Paul Romer nous enseigne la croissance endogène

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Transcription:

Paul Romer nous enseigne la croissance endogène Introduction : qui est Paul Romer? I) Quand la croissance endogène explique la croissance 1 Progrès technique et rendements décroissants 2 La croissance endogène et le progrès technique 3 Les externalités positives II) Retrouver les sources de la croissance 1 Le rôle des droits de propriété 2 Le rôle des institutions 3 La France fait-elle fausse route? Conclusion : une leçon pour les PED

Introduction : qui est Paul Romer? Paul Romer est un universitaire américain né en 1955 à Denver. Après des études de physique il se spécialise en économie à l université de Chicago. Il est désormais professeur à l université de New York. C est à partir des années 1980 qu il s intéresse aux sources de la croissance économique d un pays. Si la plupart des économistes sont d accord sur le rôle essentiel du progrès technique dans la croissance économique, ils sont en opposition sur l origine de ce progrès technique. La thèse dominante de l époque est celle d un autre économiste américain, Robert Solow, qui estime que le progrès technique est exogène, c est-à-dire extérieur à l économie : en résumé, le progrès serait un peu miraculeux et souvent le fruit du hasard.

C est en 1986 que Paul Romer publie ses travaux sur la croissance endogène qui vont largement influencer les stratégies de croissance aux Etats-Unis, mais également dans beaucoup de régions en développement. Selon lui, le progrès technique n a rien de hasardeux ni d extérieur à l économie : le progrès est endogène à l économie, c est-à-dire qu il est produit par l activité économique elle-même. Le progrès provient de la recherche, et c est seulement quand les chercheurs sont persuadés de la rentabilité de leurs recherches qu ils se lancent dans cette activité : le progrès technique a donc besoin d un cadre précis pour se transformer en croissance, et cette croissance à son tour favorisera la recherche. Ses travaux sont au cœur de la réflexion de la Commission européenne sur l agenda 2020 et sur l utilisation qui doit être faite du futur investissement européen pour la croissance. Paul Romer est un candidat très sérieux pour un futur prix Nobel, et il est considéré comme l un des 25 personnages les plus influents de la planète.

I) Quand la croissance endogène explique la croissance 1 Progrès technique et rendements décroissants Pendant des centaines d années les économistes ont été persuadés que la croissance économique dépendait de la capacité d un pays à mettre en œuvre des quantités de facteurs de production (le travail, la terre et le capital) de plus en plus nombreuses : c est ce que l on appelait la croissance extensive. Mais à partir du XIX et l accroissement de la population, on se rend compte d un phénomène : plus on met en œuvre de moyens de production et moins la productivité de chaque facteur supplémentaire est forte : c est ce que l on appelle les rendements décroissants. Au-delà d un certain seuil, la productivité par facteur diminue et la production stagne : la croissance économique stagne donc à son tour et comme la population s accroit la misère risque de se développer.

Le graphique suivant illustre ce phénomène : dans un 1 temps, quand on utilise plus de facteurs (L), les quantités produites s accroissent (Q). Puis au fur et à mesure que l on utilise d autres facteurs, la production stagne, donc la productivité par facteur diminue : rendements décroissants.

Bien sûr, très rapidement, les sociétés trouvent la parade à ce phénomène : le progrès technique permet de contrer les rendements décroissants, surtout les progrès liés à la production. A partir du milieu du XIX le progrès technique devient donc l instrument essentiel de la croissance économique, et les pays qui maîtrisent ce progrès technique deviennent les puissances économiques dominantes. Mais une question cruciale se pose alors : d où vient ce progrès? Pour une grande partie des économistes, jusqu au milieu des années 1980, le progrès technique est considéré comme exogène : il provient du hasard des découvertes, de quelques cerveaux géniaux, de circonstances (comme par exemple la guerre)... En bref, si le progrès est un peu hasardeux (Robert Solow, chef de file de ce courant de pensée, disait que le progrès était un résidu, c est-à-dire la partie inexpliquée de la croissance), la croissance était elle aussi hasardeuse et miraculeuse.

