«Chercher la réalité au coeur de la fiction : entretien avec Annabel Soutar»



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Transcription:

«Chercher la réalité au coeur de la fiction : entretien avec Annabel Soutar» Solange Lévesque Jeu : revue de théâtre, n 119, (2) 2006, p. 158-162. Pour citer ce document, utiliser l'information suivante : http://id.erudit.org/iderudit/24457ac Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'uri https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'université de Montréal, l'université Laval et l'université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'érudit : info@erudit.org Document téléchargé le 6 October 2015 04:09

SOLANGE LÉVESQUE Chercher la réalité au cœur de la fiction Entretien avec Annabel Soutar Comment s'est fait votre apprentissage du genre qui fait la spécificité de la compagnie Porte Parole et qu'on appelle «théâtre documentaire»? Annabel Soutar- J'ai étudié ce théâtre aux États-Unis avec Emily Mann à l'université de Princeton. Cette femme de théâtre dirigeait le McCarter, théâtre régional de Princeton, et l'université lui avait demandé de donner un cours de deux ans à titre de metteur en scène et d'auteur de pièces documentaires. En fait, Emily Mann est l'instigatrice du théâtre documentaire aux États-Unis. Elle a écrit, entre autres, la pièce polémique Execution of Justice (1984), portant sur un cas célèbre : en 1978, le maire de la ville de San Francisco, qui était homosexuel, a été assassiné. Au terme d'un procès controversé, l'assassin a été acquitté, d'où les nombreux débats. La principale leçon de théâtre que j'ai apprise pourrait se résumer ainsi : une trame dramatique simple, une histoire percutante, qui se raconte comme dans un roman. C'était une découverte pour moi de constater comment Emily Mann réussissait à trouver l'équilibre entre la vérité et la fiction dans ses œuvres. On voyait comment les Après avoir complété un baccalauréat en littérature dramatique ainsi qu'un certificat dans le programme de Théâtre et danse à l'université de Princeton au New Jersey, Annabel Soutar a effectué des stages à l'école de Mime de Montréal. En 1996, elle fondait sa propre compagnie, le I Spy a Theatre Company. Elle se consacre désormais à l'écriture et à la mise en scène, ainsi qu'à la direction artistique de la compagnie Porte Parole qu'elle a cofondée en 1998 avec Alex Ivanovici. Annabel Soutar est l'auteure de plus d'une dizaine de pièces. Leur compagnie s'est construit une niche originale au sein du paysage théâtral montréalais. Porte Parole pratique le théâtre documentaire, un genre dont les sujets s'inspirent d'événements et de problèmes sociaux contemporains et dont la majorité des dialogues sont élaborés à partir d'entrevues réalisées auprès de personnes affectées par ces événements et ces problèmes. La matière dramaturgique du théâtre documentaire se nourrit également à même d'autres sources: articles de journaux, comptes rendus de plaidoiries entendues lors d'un procès (c'était le cas pour Seeds, pièce créée en 2005), essais ou rapports, reportages télévisés ou tout autre document pouvant alimenter la documentation du sujet choisi. En huit ans d'existence, Porte Parole (qui s'appelait au départ Projet Porte Parole) a produit cinq spectacles en français ou en anglais, le plus souvent bilingues, dont les thèmes rejoignaient le cœur de l'actualité. En 2000, la compagnie créait Novembre, une pièce traitant sur le mode satirique de la campagne électorale provinciale 158 IUH119-20O6.2I

