Chapitre 2/3 La prise du bois de la «Vache» Depuis le début de 1916 jusqu au moment où s engage la bataille de Verdun, les Allemands déploient une grande activité. Il exécute, sans doute pour attirer notre attention et fixer nos réserves, une série de violents bombardements, d émissions de gaz, de coups de main et d attaques locales. Dans la région de Frise, ils exécutent la plus importante des nombreuses attaques locales qu ils ont entreprises au cours de la période. Le village de Frise est adossé à la Somme, dont la vallée constitue un marais impraticable large de plusieurs centaines de mètres, et qui est en ce point doublée du canal Freyssinet. Il n est relié à l arrière que par un seul boyau creusé au bord du canal et long de 1 km. A la fin du mois de janvier, il est tenu par un bataillon du 129ème RI que prolonge au sud, à Le bois de Bierre, dit «bois de la Vache». partir du bois de la Vache, le 322 ème ème bataillon territorial (322 BT). Le 28 janvier, vers 7H30, commence contre nos lignes un violent bombardement par obus lacrymogènes et projectiles de tous calibres. Toutes les communications téléphoniques sont coupées, les liaisons par coureurs sont même rendues impossibles. Le bois de la Vache doit son nom au cadavre desséché d une vache accroché aux branches Vers 15H, dénudées d un arbre depuis un bombardement (Voir article suivant). Il s agit en réalité du «bois de Bierre». Le bois de Bierre, où la végétation a repris ses droits, est très l infanterie Le village de Frise occupé par les Allemands après la reprise du bois la broussailleux et recèle encore de nombreux vestiges de tranchées avec quelques restes de allemande Vache par le 22ème RIC. matériels. Le bois du Signal a disparu. attaque. Elle Sur la pancarte accrochée à la barrière, il est inscrit : s empare du bois du Signal et du bois de la Vache ainsi que des ouvrages défensifs «Verbotener Weg! Vom Feinde eingesehen». environnants. Elle encercle ainsi le bataillon qui tient Frise, dont pas un homme ne (Chemin interdit! En vue de l ennemi) revient.
Situé au sommet d un plateau descendant vers le sud, le bois de la Vache commande la région. Les Allemands y ont d excellentes vues sur les pentes nord de la Somme, qui, en juillet, constitueront le terrain d attaque des Britanniques et du XXème corps d armée, et sur tout le plateau de Flaucourt, notamment sur la région d Herbécourt à l est, qui sera alors l objectif de la 2 ème DIC et du 22ème RIC. Il faut donc à tout prix le reprendre. C est au 22ème RIC qu échoit cette mission. Il lui est adjoint 2 bataillons du 24ème RIC et 3 batteries de torpilles de 58. Dans la nuit du 7 au 8 février 1916, le régiment relève les éléments qui occupent le secteur. Un groupement nord, formé par le 3ème bataillon, occupe la zone nord de la route de Cappy à Herbécourt, un groupement centre, constitué du 1er bataillon, se tient au sud de cette route jusqu au boyau du Signal, tandis qu un groupement sud, formé de 4 compagnies du 24ème RIC, s étend du boyau du Signal à la route Cappy-Dompierre. Les tranchés complètement bouleversées par les bombardements des jours précédents n offrent qu un abri insuffisant et les hommes doivent travailler toute la nuit à leur réfection. Le 2ème bataillon est en réserve. L attaque est déclenchée le 8 à 16H30. Le groupement nord, soumis depuis le matin à un bombardement intense par gros calibre, qui bouleverse les tranchées, et pris à partie par des mitrailleuses qui se révèlent au dernier moment, ne peut sortir de ses tranchés où il peine à se maintenir. Le groupement centre s empare du bois du Signal après avoir fait des prisonniers. Excepté la 5 ème Cie du 24ème RIC, le groupement sud n est pas engagé. Le 9 à 5H du matin, le 3ème bataillon exécute au nord l attaque qui avait échoué la veille. Il s empare du bois de la Vache en entier puis progresse à la Le bois de la Vache (en haut à gauche) domine la vallée de la Somme grenade jusqu'à 20 m de la route Cappy-Herbécourt. Les Allemands réagissent
immédiatement, mais sont arrêtés. Le combat se poursuit acharné pendant toute la journée et la nuit. Le bombardement des tranchées conquises est intense. Celles-ci en sont bouleversées. Le bataillon est très éprouvé. Le 1er bataillon cherche à s emparer de la totalité de la tranchée située en avant de son dispositif, mais en vain. A 22H00, le 2 ème bataillon pousse vers le nord pour l investir. Une avancée de 40 m est réalisée mais nos éléments sont ramenés au point de départ. Le tir de l artillerie ennemie est toujours très violent. Le groupement sud, profitant de l avance du 1 er bataillon au bois du Signal, avance une première fois vers l est de 50 m environ. Une contre-attaque allemande le ramène à son point de départ. A 16H30, 250 m du boyau du Signal ont été pris et repris quatre fois. Pendant toute la nuit du 9 au 10, les unités subissent un bombardement intense et ininterrompu qui rend les opérations de ravitaillement en vivres et en munitions très difficiles au prix de pertes sensibles et d efforts très importants. Le 10, sur l ensemble de nos positions, l artillerie allemande exécute des bombardements effrayants et lance sur les boyaux de communication des gaz lacrymogènes. Le sol est nivelé, le bois de la Vache détruit, la moitié des hommes en ligne est mise hors de combat. Les allemands contre-attaquent de tous côtés mais sont repoussés. Quelques groupes ennemis parviennent à pénétrer dans les lisières est du bois de la Vache mais le 3 ème bataillon reconquiert presque aussitôt ses positions. Le bombardement continue à être furieux. Les pertes sont très lourdes et l état de fatigue de la troupe, qui mène depuis quatre jours une lutte ininterrompue, est extrême. Vues des hauteurs du bois de la Vache sur la vallée de la Somme et sa rive nord qui sera le secteur d attaque du XX ème CA et des Britanniques
