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Transcription:

Délibération n 2009-339 du 28 septembre 2009 Religion- Formation professionnelle- Observations La réclamante a été exclue en 2005 d un centre de formation pour avoir refusé d enlever son foulard dans l enceinte de l établissement, dont le règlement interdisait le port de signes à caractère religieux. L association gestionnaire du CFA a indiqué que le règlement intérieur avait été adopté en 2000 pour satisfaire à l ensemble des usagers du CFA et assurer la sécurité de tous dans le respect des principes de neutralité et de laïcité. Il a également précisé que le règlement intérieur avait été modifié en 2006 afin de l actualiser au regard des règles en vigueur. Le Collège considère qu au moment des faits, le caractère illégal du règlement intérieur n était pas contestable et que les mis en cause ne pouvaient ignorer l important débat public accompagnant l adoption de la loi de 2004. Il estime que son maintien et son application caractérisent de la part de l association gestionnaire et de la directrice du CFA, le délit de subordination de la fourniture d une prestation de service à un critère prohibé, et décide de présenter ses observations devant la Cour d appel de Paris. Le Collège, Vu la Constitution ; Vu le code pénal ; Vu la loi n 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics ; Vu la loi n 2004-1486 du 30 décembre 2004 portant création de la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l égalité ; Vu le décret n 2005-215 du 4 mars 2005 relatif à la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l égalité ; Sur proposition du Président, Décide : La haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l égalité a été saisie le 26 mars 2009 par Maître S, avocat de Madame B, d une réclamation relative à l exclusion de celle-ci d un centre de formation en raison du port du foulard islamique. A la rentrée 2005, Madame B envisageait de s inscrire dans le Master 2 «Audit comptable et financier» de l université Paris XI.

Cette formation est organisée par l université en partenariat avec le CFA S (Centre de formation par l apprentissage), géré par une association pour la formation universitaire en alternance A. Le 26 septembre 2005, jour de la rentrée, Madame B s est présentée voilée au premier cours dans les locaux du siège du CFA. Convoquée le 28 septembre 2005 par Madame T, directrice du CFA, accompagnée de Monsieur C, président du conseil de perfectionnement du CFA, Madame B s est vue informer que le règlement intérieur applicable aux apprentis du CFA du port du foulard dans l enceinte de l établissement. Madame B a indiqué que la loi du 15 mars 2004 relative au port de signes religieux ostensibles ne s appliquait pas aux élèves des établissements d enseignement supérieur, mais la directrice du CFA est restée sur sa position. A l issue de l entretien, un délai de réflexion lui a été accordé, au terme duquel elle était invitée à enlever son foulard à l entrée du CFA ou à quitter le programme. Le lendemain, Madame B s est rendue dans la société où elle devait commencer son contrat de travail en alternance. Le jour même, le cabinet a reçu un courrier recommandé du CFA annonçant l exclusion de Madame B au motif qu elle avait refusé les termes du règlement intérieur. Le contrat, joint au courrier, a été renvoyé avec la mention «non inscrite». Un jugement en date du 14 juin 2006 a condamné le CFA pour discrimination dans l offre ou la fourniture d un bien ou d un service à raison de la religion. Ce jugement a été infirmé par la Cour d appel de Paris le 2 avril 2007 au motif que le CFA, qui n a pas la personnalité juridique, ne pouvait être poursuivi. Suite à ce jugement, Madame B a cité directement l association pour la formation universitaire en alternance A et Madame T devant le tribunal correctionnel de Créteil qui les a relaxés par jugement du 20 juin 2008. La réclamante a fait appel et l audience au fond devant la chambre 6-1 de la Cour d appel de Paris a été fixée pour le 20 octobre 2009. La situation étant susceptible de révéler l existence d une discrimination prohibée par les articles 225-1 et suivants du code pénal, consistant à refuser ou à subordonner l accès à un service en raison de l appartenance, vraie ou supposée, à une religion déterminée, un courrier de notification de charges a été adressé à l association pour la formation universitaire en alternance A ainsi qu à Madame T. Monsieur D, président de l association pour la formation universitaire en alternance A, a indiqué à la haute autorité que la décision litigieuse visait à faire application d une norme interne à l établissement et que celle-ci avait été adoptée pour satisfaire à l ensemble des usagers du CFA et assurer la sécurité de tous («éviter toute tension entre les différentes communautés») dans le respect des principes de neutralité («éviter la perturbation des enseignement et préserver la spécificité du centre») et de laïcité («les signes ostensibles pouvant induire une distinction dans le traitement des personnes, il s agit notamment lors du contrôle des connaissances d éviter toute tricherie avec par exemple, le port d oreillette sous le voile»). Il a précise que suite à cette affaire, une discussion avait été ouverte sur la nécessité de modifier le règlement intérieur en l actualisant au regard des règles en vigueur, ces

