BCE, pistes de réforme, Ruben Global Economics, Micheledouard2001@yahoo.fr La BCE (Banque Centrale Européenne) a, il faut l avouer, fait preuve de pragmatisme et de réactivité dans sa gestion de la crise financière et su garantir la stabilité financière de la zone euro ; gestion de la crise qui a d ailleurs valu à son gouverneur, mr Trichet, d être élu personnalité de l année 2007 par le Financial Times. Une BCE qui a su se montrer «non conventionnelle», «inventive» et prendre toute une série de mesures exceptionnelles afin de dégripper le marché interbancaire des pays de la Zone Euro et empêcher les ruées bancaires (prise en pensions d actifs non notés AAA, allongements de maturité des opérations de refinancement, injections massives de liquidité 1, interventions en dollars, baisse des taux d intérêts 2 ). Néanmoins, cette gestion, somme toute correcte, au regard des objectifs qui sont ceux de la BCE (ciblage d inflation à 2%, stabilité financière dans la Zone Euro), ne doit pas faire oublier sa politique monétaire souvent trop restrictive au regard des performances économiques de la Zone Euro, ni son indépendance totale qui confère à l irresponsabilité, ni l absence de coordination de sa politique monétaire avec les autres politiques économiques (budget, change?), ni la nécessaire revue de ses missions. La meilleure preuve de la nécessaire refonte du cadre de politique monétaire de la BCE et de ses objectifs réside sans doute dans sa décision prise en juillet 2008 (alors que la crise gonflait, qu Espagnols et Portugais étaient très endettés à taux variables, que la Zone Euro s approchait de la récession) d augmenter son principal taux directeur de 25 points de base, décision motivée par une inflation ressortie à 4% en zone euro en juin 2008. Sa fonction objective à la lueur de cette décision semble ne tenir compte que de la «stabilité des prix», objectif qui peut être revisité, tant montée du chômage, sur-évaluation de l Euro, perte de croissance potentielle sont des maux plus dangereux pour la Zone Euro. Banque Centrale jeune 3, la BCE a du par le biais d un ratio de sacrifice élevé dans la Zone Euro et la poursuite d un objectif simple et précis (ciblage d inflation proche mais inférieur à 2%), asseoir sa crédibilité. Avec un Euro, deuxième monnaie de réserve internationale, passé de 18% en 1999 à 28% en 2010, qui vaut 1.45$ 4, le combat de la crédibilité est définitivement gagné. Est donc venue pour la BCE l heure de lâcher prise, sans bien entendu laisser aller. 1 Pour des montants supérieurs aux montants de référence pré-annoncés dès l été 2007 2 En octobre 2008 3 Elle n existe que depuis 1998, quand la FED existe depuis 1913 et la Bank of England depuis 1694 4 Taux de change au 26 avril 2011 1
1998-2010 : politique monétaire centrée sur la crédibilité L environnement macro-économique propre de l Europe (zone monétaire non optimale, pays hétérogènes, poids important du secteur public, chômage élevé, cadre règlementaire stricte ) est de nature à favoriser l euro-scepticisme. Conscient de cet état de fait, la construction de l Union Economique et Monétaire (UEM) s est appuyé sur les statuts de la Bundes-Bank (la banque centrale allemande) qui jouissait d une forte crédibilité monétaire. Sur le modèle de la BUBA, a été décidé que la Banque Centrale Européenne, gérante de la monnaie commune, bénéficierait (tout comme les autres banques centrales nationales qui allaient continuer à co-exister avec elle) d une indépendance totale 5 de manière à pouvoir mener sans se soucier des cycles électoraux et des biais inflationnistes que cela induit, sa politique (art 7, statut de la BCE). Cette indépendance sur laquelle s ancre la crédibilité de la BCE, lui assure l indépendance opérationnelle (liberté des instruments de politique monétaire et des objectifs) l indépendance de ses dirigeants (gouverneurs de l eurosystème nommé pour longue période et irrévocables) l indépendance financière (la BCE a son propre budget). Autre fondement de cette indépendance, la BCE a interdiction formelle de financer les déficits publics (art 21), déficits et dettes publics qui sont encadrés par le Pacte de Stabilité et de Croissance (PSC) 6. Alors que dans ses statuts (de jure), «L objectif principal de la BCE est la stabilité des prix. Sans préjudice de cet objectif, elle peut contribuer à promouvoir un développement harmonieux et équilibré des activités économiques, une croissance durable respectueuse de l environnement, un haut degré de convergence des performances économiques, un niveau d emploi et de protection sociale élevé»; en quête de crédibilité, elle s est (de facto) imposée un objectif de ciblage d inflation stricte (2%) de façon à prouver qu elle n avait qu une parole, parole à l aune de laquelle on peut juger sa crédibilité. La BCE étant une jeune Banque Centrale, la valeur externe de l euro est (avec les anticipations d inflation) un très bon filtre d analyse de sa crédibilité. Durant sa première année de lancement, l euro s est déprécié, passant de 1 pour 1.16$ en janvier 1999, à 1 pour 0.85$ fin 2000. Ce qui peut être considéré comme preuve d une crédibilité non encore acquise pour la BCE sur la période 7. Fig.1 Evolution du taux de change /$ (99-2000) Sources : ECB, MER 5 Indépendance totale acquise pour la Banque de France en 1993 6 En vertu de la formule consacrée de Mervin King (Bank of England), les Banques Centrales ont besoin de bonnes finances pour mener de bonnes politiques monétaires, le PSC était de nature à garantir de bonnes finances des pays de la Zone Euro à la BCE. 7 Cette dépréciation s explique également en partie par le différentiel de taux d intérêt favorable à la devise américaine sur la période. 2
Depuis la monnaie unique est devenue la deuxième monnaie de réserve internationale (en constante progression), l appréciation de l euro face au dollar ne s est jamais démentie, les taux d intérêt (à court terme) ont convergé dans les différents pays de la zone euro et l inflation est sous contrôle (anticipation d inflation à un an toujours compris entre 1.5 et 2%). La bataille de la crédibilité a donc été gagnée par la Banque Centrale Européenne. Néanmoins, les performances macro-économiques de la Zone Euro en matière de croissance et d emploi laissent à désirer (et à cela est venu s ajouter les difficultés de financement des dettes publiques en Irlande, Grèce, Portugal Espagne?) Fig.2 Evolution du PIB (%, ga) Fig.3 Evolution du tx de chômage (%) Sources : FMI, MER En suivant l idée du Général de Gaulle («le Franc c est la France»), la monnaie unique doit être la Zone Euro, par conséquent la BCE devrait sortir de la solitude qui est la sienne. Par ailleurs, la monnaie n étant pas qu un voile, un ajustement du cadre de la politique monétaire est de nature à pouvoir rendre plus dynamique l économie de la Zone Euro 8. En considérant les «7 règles de bonne conduite» que les Banques Centrales devraient suivre 9, il nous semble que : 1. la BCE devrait continuer à garder son indépendance, mais dans le même temps pouvoir répondre à cette question, «indépendante de qui?». On pourrait supposer que la BCE ait des «comptes à rendre» devant le parlement européen. Mais le parlement étant constitué pour partie de représentants de pays non-membres de la Zone Euro, une «responsabilité» devant le parlement peut être problématique; ce qui plaide pour un renforcement des droits de l Eurogroupe 10. 2. La BCE devrait avoir un mandat dual 11 (inflation et croissance). Dans un contexte mondial marqué par une inflation stationnaire depuis le milieu des années 1990 grâce à la globalisation économique, l augmentation de la concurrence et le progrès technique, les anticipations d inflation sont de fait 8 Nous ne considérons pas la possibilité de retour à la souveraineté des Banques Centrales nationales, cette possibilité étant non prise en compte par les traités. De Plus, un retour à la monnaie nationale, serait pour un pays très couteux en termes de crédibilité et de confiance (en plus des coups de menu conséquents que cela induirait) 9 F Mishkin «what should central banks do» 10 Ensemble des ministres des finances de la Zone Euro 11 En réalité elle doit juste se «tenir» aux objectifs fixés par ses statuts (inflation sous contrôle, haut niveau de croissance et d emploi) 3
ancrées à un bas niveau 12. Par conséquent, le véritable combat économique à livrer dans la Zone Euro est plus contre le chômage et le faible niveau d activité que contre une «potentielle inflation galopante». La BCE avec sa politique monétaire peut activement livrer bataille en faveur de la croissance et de l emploi, les canaux étroits du crédit et des taux d intérêt étant très importants dans la Zone Euro. Par ailleurs, le taux d inflation mesuré par l IPCH 13 dans la l UEM est un taux moyen, ne prenant pas en compte les divergences structurelles d inflation entre les pays (effet Balassa-Samuelson). La BCE pourrait s intéresser à l inflation corrigée des différences de productivité afin de ne pas pénaliser les pays fondateurs de la Zone Euro ayant un niveau de vie plus élevé que dans les nouveaux pays membres. Suivre l inflation sous-jacente 14 est également une piste à envisager. 