrive parfois que le législateur se soit contenté de prévoir un droit de communication au profit d une administration ou d une autorité sans mentionner le secret professionnel 14. La question se pose alors de savoir si le professionnel est tenu de délivrer ou non à l organe qui lui en fait la demande des informations couvertes par le secret professionnel. La difficulté de cette question réside dans le fait que c est la jurisprudence qui a parfois considéré que dans certaines hypothèses, le secret professionnel n était pas opposable. Ainsi, même si aucune disposition ne prévoit expressément la levée du secret professionnel dans le cadre du contrôle qualité, le Conseil d Etat a considéré qu il ne pouvait pas être opposé par le contrôlé au contrôleur qualité 15. 13 14 15 Exemple : l article 77-1-1 du Code de procédure pénale consacre un droit de communication dans le cadre de l enquête et de l instruction pénale et précise que le secret professionnel ne pourra alors pas être opposé ; Cf. infra. Exemple : les articles 92 à 99 du Code de procédure pénale prévoient la possibilité d effectuer des perquisitions et des saisies au domicile de certaines personnes mais n évoquent pas le secret professionnel. De même l article 275 du Code de procédure civile dispose que «les parties doivent remettre sans délai à l expert tous les documents que celui-ci estime nécessaires à l accomplissement de sa mission», sans prévoir expressément la levée du secret professionnel. Conseil d Etat, Section, 31 mars 2003, n 229839

16 Première partie : Définition du secret professionnel En matière de perquisitions et saisies pénales, la jurisprudence a dégagé le même principe sans fondement exprès 16. Dès lors, même si le principe d interprétation stricte de la loi pénale commanderait de ne pas étendre la levée du secret professionnel au-delà des cas expressément prévus par la loi, il semble que la jurisprudence se soit parfois octroyée ce droit. Il convient donc d agir avec prudence. Même si la jurisprudence n a pas encore eu l occasion de se prononcer dans certaines hypothèses, il n est pas exclu qu elle puisse considérer que le professionnel a l obligation de transmettre les informations demandées, en dépit du secret professionnel. En toute hypothèse, le consentement du client à la transmission d informations couvertes par le secret professionnel n exonère pas le professionnel de sa responsabilité. En effet, la Cour de cassation énonce que le secret professionnel est absolu 17. Par conséquent, seule la loi peut l écarter. 16 17 Cf. infra. Cass. com., 8 février 2005, n 02-11.044

17 DEUXIEME PARTIE APPLICATIONS CONCRÈTES

18 Deuxième partie : Applications concrètes Rappelons au préalable que dans les cas développés ci-dessous, les informations et documents évoqués sont ceux qui sont réellement couverts par le secret professionnel : c est-à-dire les informations et documents secrets non publics. Toutes les informations et documents détenus par l expert-comptable ne sont en effet pas couverts par le secret professionnel. CHAPITRE 1 APPLICATION DANS LE CADRE DE LA MISE EN CAUSE DU PROFESSIONNEL 1. Mise en cause du professionnel L article 21, alinéa 4, de l Ordonnance du 19 septembre 1945 dispose que les personnes visées aux alinéas précédents «sont toutefois déliées du secret professionnel dans les cas d information ouverte contre elles ou de poursuites engagées à leur encontre par les pouvoirs publics ou dans les actions intentées devant les chambres de discipline de l ordre». Il convient de distinguer selon que l instance engagée à l encontre de l expert-comptable est une instance pénale, disciplinaire ou civile. a. En matière pénale L article 21 précité vise les informations ouvertes contre les expertscomptables ainsi que les poursuites engagées contre eux par les pouvoirs publics. En ce sens, la Haute juridiction a jugé que les membres des professions libérales, dont les experts-comptables, ont le droit de s affranchir du secret professionnel en cas de poursuites engagées à leur encontre, lorsque ceci est nécessaire à l exercice du droit de libre défense 18. La levée du secret professionnel s effectue donc dans les limites des besoins de la défense, en minimisant le plus possible la publicité de ces éléments, et à la condition que les poursuites pénales émanent d autorités judiciaires et non de parties privées. 18 Cass. crim., 29 mai 1989, n 87-82.073