humains ont chacun leur vérité et y tiennent ; comment le théâtre peut désarmer les préjugés les plus tenaces et contribuer à ouvrir les oreilles. Le théâtre documentaire est aussi un divertissement, mais il est bien davantage que cela; il peut avoir un pouvoir incroyable. Il entretient une relation très intime avec les spectateurs parce que l'histoire qui est racontée sur scène est tirée d'une réalité qu'ils connaissent et qui leur appartient. C'est une sorte de dialogue avec eux, portant sur notre monde contemporain. Novembre, pièce sur la campagne électorale de 1996 au Québec, créée en 2000 par Porte Parole. Photo : Kurt Wight. Quelle est la spécificité du théâtre documentaire? A. S. - Un peu comme dans la forme de théâtre pratiquée par Augusto Boal, le Théâtre de l'opprimé, le théâtre documentaire veut établir un dialogue avec les spectateurs pour donner à ceux-ci le pouvoir de changer des choses. On présente des faits de «la réalité vraie» dans un espace artificiel qui est le théâtre, ce qui est, en fait, une contradiction ; mais il se trouve que le dialogue entre la scène et la salle résulte justement de cette contradiction. Je crois que ce dialogue sur la notion de réalité est crucial aujourd'hui. m On dit aussi que le théâtre est un médium composé d'éléments concrets ; on vit dans un monde tellement débordant d'informations qu'elles en deviennent abstraites ; on n'a pas les moyens de les traiter de façon concrète ; le théâtre est un lieu où elles peuvent se concrétiser, ce qui nous donne déjà du pouvoir et une certaine prise sur les choses. Dans l'histoire du théâtre, les exemples ne manquent pas; de grands de 1996 et, de façon plus large, de l'état de la démocratie au Québec. Très bien reçue du public et de la critique, la pièce avait été mise en nomination pour le Masque de la révélation décerné par l'académie québécoise du théâtre. Il y a eu ensuite 2000 Questions, en 2002, portant sur l'univers des courtiers de la Bourse, et qui a reçu un prix des critiques anglophones montréalais. Santé!, présenté en sept volets sous forme de sketches tout au long de la saison théâtrale 2002-2003, tentait de cerner les principaux problèmes du système de santé québécois, de démêler et d'expliquer leurs causes. Chaque sketch était suivi d'une discussion entre les spectateurs et des invités spécialisés (médecins, administrateurs, etc.), discussion dirigée par un modérateur. En 2004, avec Montréal la blanche, Porte Parole se penchait sur les conditions de vie des immigrés algériens qui vivent à Montréal. Six sessions d'échanges avec le public ont également accompagné la pièce. La plus récente production de Porte Parole, Seeds, présentée au Monument-National à l'automne 2005, a été considérée par le journal The Gazette comme la deuxième meilleure production en langue anglaise de l'année 2005. La pièce aborde la question de la «vérité» au XXI e siècle; son argument reprend une affaire judiciaire qui a fait couler beaucoup d'encre; la cause opposait la compagnie Monsanto à Percy Schmeiser, un fermier qui cultive ses terres dans la petite localité de Bruno, en Saskatchewan. La pièce entreprendra une tournée provinciale à l'automne 2006 et sera coproduite à travers le Canada en 2008. 11111119-2006.21 159

;. dramaturges ont fait cela depuis toujours! Shakespeare, avec la famille royale britannique, d'autres auteurs en Allemagne, aux États-Unis, etc. Aujourd'hui, le théâtre documentaire semble connaître un engouement un peu partout dans le monde. Entre votre formation américaine et la fondation du Projet Porte Parole à Montréal, qu'avez-vous fait? A. S. - Après des études qui m'ont amenée à explorer plusieurs facettes du théâtre, j'ai senti le besoin de prendre du recul, d'aller découvrir d'autres horizons du monde, et j'ai effectué un voyage d'un an et demi en Asie. À mon retour à Montréal, il était devenu clair pour moi que j'étais mûre pour me lancer dans le théâtre documentaire. À Singapour, j'avais travaillé un peu, et j'avais vécu dans une grande solitude mais également sans pression aucune, dans un lieu libre, loin de toutes les influences que j'aurais pu subir à Montréal. À l'étranger, on jouit d'une sorte de liberté de penser et on peut se voir soi-même plus clairement que chez soi. 2000 Questions, pièce de Porte Parole (2002) sur l'univers des courtiers en Bourse. Sur la photo: Stéphane Blanchette, Alex Ivanovici, Donovan Rieter et Julie Duquette. Photo : David Paterson. Quels sont les objectifs de la compagnie Porte Parole que vous dirigez maintenant avec le comédien Alex Ivanovici? A. S. - Nos objectifs sont de deux ordres: social et artistique. De manière sousjacente, chaque spectacle que Ton fait correspond à un effort pour explorer comment le théâtre documentaire peut composer avec les conventions du théâtre traditionnel. 160 11111119-2006.21

