1. Sujet et origines du sujet Une étude de pratiques enseignantes Le cas de la multiplication des nombres décimaux Ce travail a été menée dans quatre classes de 6e. Depuis la réforme des programmes de l enseignement primaire de 2008, l enseignement de la multiplication des décimaux figure en cycle 3. La recherche en didactique des mathématiques produit de nombreux résultats sur l enseignement et l apprentissage. Or on constate que les résultats de la recherche n ont pas toujours l impact «souhaité» sur les pratiques enseignantes ordinaires. Questions à l origine du sujet : ce constat s explique-t-il par des différence entres les pratiques ordinaires d enseignement et celles qui sous-tendent les recherches en didactique? Sujet : les pratiques enseignantes en mathématiques Début de problématique : quelles sont les marges de manœuvre de l enseignant, entre contraintes et liberté pédagogique? Quelles sont ses raisons de faire comme il fait? Méthodologie : partir des travaux didactiques, des documents pour les enseignants, d observations d enseignements en classe, et d entretiens avec les enseignants. 1 2 2. Le contexte de la recherche a spécifié le sujet Changement des programmes français en 1997 sur la multiplication des nombres décimaux en lien avec les évaluations nationales. Exemple J'achète 3,70 m de tissus à 9,50 F le mètre. Combien dois-je payer? En 1980 Réussite : 45,5% Recours à une démarche multiplicative : 77,5% En 1993 Réussite : 35,2% Recours à une démarche multiplicative : 80,5% Les erreurs de calcul (de virgule) révèlent des difficultés avec : -la numération décimale et des écritures multiplicatives ; -les propriétés de la multiplication ; -les situations que la multiplication modélisent. 3. Choix d un cadre théorique et conséquences Le cadre théorique permet d effectuer un choix des variables retenues et de les mettre en relation dynamique. La réalité est modélisée car elle est trop complexe. Dans le cadre choisi, le professeur est considéré comme un individu en situation de travail. Un travail fondé sur des savoirfaire communs, où tout professionnel développe des moyens pour concilier des objectifs pédagogiques et ceux qui s expriment par rapport à lui, pas seulement par rapport aux élèves. La double approche didactique et ergonomique des pratiques d enseignement Aline Robert Didactique des mathématiques Janine Rogalski Psychologie ergonomique Revue canadienne de l enseignement des sciences, des mathématiques et des technologies 3 4
3. Choix d un cadre théorique et conséquences a) Ce qui est retenu du savoir -Dynamiques ancien / nouveau -Dialectiques contextualisations / décontextualisation -Dialectiques outil / objet -Niveaux de mise en fonctionnement -Représentations symboliques et leur transformation b) Ce qui est retenu de l élève -Relation entre activités et apprentissage, dans une perspective héritée des travaux de Vygotski. -Des aspects délaissés : ce qui touche au collectif, au social, au genre, à l affectif c) Ce qui est retenu de l enseignant -Distinction tâche / activité -Inscription dans un collectif -Cinq dimensions des pratiques : cognitive, médiative, personnelle, sociale, institutionnelle. 5 4. Problématique et méthodologie Définir la problématique c est poser une (des) question(s) de manière à ce qu elle(s) soi(en)t accessible(s) à la recherche. C est-à-dire : en référence à un cadre théorique qui permet de définir les variables prises en compte, même si elles sont fixées ; et avec une méthodologie qui indique et justifie les moyens mis en œuvre pour traiter la question. Problématique : Quelles sont la régularité et la variabilité des pratiques ordinaires d enseignement de la multiplication des nombres décimaux en classe de 6e? Comment les interpréter? Méthodologie générale : Afin de déterminer les marges de manœuvre des enseignants, entre contraintes et liberté pédagogique, toutes les variables du système didactique et du milieu professionnel ont été fixées (par référence au cadre) sauf la variable «maître» en tant qu individu. 