LA VISITE DE DRANCY : UNE CONTRIBUTION À L ENSEIGNEMENT DE LA SHOAH

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Transcription:

LA VISITE DE DRANCY : UNE CONTRIBUTION À L ENSEIGNEMENT DE LA SHOAH par Charlotte Le Provost 1 Depuis 2005, le Mémorial de la Shoah propose un «parcours de mémoire 2», composé d une visite du Mémorial et d un déplacement à Drancy, sur le site de l ancien camp d internement. En quittant la rue Geoffroy l Asnier, en plein cœur du quartier du Marais, les groupes pour la plupart des scolaires du secondaire rejoignent la porte de Pantin, au nord-est de Paris. Leur bus suit la départementale 115 et longe le cimetière de Pantin, avant de passer devant l ancienne gare de marchandises de Bobigny et d entrer dans Drancy par l avenue Henri Barbusse. Enfin, le groupe emprunte l avenue Jean Jaurès pour se retrouver face à la cité de la Muette. Un mémorial, composé d une imposante sculpture de Shelomo Selinger 3 et d un wagon à bestiaux, marque l entrée des lieux. La cité de la Muette, ensemble urbain classique, date du milieu des années 1930. Elle se compose de trois barres, hautes de quatre étages et disposées en U autour d une cour arborée. Si la structure est d ori- 1. Coordinatrice des voyages d étude sur les lieux de mémoire, Mémorial de la Shoah, Paris. 2. Près d un millier d élèves et enseignants y participent chaque année. 3. Shelomo Selinger (né près d Oswiecim, Pologne, 1928), est déporté en 1943 avec son père au camp de Faulbrück, en Allemagne. Après être passé par neuf camps successifs, il est libéré par un médecin militaire de l armée soviétique. Il sort amnésique de cette expérience. En 1946, il embarque sur le bateau Tel Haï pour rejoindre la Palestine, alors sous mandat britannique. Il participe à la guerre d indépendance de 1948 et, après la destruction de son kibboutz près de la Mer Morte, participe à la fondation du kibboutz Kabri en Galilée. Il y rencontre Ruth Shapirovsky, qu il épouse en 1954. Il recouvre alors partiellement la mémoire. L année suivante, lauréat du prix Norman de la Fondation America-Israël, il décide de poursuivre son œuvre à Paris. Il s inscrit à l école des Beaux Arts. Il rencontre plusieurs artistes dont il fréquente les ateliers, comme Constantin Brancusi. En 1958, il remporte le prix Neumann avec sa sculpture «Maternité» représentant son épouse et leur bébé. En 1973, il remporte le 1 er prix du concours international lancé par un comité public pour le monument du camp de Drancy. L œuvre sculpté de Selinger comprend à ce jour plus de huit cents créations et plusieurs milliers de gravures.

380 Revue d histoire de la Shoah gine, l ensemble est très éloigné de ce que les rescapés ont connu durant leur période d internement 4. Nulle trace ici de barbelés ou de mirador. L ensemble offre l aspect banal d une cité HLM un peu défraichie. Comment justifier alors la visite d un tel lieu? Quel usage pédagogique en faire? Et cet usage est-il pertinent? Dans un premier temps, le trajet depuis Paris permet d inscrire Drancy dans un espace géographique, car il montre aux élèves la proximité avec la capitale. La visite débute soit en passant devant la gare de Bobigny, utilisée à partir du 18 juillet 1943 5 ; soit après un trajet en RER et l arrêt à la station «Le Bourget-Drancy», première gare utilisée pour le départ des trains de déportés juifs. À cette occasion, les élèves apprennent que les convois ne partaient pas du camp, mais de ces deux gares situées dans son proche voisinage. Ils prennent également conscience de la proximité de la cité de la Muette avec le centre ville. L activité à l intérieur du camp n était donc pas dissimulée aux riverains, comme à Pithiviers ou Beaune-la-Rolande. Les élèves, surtout les plus jeunes, transposent souvent leurs connaissances sur les centres de mise à mort (surtout Auschwitz) aux camps d internement et de concentration, qu ils se représentent comme des lieux isolés et cachés. Cette confusion nous oblige à rappeler, en préambule, quelques définitions fondamentales. La visite de l ancien camp en lui-même est extrêmement complexe. Il est tout d abord difficile de parler d une visite de Drancy : on n entre pas dans les cages d escaliers ; on ne monte pas dans les étages ; on ne pénètre pas dans les appartements. Depuis la fin des années 1940, ce lieu est habité. Pour répondre à la pénurie de logement, il a été réhabilité dans l immédiat aprèsguerre. La construction d un parcours n est pas évidente et a beau- 4. Construite par les architectes Marcel Lods et Eugène Beaudouin, la cité de la Muette est un ensemble d immeuble en trois grandes parties : cinq grandes tours, cinq barres (appelées «le Peigne») et un bâtiment en forme de U appelé «la Cour» ou le «Fer à cheval». En 1925, l office des Habitations à Bon Marché (HBM) de la Seine avait acquis à Drancy un terrain dit «La Muette». Une dizaine d année plus tard, l ensemble de la cité est pratiquement achevé à l exception de la «Cour». Les logements achevés se trouvant dans les tours et les barres sont utilisés par les gardes mobiles de la préfecture de police de la Seine comme logements de fonction. 5. Départ du convoi n 57 composé de 1 000 personnes à destination d Auschwitz. (Serge KLARSFELD, La Shoah en France, Paris, Fayard, 4 volumes, 2001.)