Cela m'amuse toujours quand les gens disent que «ce n'est pas du vrai théâtre». Comme artiste, je veille toujours à ne pas perdre de vue la relation qui existe entre le spectateur et moi. Car, aller au théâtre, c'est sérieux et ça ne se résume pas à un divertissement. Je cherche toujours à susciter une expérience intellectuelle ; penser est aussi une activité divertissante, n'est-ce pas? Évidemment, le divertissement a des sources différentes pour chacun de nous. Je reviens à notre double mandat : divertir en ayant recours à une forme théâtrale et à des personnages, à partir d'un matériel issu de paroles qui traduisent une vraie réalité vécue par de vraies personnes. Un défi se pose : comment rendre théâtral un propos qui ne Test pas nécessairement? Une tension intérieure émane de ce double mandat. Il ne faut justement pas cacher le conflit ; il faut, au contraire, l'exposer sur scène de façon limpide. Comment voyez-vous les conditions du divertissement au théâtre? Seeds, spectacle de Porte Parole portant sur une affaire judiciaire qui opposa un fermier de la Saskatchewan à la compagnie Monsanto, présenté au Monument- National en 2005. Sur la photo: Chip Chuipka (le fermier Percy Schmeiser). Photo : Maxime Côté. A. S. - Pour que le spectateur soit diverti, quelque chose de captivant doit se passer sur scène ; et pour qu'on soit captivé, il faut un conflit mettant en scène différents personnages qui nourrissent des objectifs différents, car c'est de la divergence de vues que le conflit émerge. Ce qui arrive sur scène doit avoir suffisamment de force et de vérité pour toucher le spectateur dans sa propre vie. Je veille toujours à respecter une règle que je me donne : que ce qui se passe sur scène soit adapté à aujourd'hui ; par exemple, si on met Shakespeare en scène, il faut que ce soit pertinent aujourd'hui. Rencontrez-vous des difficultés particulières en pratiquant le théâtre documentaire? A. S. - Un des principaux écueils que je rencontre pourrait se formuler ainsi: comment ne pas trahir les données de la réalité tout en y mariant mon expérience et mon imaginaire? Dans Seeds, par exemple, qui met en scène un procès récent et célèbre, le héros, Percy Schmeiser, mène un combat contre des compagnies multinationales. Le thème important de la pièce pourrait se résumer ainsi : la vérité est difficile à trouver, parce qu'on est inondé d'informations et de faits scientifiques et que les médias ne font que raconter des histoires. On pourrait comparer le grain (de maïs, dans le cas de Seeds) à la vérité : il disparaît et devient une plante différente de lui, comme la vérité a tendance à se dissoudre dans tout ce qu'on peut dire autour d'une histoire ou d'une anecdote. Je pensais que la métaphore était simple, mais cela demande une autre 11111119-2006.21 161

exploration pour trouver ce dialogue entre nous et la vérité. Il y a un dialogue entre l'artifice et le réel, dialogue qui est plus vrai que tout. Dans mon théâtre, je cherche l'authenticité au sein de ce dialogue; je poursuis une quête pour la vérité à travers Tartificialité, et j'essaie de comprendre comment les règles du jeu ont changé avec le joker de l'information. En tant qu'êtres humains, on a besoin d'échanger nos histoires et de faire se rencontrer la vérité et l'authenticité. Tout cela vient probablement d'un instinct qui vise à préserver notre histoire. Et pourquoi le théâtre documentaire vous apparaît-il comme le plus favorable à votre quête? A. S. - Parce qu'il est un art de la résistance. Comment qualifieriez-vous l'évolution qu'a connue votre théâtre depuis sa création il y a huit ans? A. S. - Je reconnais qu'il y a un préjugé autour du théâtre documentaire ; les gens croient que mon objectif est de créer un théâtre qui serait plus réel que d'autres formes de théâtre. Et ce n'est pas cela du tout! C'est presque le contraire! J'aimerais montrer que la notion de réalité est une fabrication. Je me rends compte que pour arriver à faire passer ce message, il va falloir que je sorte de «Thistoire-qui-est-racontéesur-scène» pour montrer davantage la mécanique du théâtre documentaire qui se trouve derrière, pour l'exposer, ce qui aurait pour effet de favoriser le dialogue sur la réalité que je souhaite susciter entre la pièce et les spectateurs. Je réalise que pour y arriver, je dois faire moi-même la mise en scène des pièces que j'écris. Il faut que je mette le spectateur au courant du processus, que je lui donne plus de pouvoir pour qu'il comprenne davantage «comment cela se fait», comment on arrive à une notion de réalité, au théâtre et dans «la vraie vie». Toutes les œuvres présentées par Porte Parole portent sur la notion de vérité. J'ai beau me dire, au terme de chaque production, que je devrais peut-être choisir un théâtre moins lourd (car c'est un grand défi de demander aux spectateurs d'être toujours confrontés à des sujets pas faciles), rien n'y fait, c'est ce genre qui m'intéresse! Bien entendu, il faut que le conflit soit théâtral, qu'il y ait une métaphore, des images, des personnages qui se tiennent. Il faut que tout soit pertinent du début à la fin, universel et actuel, à l'intérieur du thème central. Je tiens à ce que le théâtre soit lié à une communauté. Je choisis les histoires d'abord, je découvre les thèmes ensuite. Comme auteur, je suis le premier spectateur. En tant que metteur en scène, je travaille actuellement à trouver un autre processus de répétition avec les interprètes, toujours dans l'objectif d'exposer davantage «comment c'est fait», un peu comme Ta brillamment fait Serge Denoncourt dans Je suis une mouette (non, ce n'est pas ça). C'est ce que je tenterai de réussir quand on reprendra Seeds dont j'assumerai, cette fois, la mise en scène, j 162 11111119-2006.21