Dans le cadre de la mise en cause du professionnel 19 A noter que la Chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu une décision dans laquelle elle a retenu que celui qui est poursuivi pour une infraction ne peut, en principe, pas invoquer le secret professionnel afin d éviter de s expliquer sur les actes délictueux qu il aurait lui-même commis 19. b. En matière disciplinaire L article 21 prévoit également une levée du secret professionnel en cas d actions diligentées à l encontre du professionnel devant les chambres de discipline de l ordre (chambre régionale ou nationale de discipline, commission nationale de discipline). Dans une telle hypothèse, le professionnel est relevé du secret professionnel et pourra donc produire les éléments nécessaires à sa défense. c. En matière civile Si l on s en tient strictement au texte de l article 21, l expert-comptable ne semble pas délié du secret professionnel en cas de poursuite par son client devant une juridiction civile. Il convient donc d adopter la plus grande prudence quant à la nature des pièces produites. 2. Contrôle de qualité L article 171 du décret du 30 mars 2012 prévoit que la personne contrôlée met à la disposition du contrôleur, lui-même tenu au secret 20, les documents nécessaires à sa mission et lui fournit toutes explications utiles. Une décision du Conseil d Etat en date du 31 mars 2003 21 a rejeté un recours en annulation contre l arrêté du 24 novembre 2000 (ancien Règlement intérieur de l Ordre abrogé), organisant l accès des contrôleurs à l ensemble des pièces des dossiers retenus pour le contrôle. Après avoir rappelé que les experts-comptables en charge du contrôle interne sont eux-mêmes astreints au secret professionnel, le Conseil d Etat a affirmé qu ils pouvaient et devaient recevoir communication de toutes pièces et documents de travail, notamment des dossiers de la clientèle, et que la restriction apportée au secret professionnel qui en découle était la conséquence nécessaire des dispositions législatives conférant à l Ordre, dans 19 Cass. crim., 6 janvier 1989, n 88-85.490 20 Règlement Intérieur, article 417 21 Conseil d Etat, 31 mars 2003, n 229839

20 Deuxième partie : Applications concrètes l intérêt de la clientèle et dans l intérêt général, une mission générale de surveillance de la profession. Il s agit de l un des cas de levée du secret professionnel non prévu par la loi mais par la jurisprudence.

Dans le cadre des relations entre professionnels 21 CHAPITRE 2 APPLICATION DANS LE CADRE DES RELATIONS ENTRE PROFESSIONNELS 1. Échanges d informations entre experts-comptables pour une mission ponctuelle Par principe, le secret professionnel vaut à l égard de toute personne, expert-comptable ou non : le professionnel n est donc pas plus autorisé à transmettre des informations secrètes à l un de ses «confrères» qu à n importe qui d autre. L article 21 de l ordonnance du 19 septembre 1945 prévoit que le secret professionnel s impose aux experts-comptables, aux salariés mentionnés à l article 83 ter et à l article 83 quater, aux experts-comptables stagiaires, aux dirigeants et administrateurs d AGC, donc aux professionnels personnes physiques uniquement. Dès lors, il interdit toute communication d'informations protégées entre les professionnels, même travaillant dans la même société d'expertise comptable. L ancienne norme professionnelle 114 relative au secret professionnel et au devoir de discrétion prévoyait que l expert-comptable était tenu au secret professionnel, sauf lorsque deux ou plusieurs professionnels comptables d un même cabinet intervenaient, conjointement, à l'occasion d'une mission unique. Cette disposition n est pas reprise dans les nouvelles normes professionnelles en vigueur depuis le 1 er janvier 2012. Cependant, il semble que le principe continue à s appliquer. Ainsi, lorsque deux experts-comptables d un même cabinet sont amenés à accomplir une mission conjointement, il est évident qu un partage d informations, même couvertes par le secret professionnel, est nécessaire. Le partage ne devra néanmoins concerner que les informations strictement nécessaires à l accomplissement de la mission. Cette transmission d information n est possible qu entre professionnels d un même cabinet et pour une mission unique sur laquelle ils interviennent conjointement.

22 Deuxième partie : Applications concrètes Hormis cette hypothèse, les informations couvertes par le secret professionnel ne peuvent être transmises à un autre professionnel. Concernant les informations à l égard desquelles le professionnel est tenu d une obligation de confidentialité, ce dernier doit demander l accord exprès du client avant de les transmettre. Cet accord est nécessaire pour que le professionnel s exonère de toute responsabilité. Si le client souhaite un échange encore plus important d informations, il doit lui-même transmettre tous les documents. Enfin, il convient de rappeler, que si le transfert d information intervient à l occasion d un changement de professionnel voulu par le client, l acceptation de sa mission par le nouveau professionnel, nécessite le respect des règles déontologiques édictées à l article 163 du Code de déontologie 22. 2. Echanges d informations entre professionnels libéraux Plusieurs hypothèses entrainent le partage d informations secrètes permettant la levée du secret entre professionnels libéraux travaillant sur un même dossier. La norme d exercice professionnel applicable aux commissaires aux comptes (NEP 630) relative à l «utilisation des travaux d'un expertcomptable intervenant dans l'entité», homologuée par arrêté du 10 avril 2007, définit les principes relatifs à l utilisation des travaux d un 22 Décret du 30 mars 2012, article 163 : les professionnels appelés «par un client ou adhérent à remplacer un confrère ne peuvent accepter leur mission qu'après en avoir informé ce dernier. Elles s'assurent que l'offre n'est pas motivée par le désir du client ou adhérent d'éluder l'application des lois et règlements ainsi que l'observation par les personnes mentionnées à l article 141 de leurs devoirs professionnels. Lorsque les honoraires dus à leur prédécesseur résultent d'une convention conforme aux règles professionnelles, elles doivent s efforcer d obtenir la justification du paiement desdits honoraires avant de commencer leur mission. A défaut, elles doivent en référer au président du conseil régional de l ordre et faire toutes réserves nécessaires auprès du client ou adhérent avant d'entrer en fonctions. Lorsque ces honoraires sont contestés par le client ou adhérent, l une des personnes mentionnées à l article 141 appelées à remplacer un confrère suggère par écrit à son client ou adhérent de recourir à la procédure de conciliation ou d'arbitrage de l'ordre prévue aux articles 159 et 160. Le prédécesseur favorise, avec l accord du client ou adhérent, la transmission du dossier».

Dans le cadre des relations entre professionnels 23 expert-comptable par le commissaire aux comptes et prévoit ainsi que lorsqu il décide d utiliser les travaux de l expert-comptable, le commissaire aux comptes prend contact avec l expert-comptable pour s informer du contenu de la mission qui lui a été confiée et, s il l estime nécessaire, se fait communiquer les travaux réalisés. Le Code de commerce prévoit également que l expert-comptable ne peut opposer le secret professionnel au commissaire aux comptes lorsque ce dernier est en charge de la certification des comptes. L article L. 823-14 prévoit en effet que «les commissaires aux comptes peuvent recueillir toutes informations utiles à l'exercice de leur mission auprès des tiers qui ont accompli des opérations pour le compte de la personne ou de l'entité. Toutefois, ce droit d'information ne peut s'étendre à la communication des pièces, contrats et documents quelconques détenus par des tiers, à moins qu'ils n'y soient autorisés par une décision de justice. Le secret professionnel ne peut être opposé aux commissaires aux comptes dans le cadre de leur mission, sauf par les auxiliaires de justice». La réciproque n est cependant pas vraie : le commissaire aux comptes reste tenu au secret professionnel vis-à-vis de l expert-comptable. Une exception existe cependant dans le cadre de la lutte contre le blanchiment. L article L. 561-15 du Code monétaire et financier impose notamment aux experts-comptables et aux commissaires aux comptes de déclarer à Tracfin «les sommes inscrites dans leurs livres ou les opérations portant sur des sommes dont elles savent, soupçonnent ou ont de bonnes raisons de soupçonner qu elles proviennent d une infraction passible d une peine privative de liberté supérieure à un an ou participent au financement du terrorisme». L article L. 561-19 du code précité pose quant à lui le principe de la confidentialité de la déclaration de soupçon. Par dérogation à cet article, l ancienne rédaction de l article L. 561-21 permettait aux professionnels du chiffre de s informer mutuellement de l existence d une déclaration de soupçon, uniquement lorsqu ils intervenaient dans une même transaction et pour un même client. La loi n 2012-387 du 22 mars 2012, qui participe au renforcement des moyens d action mis à la disposition des professionnels du chiffre, a modifié la rédaction de l article L. 561-21 du Code monétaire et financier. Le nombre de cas dans lesquels une information mutuelle à propos de la déclaration de soupçon est permise est désormais accru. Cet article conserve la possibilité pour les experts-comptables et les commissaires aux comptes de s informer mutuellement lorsqu ils interviennent pour un même client et dans une même transaction.

