MECANISMES DE DESTRUCTION DE LA COUCHE D OZONE

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MECANISMES DE DESTRUCTION DE LA COUCHE D OZONE Jean-Pierre Sawerysyn Physico-chimie des Processus de Combustion et de l Atmosphère UMR-CNRS 8522 Université des Sciences et Technologies de Lille I Comment se forme l ozone au niveau de la stratosphère? Comment est-il détruit? Comment l équilibre résultant des processus naturels de formation et de destruction de l ozone est-il perturbé par les activités humaines? Cet article se propose de répondre à ces différentes questions en rappelant brièvement les divers facteurs qui ont alimenté la problématique de la couche d ozone. L impact des activités humaines et particulièrement le rôle joué par les CFC sur la destruction de la couche d ozone ainsi que les solutions proposées pour en réduire les effets nocifs sont exposés et discutés. Organisation de l atmosphère et couche d ozone L atmosphère terrestre est subdivisée en plusieurs couches dont le passage de l une à l autre est caractérisé par une inversion de température. Ainsi, du sol à 12 km environ d altitude (à notre latitude) est définie la troposphère, séparée de la stratosphère (12-50 km d altitude) par une zone d inversion de température appelée tropopause (Fig. 1). Quand on examine la répartition de l ozone dans l atmosphère, on constate que la concentration la plus élevée se situe entre 25 et 30 kilomètres d altitude dans la stratosphère : c est la couche d ozone. En fait, la concentration de l ozone dans l atmosphère est soumise à une très grande variabilité spatio-temporelle aussi bien en fonction de l altitude qu en fonction de la latitude du point terrestre considéré. Ainsi, si l on s attend à une production photochimique maximale de l ozone à l équateur, les phénomènes de transport impliqués dans la distribution spatiale de l ozone conduisent en fait à une augmentation de la concentration de l ozone stratosphérique de l équateur aux pôles. De fait, la concentration de l ozone à un instant et à une coordonnée fixés résulte de couplages de phénomènes complexes de type radiatif, chimique, climatique et hydrodynamique. Dans la suite de cet exposé, on se limitera essentiellement : Figure1 : Profil vertical de la concentration de l ozone atmosphérique - aux aspects radiatifs, pour expliquer la chimie observée ; - aux aspects hydrodynamiques, pour expliquer le brassage des espèces mises en jeu et certains phénomènes observés au niveau des pôles. Métrologie et Ozone : La concentration de l ozone dans la colonne atmosphérique s exprime en unités Dobson, du nom de G.M.B DOBSON qui fut l un des premiers scientifiques à étudier (de 1920 à 1960) l ozone stratosphérique. Pour quantifier l ozone à partir du sol, il conçut un spectromètre d absorption permettant de mesurer les intensités des rayons UV solaires à quatre longueurs d onde différentes, deux longueurs d onde étant absorbées par l ozone, deux ne l étant pas. Le spectromètre «Dobson» continue à être une référence pour toutes les mesures de l ozone total. Le principe de mesure est le suivant : il s agit de définir une colonne d air de section 5 10 de latitude 2

et longitude. Si l on rapporte la quantité d ozone contenue dans cette section au sol, on définit alors une couche uniforme d ozone d une certaine épaisseur dans les conditions normales de température et de pression (0 C et 1013 hpa). Par définition, une unité Dobson représente la quantité d ozone contenue dans une couche d épaisseur de 0,01 mm. Ainsi, au niveau du Labrador, si l épaisseur est de 3 mm, la concentration de l ozone total sera de 300 unités Dobson. Comment se forme l ozone au niveau de la stratosphère? L ozone (O 3 ) est formé dans la stratosphère par recombinaison des molécules de dioxygène avec les atomes d oxygène résultant de la photolyse du dioxygène initiée par les rayons UV solaires : O 2 + hν (λ< 240 nm) O ( 3 P) + O ( 3 P) O( 3 P) + O 2 + M O 3 + M (M = O 2 ou N 2 ) A ces processus de formation s opposent des processus de destruction par photolyse et attaque radicalaire de l ozone lui-même : O 3 + hν (λ< 310 nm) O ( 1 D) + O 2 O 3 + O ( 1 D) O 2 + O 2 (lente) Ces quatre réactions définissent le cycle proposé par S. CHAPMAN en 1930. Elles conduisent à une concentration