L aide sociale finance-t-elle un séjour linguistique?

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L aide sociale finance-t-elle un séjour linguistique? Une gymnasienne, dont la mère est bénéficiaire de l aide sociale, doit effectuer un séjour linguistique obligatoire. L aide sociale prend-elle en charge les dépenses impliquées? QUESTION Une mère bénéficiaire de l aide sociale élève seule sa fille de 17 ans qui est au gymnase. La demande de bourse d études a été acceptée, l étudiante perçoit 3000 francs pour une année scolaire. Pour le calcul de la bourse, les frais scolaires ont été évalués à 2000 francs. En avant-dernière année scolaire, un séjour linguistique de trois semaines minimum, avec fréquentation d une école de langues reconnue, est obligatoire. Ces séjours sont extrêmement onéreux. L offre retenue par l étudiante s élève à environ 3000 francs. Les étudiantes et étudiants sont également libres mais pas toujours d effectuer un stage. Cette variante serait nettement plus avantageuse. L aide sociale prend-elle en charge les coûts de tels séjours linguistiques? Et si oui, à concurrence de quel montant? BASES La garantie du droit au minimum vital constitue la base de l aide sociale, son objectif étant d assurer l intégration sociale et professionnelle (normes CSIAS A.1). Une bonne formation crée les conditions idéales PRATIQUE La rubrique «Pratique» répond à des questions concernant la pratique de l aide sociale. Les membres de la CSIAS ont la possibilité d adresser leurs questions concrètes à la SKOS-Line (www.skos.ch, se connecter à l intranet, sélectionner la rubrique «Conseil»). Leurs questions sont traitées par des spécialistes et quelques exemples choisis sont publiés dans ZESO. pour l intégration professionnelle et la future indépendance financière. Du point de vue de l aide sociale, le fait de suivre une formation est donc digne de soutien. Le financement de formations initiales ne fait toutefois pas partie des priorités de l aide sociale. En premier lieu, les parents doivent assurer une formation adéquate à leurs enfants (art. 277 ss. CCS). A titre subsidiaire, lorsque tous les revenus tels que contributions d entretien, bourses d études et prestations de fonds et fondations ne suffisent pas à couvrir l entretien et les dépenses liées à la formation, l autorité d aide sociale peut décider de verser une aide supplémentaires (normes CSIAS instruments pratiques H.6). Pour ce qui est du financement de formations, il convient de prendre note de ce qui suit : La formation doit correspondre à un objectif professionnel réaliste, adapté aux capacités de la jeune femme ; elle doit être reconnue et soutenue financièrement par l office des bourses d études, une variante de formation plus avantageuse doit être choisie qui peut être financée par une famille de condition modeste (avec l aide de bourses). D une part, l aide sociale n est donc pas tenue de financer des formations et les dépenses qui y sont liées. D autre part, un refus de principe contrecarrerait les objectifs de l aide sociale. Dans le cas présent, il serait dès lors utile de procéder aux clarifications susmentionnées. Si l aide supplémentaire est confirmée, cette dernière engloberait alors également les dépenses générées (uniques et récurrentes), pour autant que ces dernières ne soient pas déjà incluses dans le forfait pour l entretien (normes CSIAS C.1.4). Si des dépenses spécifiques intrinsèquement liées à la formation se présentent, la démarche ci-dessus s applique sans restriction. Si un ou une élève décide toutefois de privilégier la variante plus onéreuse, les travailleurs sociaux, les parents et les adolescents concernés seront très sollicités pour analyser avec précision les souhaits, les possibilités et les limites afin de trouver des solutions adéquates. Si les personnes à former sont disposées à fournir une contribution personnelle, comme accepter un emploi d été ou effectuer des démarches personnelles auprès des fonds et fondations, le choix d une variante privilégiée, mais plus onéreuse, est envisageable. REPONSE Dans le cas présent, la fréquentation d un gymnase n est pas remise en question. Il s agit d une école qui offre de solides bases pour une formation professionnelle et qui est reconnue et soutenue par l office des bourses d études. Le séjour linguistique est obligatoire. L aide sociale prend donc en charge à titre subsidiaire les dépenses si ces dernières ne peuvent pas être couvertes ni par les prestations de fonds ou de fondations, ni en partie ou en totalité par les bourses. Il s agit d un investissement unique conditionné par une situation spécifique en relation avec la fréquentation de l école (normes CSIAS C.1.4). Finalement, il convient d opter pour une variante adéquate et plus avantageuse pouvant être assumée par une famille de condition modeste. Nous vous recommandons dès lors de vous entretenir du choix d un séjour linguistique avec l adolescente et sa mère. Si la jeune femme devait être disposée à assumer elle-même les éventuelles dépenses supplémentaires générées par le choix d une variante plus onéreuse, alors il y a lieu d accéder à son souhait. A titre subsidiaire, l aide sociale prendrait alors uniquement en charge les dépenses liées à la variante minimale. Bernadette von Deschwanden Membre du groupe de travail Rete de la commission Normes de la CSIAS 8 ZeSo 2/11 PRATIQUE