24 Deuxième partie : Applications concrètes Il autorise également à présent les professionnels du chiffre à s informer, entre eux ou avec des professionnels du droit, de l existence et du contenu d une déclaration de soupçon lorsqu ils ont simplement connaissance d une même opération, dans laquelle ils n interviennent pas directement pour un même client. Les situations dans lesquelles les professionnels concernés ont simplement connaissance d une même opération dans le cadre de leurs missions respectives, sans intervenir dans celle-ci, sont ainsi prises en considération. Cette avancée législative répond à une attente des experts-comptables exprimée notamment au Conseil d Orientation de la Lutte contre le Blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (COLB) et constitue un premier pas vers la consécration expresse de la notion de secret partagé en matière de lutte contre le blanchiment. En revanche, aucune disposition ne lève le secret professionnel de l expert-comptable à l égard de l avocat qui travaillerait sur le même dossier. A défaut de texte l autorisant et de jurisprudence sur la question, il faut en conclure qu aucun partage n est possible. Si l avocat a besoin d informations secrètes, il devra les demander directement à son client, l expert-comptable n étant pas autorisé à les lui fournir, même avec l accord du client.

Dans le cadre des relations avec les administrations 25 CHAPITRE 3 APPLICATION DANS LE CADRE DES RELATIONS AVEC LES ADMINISTRATIONS 1. Le droit de communication de l administration fiscale 1.1. Nature du droit de communication de l administration fiscale Le droit de communication peut être exercé par les agents des finances publiques et par les agents chargés du recouvrement des impôts, droits et taxes prévus par le Code Général des Impôts (CGI). Ces agents ont le droit d'obtenir communication de documents détenus par certaines personnes ou organismes, afin d'effectuer le contrôle des déclarations souscrites par les contribuables. L article L. 81 du Livre des Procédures Fiscales (LPF) prévoit que le droit de communication permet à l'administration, pour l'établissement de l'assiette et le contrôle de l'impôt, de demander à un tiers ou éventuellement au contribuable lui-même, de manière ponctuelle, des renseignements et de prendre connaissance de certains documents qui se rapportent à l'activité professionnelle de la personne auprès de laquelle ce droit est exercé. Les personnes ou organismes assujettis au droit de communication sont limitativement énumérés par la loi. Il s'agit notamment des membres de certaines professions non commerciales (LPF, art. L. 86), parmi lesquelles les experts-comptables. Le droit de communication permet de prendre connaissance et, au besoin, copie de certains documents détenus par le professionnel. 1.2. Informations et documents pouvant être exigés dans le cadre du droit de communication Les informations et documents auxquels a accès l administration fiscale, dans le cadre du droit de communication, sont énumérés limitativement. Le professionnel doit donc se limiter à la transmission des informations et documents prévus par les textes.

26 Deuxième partie : Applications concrètes Le droit de communication s exerce au lieu où sont tenus ou détenus les documents, c est-à-dire au sein du cabinet. Il s exerce quel que soit le support utilisé pour la conservation des documents. Les documents informatiques peuvent donc être demandés. Au-delà, le professionnel serait susceptible de violer son obligation de respect du secret professionnel. Ainsi, l article L. 86 du LPF précise que le droit de communication «ne porte que sur l'identité du client, le montant, la date et la forme du versement ainsi que les pièces annexes de ce versement». La doctrine fiscale a eu l occasion de préciser cette disposition 23. Par client, il faut entendre les personnes physiques ou morales qui requièrent les services des experts-comptables, moyennant rémunération. Par identité du client, il faut entendre l'ensemble des informations qui permettent à l'administration d'identifier le client, c'est-à-dire de s'assurer que telle personne déterminée ne pourra être confondue avec telle autre. Ainsi, les éléments d'information utiles pour différencier les personnes portent sur le nom, le prénom usuel et l'adresse de celles-ci. Par versement, il faut entendre toutes les sommes encaissées ou reçues dans le cadre de l exercice de la profession. Elles comprennent notamment : - les recettes proprement dites (honoraires, intérêts, etc.) ; - les sommes reçues de la clientèle au titre de remboursement de frais ; - les provisions reçues de la clientèle et qui présentent le caractère d'avances sur honoraires ; - tous les biens ou sommes reçus en dépôt, soit directement, soit indirectement. Par pièces annexes au versement, il faut entendre les documents comptables établis à l'occasion du versement des sommes visées au paragraphe précédent et les documents de toute nature pouvant justifier le montant des travaux effectués ou des dépenses totales exposées par un contribuable tels que devis, mémoires ou factures. 23 Bulletin officiel des finances publiques-impôts du 12/09/2012 disponible sous ce lien : http://bofip.impots.gouv.fr/bofip/431-pgp.html?identifiant=boi-cf-com- 10-40-20120912