modifications ayant été adoptées lors d une réunion du conseil d administration de l association pour la formation universitaire en alternance le 7 décembre 2006. L interdiction du port de signes religieux a été maintenue dans le règlement intérieur par le conseil d administration au motif que le port de tels signes peut «constituer un acte de prosélytisme, susceptible de porter atteinte à la sécurité de celui ou de celle qui l arbore et/ou de perturber le déroulement des activités d enseignement». Par ailleurs, le procès-verbal du CA du 7 décembre 2006 retranscrit l intervention de Madame T pour défendre cette disposition. Elle note d abord que le CFA «ne dispose pas d un service de sécurité en cas de problème». Ensuite, «elle rappelle que le bâtiment est un lieu privé et que le personnel du CFA S a une position forte quant à ce point». Elle indique en outre que «pour certains professeurs, il est inacceptable d avoir des étudiantes voilées en cours et que le règlement intérieur est là pour éviter que les apprentis (et les stagiaires) ne soient pas traités différemment les uns des autres». Enfin, interrogée sur le point de savoir «si les entreprises ont une position unanime sur le sujet», elle «répond par la négative en précisant que chaque entreprise a son propre règlement intérieur et qu il n existe pas de position de principe». Madame T, en réponse à la haute autorité, a assuré qu elle n avait fait qu appliquer le règlement intérieur et qu à l issue de l entretien, Madame B ayant quitté le CFA, l inscription n avait pu se poursuivre. Elle souligne que de son point de vue l inscription de Madame B n était pas définitive au moment des faits dans la mesure où le financement de la formation n était pas encore validé et que le dossier devait être transmis à la direction départementale du travail et de l emploi. Les articles 225-1 et 225-2 du code pénal interdisent la discrimination lorsqu elle consiste à refuser ou à subordonner la fourniture d un bien ou d un service à une condition discriminatoire, et notamment l appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une religion. La liberté de religion et d opinion est un principe consacré en droit interne comme en droit international. Elle garantit la liberté de conscience ainsi que la liberté d exprimer ses convictions, notamment par le port d un vêtement. La notion de fourniture de biens et de services est entendue largement et recouvre la totalité des activités économiques. Ainsi, l accès à une formation professionnelle relève de la qualification de prestation de service au sens des dispositions précitées. Le délit peut être commis par une personne physique ou par une personne morale. Conformément à l article 225-4 du code pénal, la responsabilité pénale des personnes morales peut être recherchée pour les infractions définies à l article 225-2, dans les conditions prévues par l article 121-2 du même code, c est-à-dire pour les infractions «commises pour leur compte, par leurs organes ou représentants». En l espèce, il n est pas contesté que Madame B n a pas eu accès à une formation proposée par le CFA, géré par l association pour la formation universitaire en alternance, en raison du port d un foulard, expression de sa religion. Celui-ci était contraire au règlement intérieur du centre.

Cependant, les mis en cause invoquent le fait que l inscription de la réclamante n était pas finalisée. La renonciation émanant de Madame B, ils estiment qu ils ne lui ont pas refusé l accès à la formation. Ce débat sur la qualification exacte des faits pourrait être dépassé si les faits étaient requalifiés en subordination de l accès à un service à une condition fondée sur un critère discriminatoire, en application de l article 225-2 4 du Code pénal. Il ne fait aucun doute, concernant la seule matérialité des faits, que le CFA et sa directrice ont subordonné la fourniture d un service (une formation universitaire en alternance) à une condition (l absence du port de tout insigne) fondée sur un critère de discrimination (l appartenance de l intéressée à une religion). Ce qui était manifestement prohibé dans ce centre, de par le règlement intérieur, c était le caractère religieux des vêtements ou insignes que les étudiants pouvaient être amenés à porter. Les étudiants pouvaient porter un voile ou un foulard lorsque celui-ci avait un rôle esthétique. En revanche, le port d un tel vêtement devenait interdit dès lors qu il manifestait l appartenance à une religion. S agissant de Madame T, directrice de l établissement, la matérialité des faits est établie en ce qu elle a subordonné l accès à la formation (ou, plus précisément, le maintien dans l établissement) à une condition (l absence du port de tout insigne) fondée sur un critère de discrimination (l appartenance de l intéressée à une religion). Elle a commis cet acte le 28 septembre 2005 en recevant en entretien madame B, en lui rappelant les dispositions du règlement intérieur susvisées et en lui demandant de renoncer au port du voile dans l établissement pour pouvoir poursuivre sa formation. S agissant de l association pour la formation universitaire en alternance A, qui gère la CFA S, il est également établi qu elle a subordonné l accès aux formations dispensées au sein de l établissement à une condition (l absence du port de tout insigne) fondée sur un critère de discrimination (l appartenance des étudiants et stagiaires intéressés à une religion). La responsabilité pénale de l association peut être recherchée à deux niveaux. D une part, en adoptant les dispositions du règlement intérieur visées, les organes dirigeants de l association, le président et le conseil d administration, ont subordonné l accès aux formations du centre à une condition fondée sur un critère de discrimination prohibé engageant ainsi la responsabilité pénale de l association. D autre part, en faisant application de ce règlement intérieur, Madame T, accompagnée de Monsieur C, ont subordonné l accès de Madame B à une formation du centre à une condition fondée sur un critère de discrimination prohibé. La première étant directrice du centre et le second président du conseil de perfectionnement, ils peuvent être regardés comme les représentants de l association auprès des usagers du CFA. Leur décision étant fondée sur l application du règlement intérieur adopté par les organes dirigeants de l association, il apparaît qu ils ont clairement agi pour le compte de l association. Leur décision litigieuse à l égard de Madame B peut donc engager la responsabilité pénale de l association. Par ailleurs, la rédaction de la clause litigieuse du règlement intérieur et que le motif de la convocation de Madame B sont la manifestation non équivoque de la volonté des mis en