La France illustre assez bien cette théorie de la croissance exogène : nous voyons bien que sa croissance économique provient de la hausse de la productivité ( + 50% depuis 1978 et diminution depuis 2008), mais nous voyons également que nous attendons «la reprise» de facteurs extérieurs : prix du pétrole, baisse de l euro, relance européenne ) Évolution de la productivité globale des facteurs en France de 1978 à 2010 (indice base 100 en 1978) Source : Comptes Nationaux, enquêtes Emploi, INSEE, 2013

2 La croissance endogène et le progrès technique Paul Romer, à partir du milieu des années 1980 va s attaquer à cette théorie de la croissance exogène : selon lui, le progrès technique n a rien de hasardeux ni de miraculeux : il est au contraire le fruit d un calcul économique rationnel de la part des individus. Paul Romer observe en effet que la recherche, qui est le point de départ du progrès, ne se fait jamais (ou presque) au hasard : les chercheurs cherchent dans une direction précise parce qu ils pensent que les fruits de cette recherche seront rentabilisés sur le plan économique. De façon cynique, la recherche médicale illustre ce phénomène : la recherche est au nord et beaucoup de maladies sont au sud, donc dans des régions peu susceptibles de rentabiliser la recherche en question : les chercheurs vont donc préférer des recherches moins utiles sur le plan humain mais beaucoup plus rentables sur le plan économique.

Romer s appuie en particulier sur l informatique pour développer sa théorie de la croissance endogène : ce qui coûte cher en informatique, ce n est pas de produire les logiciels, mais de les inventer. La recherche est donc par excellence un coût fixe. Si l on veut supporter ce coût fixe, il faut alors avoir la certitude que la clientèle sera nombreuse : le coût fixe par produit diminuera, et comme le prix de vente restera relativement plus élevé, les profits se développeront. Le progrès n est donc pas un hasard, parce que la recherche ellemême n est pas un hasard : c est l activité économique qui est à la base du progrès, et non pas l inverse. Cette perspective va profondément bouleverser les stratégies productives : les pays les plus en retard se rendent comptent qu en orientant leurs recherches, ils peuvent rattraper ce retard technologique, et un peu partout les gouvernements cherchent à favoriser la recherche économiquement rentable et à la diffuser.

Dépenses intérieures de recherchedéveloppement en % du PIB source :Eurostat et OCDE Italie Espagne Royaume-Uni Pays-Bas Chine UE 27 France OCDE Etats-Unis Allemagne Danemark Suède Japon Finlande Corée Israël 1,25 1,1 1,33 0,86 1,77 2,04 1,84 1,96 1,84 0,7 1,94 1,83 2,22 2,38 2,37 2,2 2,77 2,52 2,88 2,28 3,09 1,72 3,37 3,11 3,39 3,39 3,78 2,14 4,03 2,12 4,38 2,68 2012 1993 0 1 2 3 4 5

Nous nous rendons bien compte qu aujourd hui les pays augmentent leurs efforts de R&D et qu en particulier la prospérité des pays d Europe du nord s explique en grande partie par cet effort. Le constat est le même pour les pays d Asie, à l image de la Corée ou de la Chine : leur croissance repose désormais davantage sur leur capacité à l innovation que sur leur faible coût de main d œuvre. 3 Les externalités positives Les travaux de Paul Romer vont plus loin : il observe en effet que le progrès technique, fruit de la croissance et à l origine de celle-ci, produit des effets bien plus vastes : c est ce que l on appelle une externalité positive. En économie, une externalité est un effet imprévu d une activité économique. Elle peut être négative (exemple de la pollution) mais elle peut aussi être positive. Paul Romer observe en particulier que le progrès technique alimente tout le réseau de connaissances humaines.

