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feydeau & adult e s adult ère

1 er mars 26 mars 2 0 1 6 DISTRIBUTION : Bertrand Alain Sophie Dion Chantal Dupuis Olivier Normand Patrick Ouellet Monika Pilon CONCEPTION : Textes : Georges Feydeau Mise en scène : Jacques Leblanc Assistance à la mise en scène : Jocelyn Paré Décor : Ariane Sauvé Costumes : Sébastien Dionne Lumières : Félix Bernier Guimond Musique : Fabrice Tremblay 4 4

LÉONTINE, bien nette : Écoutez, Moricet, quand on se marie, on se jure fidélité entre époux MORICET, railleur : Oh! c est parce que le maire vous le demande. LÉONTINE, même jeu : N importe. Tant que je croirai que mon mari tient son serment, je ne trahirai pas le mien! MORICET, même jeu : Oui, «messieurs les Anglais, tirez les premiers!» LÉONTINE : Voilà! Ah! par exemple, que demain seulement, il me soit prouvé que mon mari me trompe, qu il a une liaison et je vous jure que c est moi qui irai à vous et vous dirai : «Moricet, vengez-moi!» MORICET, avec transport : Vrai? Ah! Léontine! LÉONTINE, lui coupant son élan : Mais comme je sais très bien que c est une hypothèse impossible 1 Extrait de Monsieur chasse!, acte III, scène I En mars 2016, Georges Feydeau, le maître du vaudeville, fait sa toute première apparition à La Bordée, et de manière très festive et interactive. En effet, le public sera partie prenante du spectacle, puisque c est lui qui décidera du déroulement de la soirée. Ainsi, les spectateurs, avec l aide d un maître de cérémonie, auront à choisir parmi un certain nombre de courtes comédies de l auteur. Les acteurs seront donc sur un pied d alerte, car le programme ne sera jamais le même d un soir à l autre. Dans une ambiance de cabaret de la «Belle Époque» parisienne, où chansons et numéros comiques vont alterner avec les textes de Feydeau, La Bordée propose donc une soirée de théâtre «à la carte», une soirée vivante, éclatée, remplie de surprises et de rebondissements, à l image du théâtre de l auteur. 1 Georges FEYDEAU, Théâtre complet, tome 1, Paris, Classiques Garnier, 2011, p. 867. 4 4

Au menu Dans les textes de Feydeau, le couple et l institution du mariage sont rudement mis à l épreuve. L infidélité est souvent au rendez-vous. Les personnages veulent croire en l amour, mais ils sont emportés par leurs soupçons, ils s empêtrent dans des situations burlesques dominées par la méprise et le quiproquo. C est le cas dans Monsieur chasse! (1892), où Ducholet fait croire à son épouse, Léontine, qu il va chasser, alors qu en réalité, il part rejoindre sa maîtresse, la femme de son ami Cassandre. Léontine, de son côté, est courtisée par le docteur Moricet, dont elle refuse les avances jusqu à ce qu elle découvre l imposture de son époux. Le hasard amènera les deux couples irréguliers à se rejoindre dans un même immeuble, le 40, rue d Athènes. Dans Le système Ribadier (1892), le mari infidèle, Ribadier, utilise non pas la chasse, mais un don d hypnotisme pour se jouer de son épouse, Angèle, à qui il reproche sa jalousie excessive. Il faut préciser qu elle a développé ce défaut après la mort de son premier mari en découvrant que ce dernier la trompait depuis des années. Ribadier croit qu il ne pourra jamais éveiller les soupçons d Angèle, puisqu il l endort avant ses escapades et ne la réveille qu à son retour. Mais tout se gâte quand Thommereux, épris d Angèle, revient d exil pour lui déclarer son amour. Ne se doutant de rien, Ribadier confie ses secrets à Thommereux et lui offre même le gîte. Tout est maintenant en place pour que le «système» mis en place par Ribadier se dérègle. C est encore une situation d adultère qui est le point de départ de l intrigue de Gibier de potence (1883). L herboriste Plumard veut se venger de sa femme, Pépita, chanteuse de music-hall, parce qu elle le trompe avec son ami Taupinier. Il écrit donc au commissariat de police une lettre l informant qu un dangereux criminel se trouvera chez lui à dix-sept heures, heure à laquelle Taupinier vient habituellement rencontrer Pépita. Sur l entrefaite se présente un certain Lemercier, admirateur de la chanteuse, qui ressemble étrangement à un meurtrier recherché par la police. Pendant que Pépita court avertir le commissaire, Taupinier, laissé seul avec le présumé assassin, se sent obligé de lui faire peur en se présentant lui-même comme un criminel, de quoi confondre le délégué du commissaire qui se présentera à l appartement. Dans d autres courtes pièces, sans nécessairement qu il y ait infidélité, Feydeau met en scène des couples bourgeois qui se disputent, souvent pour des banalités. Par exemple, dans Mais n te promène donc pas toute nue! (1911), le député Ventroux reproche à sa femme de toujours se promener en tenue légère devant leur fils et leur domestique. La situation prend une tournure encore plus gênante quand un important industriel, M. Hochepaix, est reçu par Ventroux. 4 4

Feu la mère de Madame (1908), pour sa part, est une longue scène de ménage s amorçant quand Yvonne est réveillée par son mari, Lucien, qui rentre très tard du bal des Quat z Arts. Cerise sur le gâteau de cette nuit houleuse : un messager commet une horrible méprise en leur annonçant la mort de la mère de Madame. C est la relation maître-valet qui est au centre de la pièce Dormez, je le veux! (1897). Dans cette comédie, Justin, domestique au service de Boriquet, comme le protagoniste du Système Ribadier, a un don d hypnotiseur. Il s en sert non pas pour tromper une épouse, mais bien son maître, en particulier pour lui faire faire des tâches ménagères à sa place. Mais cette situation est mise en péril, puisque Boriquet envisage de se marier. Justin va tout mettre en œuvre pour empêcher ce mariage. Enfin, Fiancés en herbe (1886) est une très courte pièce fantaisiste mettant en scène deux enfants, Henriette (neuf ans) et René (onze ans), qui sont en train d apprendre Le corbeau et le renard, de La Fontaine, en attendant l arrivée de leur institutrice. Ils vont vite délaisser la fable, qu ils trouvent embêtante, pour se livrer à des réflexions sur l amour et le mariage. HENRIETTE : J ai promis à papa que je l épouserais. RENÉ : Mais on n épouse pas son père!... HENRIETTE : Pourquoi donc?... RENÉ : Parce qu il est de votre famille. HENRIETTE : Quoi! il a bien épousé maman! Il me semble que c est bien de sa famille. RENÉ : Ah! oui, mais ça, c est permis on peut épouser sa femme 2! Extrait de Fiancés en herbe 2 Ibid., p. 210.

GEORGES FEYDEAU (1862 1921) Il y a des gens qui supposent qu une pièce, parce qu elle est légère d allures et sans prétention, est aisée à construire. Ils ne soupçonnent pas tout ce qui concourt à sa réussite : et la prudence des préparations, et la surprise des coups de théâtre, et l incident inattendu dont il faut corser l exposition pour secouer les nerfs des blasés et les empêcher de crier dans les couloirs le jour de la répétition générale : «Nous avons vu ça cent fois. C est crevant 3!» Georges Feydeau Né à Paris le 8 décembre 1862 au sein d une famille plutôt aisée, Georges Feydeau baigne dans les milieux littéraires dès son jeune âge. Son père, Ernest Feydeau, courtier en bourse mais aussi écrivain, fréquentait le monde des arts et des lettres et comptait parmi ses amis intimes Gustave Flaubert, Alexandre Dumas fils, Théophile Gautier. Il n est donc pas étonnant que le jeune Georges ait mani festé très tôt un goût marqué pour le théâtre. On raconte qu à six ans, après qu on l ait emmené pour la première fois au théâtre, il aurait écrit sa première pièce, avec l appui de son père, même si, pour ce faire, il devait négliger ses études. En 1871, il entre comme interne au lycée Saint-Louis, à Paris. Encouragé par Henri Meilhac, célèbre auteur dramatique de l époque, Feydeau continue de rédiger des pièces. À l âge de 14 ans, il fonde, avec un de ses camarades, le Cercle des Castagnettes, troupe avec laquelle il se fait interprète de Molière et de Labiche. Il y présente également ses propres monologues comiques, genre très en vogue à la fin du xix e siècle dans les salons parisiens. C est d ailleurs avec ce genre que Feydeau entend se faire connaître du milieu théâtral. Partout où il passe, le public est séduit par ses talents d auteur, de comédien, et même d imitateur. En 1882, à 19 ans, Feydeau fait jouer sa première pièce en un acte, Par la fenêtre, devant un «vrai» public, et non pas devant les invités choisis des cercles littéraires et des salons. L accueil est excellent. Motivé, il récidive l année suivante avec Amour et piano ainsi que Gibier de potence. En 1883, il doit partir faire son service militaire, mais il trouve quand même du temps pour écrire Tailleur pour dames. 3 Propos de Georges Feydeau reproduits dans : Arlette SHENKAN, Georges Feydeau, ce méconnu, Montréal, Éditions Multimédia Robert Davies, 2001, p. 134.

