Pour la prévention du mélanome malin



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Transcription:

Pour la prévention du mélanome malin Semaine d information «Peau et soleil, testez votre peau» B. Keller, P. Schmid-Grendelmeier, R. Dummer, G. Burg Introduction Correspondance: Pr Günter Burg Clinique et policlinique de dermatologie Hôpital universitaire de Zurich Gloriastrasse 31 CH-8091 Zurich De tous les types de cancer, le cancer de la peau est actuellement celui qui connaît la plus forte incidence. La mortalité du cancer de la peau est due pour plus de 90% au mélanome. Or, celui-ci a justement connu une forte recrudescence ces dernières années dans le monde entier, en Suisse comme ailleurs. En effet, le nombre de nouveaux mélanomes diagnostiqués chaque année dans notre pays est d un millier, et ce chiffre va croissant. Le nombre de mélanomes a plus que doublé en Suisse au cours des 15 dernières années. Parmi les raisons qui expliquent cette augmentation, il faut certainement évoquer l évolution du rapport aux loisirs. Ainsi, l exposition volontairement intensive au soleil, notamment lors de vacances dans des pays du Sud, est nettement plus importante que par le passé. Outre les rayons UV qui représentent 6% du spectre solaire, de tout autres facteurs, comme les prédispositions génétiques, jouent aussi un rôle important. Font partie du groupe à risque non seulement les personnes à peau claire, mais aussi celles qui s exposent beaucoup au soleil, celles qui ont une anamnèse familiale positive, celles qui ont plus de 50 grains de beauté ou celles qui, dans l enfance, ont subi de forts coups de soleil à répétition. Il importe d identifier ce groupe à risque, de lui adresser des informations spécifiques et de le suivre en conséquence. Les informations sur le lien entre les rayons ultraviolets et le mélanome, ainsi que sur le type de peau et le risque individuel de développer un cancer de la peau, doivent inciter la population à modifier son comportement au soleil. Il ne s agit bien sûr pas d éviter toute exposition au soleil, mais de s exposer de manière plus consciente. Les travaux de Breslow et de Clark ont clairement montré que le pronostic du mélanome dépend de l épaisseur de la tumeur au moment du diagnostic [1, 2]. La population suisse, composée en majorité de personnes à peau claire, est menacée par une forte consommation de soleil. Un travail soutenu de prévention est donc de rigueur, ce qui est le cas depuis 1988 [3]. Il faut préciser que les campagnes effectuées dans d autres pays ne peuvent pas toujours être transposées telles quelles. L Australie, par exemple, est pour l instant plus particulièrement concernée par le trou dans la couche d ozone. Le but de la campagne solaire 1999 de la Ligue suisse contre le cancer était de sensibiliser la population aux différents types de peau et à la manière adéquate de se comporter au soleil. Après des années consacrées à la prévention primaire, cette campagne menée pour la sixième année consécutive a pour la première fois adopté un autre point de vue en cherchant à identifier les groupes à risque et à leur proposer des mesures de prévention primaire et secondaire spécifiques. Une action similaire avait été menée en 1993 dans une grande banque zurichoise [4]. Pendant une semaine, nous avons également fait des expériences avec l appareil MoleMax, une technologie de pointe qui permet une analyse électronique de la peau mais qui s est révélée inadaptée dans ce cadre. Lacunes au niveau de la qualité, manque de savoir-faire de la part des utilisateurs, difficultés postérieures de lecture (qualité des images insuffisante pour livrer une interprétation fiable sans voir le patient) sont les principales raisons de ce bilan négatif. Des études ont montré à plusieurs reprises les liens entre les facteurs de risque et la genèse du cancer de la peau. Nos observations suggèrent toutefois une influence de certains facteurs de risque sur l apparition de modifications pigmentaires et montrent la répartition épidémiologique des