«L empathie pour les personnes à protéger est en déclin total» La migration est-elle une menace ou la solution à un problème? Gianni D Amato, expert des migrations, analyse les relations entre l UE et l Afrique du nord. Et il explique pourquoi la politique de migration suisse reste figée. Monsieur D Amato, l Afrique du nord connaît aujourd hui de grands bouleversements. Peut-on parler d événements «historiques»? L évolution actuelle revêt sans doute une dimension historique. Nous constatons que la population de cette région, qui a été perçue d ici comme relativement homogène, s investit soudainement pour ses droits civils et humains. Elle souhaite que ses revendications soient entendues par l Etat. On assiste à l émergence d une sorte d individu qui, par estime de soi, souhaite agir et participer en qualité d instance morale à la collectivité publique. Comment le monde occidental réagitil à cette évolution? Le monde occidental a été complètement dépassé par les événements. Il ne perçoit malheureusement pas le message émis par la population des pays concernés. Au lieu de nous demander comment soutenir ces personnes dans leurs aspirations à jouir de davantage de droits, nous nous focalisons sur les risques migratoires. Je trouve affligeant de constater que la réaction de l Occident s accompagne d autant de crainte et de stupéfaction. Mais nous assistons, de fait, à un grand mouvement migratoire Il faut tout remettre en perspective. Au cours des trois premiers mois de cette année, quelque 25 000 personnes sont effectivement arrivées en Italie, autant que durant toute l année en temps normal. Pour éviter de porter à elle seule le fardeau, l Italie a tout de suite tenté d élargir ce mouvement migratoire à l Europe. La France et l Union européenne (UE) ont beaucoup apprécié le cadeau et ont immédiatement renvoyé ces personnes à l expéditeur! Pensez-vous qu il s agisse d un problème «italien»? Je pense que la nouvelle relation avec un Maghreb se démocratisant tout en douceur est un problème européen, mais le gouvernement italien actuel a lamentablement géré la situation. Comment l UE devrait-elle traiter cette thématique? Il est préoccupant que l UE ne considère par lesdits pays nord africains comme une région d importance stratégique. Il conviendrait de fortement développer la coopération avec ces pays et de ne pas se contenter de l aide au développement. Si ces pays se démocratisent réellement, une zone où règne l Etat de droit pourrait alors se créer autour de l Europe. Il s agit aujourd hui de savoir si nous souhaitons y in- vestir ou si nous laissons d autres régimes tels que l Iran ou l Arabie saoudite le faire à notre place. A quelle forme d investissements pensez-vous? Il n est pas seulement question d investissements sur place, mais aussi de construire des relations. Un programme d échange intensif avec ces régions permettrait de nous assurer leur coopération. Surtout après les avoir laissées pour compte 12 ZeSo 1/11 Interview

Gianni D Amato Gianni D Amato, spécialiste des questions de migration et de citoyenneté, est professeur et Directeur du Swiss Forum for Migration and Population (SFM) de l Université de Neuchâtel. Ce politologue de 48 ans et fils de migrants italiens a grandi en Suisse. Il est marié et père de deux enfants et vit avec sa famille à Zurich. pendant 40 ans, favorisant ainsi la montée des dictatures. L UE pourrait par exemple créer la possibilité d accueillir temporairement des travailleurs migrants ou favoriser l échange d étudiants. Le débat public montre toutefois que la population et la politique réagissent avec crainte et rejet. La peur et le rejet ont de tout temps fait partie du climat général cultivé en Suisse. Cette attitude est constamment justifiée Photos: Béatrice Devènes par des motifs démographiques : la Suisse est soi-disant un petit pays qui ne saurait accueillir indéfiniment des étrangers. La population craint d être brusquement minoritaire dans son propre pays. Le climat s exprime également par la peur d une surpopulation étrangère : trop différents de nous, les étrangers représenteraient un danger. Cette structure de la pensée remonte à la fin du 19ème siècle, en Suisse. La migration est perçue comme une menace et non comme la solution à un problème. La Suisse a une tradition humanitaire. Que signifie l action humanitaire dans le contexte actuel? Elle signifie accueillir les personnes à protéger pour un temps défini, puisque celles-ci sont poursuivies. Cette tradition est tout comme la neutralité une forme de politique extérieure. Elle est parfois contestée. Après la deuxième guerre mondiale, elle a dû être repensée, car elle n avait pas fonctionné, à ce moment-là. Quand cette tradition a-t-elle vraiment fonctionné? Pouvez-vous nous citer un exemple? Durant la guerre froide, nous avons pu compter sur cette tradition surtout lorsque les Hongrois sont arrivés en Suisse. La population a fait preuve d un haut degré de compassion, nombreux sont ceux qui ont ressenti le besoin de venir en aide aux personnes concernées. Depuis, ce phénomène ne s est plus jamais reproduit. Les Chiliens ont notamment pu le ressentir en 1973-74 : on parlait alors ouvertement de leur soi-disant étrangeté. Ils venaient d un autre régime politique et étaient donc suspects aux yeux de bon nombre de nos concitoyens. A partir des années 1980, l empathie pour les personnes à protéger a fondu comme neige au soleil. Ni les Tamouls ni surtout les ressortissants des Bal- interview 1/11 ZeSo 13