En gros, le niveau des connaissances humaines progresse au même rythme que le progrès, et plus il y a de connaissances et plus il y aura de progrès. Ceci s explique pour deux raisons : - d une part, le coût de diffusion du progrès est infiniment plus faible que son coût d invention : le progrès est un bien collectif, car inventer quelque chose sans le diffuser au plus grand nombre n a aucun intérêt : c est l exemple évident des progrès en matière numérique. - mais d autre part, chaque progrès nouveau nécessite de la part des utilisateurs des connaissances nouvelles pour les maîtriser : il faut alors développer et diffuser ces connaissances : le rôle de l éducation devient un enjeu crucial : les pays les plus aptes à développer les connaissances des habitants connaitront le plus de progrès et le plus vite : c est exactement la voie suivie par l Asie en développement.

Ce constat rejoint les préoccupations écologiques de Paul Romer : il appartient au courant de pensée qui estime que dans un monde aux ressources finies, une croissance infinie est impossible. Sauf que pour lui, justement, il existe une ressource absolument infinie : ce sont les connaissances humaines. Ces connaissances humaines dépendant elles mêmes du progrès technique, la seule solution pour maintenir le rythme de croissance compatible avec la préservation de l environnement est, selon Paul Romer, de développer toujours plus le progrès technique, donc les connaissances. Le progrès technique n est donc pas un enjeu pour lui-même : il devient un enjeu stratégique pour les pays. Et Paul Romer observe très justement que l on peut donner un cadre favorable à l épanouissement de ce progrès. Le rôle des Etats est alors, non pas de chercher à favoriser la croissance par n importe quel moyen, mais de favoriser la recherche, donc le progrès, donc les connaissances, donc la croissance.

II) Retrouver les sources de la croissance A partir du milieu des années 1990, beaucoup de pays (et d entreprise) suivant les travaux de Paul Romer, vont donc essayer souvent avec succès de réorienter leur croissance en s appuyant sur le progrès technique, beaucoup plus que sur les phénomènes classiques de la croissance (dépenses publiques, investissements quantitatifs ) 1 Le rôle des droits de propriété En particulier, on redécouvre que ce qui motive essentiellement le chercheur, et même si on le regrette, c est la perspective de rentabiliser sa recherche. Or il y a une contradiction à priori : la recherche doit être diffusée pour être rentable. Mais si elle est diffusée, elle risque d être copiée. Il faut donc à la fois pouvoir la faire connaître, tout en la protégeant : c est le rôle des droits de propriété qui vont se développer à partir des années 1990, en particulier avec une organisation mondiale de la propriété intellectuelle : l OMPI.

Cette organisation est pyramidale : chaque organisme de droit de propriété national (en France : l INPI : institut national de la propriété industrielle par exemple) adhère à un ensemble plus vaste. Pour l Europe, il s agit de l office européen des brevets : un brevet déposé en France peut donc devenir un brevet déposé en Europe.

Sur le plan mondial, il existe trois zones principales de dépôts de brevets : l Europe, l Amérique du nord et l Asie. Avec l OMPI qui synthétise ces brevets, on parle alors de «brevets triadiques» c est-àdire de brevets déposés dans les trois pôles de la triade. Un brevet est un titre de propriété qui confère l exclusivité de l utilisation de l innovation à son inventeur pendant 20 ans. Bien entendu, le propriétaire peut céder ses droits, les louer (contre versement de royalties) et faire des procès en cas d utilisation frauduleuse. Au-delà du brevet (et d un autre type de brevet plus simple mais moins protecteur : le modèle d utilité), il existe deux autres titres de propriété : la marque et le dessin ou modèle industriel. Limite : il faut payer pour obtenir un brevet (662 en France) et payer une redevance annuelle pour le maintenir. Cette redevance augmente avec le nombre d années (760 pour la 20 année en France). Il faut surtout s assurer de la non antériorité de l innovation.

Nous remarquons donc bien que les pays les plus en pointe en matière de croissance économique aujourd hui sont également les pays qui déposent le plus de brevets, à l image de l Allemagne qui représente à elle seule 41.3% des brevets européens (France : 12%)

A l inverse, la France représente 89% des dépôts de marque en Europe (OHMI : organisation pour l harmonisation du marché intérieur).