La visite du camp de Drancy : une contribution à l enseignement de la Shoah 381 coup évolué depuis la création de cette visite. Dans les premiers temps, elle commençait par le plus visible : la statue, le wagon et les différentes plaques commémoratives ; c est seulement après cet aspect mémoriel du lieu que son histoire était abordée. L observation des publics et la nécessité de s adapter à eux nous ont progressivement amenés à modifier le circuit ainsi que la sélection et l ordre des informations données. Cette visite ne peut s effectuer sans une préparation, car le commentaire apporté sur place ne peut être assimilé sans un minimum de savoir sur la période, sur le rôle de Vichy et sur la collaboration. Pour cette raison essentielle, les classes venant à Drancy passent obligatoirement par le Mémorial de la Shoah. De plus, pour une bonne compréhension, le contact avec le lieu doit s inscrire dans une chronologie. La visite commence dos à la cité de la Muette, face à l hôtel-restaurant «Le Vouvray» qui existait déjà pendant la guerre. Ce commencement permet de plonger immédiatement dans l histoire du lieu en abordant le rôle de l hôtel et de son gérant pendant la période d existence du camp. En effet, l hôtel recevait régulièrement la visite de familles juives qui accédaient aux étages moyennant finance, dans l espoir d apercevoir leur parent interné. Nous nous rendons ensuite au fond de la cour. À l emplacement de la baraque de fouille, une discussion s engage sur l histoire de Drancy. Les rôles respectifs des autorités françaises et allemandes 6 ainsi que l évolution du camp (camp d internement, puis camp d internement et de transit) le font apparaître concrètement dans le dispositif de la déportation des Juifs de France. La liste des convois établie par Serge Klarsfeld présente la proportion de trains et de personnes parties de Drancy à destination d Auschwitz. 6. Le camp de Drancy était placé sous autorité allemande qui avait changé à trois reprises de responsables. Les deux premiers, Theodor Dannecker et Heinz Röthke, étaient secondés par un fonctionnaire français désigné par la préfecture de police pour en assurer le commandement. La garde extérieure et la surveillance intérieure étaient confiées à un détachement de gendarmes. Une administration juive chargée de l organisation du camp avait été également constituée avec certains internés. L arrivée d Aloïs Brunner marque un changement profond dans la gestion de Drancy. Les gendarmes sont cantonnés à la surveillance extérieure et l administration juive est entièrement renouvelée et élargie. Pour plus d informations sur l histoire du camp de Drancy : Georges WELLERS, L étoile jaune à l heure de Vichy, Paris, Fayard, 1973 ; Renée POZNANSKI, Les Juifs en France pendant la Seconde Guerre mondiale, Paris, Hachette, coll. Pluriel, 2005 ; Michel LAFFITTE, «Le camp de Drancy», http://www.massviolence.org/le-campde-drancy, novembre 2009).