«Dans nos marchés de travail internationalisés, la compétence devrait primer sur les considérations de nationalité.» kans ne peuvent compter sur la sympathie de la population suisse. La population suisse est-elle dénuée d empathie? Il ne faut pas tout peindre en noir Il y a des positions divergentes : les uns ont surtout des intérêts économiques, pour d autres, les valeurs nationales sont prioritaires et d autres, enfin, plaident en faveur d une Suisse humanitaire. Ce dernier groupe s investit afin que la Suisse s engage à un niveau international à venir en aide aux personnes à protéger. Cette partie de la population est souvent minoritaire, en Suisse, mais elle existe. La peur de la surpopulation étrangère est-elle justifiée? La peur est une chose, l idéologie en est une autre. De toute évidence, lorsque notre propre position est menacée par la concurrence avec d autres, nous sommes poussés à réagir. On se dit alors : moins il y aura de concurrence et plus ma position sera sûre. Le fait est que la concurrence joue aujourd hui un rôle prépondérant dans notre vie. La question se pose dès lors plutôt de savoir qui est touché par cette concurrence : uniquement les couches sociales défavorisées comme dans les années 1950 et 1960 ou nous tous? Si elle nous concerne tous, alors la compétence au sein de nos marchés de travail internationalisés devrait primer et la nationalité être reléguée au second plan. De nombreuses personnes attendent néanmoins d être protégées des qualifications d autrui. C est un paradoxe dans notre économie de marché libre. Nous érigeons donc nos propres barrières? La Suisse se trouve dans une impasse : la moitié de la population soutient le système de l économie de marché libre, l autre moitié soutient des mesures protectionnistes. Le pays n est donc pas apte à prendre des décisions, mais dépend de minorités variables. Qu est-ce qui fait d une personne migrante un citoyen? Bonne question! La naturalisation, d une part, et la participation d autre part. Cela veut dire la citoyenneté à part entière? Oui et également la protection envers la discrimination, qui y est liée. Il existe en Suisse, jusqu à présent, peu de possibilités pour se protéger de la discrimination. Les droits de citoyenneté permettent de se prononcer publiquement et offrent une protection contre l expulsion. Nous constatons que certains groupes politiques tentent de torpiller ces mesures de protection : ils souhaitent que l on devienne suisse à titre provisoire, comme on met quelqu un «en quarantaine», et que la naturalisation puisse être annulée si l on ne se conduit pas en bon citoyen. Une démarche très étonnante en ces temps modernes. Cette pratique de la dénaturalisation nous provient du régime de Vichy, en France. Je m étonne toujours des expériences historiques auxquelles on se réfère! Au mois d octobre auront lieu les votations fédérales. Quelle influence le thème de la migration aura-t-il sur la campagne électorale? Une très grande influence! La migration est un thème qui ne coûte rien et qui mobilise fortement. Il s agit du seul sujet sur lequel il est possible de mobiliser des électeurs sans devoir craindre des pertes de voix. Celui qui ne mobilise pas les électeurs sur des thèmes migratoires n a rien compris au combat électoral. Diverses thématiques liées à la migration s insèrent parfaitement dans une campagne électorale : la naturalisation, la lutte contre les abus, etc. Quels que soient les thèmes d actualité, cet été, les partis effectueront des choix qui seront payants. Comment les partis se positionnerontils? La plupart des partis partent du principe que la position de l UDC lui permet d identifier les préoccupations réelles de la population, mais qu elle propose néanmoins des solutions inadéquates. Le PS tentera certainement de mettre en avant la tradition humanitaire, les forces libérales lieront la migration à divers dossiers économiques, mais elles donneront ainsi indirectement raison à leur adversaire politique. Vu sous cet angle, l UDC a déjà remporté une victoire, puisqu elle a imposé ses convictions qui voient quasiment en chaque étranger un problème. Le PS et la gauche sont, depuis des années, sous le feu des critiques. On leur reproche d avoir négligé le débat sur la migration ou d être trop naïfs. Qu en pensez-vous? Cette critique est partiale. Elle impute à tort à la gauche de porter un jugement erroné sur ce thème. L UDC procède de manière inverse. Depuis des années, sa politique poursuit l objectif d entraver les réformes, ce qui a cimenté l immobilisme que nous connaissons depuis 30 ans. Lors de l initiative anti-minarets, en 2009, elle a réussi, pour la première fois, à présenter publiquement le thème des étrangers comme une menace. Un petit Etat tel que la Suisse ne peut toutefois survivre que grâce à la participation de ses diverses composantes et grâce à leur intégration. La 14 ZeSo 2/11 interview

«Celui qui ne mobilise pas l électorat sur des thèmes migratoires n a rien compris au combat électoral.» Suisse ne saurait exister sans la participation de la population. Revenons à la question de la gauche Comme je l ai dit, tout est affaire d interprétation. Le point de vue de la gauche est surtout fondé sur la tradition humanitaire : nous nous devons d aider. Elle ne réalise néanmoins pas que les personnes migrantes entendent s aider elles-mêmes. Les migrants ne veulent pas être considérés comme des clients. La critique à l égard de la politique de migration de la gauche ne vient toutefois pas prioritairement des migrants, mais surtout des électeurs potentiels. Le PS se trouve confronté à un dilemme. Il représente un vaste corps électoral, dont des segments de la population qui ont besoin de protection. Eh bien, c est avant tout ce groupe qui se sent de plus en