photo-stationnaire de l ozone stratosphérique dont la valeur calculée demeure largement excédentaire par rapport à celle réellement observée au niveau de la stratosphère. Quels sont les autres phénomènes susceptibles de renforcer les processus de destruction de l ozone dans la stratosphère? Les autres sources de destruction. Pour rendre compte de la concentration réelle de l ozone stratosphérique, il est nécessaire de supposer l intervention d autres processus chimiques de destruction que ceux imaginés par CHAPMAN. Ainsi, il existe des composés moléculaires minoritaires, d origine naturelle et/ou anthropogénique 1, qui ont un temps de résidence dans la troposphère suffisamment long et contribuer à la destruction de la couche d ozone. Il s agit du méthane CH 4 (principalement d origine naturelle, fermentation de matière organique ), et de l oxyde nitreux N 2 O (sols, océans, biomasse, industries). A ces deux composés, il faut ajouter des espèces halogénées RX (X = Cl, Br ou I) émises par les océans (CH 3 X) accédant plus ou moins à la stratosphère, et surtout les ChloroFluoroCarbures (CFC : CF 3 Cl, CF 2 Cl 2,..) qui ont été massivement produits depuis la seconde guerre mondiale, en raison de leurs propriétés exceptionnelles (faible toxicité, miscibilité avec l eau et l huile, ininflammabilité, pouvoir solvant, etc..). Cependant, leur production marqua le pas à partir de 1974 en raison de la saturation de certains débouchés et des premières inquiétudes soulevées par l article de M.G MOLINA et F.S ROWLAND (Nature, 1974) ayant attiré l attention de la communauté scientifique sur les effets potentiellement néfastes des CFC sur la couche d ozone. Chimie et dynamique Le méthane, l oxyde nitreux et les composés halogénés (principalement les composé issues de l activité humaine) CFC ont une durée de vie suffisamment longue dans la troposphère pour y subir un brassage important et, par un processus d éjection, entrer dans la stratosphère où les rayons UV du soleil sont particulièrement énergétiques. Ces composés vont alors être photo-dissociés et libérer des espèces radicalaires très réactives telles que OH, NO et Cl qui vont à leur tour donner naissance à de nouveaux processus chimiques et de nouvelles espèces radicalaires (HO 2, ClO,..) ou moléculaires (NO 2, HO 2 NO 2, HCl, ). Molécules et radicaux peuvent interagir et former deux types d espèces moléculaires : des espèces dites «réservoirs» telles que HO 2 NO 2, ClONO 2, HOCl, ), qui en stockant certains radicaux, limitent leurs capacités à détruire l ozone, des espèces dites «puits» telles que HCl, HNO 3, H 2 O 2, très solubles dans l eau, qui sont lessivées et retombent dans la troposphère (et disparaissent ainsi de la stratosphère). Mais quel est l impact de cette nouvelle chimie radicalaire sur la couche d ozone? Pour expliquer l écart entre les valeurs calculées 3

(à partir du cycle de CHAPMAN) et mesurées de la concentration de l ozone, il est nécessaire comme l ont proposé MOLINA et ROWLAND pour les espèces chlorées, de postuler l intervention de nouveaux cycles catalytiques de destruction de l ozone, ces cycles étant initiés par les radicaux formés par la photolyse des composés moléculaires qui atteignent la stratosphère. Prenons l exemple d un CFC, le CFC-11 (CFCl 3 ). Libéré dans la troposphère par les activités humaines, ce composé a une réactivité troposphérique avec les radicaux OH si faible que sa durée de vie moyenne dans la troposphère est évaluée à 60 ans. Ce temps de séjour et les processus dynamiques agissant dans la troposphère lui permettent de parvenir à la stratosphère et y subir l action des rayons UV. Deux réactions de photodissociation peuvent avoir lieu, avec des rendements quantiques relativement importants : CFCl 3 + hν CFCl 2 + Cl CFCl 3 + hν CFCl + 2 Cl (a) (b) En effet, les atomes de chlore impliqués dans ces cycles étant régénérés, peuvent détruire plusieurs centaines de milliers de molécules d ozone tant qu ils n ont pas réagi avec une autre molécule pour donner un composé «puits» qui sera lessivé. Bien entendu, l appauvrissement de la couche d ozone ne peut être réduit qu en limitant les émissions de polluants d origine anthropogénique. C est le cas des CFC qui sont les sources principales d atomes de chlore. Par ailleurs, MOLINA