La nuit du 10 au 11 est relativement calme. Le 1er bataillon est relevé. Il occupe le «Verger-Olympe» au Sud-est de Cappy. Le 11 et le 12, le reste du régiment est relevé dans des conditions très pénibles du fait du bombardement et de la pluie : «Les hommes s enlisaient littéralement dans une boue gluante et obstruaient les boyaux. On dût se servir de pelles et de cordes pour en dégager quelquesuns» (Extrait du JMO). «Au cours de ces rudes combats ininterrompus, du 8 au 12, dans les bataillons et les compagnies de mitrailleuses, les officiers et les hommes de troupe du 22ème Colonial ont fait preuve d une endurance, d un entrain et d une intrépidité qui leur fait le plus grand honneur. Sous un bombardement infernal et sans se laisser impressionner par les lourdes pertes, le régiment a arraché à l ennemi les importantes positions du bois de la Vache et du bois du Signal qu il a conservées malgré les contre-attaques d un adversaire très mordant et soutenu par une puissante artillerie». (Extrait du JMO) Pendant la période du 7 au 12 février 1916, le total des pertes du 22ème RIC se monte à 862 : Le bois de la Vache après les combats 10 officiers (3 tués et 7 blessés) et 852 hommes (201 tués et 651 blessés). Les 1er et 3ème bataillons ont obtenu chacun une citation à l ordre du 1er corps d armée colonial. Colonel (ER) Philippe Blanchet (01/12/2014) Le «Bois de la Vache» en 1915 Le «Bois de la Vache est situé à 8 km à l'ouest de Péronne et au sud de la Somme au sommet d'un plateau permettant d'excellentes vues sur la rive droite de la Somme, au nord, et sur la région d'herbécourt, à l est. Il commande la région. Pris par les Allemands le 28 janvier 1916, sa reconquête est indispensable pour entreprendre l'offensive prévue par le commandement, («la Somme malgré Verdun». Le 22ème RIC le reprend après de très durs combats menés du 8 au 10 février 1916 (862 morts et blessés). Avant que le 22ème RIC. ne reprenne le «Bois de la Vache» en février 1916, ce bois, dénommé réellement «Bois de Bierre», a été tenu par le régiment de marche de la Légion étrangère (RMLE).
Parmi les légionnaires, un certain Frédéric Sauser, un Suisse, né à La Chaux-de-Fonds en 1887. Il s'est engagé, dès le 3 août 1914, dans la Légion, à la caserne de Reuilly, à Paris. Le 28 septembre 1915, en Champagne, à l'attaque de la Ferme de Navarin, il a le bras droit arraché. Il recevra la Médaille Militaire et la croix de guerre avec deux palmes. On le connaît plus sous son pseudonyme littéraire de Blaise Cendrars, nom sous lequel va paraître en 1946 «La Main Coupée», sanglant souvenir de «sa» guerre. Il y décrit abondamment le «Bois de la Vache». Vous trouverez ci-après les passages empruntés à ce livre et relatifs à ce bois : «Au bout de quatre, cinq jours, nous arrivâmes épuisés à Rosières où nous fîmes surtout de la station debout, de même qu'à Frise, à Dompierre, au Bois de la Vache et dans les tranchées de maints autres secteurs durant les mois et les mois qui allaient suivre......c'est au Bois de la Vache que Bikoff reçut une balle dans la tête. Le Bois de la Vache, nom sinistre, sale coin. Nous y sommes restés soixantedeux jours consécutifs et c'est la seule et l'unique fois de ma vie que je suis resté trente jours sans me raser......au Bois de la Vache, à la corne du bois, nous tenions un petit poste qui n'était séparé du petit poste allemand que par une épaisseur de quelques sacs de terre. On aurait pu s'embrocher à la baïonnette d'une tranchée à l autre......on s'était furieusement battu dans la région. Ainsi, une vache avait été soufflée par un obus, et sa carcasse pourrissait en l'air, le squelette se détachant par pièces et par morceaux les jours de grand vent, mais la tête, les cornes engagées dans une fourche, restait accrochée au sommet d'un arbre, d'où le nom du bois. Au Bois de la Vache, l'ingénieux Bikoff avait eu une idée diabolique. Ne s'était-il pas avisé de se camoufler en arbre, et cela bien des années avant que ne passât sur les écrans du monde, le film de «Charlot soldat». Il avait menuisé, évidé, articulé une vieille souche qu'il enfilait comme un scaphandre, on lui passait un mousqueton et Bikoff sortait la nuit pour aller se planter à l'orée du bois, au milieu des autres souches et il passait toute la tournée dehors guettant l'occasion de faire un beau coup de fusil C'est en se livrant à ce «jeu» que Bikoff reçut une balle dans la tête.» Blaise Cendrars rapporte ensuite que si la blessure était horrible à voir, Bikoff n'était pas mort. Il avait perdu l'œil gauche. Mais, on lui a sauvé le droit. Marsouin de 1ère classe Daniel Therby, président de l Amicale des anciens du 22ème de Marine (01/12/2014).