plus attiré par l UDC! Le PS n a pas réussi à proposer des alternatives. Au sein de la gauche, un clivage existe depuis le 19ème siècle au sujet de la question suivante : les uns voient en l étranger une opportunité et ressentent une obligation face à la solidarité internationale. Les autres, au contraire, ont peur et veulent se défendre contre l immigration. Quel est, à vos yeux, le pays «modèle» en matière de politique de migration? Il n y en a aucun! Dans le domaine de la migration, le Canada est actuellement «en pointe». Je pense toutefois que chaque Etat est confronté aux mêmes questions : reconnaissons-nous le phénomène de la migration? Que faisons-nous pour améliorer la situation de tout un chacun? Et comment nous traitons-nous nous-mêmes? Ces questions montrent au final qui nous sommes, comment notre système réagit aux défis et comment nous mettons réellement en application les droits de l Homme et du citoyen. Les questions sociales décisives se posent en présence de minorités et non au regard du courant dominant. Projetons-nous de 50 ans dans l avenir : comment se présenterait la composition de notre société en termes de nationalités et de religions? La société sera davantage pluraliste. Je pars du principe que plus de personnes en provenance d Allemagne viendront en Suisse. L avenir nous dira si ces personnes s établiront dans notre pays et intégreront notre société. La migration, en Europe, sera synonyme de mobilité croissante. La migration ne devrait plus être considérée comme un changement définitif. Si le processus d intégration européenne se poursuit, nous observerons des transferts qui seront comparables à un changement de canton, à l heure actuelle en Suisse. La Suisse introduira-t-elle le droit de vote pour les étrangers? Si la Suisse est membre de l UE, dans 50 ans, cela ira de soi. Les expériences des pays voisins montrent que le droit de vote des étrangers n est pas une affaire! Pourquoi des personnes qui participent au financement des écoles et des collectivités publiques ne pourraient-elles pas avoir voix au chapitre? Cette forme d exclusion nationale ne correspond pas du tout à la perception que la Suisse a d elle-même. Interview réalisée par Monika Bachmann interview 2/11 ZeSo 15

Davantage de convivialité, svp! Une présence de haute qualité sur l Internet n est plus du luxe, aujourd hui : les sites offrant une information complète et ciblée s imposent désormais comme un standard. Les services sociaux faisant partie intégrante de la machine administrative doivent absolument rattraper leur retard. SITE INTERNET ZURICH 18 ZeSo 2/11 ACCENT Les critères de qualité pour les sites internet de l aide sociale sont en principe identiques à ceux des autres portails de cyberadministration : la qualité de l information mise à disposition est primordiale. Deuxièmement, le site doit offrir des possibilités d interaction et de transaction. Troisièmement, il faut intégrer des options permettant de personnaliser l utilisation. Si les internautes ont en outre la possibilité de générer des contenus et de participer à la conception du portail, le quatrième critère qualitatif est alors rempli. Les attentes des utilisateurs Le service social devrait d abord se poser la question du publiccible : le site internet est-il uniquement destiné aux bénéficiaires potentiels de l aide sociale? Ou les informations s adressent-elles également à d autres groupes cibles? Quels sont les besoins d information de ces publics-cibles? Quelles sont leurs compétences en matière d utilisation de portails internet? Les réponses à ces questions fournissent les indications nécessaires quant aux informations à mettre à disposition sur le site. Les informations sélectionnées doivent ensuite être conçues de manière pratique et conviviale. En règle générale, les collaborateurs des instances compétentes connaissent bien les besoins des personnes concernées. Des expériences consistant à observer des utilisateurs test parmi les destinataires, lors de l utilisation de portails existants, permettent d obtenir des informations complémentaires. SITE INTERNET SCHAFFHOUSE

<<< Grâce à l analyse combinée de données d utilisation et d interviews d utilisateurs, il est possible d identifier certaines informations relatives aux exigences des utilisateurs, à leurs comportements et habitudes, ainsi qu aux éventuels déficits au niveau de la conception du portail. Bien entendu, il convient de respecter les principes de la protection des données. Clair, informatif et adapté au public-cible La qualité de l information débute par la recherche facile de l aide sociale sur le portail internet de la commune ou de la ville. Outre les contenus, une bonne information intègre la mise à disposition de formulaires. Un moteur de recherche fonctionnel et adapté au domaine devrait également être intégré. Il est également important de trouver le bon «ton» du point de vue du contenu. La conception graphique ne devrait pas non plus être fantaisiste, mais plutôt au service du contexte et de l objectif de l information. Cela ne signifie toutefois pas qu il faille renoncer à la créativité ou à un ton à caractère personnel et adapté aux destinataires. Et cela, même s il faut respecter une mise en page imposée. La mise à disposition hautement qualitative d informations ne représente bien entendu que la première étape de la conception du portail internet. La 2ème étape consiste à offrir des possibilités d interaction et de transaction. Celles-ci doivent permettre aux utilisateurs de bénéficier d une aide en ligne lors du