observa que la contribution relative des différents cycles sur la destruction de l ozone variait en fonction de l altitude. Ainsi, le traitement des modèles chimiques correspondant aux différents cycles catalytiques impliquant les couples NO/NO 2 (NOx), OH/ HO 2 (HOx) et Cl/ClO (ClOx), montre une contribution plus importante des NOx à basse altitude, des ClOx aux altitudes moyennes (cycle d oxydation), et des HOx aux altitudes élevées (photolyse). le rendement quantique définissant le nombre d atomes de chlore libérés par quantum d énergie absorbé. A 214 nm, le rendement quantique de la réaction (a) est quasiment égal à 1. Cette capacité à libérer des atomes de chlore qui vont par la suite initier de nouveaux cycles de destruction de l ozone est exploitée pour définir le potentiel de destruction de l ozone ou ODP (Ozone Depletion Potential). Le CFC-11 servant de référence à la définition de ce potentiel aura donc un ODP égal à 1. Cycles catalytiques de destruction de O 3 L appauvrissement de la couche d ozone observé aux latitudes moyennes est attribué aux cycles catalytiques de destruction de l ozone suivants : X + O 3 XO + O 2 XO + O X + O 2 ----------------------- O 3 +O O 2 + O 2 avec X = Cl, NO ou OH. Ces réactions de catalyse homogène vont donc renforcer la destruction de l ozone. Figure 2 : Contribution relative des différents cycles catalytiques à la destruction de l ozone stratosphérique Le trou d ozone Ce phénomène est observé périodiquement au-dessus de l Antarctique, dès la réapparition du soleil annonçant le printemps austral. Il se traduit par une décroissance significative des valeurs moyennes de l ozone total : 4

Figure 3 : Mesures de l ozone total à Halley Bay de 1955 à 1995. Figure 4 : Situation exceptionnelle du 3 septembre 2000 Ainsi, les valeurs moyennes mesurées au sol à la station HALLEY BAY au cours du mois d octobre de 1955 à 1995 (Fig. 3), passent d un niveau équivalent de 300 à 100 unités Dobson. L évolution de ces mesures a été confirmée à partir de l instrument satellitaire TOMS (Total Ozone Mapping Spectrometer). Chaque année, ce phénomène apparaît mais il est plus ou moins accentué selon les années. Figure 2 : Moyennes mensuelles pour différents mois d octobre de O 3 total, mesuré par l instrument satellite TOMS. En septembre 2000, le trou d ozone couvrait une surface trois fois plus importante que celle de 1998. Il s'étala sur un secteur important de l Atlantique et jusqu à la pointe de l Amérique du sud. Comment interpréter cet abaissement considérable de la valeur moyenne de l ozone au-dessus de l Antarctique? Conditions de formation du trou d ozone Deux conditions paraissent essentielles pour observer ce phénomène. La première concerne les conditions météorologiques, qui se caractérisent d une part, par une absence de soleil durant les 6 mois de l hiver polaire conduisant à un abaissement des températures jusqu à 80 C et d autre part, par la création d une circulation tourbillonnaire (vortex) des couches d air produisant un confinement des molécules. Cette situation est typique du pôle Sud. Figure 5 : Trajectoire d e particules illustrant l existence d un vortex au-dessus de l Antarctiqu 5

Ces très basses températures, combinées avec le vortex, donnent naissance à des nuages stratosphériques polaires. L apparition de ces nuages définit la seconde condition de l observation du trou d ozone. Cette condition est indispensable car en l absence de nuages, aucun trou d ozone ne peut être observé. Cependant, le facteur déterminant cette cascade de phénomènes reste l obtention de basses températures. Deux types de nuages polaires ont été identifiés : le premier (type 1) est constitué de particules solides ou liquides d acide nitrique trihydraté portées à des températures voisines de 195 K, le second (type 2) est formé de cristaux de glace pure soumis à des températures voisines de 188 K. et se situe à 25 kilomètres environ d altitude. L apparition des nuages polaires favorise l adsorption de certaines molécules normalement présentes en phase gazeuse, telles que N 2 O 5, dont la photolyse aurait libéré NO 2 qui lui-même aurait pu réduire l abondance des radicaux X et XO (X= Cl ou Br) en les stockant sous la forme de molécules-réservoirs XNO 2 et XONO 2. Les nuages polaires