cause de subordonner l accès à la formation à une condition fondée sur un motif prohibé. Leur démarche, revendiquée, visait à interdire aux apprentis et stagiaires l expression de leur religion dans l enceinte de l établissement. Madame T ne peut alléguer la circonstance qu elle n a fait qu appliquer les consignes de sa hiérarchie et du règlement intérieur. En effet, l autorité légitime visée par le code pénal ne peut être qu une autorité publique, et le seul fait de se conformer aux ordres d un supérieur hiérarchique n est pas une cause d irresponsabilité pénale (Crim. 28 avril 1866 ; Crim. 22 mai 1959). L association pour la formation universitaire en alternance A est une association régie par la loi du 1 er juillet 1901 ayant pour objet le développement du partenariat entre les entreprises et les universités en faveur de la formation en alternance conduisant à des diplômes d enseignement supérieur. Elle gère un centre de formation par l apprentissage, le CFA S, qui est un organisme de droit privé accueillant un public relevant, essentiellement, de l enseignement supérieur. Au moment de l adoption du règlement intérieur, aucune disposition législative ou réglementaire ne prescrivait l interdiction de tout signe religieux dans les établissements de formation relevant du secteur privé et accueillant des étudiants suivant un cursus universitaire. L article L. 811-1 du code de l éducation, invoqué en tant que fondement législatif de l interdiction générale du port de signes religieux prévue par le règlement intérieur du CFA, prévoit que : «Les usagers du service public de l enseignement supérieur sont [ ] les étudiants inscrits en vue de la préparation d un diplôme [ ]. Ils disposent de la liberté d information et d expression à l égard des problèmes politiques, économiques, sociaux et culturels. Ils exercent cette liberté à titre individuel et collectif, dans des conditions qui ne portent pas atteinte aux activités d enseignement et de recherche et qui ne troublent pas l ordre public». Cette disposition ne saurait être invoquée comme justifiant une interdiction systématique du port de signes religieux. En effet, toute restriction portée à la liberté de religion ne pourrait être justifiée que par une atteinte constatée aux activités d enseignement ou par un trouble effectif à l ordre public. En l espèce, l association pour la formation universitaire en alternance A ne présente aucun élément convaincant démontrant que le port de signes religieux par les apprentis et les stagiaires qu elle accueille constituerait une atteinte aux activités d enseignement ou un trouble effectif à l ordre public. La position adoptée par le corps enseignant et le risque de violences à l égard des étudiants portant un signe religieux, ne sauraient constituer des motifs sérieux et légitimes pour porter une telle restriction à la liberté religieuse. Suite à l avis du Conseil d Etat (avis n 346-893 du 27 novembre 1989) consacrant le droit pour les élèves de manifester leurs croyances religieuses à l intérieur des établissements scolaires, les juridictions administratives ont annulé les règlements intérieurs des collèges et des lycées qui interdisaient de manière générale le port de signes religieux.

En 2005, au moment des faits, la situation juridique avait évolué avec l adoption de la loi du 15 mars 2004. L important débat public qui l a accompagnée ne pouvait raisonnablement être ignoré par l association pour la formation universitaire en alternance A. Si la loi de 2004 a entraîné une modification de la jurisprudence du Conseil d Etat, elle ne concerne que les établissements publics d enseignement primaire et secondaire, de sorte que l état du droit applicable à l association pour la formation universitaire en alternance A n a pas été modifié. Il en résulte que le maintien du règlement intérieur après la loi de 2004, et sa confirmation en 2006 procède d une volonté délibérée d interdire le port du foulard, et ce, en toute conscience de sa contrariété avec le droit en vigueur. Au moment des faits, le caractère illégal du règlement intérieur n était donc pas contestable. Le Collège de la haute autorité considère que son maintien ainsi que son application caractérisent de la part de l association pour la formation universitaire en alternance A et de Madame T, directrice du CFA, le délit de subordination de fourniture d un bien ou d un service à une condition fondée notamment sur l appartenance ou la non appartenance, vraie ou supposée, à une religion, en qualité de coauteurs. Le Collège décide, conformément à l article 13 de la loi portant création de la haute autorité, de présenter ses observations devant la Cour d appel de Paris. Le Président Louis SCHWEITZER