Avis n 5 du 9 février 1998 relatif à la protection des inventions biotechnologiques



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Transcription:

COMITE CONSULTATIF DE BIOETHIQUE Avis n 5 du 9 février 1998 relatif à la protection des inventions biotechnologiques Demande d avis, en date du 22 février 1996, de Monsieur Elio Di Rupo, Vice-Premier Ministre, Ministre de l Economie et des Télécommunications, formulée comme suit : «Demande d avis concernant la proposition de directive du Parlement Européen et du Conseil relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques» (suivant le texte du document : dossier interinstitutionnel n 95/0350 COD du 19 novembre 1997)». Principales considérations sur lesquelles l Avis est basé : 1. La délivrance d un brevet est soumise à des critères stricts (nouveauté, activité inventive, application industrielle). Le brevet est consenti pour une durée de vingt ans à partir de la date de la demande. 2. L octroi du brevet est un moment dans un processus qui concerne en amont la recherche technoscientifique et en aval l exploitation industrielle et commerciale. La recherche et l exploitation (mise sur le marché) sont soumises à des conditions et des critères propres (exemples : des règles éthiques concernant l expérimentation humaine dans la recherche et des règles concernant la sécurité et la santé autorisant la mise sur le marché de médicaments). 3. Il est largement reconnu qu une protection juridique claire et cohérente conférée par le brevet est importante à la fois pour la recherche technoscientifique et pour le développement économique en Europe dans le champ des sciences et des techniques biologiques et médicales. 4. Il existe une tradition et un droit du brevet qui s applique déjà (dès le 19è siècle) à la matière biologique y compris des éléments d origine humaine. 5. Mais l on constate aussi l existence de préoccupations morales diverses qui s expriment à propos de l extension et de la relative nouveauté des procédés (technologie génétique) et des objets (séquences géniques d origine humaine, par exemple) concernés par la protection juridique. 6. Le droit des brevets applicable en Europe comporte déjà une référence à l éthique via l exigence imposée à toute invention de ne pas être fondamentalement en conflit avec «l ordre public et les bonnes moeurs».

7. Le Comité a interprété sa mission comme étant limitée à l examen des questions éthiques directement liées à la personne humaine et au corps humain, spécialement au respect de la dignité de la personne, qui sont incontestablement dans son champ de compétence. Cette restriction ne signifie pas que d autres questions éthiques ne puissent être soulevées à l occasion de la proposition de Directive, notamment la problématique de l environnement, de la biodiversité et du bien-être des animaux, ni qu il eût été inintéressant d opérer une analyse du texte dans sa totalité et en relation avec des questions socio-économiques référées notamment aux pays en voie de développement. 8. La partie ainsi délimitée de la Proposition de Directive et soumise à l examen correspond aux articles 5 et 6 (al. 1 et 2, a, b, c et d) dont voici le texte (formulation du 19 novembre 97) : Article 5 1. Le corps humain, aux différents stades de sa constitution et de son développement, ainsi que la simple découverte d un de ses éléments, y compris la séquence ou la séquence partielle d un gène, ne peuvent constituer des inventions brevetables. 2. Un élément isolé du corps humain ou autrement produit par un procédé technique, y compris la séquence ou la séquence partielle d un gène, peut constituer une invention brevetable, même si la structure de cet élément est identique à celle d un élément naturel. 3. L application industrielle d une séquence ou d une séquence partielle d un gène doit être concrètement exposée dans la demande de brevet. Article 6 1. Les inventions dont l exploitation commerciale serait contraire à l ordre public ou aux bonnes moeurs sont exclues de la brevetabilité, l exploitation ne pouvant être considérée comme telle du seul fait qu elle est interdite par une disposition légale ou réglementaire. 2. Au titre du paragraphe 1 ne sont notamment pas brevetables : a) Les procédés de clonage des êtres humains ; b) Les procédés de modification de l identité génétique germinale de l être humain ; c) Les utilisations d embryons humains à des fins industrielles ou commerciales ; d) Les procédés de modification de l identité génétique des animaux de nature à provoquer chez eux des souffrances sans utilité médicale substantielle pour l homme ou l animal, ainsi que les animaux issus de tels procédés. Ces considérations conduisent à l Avis suivant.