induisent donc une dénoxification de la stratosphère au profit des espèces radicalaires présentes de type X/XO. Durant tout l hiver, en absence de soleil, les molécules réservoirs piégées dans le vortex vont ainsi s adsorber sur les particules solides des nuages et y développer une chimie hétérogène tout à fait particulière qui, jusqu à présent, n avait pas été prise en compte dans les modèles de chimie atmosphérique. C est pourquoi la découverte du trou d ozone à partir des mesures au sol et des observations satellitaires fut totalement inattendue. Mais comment expliquer l apparition soudaine du trou d ozone au printemps, dès que le soleil apparaît? Chimie hétérogène La disparition de l ozone dès l apparition du soleil est nécessairement liée à l intervention de nouvelles réactions de photolyse dont les produits radicalaires initieraient de nouveaux cycles catalytiques de destruction de l ozone. Ces nouvelles réactions de photolyse devraient mettre en cause des composés moléculaires libérés et accumulés en phase gazeuse pendant compte de la conversion d'espèces-réservoirs en espèces gazeuses photodissociables. Les réactions hétérogènes principalement envisagées sont les suivantes : HCl(s) + ClONO 2 (ads) HNO 3 (s) + Cl 2 (g) HCl(s) + HOCl(ads) H 2 O(s) + Cl 2 (g) HCl(s)+N 2 O 5 (ads) HNO 3 (s) + ClNO 2 (g) H 2 O(s) + ClONO 2 (ads) HNO 3 (s) + HOCl(g) H 2 O(s) + N 2 O 5 (ads) HNO 3 (s) + HOCl(g) Dès l apparition du soleil, Cl 2, ClNO 2 et HOCl libérés en phase gazeuse, sont alors photodissociés et génèrent de nouveaux radicaux Cl, OH et ClO. Nouveaux cycles catalytiques de destruction Trois cycles, étudiés en laboratoire, ont été proposés pour expliquer la destruction considérable de l ozone stratosphérique au printemps polaire : Cycle I (SALOMON et al., 1986) : Cl + O 3 ClO + O 2 OH + O 3 HO 2 + O 2 ClO + HO 2 HO 2 + O 2 HOCl + h ν OH + Cl O 3 + O 3 O 2 + O 2 + O 2 Cycle II (Mc ELROYet al., 1986) : Cl + O 3 ClO + O 2 Br + O 3 BrO + O 2 BrO + ClO Br + Cl + O 2 ------------------------------------------ O 3 + O 3 O 2 + O 2 + O 2 Cycle III (MOLINA &MOLINA., 1987) : 2 (Cl + O 3 ClO + O 2 ) ClO + ClO +M Cl 2 O 2 + M Cl 2 O 2 + h ν ClO 2 + Cl ClO 2 + M Cl + O 2 + M ------------------------------------------ O 3 + O 3 O 2 + O 2 + O 2 6

Le cycle I ne pouvant pas expliquer notamment l anti-corrélation existant entre le brome et l ozone (quand la concentration du brome augmente, celle de l ozone diminue), il a été nécessaire d envisager le cycle II. Le cycle III permet de rendre compte du rôle potentiellement joué par le dimère Cl 2 O 2. L apparition du trou d ozone a permis de mettre en lumière le rôle particulièrement néfaste des émissions d espèces chlorées telles que les CFC dans la troposphère. Sous la pression de la communauté scientifique internationale, amplifiée par les médias, des mesures réglementaires (voir paragraphe suivant) sont alors prises pour programmer à terme l arrêt définitif de toute utilisation des CFC. Mais comment remplacer ces composés dont les utilisations comme agents gonflants (mousses plastiques isolantes), solvants (électronique, industries mécaniques, dégraissage-nettoyage), agents propulseurs d aérosols dans les bombes (laque, parfum, déodorant, mousse à raser, ) et comme fluides frigorigènes (réfrigérateurs, congélateurs, chambres froides, climatiseurs) étaient si nombreuses et appréciées sur le plan industriel? Sur le plan scientifique, le choix des nouvelles molécules a été guidé d une part, par la nécessité de réduire voire d éliminer totalement les atomes de chlore de leur composition chimique (le chlore étant le principal responsable de la destruction de l ozone stratosphérique) et d autre part, de favoriser leur transformation chimique dans la troposphère afin qu ils ne puissent pas atteindre la couche d ozone. La durée de vie des polluants gazeux émis dans la troposphère étant déterminée par rapport à leur réactivité avec les radicaux OH, la solution la plus simple a constitué à fragiliser leur structure par rapport aux radicaux OH en remplaçant les atomes de chlore par des atomes d hydrogène. Deux grandes familles de composés ont alors été proposés comme substituts des CFC : les HydroChloroFluoroCarbures (HCFC) et les HydroFluoroCarbures (HFC). Le tableau 1 permet de