remplissage de SITE INTERNET BALE VILLE QUE PENSE L EXPERT DES SITES INTERNET DES SERVICES SOCIAUX SUISSES «De manière générale, j ai le sentiment que les services d aide sociale des communes suisses se sont tant bien que mal consacrés en priorité à la première étape de la conception de sites internet. Sur certains sites communaux que j ai consultés, je n arrivais même pas à utiliser la fonction de recherche des portails. Sans parler de l impossibilité de trouver des informations sur l aide Reinhard Riedl. sociale par le biais des liens de navigation. Chez d autres, l information était extrêmement rudimentaire et se limitait essentiellement à la publication du courriel du collaborateur compétent. Utile, mais peu spécifique Certaines villes, comme Schaffhouse, mettent à disposition un recueil d informations ainsi que quelques formulaires. Un tel exemple reflète la situation actuelle de l information dans le domaine de l aide sociale. Cette ville propose des informations certes utiles, mais qui ne sont pas adaptées à la situation de vie des personnes dans le besoin. La ville de Thoune, par contre, a adopté une approche ciblée en proposant le téléchargement de brochures disponibles en plusieurs langues. Le ton donné à la rédaction de ces brochures est, à mon avis, très spécial : dans la rubrique «conseils pratiques», on trouve par exemple la référence au respect de la dignité humaine dans l aide sociale. Spécifique et un brin moderne La ville de Zurich, elle, fournit des informations plus détaillées que la plupart des autres services sociaux. Elle propose notamment une classique «Foire aux questions» (FAQ) ainsi que l outil spécifique et très utile du calculateur du seuil de pauvreté. Les informations sont bien conçues. Seuls défauts relevés : de petites erreurs de programmation et des carences au niveau des instructions destinées aux utilisateurs. Le site de la ville de Bâle m a le plus convaincu. Son public-cible est clair et elle tente d adapter l information à ceux qui doivent recourir pour la première fois à l aide sociale. Grâce à un film d animation, la présentation est même un brin moderne. Dans les grandes ainsi que dans quelques petites villes, les prestataires mettent tout en œuvre afin d assurer une première étape satisfaisante de maturité, celle de la mise à disposition d informations. Mais même dans les grandes villes, de notables possibilités d amélioration subsistent dans ce domaine. Au niveau national, on est encore loin de recourir aux innovations technologiques actuelles.» Reinhard Riedl Directeur du Centre de compétence en cyberadministration de la Haute Ecole professionnelle bernoise ACCENT 2/11 ZeSo 19

formulaires, de poser des questions et éventuellement d envoyer des demandes par voie électronique. A nouveau, il convient de veiller à une conception adaptée au public-cible et au contexte. Contrairement à d autres services cyber administratifs, un traitement en ligne complet de demandes d aide sociale n est toutefois pas souhaitable. Il serait bien plus utile de faciliter l échange de questions et de compléments d information entre la population et les autorités par voie électronique. Si la possibilité est donnée de poser des questions en ligne, alors les collaborateurs du service social concerné se doivent d assurer une parfaite gestion du site. Les réponses aux questions posées doivent être envoyées dans un délai raisonnable. Pour les forums en ligne, il doit être possible d identifier et d effacer rapidement et systématiquement les utilisations frauduleuses. Ces diverses actions peuvent impliquer un investissement non négligeable. Toutefois, la connexion de portails à des réseaux sociaux numériques ouvre de nouvelles opportunités à la communication directe en ligne. Une information sur mesure La 3ème étape de maturité consiste à proposer aux utilisateurs des options de personnalisation qui leur permettent ainsi d adapter le portail à leurs besoins, p.ex. en indiquant leurs préférences en matière d informations. Cela facilite la recherche, surtout pour des portails truffés de renseignements. Si la personnalisation est bien faite, un utilisateur est en mesure de créer un coffre personnel de données dans lequel il sauvegarde tous les documents dont il a besoin et qu il a reçus. Il peut ensuite en extraire les documents et les adresser à qui de droit. L autorité, elle, renvoie ses décisions et messages au coffre de données. Ce coffre virtuel permet ainsi d entretenir tous les contacts avec les autorités. A ce jour, plusieurs tentatives d implémentation du système ont déjà été engagées, certaines sont encore en projet. A noter qu aucun coffre de données n a réellement été mis en place de manière satisfaisante en Europe. Le courage est de mise La 4ème étape de maturité consiste à mettre à disposition des outils Web 2.0 qui permettent aux utilisateurs de publier directement des contenus. A cet égard, la connexion à des médias sociaux numériques joue un rôle prépondérant. Les autorités qui souhaitent offrir des services complémentaires de ce genre doivent souvent se faire violence, au début : si la clientèle est libre d apporter sa contribution à la conception, les autorités assistent alors à une perte de contrôle partielle. En d autres termes, le contrôle est transféré aux utilisateurs. Les expériences faites avec des sites internet officiels collaboratifs sont très restreintes. Toutefois, tout porte à croire que la tendance vers l interaction se renforcera davantage à l avenir. Reinhard Riedl Directeur du Centre de compétence en cyberadministration de la Haute Ecole professionnelle bernoise et membre du Conseil des experts E-Government Suisse SITE INTERNET THOUNE 20 ZeSo 2/11 ACCENT

Thomas Näf: «Pour faire valoir ses droits, il faut être bien informé.» Photos: Béatrice Devènes «Il faut s y connaître pour obtenir l aide sociale» Comment les personnes dans le besoin s informent-elles de leurs droits et devoirs dans le système d aide sociale? Thomas Näf, président du Comité des chômeurs et victimes de la pauvreté (KABBA), nous parle des barrières bureaucratiques, des urgences et de l offre d information insuffisante. Monsieur Näf, le KABBA demande un service central de documentation permettant aux personnes touchées par la pauvreté de s informer sur les prestations et offres existantes. Cela signifie-t-il qu il est difficile, pour des personnes en situation de détresse, de trouver les informations nécessaires? C est du moins très fastidieux. Même les experts tels que les collaboratrices et collaborateurs des services sociaux ne jouissent que difficilement d une vue d ensemble de l offre de programmes d emploi temporaire ou d intégration. Comment attendre, de la part d un amateur, qu il se retrouve dans cette jungle d offres? Voilà pourquoi nous réclamons une banque de données centrale qui offre un aperçu de toutes les offres régionales destinées aux personnes dans le besoin et vivant en situation précaire. Car le meilleur programme est inutile si les personnes concernées ne connaissent pas son existence. L aide financière remédie en général aisément à une situation de détresse urgente. En quoi l information, une notion peu concrète, joue-t-elle un rôle dans la lutte contre la pauvreté? L information permet aux personnes concernées de s adresser aux instances adéquates et ainsi d obtenir l aide requise. Afin d atteindre cet objectif, deux conditions s imposent. Premièrement, 24 ZeSo 2/11 ACCENT

<<< «La page d accueil d un service devrait publier des renseignements plus exhaustifs que simplement les heures d ouverture.» l infrastructure permettant de se procurer les informations doit être disponible : si quelqu un ne possède pas d ordinateur ou ne peut pas se permettre un accès à l Internet, il lui sera difficile d acquérir les connaissances lui permettant de se sortir de la détresse. Deuxièmement, les informations doivent également être consultables : on doit pouvoir s informer des règles en vigueur dans le système d aide sociale ou de l assurance-chômage. La connaissance des processus de l aide sociale est nécessaire à l obtention de prestations d aide sociale. Les relations avec les autorités ne sont faciles pour personne. Pensez-vous que le système d aide sociale pose des exigences plus élevées à ses clients que ne le font d autres secteurs de la vie quotidienne? Le système d aide sociale devient de plus en plus complexe et bureaucratique. Mais il faut tout de même le maîtriser. En effet, contrairement à l AVS, l argent ne nous est pas simplement mis à disposition cela demande une participation active : il s agit d une dette que l on doit quérir. Afin de faire valoir ses droits, il faut être informé au préalable. domaines de la vie quotidienne. Un système de calcul de l aide sociale tel qu on le trouve sur le site du canton de Zurich est très utile : il permet de calculer si un budget de ménage défini justifie l obtention de prestations d aide sociale ou non. Quelle offre d information ne répond pas au besoin d information des personnes concernées? La page d accueil d un service devrait tout de même fournir des renseignements plus exhaustifs que simplement les heures d ouverture. Les personnes concernées doivent pouvoir savoir ce qui les attend lorsqu elles font une demande pour l obtention de prestations d aide sociale. Interview effectuée par Hanna Jordi Prenons le cas où la personne dans le besoin a un écran à sa disposition et a bien l intention de se renseigner sur les possibilités qui s offrent à elle. Quelles sont ses chances de trouver les renseignements nécessaires si elle consulte les différentes pages des services sociaux et offres d assistance? Je connais avant tout la page d accueil des services sociaux du canton de Berne : à mon avis, les informations sont bonnes. Il est possible de télécharger une brochure qui répond aux principales questions elle est compréhensible et disponible en plusieurs langues. Celui qui cherche davantage d informations comme les normes de la CSIAS, par exemple, trouve les liens en un tour de main. Ce qui est toutefois plus difficile à trouver, c est de savoir quelle contribution une personne peut demander pour quels thomas näf Thomas Näf (49) est président du KABBA (Comité des chômeurs et victimes de la pauvreté) à Berne. L association a ouvert, en avril dernier, le premier internet café gratuit à Berne. Le «Power-Point» est situé à la Monbijoustrasse 16, 3011 Berne ; les utilisateurs disposent de 10 stations de travail avec accès internet et logiciels de traitement de texte. ACCENT 2/11 ZeSo 25