Dans le cadre des relations avec les administrations 27 Le droit de communication des agents de l administration fiscale peut donc uniquement porter sur les sommes versées par le client, et les documents en lien avec ces versements (devis, facture, etc.), à l occasion de l exercice de sa mission par l expert-comptable. Ainsi aucun autre document, et notamment les comptes du client, ne peut être demandé à l expert-comptable dans le cadre de ce droit de communication. A noter également que les agents des impôts ne peuvent demander aux membres des professions libérales la désignation de l'acte ou la nature de la prestation effectuée (art. L. 86 A du LPF). Ainsi, un arrêt a jugé que conformément à l article L. 13-0 A du Livre des procédures fiscales, le droit de contrôle de l administration fiscale à l occasion d une vérification de comptabilité ne peut porter ni sur l identité des clients, ni sur la nature des prestations rendues par une personne dépositaire du secret professionnel 24. 1.3. L utilisation du droit de communication à l encontre de l expert-comptable Le droit de communication s exerce très souvent auprès des expertscomptables afin de contrôler les déclarations souscrites par les contribuables. Le contribuable contrôlé au travers de l exercice du droit de communication est alors le client de l expert-comptable. Lorsque c est l expert-comptable lui-même qui est contrôlé, les mêmes dispositions s appliquent. La doctrine fiscale a précisé concernant l article L. 86 du LPF que «les renseignements recueillis dans le cadre du droit de communication peuvent être utilisés pour l'assiette et le contrôle de tous impôts et taxes dus, soit par la personne physique ou morale auprès de laquelle il s'exerce, soit par des tiers à cette personne». Ainsi, l article L. 86 du LPF s applique également dans l hypothèse où le droit de communication serait exercé afin de contrôler les déclarations de l expert-comptable. Conformément à l alinéa 2 de l article L. 86 du LPF, le droit de communication ne peut concerner que certaines pièces : les sommes versées par l expert-comptable et les documents en lien avec ces 24 CAA Lyon, 16 mai 2013

28 Deuxième partie : Applications concrètes versements (devis, facture...). Aucun autre document, notamment les comptes de l expert-comptable ou les échanges de courriers/e-mails ne portant pas sur les éléments pouvant être requis, ne peut lui être demandé. Par ailleurs, l expert-comptable se doit de protéger la vie privée de ses clients. Pour les contribuables soumis au secret professionnel, parmi lesquels les experts-comptables, l'administration admet que le livre journal visé à l article 99 du CGI comporte, en lieu et place de l'identité des clients : soit une référence à un document annexe permettant de retrouver l'identité du client, à la condition que l'administration ait accès à ce document ; soit le nom du client, dans la mesure où son identité complète (nom, prénom usuel et adresse) figure dans un fichier couvert par le secret professionnel 25. 2. Le droit de communication des organismes de sécurité sociale L article L. 114-19 du Code de la sécurité sociale créé un droit de communication pour les agents des organismes de sécurité sociale. L article L. 114-20 définit le cadre de ce droit et précise qu il est «exercé dans les conditions prévues et auprès des personnes mentionnées à la section 1 du chapitre II du titre II du livre des procédures fiscales». Les agents des organismes de sécurité sociale ont donc les mêmes prérogatives que les agents du fisc. Ce rapprochement est volontaire, comme l indique la circulaire 2011-323 du 21 juillet 2011 : «Le Gouvernement a souhaité un alignement des pouvoirs des organismes de sécurité sociale sur ceux des services fiscaux». L article L. 114-20 renvoie donc aux dispositions du Livre des procédures fiscales. Ce dernier énumère les conditions d exercice du droit de communication auprès des experts-comptables en son article L. 86. 25 Bulletin Officiel des finances Publiques-Impôts du 12/09/2012 disponible sous ce lien : http://bofip.impots.gouv.fr/bofip/4809-pgp.html