comparer certaines caractéristiques environnementales (durée de vie troposphérique et ODP) de quelques HCFC et HFC par rapport à celles des CFC les plus utilisés. Substitution des CFC Compte tenu de la très grande variété des utilisations des CFC, de nouveaux composés adaptés à chaque utilisation devaient être mis au point pour les remplacer. Afin d évaluer les impacts potentiels des composés proposés comme substituts de CFC sur l environnement, la santé humaine et la sécurité des utilisateurs, 17 sociétés chimiques productrices de CFC se sont alors regroupées pour promouvoir et financer sur le plan international deux programmes d études et de recherche intitulés respectivement:«alternative Fluorocarbon Environmental Acceptability Study» (AFEAS) et «Programme for Alternative Fluorocarbon Toxicity Testing (PAFT)». Ces deux programmes, lancés à partir de 1988, mobilisèrent de nombreux laboratoires de recherches universitaires et industrielles pendant plusieurs années et firent l objet de réunions internationales au sein desquelles les résultats furent confrontés et discutés. La démarche employée pour caractériser sur les plans environnement, santé et Tableau 1 : Caractéristiques de quelques CFC, HCFC et HFC (voir annexe pour la nomenclature) Actuellement, les voitures équipées d une installation d air conditionné utilisent le HFC- 134a comme fluide frigorigène. Le fait que sa durée dans la troposphère soit plus longue que certains HCFC n a pas d importance car son ODP est nul puisqu il ne comporte aucun atome de chlore. De nouveaux cycles incluant les radicaux CF 3 ont également été étudiés en laboratoire, mais il a été démontré que ces cycles, base du couple CF 3 O 2 /CF 3 O.ne pouvaient pas contribuer à la destruction de la couche d ozone. 7

Réglementations et évolution : Entré en vigueur le 1 er janvier 1989, le Protocole de Montréal a eu pour objectif de réduire de 50% à l horizon 1999 la production et la consommation des cinq CFC les plus utilisés ( les CFC-11, 12, 113, principalement) et de trois composés bromés (halons) par rapport au niveau de 1986. Cet accord constituait le premier accord de coopération internationale en matière de protection de l environnement. Les mesures préconisées par cet accord s étant avérées insuffisantes, le Protocole de Montréal fut ajusté et amendé par les réunions de Londres (1990), Copenhague (1992) et Vienne (1995). Sur le plan de la Communauté Européenne, des textes réglementaires relatifs à la production et aux utilisations des CFC et HCFC sont promulgués en 2000. (règlement n 2037/2000 du Parlement Européen et du Conseil du 29 juin 2000, modifié par les règlements n 2038/2000 et 2039/2000 du 28 septembre 2000. Le règlement communautaire n 2037/2000 concernant les CFC utilisés comme fluides frigorigènes a fixé : au 1er octobre 2000, l interdiction de production, de mise sur le marché et d utilisation (sauf à des fins de maintenance), d importation et de mise sur le marché d équipements, d exportation d équipements contenant des CFC, ainsi que l obligation de récupérer et de détruire les CFC contenus dans tout équipement de réfrigération, climatisation et pompes à chaleurs (sauf ménagers). Au 1 er janvier 2001, l interdiction d utilisation des CFC aux fins de maintenance et d entretien (réfrigération et conditionnement d air), Au 1 er janvier 2002, l obligation de récupérer et de détruire les CFC contenus dans les réfrigérateurs et congélateurs ménagers. Le règlement n 2037/2000 a également fixé le devenir des HCFC. A titre d information, citons quelques dates limites prévues, concernant : leur production (gel basé sur la production de 1997 au 1 er janvier 2000, arrêt total au 1 er janvier 2026), leur mise sur le marché par les producteurs et importateurs (gel sur la base de 1989 depuis 1995 ; interdiction de mise sur le marché de leur utilisation comme fluides frigorigènes (interdiction d utilisation de HCFC dans les équipements de froid et de conditionnement d air fabriqués après 1996 et récupération obligatoire des HCFC dans ces équipements au 1 er janvier 2000 ; interdiction d utilisation de HCFC pour la production de tout équipement de froid ou de conditionnement d air au 1 er janvier 2004 ; enfin, interdiction d utilisation de HCFC vierges pour la maintenance