2 Le rôle des institutions Pour favoriser la recherche et donc le progrès, il faut garantir les droits de propriété. D anciennes puissances ont justement disparu (avant de renaître) quand les pouvoirs publics ont commencé à voler à leur profit les droits en question : on pense en particulier à la Chine jusqu au XX siècle, et à beaucoup de pays d Afrique actuellement. A l inverse, c est sans doute parce que l Europe d abord (surtout l Angleterre) puis les Etats-Unis ont mis en place ces garanties, y compris contre l arbitraire politique, qu ils se sont développés les premiers. Mais au-delà de cette garantie des droits, les institutions ont selon Paul Romer au moins deux autres rôles : - il faut d abord assurer la recherche fondamentale, c est-àdire l étape initiale avant la recherche appliquée et la recherche développement.

La recherche fondamentale présente en effet une triple caractéristique : Elle a pour but d accumuler des connaissances dans un domaine précis. Son rôle n est donc pas de trouver, mais de savoir. On conçoit alors qu elle est rarement rentabilisée. D autant plus que les connaissances acquises vont devoir être mises au service du plus grand nombre de chercheurs pour continuer à chercher (c est le rôle des revues scientifiques). Elle est souvent très onéreuse car le champ d investigation est immense et requiert des moyens importants (exemple du Génome). Une recherche chère et peu rentable n attire pas spontanément les entreprises privées. Il appartient donc souvent aux institutions, publiques la plupart du temps, soit de financer cette recherche (exemple de l Institut Pasteur, de l INSERM, du CNRS ) soit d aider à ce financement (modèle américain des fondations universitaires).

- un autre rôle essentiel des institutions est de permettre la diffusion la plus large possible des innovations, et donc des connaissances. Cela passe bien entendu par le développement du système scolaire, qui «seul peut rendre apte une population à faire croître le produit social global» (François Perroux, économiste français 1903-1987). Dans la plupart des cas (exemple de la Corée et des pays d Asie en général) c est par le développement au départ de l enseignement secondaire que se diffusent les connaissances et donc les techniques nouvelles. Un autre exemple peut-être apporté par le modèle allemand : nous savons que l une des clés du succès allemand réside dans la qualité de sa formation professionnelle, et surtout dans la très forte adéquation entre innovation industrielle, formation et production : les jeunes allemands sont très vite aptes aux progrès industriels (et donc très peu au chômage).

3 La France fait-elle fausse route? Paul Romer a donc bien montré l importance du progrès technique dans la croissance, et il a surtout montré que ce progrès technique ne tombait pas du ciel, mais qu il était le résultat d un cadre institutionnel et économique favorable. La croissance économique française est faible en ce moment (0.5% pour 2014) et loin de la plupart des chiffres des zones en croissance, y compris en Europe. Cette faiblesse peut-elle s expliquer par des erreurs de stratégie en France? La réponse est ambiguë. D une part, la France ne semble pas vraiment relâcher son effort de recherche, au moins sur les 5 dernières années : la part du PIB consacrée à la recherche ré augmente, de même que le nombre de chercheurs, y compris, et c est à la fois nouveau et rassurant, dans les entreprises. La France de ce côté-là s inspire donc bien des travaux de Paul Romer.

L objectif fixé par l agenda 2020 est de parvenir à 3% du PIB consacré à la R&D. Il manque encore à la France 0.75 points de PIB soit 16 milliards. Mais il y a des progrès.

En 10 ans, le nombre de chercheurs en France a augmenté de 44% soit 80 000 chercheurs de plus, et surtout presque 60 000 de plus en entreprises, là où doit se faire le progrès le plus rentable.

Par contre, le nombre de brevets déposés stagne à un niveau faible (moins de 20 000 par an) et depuis 2008 on perçoit un relâchement dans les dépôts de marques et de dessins et modèles.