6 4. Problématique et méthodologie Savoir : enseignement d une même notion qui pose des problèmes d enseignement et d apprentissage et sur laquelle la didactique a déjà produit ; Élève : même niveau d enseignement, même niveau scolaire, même effectif classe ; Maître : même expérience professionnelle, même manuel scolaire. Les pratiques enseignantes ont été recueillies par des observations et enregistrements en classe, ainsi que des entretiens avec les professeurs. Les «données» obtenues ont été analysées afin de repérer ce qui est régulier qui tiendrait aux contraintes (au métier) et ce qui est variable qui tiendrait aux individus. Les résultats ont été discutés pour tirer des hypothèses permettant de les interpréter en fonction des pratiques enseignantes. 7 5. Précisions méthodologiques Comparaisons des projets et déroulements des séquences complètes de quatre enseignants : s, et Théano et. Analyse des projets (d après entretiens et déroulement) -les contenus d enseignement (situations multiplicatives étudiées, propriétés de la multiplication étudiées, écritures des nombres utilisées, techniques enseignées...) et leur organisation dans la séquence (lien entre l étude de l opération et les situations modélisées par la multiplication, types d introduction du contenu et de l institutionnalisation du savoir) ; -les tâches proposées aux élèves. Analyse des déroulements en classe (enregistrés et transcrits) - La chronologie de l enseignement ; - Les activités effectives des élèves ; - Les interactions enseignant / élèves. 8
5. Précisions méthodologiques À propos des tâches et des activités des élèves Exemple Tâche : Place la virgule manquante 1,35 x 42 = 5,67 Activité potentielle : calcul approché Activité effective : Opération posée 135 x 42 = 5 670 L activité potentielle est déterminée par une analyse de la tâche. L activité effective est distinguée de l activité réelle qui reste souvent inaccessible : l activité effective est une construction du chercheur réalisée par comparaison de la production de l élève et de la tâche prescrite. Dans la recherche, l activité effective considérée est celle de l élève dont l activité est publique : PC/MAC ; CMCR ; QTQS ; S PC = calcul papier crayon, MAC = calcul à la machine à calculer, CMCR = calcul mental ou raisonné, QTQS = questions théoriques ou questions sur les mathématiques, SM = situations multiplicatives. 9 Contenus mathématiques pratiquement identiques -Technique opératoire justifiée, propriétés étudiées -Un seul type de situation multiplicative (prix) -Une seule écriture des décimaux (décimale) Organisations hétérogènes L opération (propriétés et technique opératoire) est étudiée indépendamment des situations où elle est utilisée. Les introductions et institutionnalisations sont différentes : Les enseignants ont commencé par un problème pratique (calcul de prix), un problème technique (ordre de grandeur pour contrôler la calculatrice), un problème théorique (comment calculer un produit de décimaux) ou par le cours. Les institutionnalisations sont hétérogènes entre des bilans (question posée et traitée en classe), des apports (question posée en classe et traitée par l enseignant) ou des déclarations (pas de questions, mais un exposé de l enseignant) Tâches proposées très semblables -Exercices équivalents -Institutionnalisations hétérogènes 10 Contenus mathématiques Multiplication des décimaux Technique opératoire (T.O.) «Démonstration» ou justification de la T.O. Estimation du produit Propriétés algébriques de la multiplication Effet de la multiplication sur l ordre Multiplication par un facteur inférieur à un Multiplication par zéro ou par un Écritures des nombres Signification de l écriture décimale Changement d unités du système décimal Multiplication d un décimal par 0,1; 0,01 ; 0,001... Autres notations que l écriture «à virgule» Situations multiplicatives Domaine numérique : isomorphisme (prix) Géométrie : produit de mesure (aire de rectangle) Géométrie : opérateur (agrandissement) Géométrie : composition d opérateurs Gestion de données : opérateur (pourcentage) Gestion de données : opérateur (diagrammes) Tâches proposées Introduction du nouveau savoir Proposition de problème où l élève construit le savoir Cadres mobilisés Numérique Numérique Numérique Numérique La multiplication est un objet de savoir La multiplication est un outil de résolution de problème Problèmes issus d une situation multiplicative Exercices proposés (niveau collège) Détermination d un produit 75% 71% 50% 64% - Par application de la technique opératoire 17% 14% 17% 09% - Par un calcul mental ou raisonné 33% 43% 17% 00% - Par un calcul approché ou par un encadrement 25% 14% 16% 55% Questions théoriques 25% 29% 33% 18% Problèmes issus de situations multiplicatives 00% 00% 17% 18% Les phases d institutionnalisation Mode d intégration dans la séance Bilan Déclaration B + D B + Apport Justification de la technique opératoire La présentation des propriétés comporte : - Un titre explicatif - Une règle d action décontextualisé - Un exemple générique 11 12