et l entretien de tout équipement au 1 er janvier 2010, leur utilisation dans la production de mousses (interdiction d utilisation des HCFC pour la production de toutes les mousses au 1 er janvier 2004), leur utilisation comme solvants (interdiction d utilisation des HCFC dans tous les usages de solvants sauf dans les applications aérospatiales et aéronautiques au 1 er janvier 2002 ; interdiction dans tous les usages de solvants au 1 er janvier 2009). Toutes ces mesures réglementaires ont entraîné une diminution drastique de la production des CFC, au profit à court des terme des HCFC, et à long terme des HFC. La figure 6 illustre ces évolutions pour la période 1980-2000. Figure 6 : Production annuelle de CFC, HCFC et HFC de 1980 à 2000 (AFEAS) 8

La figure 7 montre l évolution de l ODP associé à la production pondérée des CFC et HCFC de 1980 à 2000. Cette sensibilisation internationale à un problème environnemental crucial, concernant l ensemble de la planète et les générations futures, a été un facteur déterminant pour convaincre les politiques et les décideurs économiques d entreprendre des investissements considérables pour résoudre ce problème. La coopération internationale à la fois sur les plans scientifiques, politiques et économiques s est avérée dans le cas présent exemplaire. Puisse cet exemple servir de modèle au traitement de tous les problèmes environnementaux constituant les enjeux de notre planète demain! Figure 7 : Potentiel de destruction de l ozone (ODP) lié à la production pondérée des CFC et HCFC de 1980 à 2000 ( AFEAS) Clairement, la substitution des CFC par les HCFC a eu des conséquences bénéfiques sur la protection de la couche d ozone. Cependant, bien que la charge en chlore de la stratosphère alimentée par les CFC et HCFC encore présents dans l atmosphère soit récemment passée par un maximum, l impact des CFC et à un moindre niveau celui des HCFC, sur la couche d ozone risque de perdurer encore pendant de très nombreuses années. Notons par ailleurs que cette substitution s est avérée également très bénéfique pour la réduction de l effet de serre auquel les CFC apportaient une contribution tout à fait significative. Conclusion : En dépit de leur très grand intérêt sur le plan industriel, les CFC ont fait l objet de mesures réglementaires drastiques à l échelle internationale visant à terme l arrêt total de leur production et de toutes leurs utilisations en raison de leurs contributions néfastes à la destruction de la couche d ozone et au renforcement de l effet de serre. La nécessité de remplacer ces composés par des composés moins nocifs pour l environnement tels que les HCFC et les HFC s est imposée sous l action persévérante de la communauté scientifique internationale qui, relayée de façon efficace par les media, a provoqué une prise de conscience 9

Annexe Nomenclature des CFC, HCFC et HFC De façon générale, les CFC, HCFC et HFC sont des composés aliphatiques dont les atomes d hydrogène ont été remplacés partiellement ou totalement par du chlore et/ou du fluor. Par ailleurs, chaque composé appartenant à la série des CFC et de leurs substituts est caractérisé par un nombre, éventuellement précédé de la lettre F (comme fluorocarbure) ou de la lettre R (comme réfrigération). Les principales règles de codification sont les suivantes : Pour en savoir plus consulter : www.environnement.gouv.fr www.atm.ch.cam.ac.uk www.msc-smc.ec.gc.ca www.nasa.gov www.afeas.org Dans le cas des CFC en C1, Z étant égal à 0, ce chiffre n est pas indiqué. Les atomes de chlore ne sont pas pris en compte et sont ajoutés de façon à respecter la tétravalence du carbone. A titre d exemple, le composé CHClF 2 est désigné F.22 ou HCFC-22, et CF 2 =CHF par F.1123 ou HFC-1123. Dans le cas d isomères de position possédant donc les mêmes chiffres d identification, l isomère le plus symétrique est désigné sans indication complémentaire, puis pour les autres isomères on utilise les lettres a, b, c etc, selon l asymétrie croissante du composé. La symétrie est caractérisée par la différence m entre la somme des masses atomiques m 1 et m 2 des atomes liés à chaque carbone. Plus m est faible, plus le composé est symétrique. Ainsi, on aura : F-142 pour CH 2 ClCHF 2, F-142a pour CHClFCH 2 F et F-142b pour CClF 2 CH 3. 10