AVIS 1. La référence (présente dans le droit du brevet applicable en Europe) à «l ordre public et aux bonnes moeurs» constitue un moyen en vue de guider l appréciation éthique d une demande de brevet concernant une invention impliquant des éléments d origine humaine. 2. Cette préoccupation morale pourrait et devrait être développée et précisée, dans une large mesure, par la formulation de principes clairement affirmés. 3. Un premier principe est qu il n est pas a priori contraire à l éthique d accorder un brevet sur des inventions impliquant la matière biologique, y compris des éléments d origine humaine. 4. D autres principes plus spécifiques pourraient préciser les conditions auxquelles la brevetabilité d inventions concernant, d une manière ou d une autre, des éléments d origine humaine est admissible. 5. Dans ce contexte, deux principes s imposent et précisent la notion de respect de la personne humaine: le caractère non-commercial du corps humain ; le consentement informé et libre. 6. Le caractère non-commercial du corps humain comporte qu en totalité ou en partie, le corps humain (toujours à comprendre comme le corps d un individu particulier) n est pas appropriable. Il ne peut être ni acheté ni vendu. Il est hors commerce. Il ne constitue pas un élément du patrimoine. Ce principe entraîne que la personne sur laquelle ont été prélevés des éléments naturels impliqués dans un processus conduisant à une invention brevetable ne peut réclamer une participation aux éventuels bénéfices résultant de l exploitation du brevet. Cette personne ne peut en outre être considérée, d aucune manière, comme l inventeur. Il est utile de souligner à ce propos que la recherche et le développement dépendent donc aussi de la bonne volonté et de la solidarité des personnes qui acceptent d entrer dans un processus d expérimentation. Ce principe du corps hors commerce n exclut pas l éventuelle indemnisation de la personne source de matériau biologique pour les inconvénients subis. Certains émettent la crainte que si l on suit la logique de la brevetabilité et de la commercialisation, des individus disposant de séquences d ADN exceptionnelles (par exemple, offrant une résistance au SIDA) en négocient la reproduction et l utilisation contre paiement. D autres considèrent que le brevet, exprimant une appropriation intellectuelle, contredit de toute manière le principe de la non-commercialisation du corps humain. 7. Le principe du consentement informé et libre comporte l exigence de l information la plus complète possible de la personne qui, librement et sans contrainte, est invitée à entrer dans un processus d expérimentation avec prélèvement de matière biologique. Il convient d insister sur le fait que cette information doit comprendre l indication, le cas échéant, de l éventualité d un usage industriel et commercial des résultats de l expérimentation. 8. L article 5 qui affirme que «le corps humain, aux différents stades de sa constitution et de son développement, ainsi que la simple découverte d un de ses éléments, y compris la séquence ou la séquence partielle d un gène, ne peuvent constituer des inventions

brevetables» devrait être complété par une référence explicite au principe du caractère non commercial du corps dans le sens indiqué ci-dessus. De la même manière, le droit de la personne, impliquée dans un processus de recherche pouvant conduire à une demande de brevet, à être informée le plus complètement possible mériterait également d être expressément mentionné. En relation notamment avec le point 3 de l article 5, il a été insisté sur le fait que la propriété intellectuelle doit être clairement établie et faire l objet d une protection juridique adéquate et non extensive. Alors que le statut de l information génétique demeure problématique, il convient, pour le moins, de ne pas étendre la protection du brevet à la simple connaissance d une telle information et, par voie de conséquence, à toutes les applications, non encore précisément définies, qui pourraient ultérieurement être tirées de cette connaissance. 9. L article 6 comporte une mention expresse de la préoccupation morale (référence à l ordre public et aux bonnes moeurs) et il l illustre pour quatre domaines (a, b, c, d : cfr l article 6, alinéa 2, ci-dessus). Cette manière de préciser la notion de moralité par quelques illustrations de domaines dans lesquels il y aurait lieu de l appliquer est, en soi, peu convaincante car tout à fait incomplète et peu apte à guider des appréciations ultérieures. La précision de la préoccupation morale devrait se faire exclusivement par l affirmation claire de principes éthiques généraux tels qu indiqués ci-dessus. Par ailleurs, au cas où le point (b) serait interprété comme visant aussi la thérapie génique germinale (traitement d une maladie génétique incluant l intervention sur des cellules germinales avec effet sur la descendance), il convient d observer que cette illustration est contestable. En effet, on ne voit pas en quel sens la thérapie germinale serait a priori immorale si l on prend au sérieux sa finalité thérapeutique et si on ne la confond pas avec des interventions génétiques qui auraient pour but de produire un homme d un type meilleur. Nonobstant, l opinion selon laquelle il est contraire à l éthique de breveter des méthodes de traitement thérapeutique génique germinal sur l être humain a aussi été exprimée, de telle sorte que cette question demeure controversée.

L avis a été préparé en commission restreinte 96/1, composée de : Coprésidents Corapporteurs Membres Membre du Bureau A. Burny H. Nys G. Hottois G. Van Steendam A. De Leenheer A. Houben Ph. Lardinois I. Liebaers A. Van Orshoven Experts extérieurs auditionnés : G. Van Overwalle S. Sterckx P. Bogaert W. Degreef J. Descamp Th. Leclipteux D. Vandergheynst Les documents de travail de la commission restreinte 96/1 - compte rendus, avis des experts, bibliographies, textes de discussion, etc. - sont conservés sous forme d Annexes n 96/1, au centre de documentation du Comité et peuvent y être consultés et copiés.