Un diplôme professionnel en guise de médaille d or Sulejman Sulejmani voulait devenir champion professionnel de boxe thaïe, négligeant ainsi sa formation. Après s être retiré de la compétition, il a néanmoins obtenu un diplôme professionnel grâce au programme national «Validation des acquis de l expérience». Si Sulejman Sulejmani, champion de boxe thaïe, n avait pas perdu l un ou l autre combat, il n occuperait guère aujourd hui le poste d opérateur de médias imprimés, avec diplôme fédéral, au sein d une imprimerie zurichoise. Les moments sportifs difficiles lui ont en effet appris qu après un coup au visage, il était possible de poursuivre le combat, et même avec le sourire. Le combat de Sulejman, un Suisse de 33 ans d origine albanaise du village Presevo situé en Serbie méridionale, a été semé d embûches jusqu à la formation professionnelle fédérale. Le sport en tête Sulejman Sulejmani arrive à l âge de 13 ans en Suisse avec sa mère et ses trois frères et soeurs. Son père travaille déjà depuis 1970 dans le pays en tant qu ouvrier du bâtiment et, plus tard, magasinier. En 1990, la famille peut enfin le rejoindre. Elle s établit à Winterthour où Sulejman entre en 10ème année du cycle d orientation. Mais ensuite, Sulejman ne trouve pas de place d apprentissage Il se souvient : «J aurais aimé entrer chez Sulzer, mais à l examen pour le stage de préapprentissage, je n ai malheureusement obtenu qu un 4,5 alors que la note requise était 5». Sa passion pour le sport le pousse alors à ne pas entamer de formation professionnelle. Pour gagner sa vie, il travaille dans un atelier de reliure : Le soir et les week-ends, l adolescent se prépare à une carrière sportive professionnelle. «Les gars de mon âge se distrayaient en fumant ou en traînant dans des fêtes bruyantes, raconte-t-il avec son accent caractéristique des Balkans, moi, je recherchais également la reconnaissance, mais je l ai trouvée dans le sport». Le succès ne se fait pas attendre : Sulejman devient cinq fois champion suisse de boxe thaïe dans la catégorie poids lourds jusqu à 63 kg. Lorsque les connaissances pratiques mènent finalement au brevet : Sulejman Sulejmani est aujourd hui opérateur de médias imprimés dipl. féd. Photos: Meinrad Schade 30 ZeSo 2/2011 Reportage

VALIDATION DES ACQUIS DE L EXPERIENCE Grâce au processus «Validation des acquis de l expérience» de l Office fédéral de la formation professionnelle et de la technologie (OFFT), il est possible d obtenir ultérieurement un diplôme de formation professionnelle, soit en tant que formation initiale ou 2ème formation. Les conditions pour l obtention d un brevet sont une activité professionnelle avec cinq années d expérience au moins. Cette formation permet à des travailleurs expérimentés d accéder à de nouvelles fonctions dans leur domaine d activités, telles que des postes de direction ou la formation d apprentis. Par ailleurs, il forme la base pour une future formation continue. L offre est coordonnée, dans chaque canton, par l Office de la formation compétent. Les emplois les plus prisés se situent dans les domaines des soins, de l économie domestique, du commerce de détail, de la mécanique, de l imprimerie et du commerce. La Validation des acquis de l expérience est reconnue par la loi fédérale sur la formation professionnelle de 2004. Premiers doutes Enthousiaste, le jeune homme remporte 22 combats sur 25 et ne se casse qu une seule fois le nez. Le rêve du sport professionnel est à portée de main. Sulejman travaille toujours dans l atelier de reliure «Je travaillais à 100 % et m entraînais à 150 %» et voyage aux quatre coins du monde. En 1997, il a la possibilité de se mesurer, à Tokyo, à l actuel champion du monde Kensaku Maeda. Après le 3ème round, Sulejman est blessé et doit abandonner. Pour la première fois, il se demande s il n a pas atteint ses limites. Discipline et études autodidactes De retour en Suisse, auprès de ses machines industrielles, Sulejman devient un expert qui prend peu à peu des responsabilités. Il apprécie son travail, il se sent à l aise aux côtés de ses collègues et ne ressent ni discrimination ni xénophobie à son égard. Il ne lui manque plus qu un diplôme, maintenant qu il est père de deux enfants ; son supérieur lui conseille donc de remédier à cette situation. Le programme «Validation des acquis de l expérience» de l Office fédéral de la formation professionnelle et de la technologie devrait lui offrir cette possibilité (cf. encadré). Sulejman est rapidement convaincu de l idée et se rend dès lors un samedi par mois à l école à Berne. Outre les matières telles que les mathématiques, la physique ou les langues, la formation lui permet d acquérir les notions théoriques de son activité pratique aux machines de l atelier de reliure. Divers dossiers sont à élaborer dans le cours de ses études autodidactes, dossiers sans cesse mis à jour avec des experts. «J ai certainement rédigé une centaine de pages», s exclame-t-il avec fierté. «Les candidats doivent faire preuve de beaucoup d autodiscipline et d un travail méthodique pour la réalisation des dossiers», précise Margrit Dünz, responsable du projet Validation des acquis de l expérience du canton de Berne. Par ailleurs, la langue joue un rôle essentiel, car la description de leur propre activité se révèle très difficile pour des étudiants étrangers. Une chance unique Sulejman se prépare pendant de nombreuses soirées au premier examen, qui a lieu en 2009, mais c est l échec. La physique et la chimie ont raison de lui, mais la langue et le vocabulaire professionnel représentaient aussi un grand défi. Le commentaire de l expert, «insuffisant», résonne encore aujourd hui dans sa tête. «N aurais-je pas plutôt dû faire un apprentissage à l époque?», se demande-t-il. Mais Sulejman se rappelle ses expériences sportives et ne lâche pas prise. «Malgré mon manque de formation, je ne pouvais pas laisser passer la chance d obtenir un diplôme.» Juste avant le deuxième examen, un nouveau malheur s abat sur lui : à la suite d un changement de direction, un vent nouveau souffle sur l atelier de reliure : les employés sont de plus en