Dans le cadre des relations avec les administrations 29 L article L. 86 du LPF précise que le droit de communication «ne porte que sur l'identité du client, le montant, la date et la forme du versement ainsi que les pièces annexes de ce versement». Par conséquent, le droit de communication des organismes de sécurité sociale a la même portée que celui de l administration fiscale défini précédemment. En principe, les agents des organismes de sécurité sociale ne pourront exercer leur droit de communication qu après avoir sollicité préalablement la personne concernée. Néanmoins, en cas de suspicion de fraude, ils s autorisent à ne pas consulter les bénéficiaires de prestations sociales, et à demander au tiers consulté (ici l expert-comptable) de ne pas prévenir son client. Ce procédé est décrit dans la circulaire 2011-323 du 21 juillet 2011 26. En toute hypothèse, il convient de rappeler que, dans la mesure où il s agit de lever le secret professionnel, le droit de communication consacré au profit des organismes de sécurité sociale doit être limité à ce qui est strictement nécessaire. Notamment, il doit s interpréter à la lumière de ses objectifs. Ainsi, la circulaire 2011-323 précise que «les informations pouvant être vérifiées au titre du 1 de l article L. 114-19 du Code de la sécurité sociale sont strictement définies par rapport au contenu des déclarations souscrites par l assuré ou l allocataire soit dans le cadre du formulaire qu il a rempli à l occasion d une demande de prestation ou de son renouvellement, soit dans le cadre des échanges de courriers avec l organisme de sécurité sociale, à la demande de ce dernier ou spontanément pour notifier un changement de situation». Ces informations sont notamment celles qui ont fait l objet d une déclaration par l assuré (sur ses ressources, sa résidence, son état civil, etc.). 26 Circulaire DSS n 2011-323 du 21 juillet 2011 relative aux conditions d application par les organismes de sécurité sociale du droit de communication institué aux articles L. 114-19 et suivants du Code de la sécurité sociale : «Par dérogation au principe de la consultation préalable, l'organisme de sécurité sociale peut se dispenser de solliciter au préalable l'assuré, l'allocataire ou le cotisant si l'exigence d'une demande préalable est de nature à compromettre les investigations engagées en vue de détecter une fraude. Dans le cas où l'assuré ou l'allocataire n'a pas été préalablement consulté ou n'a pas donné suite à la demande de l'organisme, il convient de veiller à informer l'organisme tiers que la demande s'inscrit dans le cadre d'investigations menées en vue de détecter une fraude et qu'en conséquence il lui appartient de ne pas informer selon les cas son client, son contractant ou l'usager du service public, de l'exercice du droit de communication afin de ne pas nuire aux investigations».

30 Deuxième partie : Applications concrètes De même, le principe de «sélectivité des demandes» doit s appliquer à toutes les opérations réalisées dans le cadre de l exercice du droit de communication : sauf motifs particuliers, les demandes de pièces annexes de faible montant ou de communication de pièces sur plusieurs années doivent demeurer exceptionnelles. 3. Le droit de communication en droit de la consommation Le législateur a conféré à certains agents publics mentionnés à l article L. 215-1 du Code de la consommation une mission de protection du consommateur. Cet objectif nécessite que les agents de ces services publics jouissent d un droit de communication dans le cadre de leur contrôle (article L. 215-3 du code précité). En effet, le droit de communication permet aux agents de prendre connaissance d informations qui ne sont pas rendues publiques et qui peuvent permettre d établir la constitution du délit. Le fait de refuser de se soumettre à cette obligation de communication constitue un obstacle au contrôle. Même si le refus peut reposer sur un motif légitime, ce dernier n est pas retenu par la Cour de cassation. La chambre criminelle de la Cour de cassation a été amenée à se prononcer sur cette problématique dans une décision du 24 février 2009. Dans le cas d espèce, le requérant n était pas un membre d une profession réglementée. La Cour de cassation utilise néanmoins le terme de «secret professionnel» : «Attendu que, pour le déclarer coupable, l'arrêt confirmatif énonce, par motifs propres et adoptés, que le secret professionnel comme la protection des libertés individuelles des clients ne peut être opposé aux enquêteurs, qui sont soumis à un devoir de discrétion et qui tiennent de la loi le pouvoir d'exiger la communication de documents de toute nature propres à l'accomplissement de leur mission ; que les juges relèvent que le refus de communiquer les documents contractuels dans leur intégralité, qui a empêché les enquêteurs de vérifier l'application de la réglementation en matière de démarchage à domicile, constitue le délit poursuivi» 27. D après la Cour de cassation, l obligation au secret professionnel n est donc pas un motif légitime et suffisant permettant au professionnel de se soustraire à l obligation de communication découlant de l application de l article L. 215-3 du Code de la consommation. 27 Cass. crim., 24 février 2009, n 08-84.410