382 Revue d histoire de la Shoah La visite s appuie également sur des photos montrant la vie à l intérieur du camp. Il est nécessaire de rappeler que le public qui effectue ce parcours est jeune et que l apprentissage de l histoire lui semble souvent rébarbatif. Les photos ainsi montrées sur place permettent de rendre la visite plus concrète 7. Elles s accompagnent d un extrait de la liste du convoi n 71, parti de la gare de Bobigny le 13 avril 1944, où l on peut lire les noms du père, du frère et du neveu de Ginette Kolinka, rescapée d Auschwitz, qui témoigne encore aujourd hui. Cette dernière nous a permis de montrer également une copie de la fiche de son père établie après son passage par la baraque de fouille. La troisième étape de la visite aborde l après-guerre et les politiques mémorielles. La confrontation avec un lieu aujourd hui habité met mal à l aise, dérange, heurte même parfois. La plupart du temps, les élèves s offusquent de la présence d habitants : «Comment des gens peuvent-ils vivre ici? Ils savent ce qui s est passé?» Ce contraste et la complexité du lieu sont révélateurs de la difficile construction de la mémoire collective. Jusqu en 1951, seule une plaque commémorative 8 rappelait ce que fut ce lieu pendant la guerre. Elle n est ni datée ni signée. Son texte regorge d inexactitudes et les rechercher permet d amorcer un questionnement sur la construction et l écriture de l histoire. Les élèves trouvent généralement les réponses par eux-mêmes. Ils rétablissent que ce n était pas un camp de concentration, et rectifient le chiffre de 100 000 personnes juives déportées de France par 76 000. Mais l expression «occupant hitlérien» focalise leur attention. Elle montre la difficulté pour les autorités françaises d aborder la collaboration d État du gouvernement de Vichy dans un contexte de réconciliation nationale après-guerre. En 1951, deux autres plaques, plus petites, ont été posées audessus et au-dessous, évoquant les épisodes sporadiques d internement de civils et prisonniers de guerre de l armée britannique et canadienne à Drancy avant les Juifs. C est seulement en 1976 qu est 7. Les souvenirs de l internement sont souvent occultés par la déportation dans les témoignages des rescapés. Ce constat nous amène à ne solliciter leur présence que très ponctuellement. 8. «En ce lieu qui fut un camp de concentration de 1941 à 1944, 100 000 hommes, femmes et enfants de religion ou d ascendance juive ont été internés par l occupant hitlérien puis déportés dans les camps d extermination nazis où l immense majorité a trouvé la mort.»

La visite du camp de Drancy : une contribution à l enseignement de la Shoah 383 Un groupe visitant Drancy, devant la sculpture de Shlomo Selinger. installée la sculpture 9 de Shelomo Selinger, complétée, en 1988, par un wagon à bestiaux identique à ceux utilisés pour composer les convois de déportation. Cet ensemble marque un tournant dans l histoire de Drancy, lieu de mémoire, car il fédère les volontés commémoratives de la communauté juive, des historiens et des politiques. L esplanade, appelée Mémorial de Drancy, est complétée dans les années 1990 par deux plaques apposées au sol. La première 10 rappelle la collaboration et le rôle du gouvernement de Vichy, jusque-là passés sous silence. Le texte de la seconde, posée par l Union des étudiants juifs de France en 1993, se conclut sur une promesse : «Nous, génération de la mémoire, n oublierons jamais.» Ces différentes strates mémorielles permettent de parler de la complexité des politiques de mémoire d après-guerre. L histoire de Drancy est à l image de la construction laborieuse de la mémoire de la Shoah : d abord occultée puis fondue dans une mémoire antifasciste qui gomme l identité des victimes. 9. Résultant de l action conjointe de l association des Anciens Déportés juifs de France et de la municipalité de Drancy. 10. «La République française en hommage aux victimes des persécutions racistes et antisémites et des crimes contre l humanité commis sous l autorité de fait dite Gouvernement de l État français (1940-1944) N oublions jamais.»

384 Revue d histoire de la Shoah Ce qui au départ aurait pu passer pour une visite anecdotique, complément facultatif au cours sur la Shoah, apparaît, à la lumière de cette dernière halte, comme essentiel. Par sa complexité et son ambivalence, la cité de la Muette constitue une introduction concrète, marquante et tout à fait pertinente à l exercice historiographique. À partir de ce lieu, nous pouvons amener les élèves à comprendre comment s écrit l histoire d un pays. À quel point cette écriture est loin d être uniforme et unanime, parcourue d idées et d objectifs complexes, souvent en concurrence. L affrontement entre la mémoire et la vie quotidienne dans un même espace les contraint à questionner la notion même de lieu de mémoire et son existence, plus de 65 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale.