COURS DE DROIT BANCAIRE. Denis PHILIPPE Professeur à l Université catholique de Louvain



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COURS DE DROIT BANCAIRE Denis PHILIPPE Professeur à l Université catholique de Louvain 1

PARTIE I. LA RESPONSABILITE DU DISPENSATEUR DE CREDIT Introduction L importance du crédit, les événements récents l ont montré, n est plus à démontrer. La responsabilité de la banque peut être engagée lors de l octroi, lors de la poursuite ou lors du retrait de ce crédit. Par ailleurs, l exercice de l activité bancaire, si l activité de crédit est essentielle pour l économie, l on admet que l activité de crédit ne constitue pas un service public mais qu elle participe à l intérêt général. Un autre élément délicat consiste dans le fait que l institution de crédit détient des créances souvent supérieures au capital de la société débitrice et que, malgré le poids de sa présence financière, elle n a pas vocation à s immiscer dans la gestion de l entreprise et pourtant, cette immiscion serait très tentante au moment où l on constate que la société, par ses fautes de gestion, va droit au mur. Le banquier est donc souvent face à un dilemme. D un côté, il ne peut pas bloquer l entreprise dans ses activités et son développement. D un autre côté, il ne peut pas permettre la continuation d une activité manifestement déraisonnable et ne peut créer à l égard des tiers une apparence de prospérité trompeuse. Nous suivrons le plan suivant : Chapitre 1 Chapitre 2 Chapitre 3 Chapitre 4 Chapitre 5 Chapitre 6 Chapitre 7 le professionnel la responsabilité précontractuelle la responsabilité contractuelle la responsabilité à l occasion de la dénonciation du crédit la responsabilité à l égard des tiers le banquier et la caution le concours Chapitre I La responsabilité du professionnel en général 1. Le fondement Nous croyons pouvoir affirmer que la responsabilité du professionnel, en matière contractuelle, trouve son fondement dans les articles 1134 alinéa 3 et 1135 du Code civil. 2

L article 1135 permet en effet de compléter le contrat et la naissance des obligations liées au statut de professionnel compète ainsi le contrat même lorsque les parties ne l ont pas prévu. En matière quasi délictuelle, la responsabilité est fondée sur l article 1382 du Code civil. 2. S agissant du contenu de cette responsabilité, elle est basée sur les connaissances étendues et l expérience du professionnel dans un domaine bien particulier. Le professionnel connait les mécanismes. En outre, il a pu expérimenter les différentes modalités du crédit, ses points forts, mais aussi ses écueils. Le professionnel connait les mécanismes. En outre, il a pu expérimenter les différentes modalités du crédit, ses points forts, mais aussi ses écueils. - Devoir de conseil Le banquier doit également, en fonction du cas d espèce, formuler certaines propositions aux clients. Prenons l exemple suivant : vous souhaitez acheter une maison. Le banquier peut vous exposer, dans le cadre de son devoir d information ce qu est un crédit hypothécaire et ce qu est une ouverture de crédit à court terme. Mais le banquier doit également vous conseiller dans cette hypothèse la souscription d un prêt à long terme et vous déconseiller une ouverture de crédit à court terme. Le devoir d information ne doit pas porter sur toutes les informations possibles et imaginables. Quelqu un qui effectue cinq années d étude ne doit pas réexposer tout ce qu il a étudié pendant cinq ans à son client. Seule intervient ici l information pertinente. C est-à-dire celle qui est utile pour un client déterminé dans un cas d espèce. Ainsi, si votre client est juriste, vous ne devez pas lui réexpliquer ce qu est un contrat. - Devoir d avertissement ou de mise en garde Dans certaines hypothèses, lorsque le client souhaite s orienter dans une certaine direction pour un type de crédit, le banquier doit quelque fois l avertir des conséquences qui peuvent en résulter. Ainsi, dans l hypothèse où le client souhaiterait prendre un crédit à court terme pour un prêt hypothécaire, le banquier doit l avertir du caractère beaucoup plus onéreux de ce type de prêt pour le financement de l achat d une maison. 3

- Devoir de refus Dans certaines hypothèses, le banquier doit tout simplement refuser d octroyer un crédit. Ce sera notamment le cas si le crédit a pour seul objet d aggraver la situation d endettement du débiteur ou si le banquier est certain à coup sûr que ce crédit ne sera pas remboursé. Surtout en matière de relations entre entreprises, les responsabilités dans la phase précontractuelle sont partagées. Ainsi, le devoir d information du banquier s accompagne du devoir de s informer du client. Si le client veut financer la construction de maisons au Chili, c est d abord au client à s informer de la situation du marché au Chili et bien évidemment pas à la banque, mais la banque doit elle aussi bien analyser le plan financier présenté par le client pour cet investissement et vérifier sa cohérence avant de donner son feu vert à l investissement. Le devoir d information du banquier, de par sa qualité de professionnel qui suppose connaissance et expérience. Le client dispose lui aussi de connaissances et c est au client à diviser et partager ses connaissances et son expérience dans la sphère d activités et la sphère de risques qu est la sienne. Dans l appréciation de la responsabilité du banquier, ce sera toujours le même critère que celui qui est applicable en matière de responsabilité du professionnel. Il conviendra de vérifier si le banquier a agi comme l aurait fait un banquier normalement prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances. L appréciation de la responsabilité est basée sur la notion de bonne foi (article 1135 du Code civil) et cette appréciation de ce type de devoir doit rester marginale. En outre, le juge doit s abstenir de tout jugement a posteriori. Il est toujours facile de refaire l histoire après coup. Section II La responsabilité précontractuelle Voyons maintenant ce que doivent faire, dans la phrase précontractuelle, les parties, dans la cadre de la négociation du crédit. a) Obligation d investigation du banquier Le banquier doit s assurer : 4

- Que le crédit ne va pas porter sur une activité illicite. Par exemple, le développement d un trafic de drogue. - Il doit se renseigner sur la faisabilité du projet. Reprenons l exemple de la construction d un lotissement au Chili. Le banquier doit étudier le plan financier et les perspectives de revenue. - Les données objectives : le banquier va se référer aux bilans antérieurs, l absence de faillite de l emprunteur, etc - Les données subjectives : elles sont bien évidemment fort importantes. Ce sera à l entretien que le banquier pourra voir avec le client, les renseignements que le banquier a pu avoir sur son honnêteté, etc - Le banquier ne doit pas faire une analyse approfondie de l ensemble de ces éléments. Le banquier n est pas un détective. b) Etendue de l analyse du banquier : paramètres L on tiendra compte : - De l importance et de la nature du crédit, ainsi que de son opportunité. - De la nature, de la taille et de la situation financière de l entreprise - Des risques encourus. A ce stade, la certitude d être remboursé grâce aux sûretés ne suffit pas. c) Détails de l obligation d information Le cadre détaillé va varier en fonction de la connaissance ou de l ignorance du crédité, ainsi que de la complexité de l opération. Que dit la jurisprudence concernant la problématique? - Le critère essentiel est de savoir si, lorsque l on octroie un crédit, la situation du crédité est irrémédiablement compromise. Dans cette hypothèse, le devoir de refus est évident. L institution de crédit ne doit pas non plus consentir un crédit excessif. - L erreur sur les chances de succès d une entreprise n entraîne pas la responsabilité du banquier. Par contre, sa responsabilité a pu être mise en cause lors de l octroi d un crédit sans vérifier le bien fondé des affirmations de l emprunteur. - Enfin, il n est pas fautif de la part du banquier de ne pas demander des sûretés suffisantes. Section III La responsabilité contractuelle Pendant la durée du crédit, le banquier a une obligation de vigilance ; il ne doit pas laisser s aggraver une situation obérée notamment. 5

L on peut prendre l exemple suivant : une banque a comme client quelqu un qui s adonne au jeu, celui-ci demande des crédits complémentaires qui lui sont octroyés. Par la suite, la banque postule la restitution des sommes prêtées tandis que l avocat du client invoque la responsabilité de la banque qui aurait dû vérifier si elle pouvait donner un crédit supplémentaire à ce monsieur qui s adonnait au jeu. L action a été rejetée ppour la bonne raison que la banque ne pouvait pas vraiment se douter, sur base des informations reçues, de la destination qui serait donnée à l argent. Comme déjà indiqué, le devoir de vigilance de la banque doit s exercer sans immixtion de celleci dans la gestion de la société. La banque ne doit pas interférer sur la politique commerciale, la politique du personnel, les achats de matériel, la gestion technique ou administrative. Section IV Responsabilité en cas de rupture du crédit C est ici que se révèle de manière la plus aiguë le dilemme du banquier. S il poursuit le crédit, il peut être tenu responsable d avoir aggravé le passif du débiteur tandis que s il la refuse, les conséquences peuvent être telles que la société peut également être déclarée en faillite. Il faut rappeler à cet égard que le contrat de crédit est un contrat généralement intuitu personae, en telle sorte que la relation personnelle et de confiance entre parties est vitale et si celle-ci vient à disparaître, il est aussi assez logique que le banquier puisse mettre fin au contrat. Ce qui est généralement reproché à la banque, c est la rupture brutale du crédit ; par exemple si une saisie est effectuée alors que des délais de paiement avaient été convenus. Soulignons aussi que de nombreuses clauses dans le contrat organisent la faculté pour la banque de mettre fin au contrat dans des hypothèses bien déterminées ; par exemple la diminution du patrimoine du crédité. Rappelons que la mise en application de ces clauses doit faire l objet d un contrôle par le principe de bonne foi et par la notion d abus de droit. Rappelons aussi que, sauf dérogation contractuelle, une mise en demeure préalable est requise avant la résolution du contrat. Mettre en cause la responsabilité du dispensateur de crédit est loin d être évidente. Il faut prouver le lien causal et de nombreuses demandes sont rejetées pour manque de lien causal entre l éventuelle faute du banquier et le dommage. Ainsi, imputer au banquier la responsabilité pour le passif d une faillite parce qu il aurait continué à octroyer du crédit n est pas évident. En effet, une faillite a bien évidemment d autres causes que le seul octroi de crédit par un banquier. Rappelons qu en droit belge, c est la théorie de l équivalence des conditions qui prévaut. Sont prises en considération toutes les fautes sans 6

lesquelles le dommage ne se serait pas produit. Le lien causal doit cependant présenter un caractère certain 1. Dans tout dommage, là aussi il faut prouver l entièreté du dommage subi par le crédité. Le dommage doit lui aussi présenter un caractère certain. Section V Responsabilité à l égard des tiers Le banquier peut être aussi déclaré responsable à l égard des tiers de l aggravation du passif qui peut résulter de l octroi du maintien ou de la dénonciation du crédit. Là aussi, la dénonciation abrupte du crédit peut avoir des répercussions et entraîner la faillite et le banquier peut assumer une partie des responsabilités à cet égard. Le banquier peut également être responsable pour la communication de faux renseignements concernant le débiteur. Le banquier peut effectivement faire savoir à un candidat prêteur que l emprunteur jouit d une bonne réputation et d une solvabilité suffisante. Cette responsabilité reste assez rare. Là aussi il faut prouver la faute, le lien causal et le dommage et en outre, le banquier lorsqu il remet de telles attestations, l accompagne généralement d une clause d exonération de responsabilité (disclaimer). La responsabilité du banquier peut être mise en cause lorsqu il accepte que le crédit soit affecté à d autres fins que celles qui étaient prévues dans le contrat. Le banquier peut aussi avoir engagé sa responsabilité comme gestionnaire de fait. En effet, si dans le cadre de la gestion du crédit, la banque intervient de manière trop active dans la société et sa gestion, sa responsabilité peut être mise en cause. Ainsi, la Société nationale de crédit à l investissement ( organisme pubique) fut condamnée en 1982 à rembourser au curateur le capital de la faillite. Section VI Relation entre la banque et la caution Le banquier a une obligation d information à l égard de la caution (celle-ci sera différente si c est le gérant de la société qui s est porté caution). La caution pourra invoquer pour s opposer aux- remboursement des fonds non payés par le débiteur principal l erreur et le dol si elle ne disposait pas d informations pertinentes et déterminantes dans l octroi de sa caution. La caution pourra également invoquer l article 2037 du Code civil au terme duquel : «la caution est déchargée lorsque la subrogation au droit, hypothèque, et privilège du créancier, ne peut plus, par le fait de ce créancier, s opérer en faveur de la caution». L on peut prendre comme exemple le fait que la banque ne renouvelle pas l inscription du gage sur fonds de commerce à la conservation des hypothèques dans les délais légaux. 1 Cassation, 1 er avril 2004 7

Section VII Quid en cas de situation de concours et de désignation d un curateur ou d un administrateur provisoire? Se pose dans cette hypothèse la question de savoir qui peut exercer l action en responsabilité du dispensateur de crédit. Un créancier individuel ou bien le curateur ou l administrateur pour la gestion collective du patrimoine? Lorsque le préjudice est un préjudice propre au créancier, celui-ci pourra exercer l action à titre individuel. Si par contre c est l ensemble de la masse qui est concernée, ce sera le curateur ou l administrateur de la masse qui sera compétent. L on peut prendre l exemple suivant qui est un cas limite : une banque donne une fausse information sur la situation financière d un acheteur qui est par la suite déclaré en faillite. L on pourrait considérer dans cette hypothèse que le préjudice du fournisseur qui octroyait un délai de paiement allongé à ce futur failli est un préjudice qui peut être réclamé par le créancier individuel à la banque car il s agit d un préjudice qui lui est propre, lié à une situation bien déterminée. PARTIE II LES GARANTIES INTERNATIONALES Seront étudiées successivement dans la présente partie en premier lieu, le crédit documentaire (chapitre I), la garantie à première demande (chapitre II), la lettre de patronage (chapitre III) et la fiducie (chapitre IV). CHAPITRE I LE CREDIT DOCUMENTAIRE SECTION I NOTIONS Le crédit documentaire présente une importance économique considérable puisqu il représente 14% du commerce international et en 2005, plus de 1000 milliards d euros étaient couverts par le crédit documentaire. 8

Prenons un exemple. Un vendeur de produits textiles belge a la possibilité de vendre des produits textiles en Thaïlande pour un montant de 10 millions d euros. Son problème est qu il ne connaît pas son futur partenaire commercial. Il ne sait pas s il est solvable, s il est honnête, et il ne connaît pas les risques du marché thaïlandais. Aussi, pour couvrir tous ces risques, il convient dans le contrat de vente que le paiement aura lieu par voie de crédit documentaire. Dans le contrat entre vendeur et acheteur (repris dans la flèche du bas), une clause relative à ce mode de paiement sera donc incluse. Quelles sont les étapes pour l ouverture de ce crédit documentaire? 9

L acheteur se rendra auprès d une banque ; il y ouvrira un crédit (deuxième flèche latérale droite du schéma), ensuite la banque enverra au vendeur une lettre dans laquelle elle déclare qu elle est disposée à payer le montant de la vente, soit 10 millions, moyennant la présentation de documents. Ces documents peuvent être très variés, l on y reviendra, mais ils comprendront en tout cas des originaux : - La facture - La lettre de transport - La police d assurance des marchandises Par ces documents, la banque prend donc un engagement unilatéral envers le vendeur de payer le prix de vente moyennant présentation de documents. Il s agit d un crédit puisque la banque consent un crédit à l acheteur ; on l appelle documentaire puisqu il est basé sur la présentation de documents. Cependant, le vendeur ne connaît pas toujours la banque du pays de l acheteur et elle préfère avoir affaire à une banque qu elle connaît en qui elle a confiance. C est la raison pour laquelle intervient fréquemment une banque du pays du vendeur (banque B sur le tableau ci-joint). Cette banque deviendra l interlocuteur du vendeur et les documents transiteront par elle. Nous verrons plus loin quelles sont les différents rôles que peut jouer cette banque. SECTION II SOURCES JURIDIQUES DES REGLES EN MATIERE DE CREDIT DOCUMENTAIRE Les mécanismes du commerce international dépassent fort souvent les réglementations nationales. Par ailleurs, il n existe pas en tant que tel un ordre juridique du commerce international. Comment combler ces lacunes? Parfois, des conventions internationales sont conclues entre Etats dans des domaines bien déterminés. L on pense à la convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises. Fort souvent, ce seront les usages qui viendront régir les pratiques du commerce international. Le crédit documentaire en constitue un excellent exemple. La caractéristique en matière de crédit documentaire est que ces règles ont été codifiées, sous l égide de la Chambre de Commerce International dont le siège est situé à Paris. Les règles et usances en matière de crédit documentaire ont fait l objet de travaux de la part de sections spécialisées de la Chambre de Commerce International depuis près d un siècle. Les premières règles ont été édictées en 1933. Elles ont été modernisées au cours des décennies et actuellement, ce sont les règles et usances 600 ( RUU 600 ou en anglais UCP 600) qui sont en vigueur depuis le 1 er janvier 2007 qui régissent cette matière. Cette codification des usages améliore la sécurité juridique, mais n est pas à assimiler à l élaboration d une loi qui elle est basée sur un processus de démocratie représentative. 10

Les règles et usances définissent les principales notions du crédit documentaire et délimitent également les obligations des différentes parties. L on y reviendra ultérieurement. 11

SECTION III.TYPES DE CREDIT DOCUMENTAIRE 1. CREDIT DOCUMENTAIRE NOTIFIE OU CONFIRME L on se souviendra dans le schéma originaire où intervenait également une banque du pays du vendeur à la fois pour sa facilité et aussi pour être rassuré, s il ne connaît pas la banque du pays de l acheteur. Comme nous l avions énoncé, cette banque peut assumer différentes fonctions. La banque peut jouer un rôle de «facilitateur», c est-à-dire qu elle recevra les documents, le paiement transitera par elle et elle répondra à toutes les questions des différentes parties et plus spécifiquement du vendeur dont elle sera généralement la banque attitrée. Il s agira alors d un crédit documentaire notifié. En cas de faillite de la banque du pays de l acheteur, la banque du pays du vendeur ne doit pas payer. Le crédit documentaire peut également être confirmé. Cela signifie que la banque belge sera tenue solidairement avec la banque thaïlandaise. En d autres termes, si la banque A du pays de l acheteur fait faillite, la banque B du pays de l acheteur devra payer. 2. CREDIT DOCUMENTAIRE IRREVOCABLE. Le crédit documentaire est désormais toujours irrévocable. Ceci signifie qu une fois donné l ordre à la banque d émettre cette lettre de crédit et que celle-ci est émise, le donneur d ordre, à savoir le donneur d ordre, ne peut plus donner instruction à la banque de ne plus payer, en d autres termes, de révoquer le crédit et l engagement à l égard du vendeur. 3. CREDIT DOCUMENTAIRE TRANSFERABLE. Prenons l exemple suivant : un importateur belge vend à un client italien des cochons. L importateur belge situé à Bruxelles a lui-même acheté ses cochons à un éleveur en Flandre occidentale. Plutôt que de payer directement son propre vendeur en Flandre occidentale, l importateur belge peut lui transférer le crédit documentaire et payer par la banque italienne de l acheteur final (voir schéma). Il évite ainsi de devoir dépenser inutilement des fonds. Le crédit documentaire transférable doit être identique au crédit documentaire originaire moyennant trois différences : - Le nom d un bénéficiaire - Le prix 12

- Les formalités de l article 1690 du Code civil relatives à l opposabilité de la cession de créance ne doivent pas être respectées si les modifications ne portent que sur ces trois points. 2 4 Crédit documentaire à paiement différé. Dans cette hypothèse, lorsque les documents sont présentés à la banque, celle-ci ne doit payer que dans un temps plus lointain, par exemple 90 jours. L avantage sera (voyez schéma ciannexé) pour l acheteur de pouvoir revendre ses marchandises à un tiers pendant cette période de délais, ainsi comme en matière de crédit documentaire transférable, il ne devra pas lui-même sortir les fonds de sa propre caisse. 2 Paris, 26 mars 1986, Dalloz, 1986, p.374. 13

5. Crédit documentaire négociable. Dans cette hypothèse, un effet de commerce est remis au vendeur qui peut alors le négocier par la voie d escompte notamment auprès d institutions de crédit. SECTION IV LA RELATION ENTRE LES DIFFERENS ACTEURS Cette section se limitera aux obligations de la banque. 1 Vérification des documents. Celle-ci doit vérifier les documents (elle ne souscrit pas d obligation à l égard du bénéficiaire du crédit). En cas de vérification tardive des documents, la banque peut engager sa responsabilité 3. La vérification doit être marginale. La banque peut s en tenir aux apparences et ne doit pas procéder à une analyse par exemple graphologique de tous les documents. Ces obligations de la banque sont reprises dans les règles et usances. 3 Cassation française, 5 juillet 1983 14

La date d expiration est un élément très important. En effet, plus aucun paiement n est admis après cette date et toute prolongation du crédit suppose l accord des parties. 2 Les documents Les documents usuellement remis sont la facture, la police d assurance et la lettre de transport. Il arrive que d autres documents soient demandés, par exemple un certificat de quantité ou de qualité des produits vendus. La banque peut-elle faire compensation entre sa créance et la créance qu elle détient à l égard du vendeur? Une réponse affirmative doit être donnée. SECTION V CARACTERE AUTONOME DU CREDIT DOCUMENTAIRE Le crédit documentaire serait impossible si la banque devait vérifier chacune des marchandises qui arrive au port ; aussi la banque paie uniquement sur la base de documents et son engagement est tout à fait autonome par rapport à l opération de base. 1 Quid si la marchandise est affectée d un vice? Il s agit d un élément étranger au crédit documentaire 4. 2 Mais si les documents sont non conformes, la banque, on l a vu, a une obligation de vérification. 3 Que peut faire le donneur d ordre si les marchandises sont non conformes? On l a vu, si les marchandises sont affectées d un vice, l acheteur est sans recours en principe. 4 Peut-il faire une saisie-arrêt pour bloquer les fonds et empêcher la banque de payer? La majorité de la jurisprudence le refuse 5, estimant qu il s agit d un crédit qui a été consenti de manière irrévocable et donc le donneur d ordre ne peut manger sa parole. Ceci étant, rien n empêche dans le chef du donneur d ordre de saisir des créances qui sont étrangères au crédit documentaire. En d autres termes, le caractère irrévocable concerne uniquement la créance entre vendeur et acheteur telle qu elle résulte de l ordre irrévocable du donneur d ordre lors de la constitution du crédit documentaire. 5 Puisque la saisie-arrêt ne constitue pas le moyen le plus adéquat pour bloquer le crédit documentaire, d autres procédures s offrent-elles au donneur d ordre? Le donneur d ordre est en droit d introduire une procédure en référé devant le Président du Tribunal de commerce pour 4 Cassation française, 7 avril 1987, Dalloz, 398 5 Cass. Belge, 23 juin 1994, p. p.637 ; civ. Bruxelles, 31 octobre 1985, JT, 1986, 481. Pour une acceptation de la saisie voy. Cass.fr.com, 16 décembre 2008, n 07-18.729. 15

interdire à la banque de procéder au paiement du crédit documentaire. Cette procédure ne sera ouverte que dans des conditions bien exceptionnelles, à savoir la fraude du vendeur. La notion de fraude est très subjective mais il faut bien garder en tête qu admettre une vision trop large de la fraude aurait pour effet de nuire à l institution du crédit documentaire elle-même. L on peut prendre quelques exemples illustratifs. L on peut prendre l affaire Troubadour qui donne une interprétation très large à la notion de fraude. Des cassettes sont apportées de Hong-Kong. Le contrat prévoyait que la qualité devait absolument être la plus haute. La mauvaise qualité des cassettes est épinglée dès la réception ; le vendeur chinois l admettait. La mauvaise qualité est constatée par l expert. Le vendeur de Hong-Kong reste silencieux et dans pareilles circonstances, le Président du Tribunal de commerce a estimé qu il y avait fraude dans le chef du vendeur chinois de réclamer le paiement de crédit documentaire. 6 En deuxième lieu, l on peut discuter de la jurisprudence relative au paiement différé. En effet, en cas de paiement différé, un délai assez long, par exemple 90 jours, s écoule entre le moment où les documents sont présentés au banquier et le moment où le paiement doit avoir lieu. Pendant cette période, l acheteur a tout le temps de vérifier les marchandises et d introduire une action en justice. Doit-on y voir une volonté d assouplir les conditions de la fraude? La jurisprudence française la plus autorisée donne à cette question une réponse négative. En effet, le crédit documentaire à paiement différé constitue un simple moyen de crédit. L affaire soumise à la jurisprudence française concernait l hypothèse suivante : des pommes de terre étaient exportées d Espagne en France. À l arrivée, la quantité de pommes de terre trouvée dans le bateau était deux fois inférieure à celle stipulée sur la facture. La Cour de Cassation française considéra que la fraude était avérée. Un troisième cas concerne le crédit documentaire transférable (voir schéma relatif au crédit documentaire transférable. L affaire portait sur l importation de cochons. 7 Lors de la présentation des documents à la banque (en l occurrence, la Générale de Banque, à l époque), la banque constata certaines irrégularités (la police d assurance n était pas une police d assurance tous risques comme prévue dans l octroi du crédit documentaire). Elle fit renvoyer les documents sans reconnaissance de responsabilité et les documents ne lui revinrent que le 28 octobre, date à laquelle le crédit documentaire avait expiré. Le vendeur originaire reprochait à la Générale de Banque de ne pas avoir procédé au paiement. En première instance, le Juge donna raison au vendeur des cochons et estima que la banque avait implicitement accepté de payer le crédit documentaire en acceptant que des corrections soient effectuées. Cette décision a été réformée en degré d appel. La Cour d appel a considéré que c était à juste titre que la Générale de Banque avait fait valoir l irrégularité des documents Le fait d avoir permis une correction des documents ne peut engager la responsabilité de la banque, celle-ci l ayant d ailleurs fait savoir sans reconnaissance de responsabilité aucune. 6 Ordonnance, 19 mai 1990, 7 Appel Bruxelles, 19 septembre 1990, RG 1918/88. 16

6 Résolution des conflits. Enfin, s agissant de la résolution des conflits, il existe une procédure (docdex) établie par la Chambre de Commerce International qui vise à permettre une méthode de résolution amiable rapide des conflits en matière de crédit documentaire. Cette procédure, à ma connaissance, n est pas tellement utilisée. CHAPITRE II LA GARANTIE A PREMIERE DEMANDE SECTION I NOTIONS Comme en matière de crédit documentaire, prendre un exemple parait opportun (voir tableau ciannexé) : un entrepreneur belge a la possibilité de construire un hôpital pour le gouvernement saoudien. Le gouvernement saoudien est en position de force dans la négociation et souhaite obtenir une garantie efficace. Le mieux serait bien entendu qu il puisse disposer sur son compte à lui d une certaine somme. Cependant, l entrepreneur belge sera peu enclin à se déssaisir de fonds qui lui sont fort utiles. Aussi, la solution suivante a été trouvée dans le cadre du commerce international : l entrepreneur belge s adresse à sa banque et lui demande aussi de constituer une 17

garantie en sa faveur. Une fois accord trouvé entre l entrepreneur belge et la banque, celle-ci va émettre une lettre de garantie à première demande en faveur du gouvernement saoudien. La banque belge va adresser au gouvernement saoudien une lettre dans laquelle elle s engage à payer un montant, par exemple de 10 millions d euros, montant de la garantie convenue, à première demande au gouvernement saoudien. Il s agira alors d un engagement autonome par rapport au contrat d entreprise. Il est possible que le gouvernement saoudien soit très peu enthousiaste d obtenir cet engagement d une banque belge qu il ne connait pas. Aussi, intervient à côté de la banque garante émettrice originaire de la lettre de garantie, une banque contre garante qui prend un engagement identique envers le gouvernement saoudien. En cas d appel à la garantie, le gouvernement saoudien s adressera à la banque saoudienne, laquelle se retournera par la suite pour sa part contre la banque belge. Même si la banque belge a par exemple fait faillite, la banque saoudienne devra en toute hypothèse payer les montants. Voici quelques exemples de lettres de garantie. 18

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SECTION II FIGURES JURIDIQUES VOISINES 1 Garantie autonome et cautionnement 21