La nette domination des marques sur les brevets est une particularité française : la France songe davantage à protéger ce qui existe déjà qu à protéger des innovations futures, ce qui pose problème. Mais surtout, la France semble faire fausse route sur un point essentiel : elle est obsédée par le coût du travail et par sa baisse, en estimant que c est la voie essentielle de la compétitivité. Elle se lance donc dans un «pacte de responsabilité» pour diminuer ce coût, qui va se traduire par un coût de 50 milliards. Résultat? Le coût du travail français devrait en effet diminuer de 2 $ de l heure. Mais cela ne permettra absolument pas de rejoindre des pays dont les coûts sont encore plus faibles, et surtout, rien n indique que les pays qui ont des coûts plus élevés soient moins compétitifs. On retrouve bien entendu ici le cas de l Allemagne, mais également de tous les pays d Europe du nord. La France cherche donc semble-t-il la croissance par un certain dumping social, mais est ce la bonne solution?

La question est d autant plus pertinente que rien ne vient vraiment confirmer la croyance dans laquelle les coûts français auraient vraiment augmenté plus vite que dans les pays concurrents (les chiffres proviennent de la Commission européenne). Evolution du coût unitaire du travail de 2010 à 2014 en %

On peut dés lors se demander si les 50 milliards du pacte de responsabilité ne seraient pas mieux utilisés ailleurs, en particulier dans l effort de recherche des entreprises. Il y a peu de chances que les coûts français deviennent suffisamment bas pour attirer les investisseurs internationaux et retrouver de la compétitivité prix. Ne vaut-il mieux pas suivre les idées de Paul Romer et tabler plutôt sur la croissance par le progrès technique et par sa diffusion? Ceci est d autant plus important que les grandes tendances de l internationalisation des entreprises montrent assez clairement que ce que cherchent désormais les entreprises dans un territoire, c est beaucoup plus la qualité des infrastructures, de la main d œuvre, le cadre législatif que le seul coût de main d œuvre. En clair, ce ne sont pas des français pas chers que les entreprises étrangères sont susceptibles de venir chercher en France, mais un cadre adapté à leurs activités. Pour le moins cher, il y a «ailleurs».

On voit entre autre que l environnement politique et administratif compte presque autant que les charges et les coûts salariaux. La simplification administrative devrait donc être une priorité (et elle n est pas incompatible avec la réduction des coûts salariaux).

Conclusion : une leçon pour les Pays en développement (PED). Le très grand mérite de Paul Romer et de la croissance endogène est de nous montrer que l on peut susciter une croissance économique sans attendre de miracles, sans compter forcément sur des aides d autres pays, et sans gaspiller forcément les ressources naturelles, au contraire. La croissance endogène est l exact inverse de l économie de rente issue de l exploitation forcenée du sous sol. Pour beaucoup de PED, les travaux de Paul Romer ont constitué la preuve théorique de leurs efforts en matière éducative et de recherche, et ont conforté leur détermination : on pense à la Chine bien sûr, par opposition par exemple à l Inde. Ceci doit également être utile à l Afrique : la voie de l exploitation des ressources naturelles est sans issue : seule la diffusion des connaissances par l éducation peut être une source de croissance durable, même si le fossé avec les pays leaders reste important. Mais ce fossé peut être comblé, relativement rapidement.

Quand on se rappelle l état de la Corée en 1962, celui de la Chine en 1980, celui du Vietnam au début des années 1990, nous sommes frappés par la rapidité du rattrapage et par les défis qu il nous impose. Une autre leçon est vitale pour les PED (et pour nous) : c est bien la cohérence globale des institutions qui assure la croissance économique, et non le pillage des ressources : les pays qui s en sortiront le mieux seront toujours les pays gouvernés par des élites cohérentes, et c est déjà le cas dans quelques pays d Afrique, et dans la plus grande partie des pays d Asie. Pour d autres pays, alors, l avenir est plus sombre : on pense bien entendu à l échec de la démocratie dans les pays arabes (sauf la Tunisie), et à l égarement de la politique de puissance russe qui sacrifie son savoir au pétrole. Mais cette leçon est également importante pour l Europe : c est la cohérence de ses institutions qui lui permettra de renouer avec la croissance économique.