2. Les activités effectives des élèves diffèrent 3. La gestion des incidents didactiques est hétérogène Des activités potentielles aux activités effectives Définition des catégories Act. Potentielles PC / MAC CMCR QTQS SM 17% 58% 25% 0% 14% 57% 29% 0% 17% 33% 33% 17% 9% 55% 18% 18% Catégories d incidents didactiques Tâche : Place la virgule manquante 1,35 x 42 = 5,67 Incidents Act. Effectives PC / MAC CMCR QTQS SM 9% 60% 31% 0% 60% 26% 14% 0% 27% 49% 16% 7% 39% 45% 13% 3% Question: " Peut-on dire qu'il ne manque pas de virgule? " Erreur : " J'ai écrit 1,35 x 0,42 = 5,67 " Réponse incomplète : " Moi, j'ai rajouté un zéro " Catégories de gestions Construction ou application des connaissances? Ignorer l'incident Répondre à la place de l'élève Construction 80% 20% 53% 44% Changer d'intervenant Application 20% 80% 47% 56% Relancer l'activité de l'élève ou de la classe 13 14 3. La gestion des incidents didactiques est hétérogène 4. Chronologie et durée de la séquence Répartition des incidents dans les classes Chronologie différente et durée analogue de l enseignement Ensemble Un impact, chez certains enseignants, du temps qui passe sur le mode de gestion des incidents didactiques Erreur 25% 27% 28% 21% 26% Incomplet 38% 36% 16% 49% 36% Question 18% 16% 32% 15% 20% Gestion ouverte Gestion des incidents par les enseignants Tâche Professeur 28% 79% 58% 50% Tâche Elèves 72% 21% 42% 50% Gestion fermée 1re heure 2e heure 3e heure 4e heure 5e heure Chronologie de la séquence de 15 16
III. Synthèse des résultats et interprétations 1. Un bilan contrasté entre projet et déroulement Des projets globalement convergents Quant au contenu mathématique abordé Quant aux tâches proposées aux élèves Mais pas quant à l organisation de l enseignement Des activités différentes Questionnement théorique / Calcul technique / Calcul raisonné Application / Construction Une gestion des incidents didactiques très variable Un effet professeur sur les incidents eux-mêmes. Un effet professeur sur la gestion des incidents qui révèle différentes conceptions de la classe. Une chronologie marquée par des contraintes et des choix pédagogiques La durée de l enseignement subit les contraintes institutionnelles. La chronologie du déroulement révèle des options pédagogiques. La gestion des incidents évolue sous les contraintes temporelles. 17 III. Synthèse des résultats et interprétations 2. Des règles du métier et des conceptions de la classe A. Respect des contraintes institutionnelles qui fixent la durée et le contenu qui assurent une légitimité professionnelle B. Garantir l enveloppe des trajectoires acceptables du déroulement cela contraint le contenu abordé pour éviter les digressions cela influence les médiations pour garantir des succès d étape C. La conception de la classe donne une cohérence aux pratiques D autres recherches et celle-ci ont montré que les pratiques des enseignants se répartissent suivant trois pôles suivant la conception du travail en classe. Pôle 1 : la classe est un lieu d exposition et d application du savoir Pôle 2 : la classe est un lieu de construction du savoir Pôle 3 : la classe est un lieu d échanges entre professeur et élèves 18 Conclusion 1. Le travail de l enseignant Des contraintes et/ou des normes qui pèsent sur les pratiques. Une variabilité qui, dans cette recherche, tient beaucoup à la composante personnelle des pratiques. Une cohérence des pratiques qui laisse à penser que tout n est peut-être pas «spontanément» possible pour tout professeur. 2. Des perspectives pour la formation Des formations centrées la fois sur les besoins des élèves et des professeurs. Des formations centrées sur les pratiques réelles : - pour travailler simultanément plusieurs composantes ; - pour identifier les contraintes et les alternatives ; - pour construire des pratiques renouvelées. 19