lésions cutanées. Méthode Un bus spécialement aménagé a fait étape dans six villes de Suisse (Zurich, Bâle, Berne, Lucerne, Lausanne, Fribourg) dans le but de sensibiliser les gens à leur type de peau, à leur risque personnel de cancer de la peau, au comportement idoine à adopter en matière de protection solaire et de les inciter à procéder régulièrement à un auto-examen de la peau. Il s agissait-là d un projet pilote d une semaine. Il était également possible de faire examiner gratuitement toute modification éventuelle de la peau par un dermatologue présent dans le bus. Quelque 5000 personnes ont reçu des informations sur la protection solaire, dont 3000 environ ont rempli un questionnaire avec un animateur de la Ligue suisse contre le cancer afin de déterminer leur type de peau, d autres facteurs de risque de cancer de la peau et une éventuelle modification pigmentaire (voir Tableau 1). Au tableau 1 figure pour chaque facteur un nombre de points prédéterminé, le total quantifiant le risque individuel de cancer de la peau (risque minimal avec 0 point et maximal avec 20 points). Dès 10 points, la personne est considérée «à risque». Sont pris en compte comme modification pigmentaire: l apparition d un grain de beauté à croissance rapide; l augmentation de volume d un grain de beauté existant; Schweizerische Ärztezeitung / Bulletin des médecins suisses / Bollettino dei medici svizzeri 2000;81: Nr 19 991

Figure 1 Fréquence des modifications de la peau chez les personnes examinées (n = 649). 250 200 150 233 (36%) 181 (28%) n >64 ans n 50 à 64 ans n 30 à 49 ans n 15 à 29 ans n <15 ans Total 100 84 (13%) 50 56 (9%) 69 (11%) 0 11 (2%) 10 (1%) 3 (<1%) 2 (<1%) Nævus à cellules næviques Kératose séborrhéique Lentigo solaire Kératose actinique Mélanome malin Carcinome basocellulaire Lentigo malin Tache café au lait Autres la modification de la couleur d un grain de beauté existant; la modification de la forme d un grain de beauté existant qui prend un contour irrégulier; l inflammation d un grain de beauté; les démangeaisons, douleurs ou tiraillements causés par un grain de beauté; le saignement d un grain de beauté. Chaque jour, environ une centaine de personnes ont consulté le dermatologue présent. Celui-ci a consigné les résultats et ses recommandations sur un formulaire d examen de la peau, dont un double était destiné au patient ou à son médecin pour le traitement consécutif. Le questionnaire et le formulaire ont été remplis de manière anonyme, avec pour seules indications personnelles le sexe et l année de naissance. Seuls les questionnaires et les formulaires complets et lisibles ont été pris en compte dans l évaluation, soit 2679 questionnaires et 524 formulaires. La figure 1 et le tableau 2 montrent les différents diagnostics différentiels et recommandations émises. Résultats 2679 patients (1680 femmes, 999 hommes) ont rempli en entier le questionnaire sur leur type de peau, leur profil de risque personnel et d éventuelles modifications pigmentaires. Parmi ces patients, 934 personnes (35%) ont indiqué avoir constaté une modification pigmentaire et ont pu, si elles le désiraient, la montrer au dermatologue présent dans le bus. Par moments, l affluence était telle qu une longue attente était inévitable, de sorte que les examens souhaités n ont pas pu être systématiquement réalisés. Une petite partie des examens a donc été effectuée avec l appareil MoleMax qui permet une analyse électronique de la peau avec évaluation postérieure; mais, comme déjà mentionné, cette technique s est avérée inadaptée dans ces conditions. Aucun formulaire d examen de la peau n a été rempli en lien avec MoleMax. Pour le reste, 524 formulaires (310 femmes, 214 hommes) ont été remplis complètement et ont pu être pris en compte dans l évaluation. La figure 2 donne un aperçu des patients par sexe, âge et type de peau. Comme dans de multiples autres études, les femmes sont beaucoup plus nombreuses que les hommes 1680 (63%) pour 999 (37%) et ce dans toutes les classes d âge. Le type de peau 3 est le plus fréquent avec 51,1%, soit 1370 personnes. La classe des 30 à 49 ans est la plus représentée avec 32,3% (865 personnes). Seules 6 personnes de type de peau 6 et 51 personnes de type 5 ont participé à l évaluation; elles ont donc été comptabilisées ensemble (Tabl. 3). La figure 3 montre l influence de divers facteurs de risque sur le pourcentage des personnes présentant une modification pigmentaire. Les chiffres absolus sont indiqués dans les barres horizontales. Nos résultats mettent en évidence les interactions entre les différents facteurs de risque; le plus important, soit une modification des grains de beauté, était présent, dans notre collectif: chez 46% des personnes ayant plus de 50 grains de beauté; Schweizerische Ärztezeitung / Bulletin des médecins suisses / Bollettino dei medici svizzeri 2000;81: Nr 19 992

Tableau 1 Quantification des facteurs de risque de cancer de la peau (points). Type de peau 1 Points Cheveux blond-roux, yeux clairs, teint très clair, taches de rousseur, coup de soleil immédiat, pas de bronzage ou bronzage très lent 6 Type de peau 2 Cheveux clairs, yeux clairs, teint clair, coups de soleil fréquents, bronzage lent 5 Type de peau 3 Cheveux bruns, yeux clairs ou foncés, teint semi-mat, coup de soleil occasionnel 4 Type de peau 4 Cheveux brun foncé ou noirs, yeux foncés, bronzage rapide 2 Type de peau 5 Cheveux noirs, yeux noirs, teint foncé, coup de soleil rare 0 Type de peau 6 Cheveux noirs, yeux noirs, teint très foncé, coup de soleil très rare 0 Exposition régulière et intense au soleil oui 3 Anamnèse familiale positive oui 5 Plus de 50 lésions pigmentées oui 3 Importants coups de soleil répétés durant l enfance oui 3 ne sait pas 1 chez 45% des personnes présentant une anamnèse familiale positive de cancer de la peau; chez 44% des personnes ayant subi de forts coups de soleil en tant qu enfant; chez 44% des personnes de type de peau 1, ce qui ne nous étonne pas. La figure 4 montre le lien entre le nombre de points attribués (quantification du risque de cancer de la peau) et le pourcentage des personnes ayant remarqué une modification d un grain de beauté. 2024 personnes (76%) faisaient partie, avec moins de 10 points, du groupe à faible risque, et 655 personnes (24%) présentaient un risque accru, avec 10 points ou plus. Les examens dermatologiques ont mis en évidence 649 modifications cutanées chez 524 patients, certains en présentant plusieurs. Comme déjà signalé, il s agit de diagnostics cliniques. La figure 1 met en évidence un modèle de répartition typique lié à l âge: alors que l examen de la peau permet essentiellement, chez les personnes de moins de 40 ans, de découvrir des nævi à cellules næviques, il met en évidence, à partir de 49 ans, plutôt une kératose séborrhéique. Il faut remarquer que onze cas de mélanome ont été Tableau 2 Propositions des dermatologues du bus. Proposition Lésion cutanée bénigne 269 (51%) Contrôle nécessaire 65 (13%) Consulter le médecin de famille/généraliste 16 (3%) Consulter un/e dermatologue 174 (33%) Total 524 (100%) n suspectés parmi les 2679 personnes ayant rempli les questionnaires. Le tableau 4 présente un bilan détaillé des «diagnostics» par classe d âge. Les examens cutanés n ont pas permis de déceler de différence entre les sexes. Le tableau 2 indique les recommandations fournies aux 524 patients. Une bonne moitié des résultats a été classée dans la catégorie des «cas bénins» alors que, pour les autres, un contrôle complémentaire a été recommandé. Discussion La prévention du mélanome commence à montrer des résultats. Le rapport entre le facteur de risque exogène, soit les rayons UV, et l apparition d un mélanome est bien documenté [5, 6] et peut être évité. Les efforts importants de différents pays pour améliorer l information (prévention primaire) et le dépistage (prévention secondaire) s avèrent payants. Les connaissances sur le cancer de la peau et les facteurs de risque ont été considérablement approfondies et le comportement de la population par rapport au soleil s est modifié [7 9]. En Australie, le pays où l incidence du mélanome est la plus élevée au monde, la mortalité due à cette tumeur est stable depuis 1985 [10]. En Suisse, la courbe de mortalité est heureusement en train de s aplatir, contrairement à la courbe d incidence qui croît de manière exponentielle. L épaisseur médiane de la tumeur n a cessé de diminuer ces dernières années: ainsi, dans l Etat de Victoria (Sud-Ouest de l Australie), elle est passée de 1,05 mm en 1983 à 0,70 mm en 1995; de même, en Allemagne, elle est passée de 1,5 mm en 1978 à 0,80 mm en 1997 [11]. L amélioration du pronostic est à mettre sans doute moins sur le compte des progrès thérapeutiques que sur celui des gros efforts d infor- Schweizerische Ärztezeitung / Bulletin des médecins suisses / Bollettino dei medici svizzeri 2000;81: Nr 19 993

Figure 2 Distribution (%) des personnes par type de peau et par sexe (n = 2679). 60% 40% 19 % 9% Hommes Femmes 20% 32% 17 % 7% 2% 4% 8% F:1% M:1% F:<1% M:<1% Type de peau 1 Type de peau 2 Type de peau 3 Type de peau 4 Type de peau 5 Type de peau 6 mation entrepris ces dernières décennies. Il n empêche que le patient continue à attendre deux bonnes années avant de consulter. Ce «seuil d inhibition» doit absolument diminuer: les personnes concernées doivent consulter plus rapidement leur médecin lorsqu elles constatent une modification de leur peau. La première campagne de prévention du mélanome ayant eu un impact public a été organisée en Australie dans les années 60. Le travail de prévention varie beaucoup selon les pays et reflète partiellement les différents systèmes sanitaires: dans les pays où l incidence du mélanome est élevée, l accent a surtout porté sur des campagnes d information et de sensibilisation au dépistage grâce à l auto-examen de la peau, alors que d autres pays organisent des semaines publiques de dépistage pour permettre à la population de consulter gratuitement. Cette dernière méthode coûte cher, financièrement et humainement Tableau 3 Distribution des patients en fonction du sexe, de l âge et du type de peau (n = 2679). Groupe d âge Type de peau 1 Type de peau 2 Type de peau 3 Type de peau 4 Type de peau 5 Type de peau 6 Femmes <15 ans 4 15 9 9 1 0 Hommes <15 ans 3 8 12 10 1 0 Total 7 23 21 19 2 0 Femmes 15 à 29 ans 34 129 245 50 7 2 Hommes 15 à 29 ans 7 43 97 39 11 0 Total 41 172 342 89 18 2 Femmes 30 à 49 ans 32 157 270 69 8 1 Hommes 30 à 49 ans 22 81 174 45 6 0 Total 54 238 444 114 14 1 Femmes 50 à 64 ans 28 104 207 56 2 1 Hommes 50 à 64 ans 14 48 114 48 3 1 Total 42 152 321 104 5 2 Femmes >64 ans 15 64 134 22 5 0 Hommes >64 ans 10 49 108 37 7 1 Total 25 113 242 59 12 1 Schweizerische Ärztezeitung / Bulletin des médecins suisses / Bollettino dei medici svizzeri 2000;81: Nr 19 994

Figure 3 Distribution (%) des patients avec modification des lésions pigmentées en fonction des types de peau et des autres facteurs de risque (n = 2679). Type de peau 1 75 94 Type de peau 2 245 453 Type de peau 3 484 886 Type de peau 4 117 268 Types de peau 5 et 6 13 44 Exposition intense au soleil, très souvent 226 334 Exposition intense au soleil, pas souvent Anamnèse familiale positive Anamnèse familiale négative 706 91 838 1408 111 1632 avec modification des lésions pigmentées sans modification des lésions pigmentées >50 lésions pigmentées 448 518 <50 lésions pigmentées 480 1227 Importants coups de soleil dans l enfance (certainement) 338 433 Importants coups de soleil dans l enfance (éventuellement) 193 325 Aucun fort coup de soleil en tant qu enfant 404 988 0% 50% 100% parlant, et son efficacité est contestée [12]. Pour notre campagne de prévention, nous avons volontairement commencé par identifier les personnes à risque. Ainsi, nous avons réussi, avec un personnel plutôt réduit, à repérer, sur 2679 personnes, 11 personnes présentant une forte suspicion de mélanome. Dans les pays où l incidence du mélanome est élevée, comme la Suisse, l objectif d un dépistage ciblé des personnes à risque et la volonté d informer régulièrement la population semblent être la bonne solution. Puisqu un bon tiers des personnes qui observent une modification pigmentaire consultent d abord leur médecin de famille, celui-ci joue un rôle très important. Les généralistes ont certainement plus de facilité à identifier les groupes à risque qu à poser un diagnostic de mélanome, ils devraient donc se concentrer sur cette première tâche. Contrairement aux dermatologues, ils voient relativement peu de mélanomes dans l année, il n est donc guère étonnant que le taux de diagnostic correct de mélanome chez les médecins non spécialisés soit inférieur à 50% [10] alors que la sensibilité d un examen dermatologique visuel est très élevée pour le mélanome (89 à 97%), plus élevée notamment que la sensibilité d une mammographie pour dépister un carcinome mammaire ou celle d un frottis selon Papanicolau pour dépister un carcinome du col utérin [13]. Conclusions L analyse des actions passées montre que les campagnes ponctuelles sont moins efficaces et qu il est nécessaire de les répéter pour accroître leur impact et générer une évolution du comportement de la population par rapport à l exposition aux rayons UV. Il est donc important d institutionnaliser notre campagne de prévention. À l avenir, il faudra concentrer nos efforts davantage encore sur les hommes d un certain âge et sur les personnes de milieu social moins favorisé. En effet, ces groupes de population sont les plus menacés [14, 15] et les plus difficiles à atteindre. Ils Schweizerische Ärztezeitung / Bulletin des médecins suisses / Bollettino dei medici svizzeri 2000;81: Nr 19 995

Figure 4 Distribution (%) des personnes présentant une modification des lésions pigmentées en fonction de leur risque quantifié de cancer de la peau (0 20 points) (n = 2679). 100 % 50% 0% 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 Risque (points) avec modification des lésions pigmentées linéaire (avec modification des lésions pigmentées) Tableau 4 Bilan clinique des examens cutanés par classe d âge. Bilan de l examen n <15 ans n 15 à 29 ans n 30 à 49 ans n 50 à 64 ans n >64 ans Nævus à cellules næviques 14 (74%) 58 (83%) 98 (61%) 37 (20%) 26 (12%) Mélanome malin 0 (0%) 2 (3%) 2 (1%) 3 (1%) 4 (2%) Kératose séborrhéique 0 (0%) 0 (0%) 24 (15%) 67 (36%) 90 (42%) Kératose actinique 0 (0%) 0 (0%) 2 (1%) 18 (10%) 36 (17%) Lentigo solaire 0 (0%) 3 (4%) 15 (10%) 35 (19%) 31 (15%) Lentigo malin 0 (0%) 0 (0%) 0 (0%) 0 (0%) 3 (1%) Tache café au lait 1 (5%) 1 (1%) 0 (0%) 0 (0%) 0 (0%) Carcinome basocellulaire 0 (0%) 0 (0%) 1 (1%) 2 (1%) 7 (3%) Autre 4 (21%) 6 (9%) 18 (11%) 24 (13%) 17 (8%) Total 19 (100%) 70 (100%) 160 (100%) 186 (100%) 214 (100%) sont nettement sous-représentés dans la plupart des études, dans la nôtre aussi [16]. En planifiant une telle semaine d action, en fournissant à l avance des informations suffisantes à la presse, aux médecins traitants et aux autres professionnels de la santé, les pharmaciens par exemple, il est possible de motiver la population à y participer. Le travail de prévention doit aussi s adresser aux parents d enfants en bas âge, puisque ceux-ci, s ils subissent de forts coups de soleil, risquent de devenir malgré eux des personnes à risque [17]. Heureusement, la peau est plus visible que tout autre organe: son état peut être évalué à l œil nu, sans instrument. Il faut exhorter la population, et en particulier les personnes à risque, à examiner plus régulièrement leur peau, y compris les zones moins accessibles, et à montrer d éventuelles modifications à un spécialiste. Le traitement du mélanome consiste en l exérèse chirurgicale avec une marge de sécurité de 1 à 3 cm en fonction de son épaisseur [18]. La formation de métastases est encore possible dix ans après le dia- Schweizerische Ärztezeitung / Bulletin des médecins suisses / Bollettino dei medici svizzeri 2000;81: Nr 19 996

gnostic. Pour garantir un suivi optimal, il faut donc expliquer au patient l importance de contrôles médicaux réguliers, tous les 3 à 12 mois. Pour nous, cette semaine de dépistage a été un succès; nous comptons dès lors l améliorer et la reconduire cette année, tout en étendant à la fois sa durée et son aire géographique. Les résultats obtenus soulignent la nécessité de proposer des examens pour prévenir le cancer de la peau. Nous devons encore mieux informer la population pour accroître sa motivation à y participer. Références 1 Breslow A. Thickness, cross-sectional areas and depth of invasion in the prognosis of cutaneous malignant melanoma. Ann Surg 1970;172:902-7. 2 Clark WH. A classification of malignant melanoma in man correlated with histogenesis and biologic behaviour. In: Montagna W, Fu H (eds.). Advances in biology of the skin 8: the pigmentary system. London: Pergamon Press; 1967. p. 621. 3 Buillard JL, Raymond L, Levi F, et al. Prevention of cutaneous melanoma: An epidemiological evaluation of the Swiss campaign. Rev Sem Santé Publ 1992;40:431-8. 4 Dommann SNW, Panizzon R, Burg G. Melanom-Präventivuntersuchung. Aufklärungskampagne einer Zürcher Grossbank. Schweiz Ärztezeitung 1995;76(11):1666-8. 5 MacKie RM, Freudenberger T, Aitchison TC. Personal riskfactor chart for cutaneous melanoma. Lancet 1989;2:487-90. 6 Marks R, Hill D (eds.). The public health approach to melanoma control. Prevention and early detection. International Union Against Cancer (UICC) 1992. 7 Blum A, Garbe C, Rassner G. Prävention des malignen Melanoms. Hautarzt 1998;49:826-34. 8Kölmel KF, et al. Prävention des malignen Melanoms der Haut. Onkologe 1996;2:428-40. 9 Carter R, Marks R, Hill D. Could a national skin cancer primary prevention campaign in Australia be worthwhile? An economic perspective. Health promotion international 1999;14 (1):73-82. 10 Giles GG, Armstrong BK, Burton RC, Staples MP, Thursfield VJ. Has mortality from melanoma stopped rising in Australia? Analysis of trends between 1931 and 1994. Br Med J 1996; 312:1121-5. 11 Garbe C. Früherkennungsuntersuchungen bei Hautkrebs. Zeitschrift für Hautkrankheiten, H + G 12 1998;73:818-9. 12 De Rooij MJM, Rampen FHJ, Schouten LJ, Neumann HAM. Total skin examination during screening for malignant melanoma does not increase the detection rate. Br J Dermatol 1996;135:42-5. 13 Koh HK, Caruso A, Gage I, et al. Evaluation of melanoma/ skin cancer screening in Massachusetts. Preliminary results. Cancer 1990;65:375-9. 14 Blum A, Garbe C, Rassner G. Prävention des malignen Melanoms. Hautarzt 1998;49:836-834. 15 Miller DR, Geller AC, Wyatt SW, et al. Melanoma awareness and self-examination practices: Results of a United States survey. J Am Acad Dermatol 1996;34:962-70. 16 Koh HK, Geller AC. Melanoma detection. Emphasis of elderly men. Primary care and cancer 1993;13 (5):18-21. 17 Koelmel KF. Vorstellung des Programmes «Früherkennung von Hautkrebs» der Deutschen Dermatologischen Gesellschaft und der Deutschen Krebshilfe. In: Meigel W, Lengen W, Schwenzer G. Diagnostik und Therapie maligner Melanome. Berlin: Diesbachverlag; 1991. S. 123-6. 18 Kölmel KF, Pfahlberg A, Gefeller O. Melanomprävention durch Sonnenschutzmassnahmen im Kindesalter. Zeitliche Veränderung im Bewusstsein von Eltern. Hautarzt 1997;48:391-6. 19 Cavegn B, Puppin D, Burg G. Kontroversen zum primären Melanom der Haut im Stadium I. Schweiz Med Wochenschr 1992;122:1883-8. Pour en savoir plus Vous trouverez des informations complémentaires dans la monographie Cancer de la peau: le mélanome malin. Connaître et agir, publiée dans le cadre du programme national de lutte contre le cancer de l Office fédéral de la santé publique et de la Ligue suisse contre le cancer. Cette brochure gratuite, conçue pour les professionnels de la santé, peut être commandée au 157 30 05 (Fr. 1.49 la minute). Elle existe en français et en allemand. Vous pouvez obtenir d autres informations sur la protection solaire et le cancer de la peau ou sur les activités et les publications de la LSC en tapant www.swisscancer.ch (ce site Internet n existe pour l instant qu en allemand). Deutsch erschienen in Nr. 6/2000 Schweizerische Ärztezeitung / Bulletin des médecins suisses / Bollettino dei medici svizzeri 2000;81: Nr 19 997