plus sollicités à travailler la nuit ou le week-end. Une fois, ils doivent même travailler 21 jours d affilée. Sulejman, fort de son expérience et de ses connaissances pratiques en tant que responsable des machines et en quelque sorte contremaître au sein de la société, se défend, mais il est remercié. «La réussite de l examen devenait donc vitale», explique-t-il. Cinq coupes, un diplôme Un mois à peine après le licenciement, tout s accélère. Sulejman passe ses examens et obtient cette fois le diplôme fédéral d opérateur de médias imprimés. Il envoie trois candidatures et reçoit immédiatement deux réponses positives. Sulejman en est convaincu : «sans mon nouveau diplôme sur lequel mon ancien chef avait tant insisté, je n aurais pas trouvé un nouvel emploi aussi vite». Et la chance lui sourit. Son nouvel employeur, la société PMC à Oettwil am See, s avère être une perle : «J ai été accueilli très chaleureusement. L entreprise nous fournit des uniformes et chaussures de travail et les machines sont très rapides. Une fois par année, la société nous offre une journée de ski!» Pas étonnant, dès lors, de découvrir à son domicile son diplôme fédéral trônant au beau milieu de ses cinq coupes de champion suisse de boxe thaïe. Le rêve fait à nouveau partie de sa vie : Sulejman est en train de créer une école de sports de combat afin de transmettre son expérience de la compétition à la jeune génération. Daniel Puntas Bernet reportage 2/2011 ZeSo 31

Michael Kreuzer ne voit aucune contradiction entre son activité professionnelle et son appartenance politique. Photo : Béatrice Devènes L homme à la double casquette Il a l habitude des regards interrogateurs : Michael Kreuzer (22) est président des Jeunes UDC du Haut-Valais et suit une formation de travailleur social. Il n y voit aucune contradiction. C est son emploi du temps qui dicte à Michael Kreuzer la part qu il réserve à la politique et au travail social. En dehors des périodes d examen à la Haute Ecole de Travail social à Siders, le personnage politique prend parfois le dessus. Le jeune homme effectue à l heure actuelle un stage à l Office cantonal de la Protection de la Jeunesse. Il ne peut donc se consacrer à la politique qu en fin de soirée. Hier, par exemple, il a répondu à ses e-mails jusqu à 1h du matin. Policier, avocat, travailleur social Au terme d une courte nuit et d une longue journée de travail, Michael Kreuzer ne laisse transparaître aucun signe de fatigue. Il affiche une bonne humeur contagieuse et nous parle de sa profession et de ses convictions politiques avec la décontraction valaisanne qui le caractérise. A la question de savoir laquelle des deux activités est venue en premier - l UDC ou le travail social - il répond : «Déjà au gymnase, je savais que je voulais travailler avec les gens». D abord, il pensait devenir policier, puis avocat. «A la fin de l Ecole de culture générale, l idée m est enfin venue de m investir dans le travail social». Parallèlement à ses premières aspirations professionnelles, son intérêt pour la politique grandit. Lorsque ses parents regardent, chaque semaine, l émission «Arena», il se joint de plus en plus souvent à eux. Rapidement, il identifie le parti qui correspond à ses convictions politiques : «l UDC refuse de mettre au placard les thèmes qui dérangent», déclare-t-il. Son exemple préféré : l abus de l aide sociale. «L UDC a fait d un sujet tabou un véritable thème de discussion». Le danger est toutefois de stigmatiser l ensemble des bénéficiaires de l aide sociale, concède-til. Mais une vérification minutieuse serait bénéfique, selon lui : «Si l abus est réduit, la population sera peut-être à nouveau plus encline à soutenir l action sociale». L engagement politique habituel A l âge de 16 ans, le jeune UDC bénéficie du soutien du parti mère pour la création d une section des Jeunes UDC du Haut-Valais. Michael Kreuzer devient leur président. Même s il s investit en Valais depuis 2009 en tant que député suppléant au Grand Conseil, il peut bien s imaginer mener un jour une vie à l écart de toute activité poli- tique : après l obtention du titre de Bachelor, cet été, il s attèlera avant tout à la recherche d un emploi. Idéalement dans la région, peut-être une activité avec des enfants et des adolescents. Expert des questions sociales Même si certains étudiants sont surpris lorsque Michael Kreuzer parle de son engagement politique, il ne voit aucune contradiction entre son activité professionnelle et son appartenance politique : «Le travail social ne baigne pas dans les dogmes de la gauche», affirme-t-il. «Celui qui n est que gentil et compréhensif n obtient pas grand-chose avec des jeunes souffrant de troubles du comportement», ajoute-t-il en faisant allusion au cliché du travailleur social sympathique et gauchiste. Par ailleurs, il ne se rend pas au travail pour faire de la politique, mais pour aider les gens. Existe-t-il des domaines dans lesquels les deux mondes exercent une influence mutuelle? Le jeune homme réfléchit avant de répondre: «Je profite de mes connaissances issues du travail social, y compris au Grand Conseil». Citons par exemple l intervention au Parlement qui exigeait un case management pour les enseignants. La plupart des membres de sa fraction ne connaissaient pas ce terme emprunté au travail social. Dès que le jeune politicien eut brièvement exposé le concept, un nombre impressionnant de collègues de parti ont trouvé l idée intéressante. Résultat : la proposition de l expert des questions sociales a été approuvée! Hanna Jordi 36 ZeSo 1/11 porträt