3. La BCE devrait sortir de la «mystic» qui entoure ses réunions de politique monétaire et publier les comptes rendus de ces réunions sous le modèle des «minutes de la FED»; soit être plus transparente. 4. La BCE devrait agir (plus efficacement) de façon préventive contre le ralentissement de l activité 15 et ne pas répéter les erreurs de 2002 (arrêt prématuré de la baisse des taux) et 2008 (hausse des taux en juillet 2008). La Banque Centrale Européenne n est cependant pas la seule entité de l UEM à devoir évoluer, ni ne doit être seule garante des bonnes performances économiques (inflation, chômage, croissance) de le l UEM 16. Elle doit être accompagnée dans son travail et rentrer dans un jeu coopératif (budget, change) 17 ; ainsi la Zone Euro devrait se doter d une officielle politique de change (renforcement de l Eurogroupe), d un fonds structurel de redistribution (fonds de stabilisation macro-économique) pour lutter contre les chocs asymétriques et adopter une réelle discipline budgétaire quand la conjoncture le permet. Jusque là l UEM n a érigé que des murs (inflation ciblée à 2%, PSC 18 : déficit ciblé à 3%, dette ciblée à 60%), il est grand temps de penser à mettre en place des ponts 12 Même que depuis 2003, le FMI élabore un indice de risque de déflation pour certains pays. 13 Indice des prix à la consommation harmonisé 14 Hors prix énergies et alimentaires 15 Ce que permettrait le mandat dual 16 Nous n incluons pas dans les objectifs à poursuivre pour la BCE un objectif de contrôle des prix des actifs financiers pour trois raisons : la règle de Tinbergen qui nous enseigne que multiplier les objectifs peut être contre-productif, l aléa moral qui résulterait d une situation où la BCE est garante d une Juste valeur des actifs financiers et le fait que nous pensons qu en vertu du principe de subsidiarité qui a cours en Europe, les «mauvaises pratiques financières» qui conduisent à des bulles en UEM devraient être l affaire des autorités de régulation nationales et non pas un objectif de la BCE 17 Le plus ambitieux pourrons ajouter harmonisation règlementaire et fiscale 18 Pacte de Stabilité et de Croissance 4
Fig.4 Evolution de l inflation dans le monde (%) Fig 5 Effet Balassa-Samuelson dans l UEM Sources : IMF, ECB, MER Fig.6 Evolution des taux directeurs de la FED/BCE Fig.7 Evolution du taux de change / $ Sources : ECB, FED, MER Evolution de l inflation sous jacente dans l UEM Evolution de L inflation dans l UEM Sources : ECB, MER 5
Inflation sous-jacente (core inflation): L inflation sous-jacente est l évolution du niveau général des prix débarrassée de sa composante conjoncturelle (en excluant les produits à prix volatils par exemple, c est-à-dire ceux qui subissent des mouvements très variables dus à des facteurs climatiques ou des tensions sur les marchés mondiaux). Suivre l inflation sous-jacente permettrait à la BCE de ne pas sur-réagir à l inflation. Effets Balassa-Samuelson : C est un effet caractéristique de pays dans lesquels le niveau de vie, plus faible que celui des partenaires étrangers, est en augmentation constate (cas des PECO au sein en Europe par exemple). Dans les pays connaissant ce phénomène de «rattrapage» l inflation est plus élevée que dans les pays partenaires. Le mécanisme est le suivant : Dans les pays à faible niveau de vie, il existe dans l activité des marges de progression, d autant plus rapide que ces pays bénéficient d IDE. Mais les gains de productivité se font quasi-essentiellement dans le secteur des biens échangeables (industrie) (soumis à la concurrence internationale) et non dans le secteur des biens non échangeables (services). La hausse des gains de productivité dans le secteur des biens échangeables pousse les salaires dans ce secteur à la hausse, mais cette hausse salaire se diffusera également dans le secteur des biens non échangeables (ou la productivité n a pas évolué) en vertu de la mobilité inter-sectorielle du facteur travail. Si la hausse des salaires dans le secteur des biens échangeables n a que très peu d effets sur les prix (car c est un secteur qui bénéficie de gains de productivités et qui est soumis à la concurrence internationale), dans le secteur des biens non échangeables, la hausse salariale conduit à une hausse des prix. 6