De 1884 à 1886, il est secrétaire du Théâtre de la Renaissance. Durant cette période, il hésite entre la carrière de comédien et celle d auteur. Mais le succès de Tailleur pour dames en 1886 l incite à se consacrer plus que jamais à l écriture. Artiste accompli, Georges Feydeau s intéresse aussi à la peinture. Il prend des leçons du portraitiste Carolus-Duran, dont il épouse la fille en 1889. Après Tailleur pour dames en 1886, Feydeau essuie plusieurs échecs, et sa situation financière s en trouve affectée. Heureusement, le vent tourne en 1892 alors qu il connaît son premier véritable triomphe avec Monsieur chasse! Suivront une série de succès qui feront de l auteur une célébrité : Champignol malgré lui (1892), Le système Ribadier (1892), Un fil à la patte (1894), L hôtel du libreéchange (1894), Le dindon (1896). Déjà à cette époque, les comédies de Feydeau traversent les frontières, elles sont traduites en plusieurs langues et jouées partout en Europe et même aux États-Unis. En 1899, le succès de La dame de chez Maxim est phénoménal. La pièce sera jouée toute l année et reprise en 1900. Toutes ces années de gloire ont véritablement consacré Georges Feydeau comme le «maître du vaudeville». Elles lui ont aussi permis de s enrichir et de s acheter des dizaines de tableaux impressionnistes, faisant de lui un des plus grands collectionneurs de son époque. Toutefois, il devra se départir d une bonne partie de ses acquisitions en 1901 et en 1903 à cause de difficultés financières, nulle ment étrangères à son penchant pour le jeu et la vie nocturne de Paris. En même temps, ses infidélités feront en sorte qu il sera obligé de quitter le domicile conjugal en 1909 (une séparation qui aboutira au divorce en 1916). À partir de 1908, las d écrire des vaudevilles, Feydeau se consacre à une série de «farces conjugales» en un acte, dans lesquelles il tourne en ridicule les mésententes dans les couples. Feu la mère de Madame (1908) est la première de ces farces. Elle sera suivie, entre autres, de On purge bébé (1910), Mais n te promène donc pas toute nue! (1911) et Hortense a dit : «Je m en fous!» (1916). Peut-être inspiré par sa propre vie conjugale, Feydeau avait comme projet de réunir ces farces sous le titre Du mariage au divorce. En 1919, il projette l écriture d un scénario de film pour Charlie Chaplin. Mais ce projet ne verra pas le jour puisque, la même année, les premiers troubles psychiques liés à la syphilis se font sentir. Ses fils l installent dans une maison de santé où il rendra l âme deux ans plus tard, le 5 juin 1921. Il laisse en héritage plus d une soixantaine de pièces et monologues.

Le maître du vaudeville On dit généralement de Georges Feydeau qu il est le «maître du vaudeville». Le genre existait bien avant lui, mais il a su le réinventer en apportant la rigueur, la cohérence et la structure qui lui faisaient défaut. Il a aussi donné plus de vérité et de finesse aux fantoches stéréotypés du vaudeville traditionnel, souvent sans substance et sans lien avec leur époque. Feydeau a puisé ses personnages dans la réalité contemporaine. Ceux-ci sont devenus des représentants de la «bonne société» parisienne du tournant du xx e siècle, qu il a plongés dans des situations totalement burlesques. C est là toute l originalité de l auteur par rapport à ses prédécesseurs. Feydeau est aussi reconnu comme un as de l intrigue. Cette intrigue, elle repose d abord sur le quiproquo. C est en effet de la méprise que naissent les situations comiques. On le voit, par exemple, dans Le système Ribadier, alors que l essentiel de l intrigue part du fait que le mari confie, sans s en douter, ses plus grands secrets à son rival amoureux. Une autre force que Feydeau exploite dans ses intrigues, c est la rencontre importune, qui donne un caractère on ne peut plus burlesque aux situations dramatiques : «Quand je fais une pièce, je cherche parmi mes personnages quels sont ceux qui ne doivent pas se rencontrer. Et ce sont ceux-là que je mets aussitôt que possible en présence 4» Par ailleurs, pour Feydeau, les personnages et l intrigue ne suffisent pas pour faire une grande comédie. Le rythme et le mouvement sont essentiels. En tant que metteur en scène, il dirigeait ses comédiens avec une rigueur extrême et était sans pitié pour ceux qui ne respectaient pas le tempo et le mouvement rapide qu il avait prévus. L abondance de didascalies 5 dans ses textes témoigne d ailleurs de sa méticulosité. Rien n est laissé au hasard, et tous les moindres détails s intègrent dans une logique dramatique réglée comme un système d horlogerie : «Une fois la donnée de départ acceptée, on chercherait en vain quelque faille dans la série des causes et effets trop souvent, mais à juste titre, comparée à une horlogerie sans défaut. D ailleurs, les personnages, saisis par cet infernal engrenage, se métamorphosent eux-mêmes sur la scène en simples éléments mécaniques 6.» 4 Propos de Georges Feydeau reproduits dans : Arlette SHENKAN, Georges Feydeau, ce méconnu, op. cit., p. 137. 5 Didascalies : indications de jeu dans un texte dramatique, souvent en italique. 6 Extrait de la préface de Henry Gidel dans : George FEYDEAU, Pièces courtes, monologues, vaudevilles et comédies, Paris, Omnibus, 2008, p. IX.

Enfin, on pourrait penser que cette rigueur alourdit les dialogues, mais c est tout le contraire qui se produit, car les précisions et les détails sont au service du mouvement, de la dynamique. Les répliques sont courtes, directes ; chaque geste, chaque mouvement est prévu dans un souci d économie. Quant au langage, Feydeau s est toujours défendu de faire parler ses personnages de manière «littéraire». Selon lui, le théâtre est un art vivant, et, comme il le dit, «dans la vie, on ne parle pas comme en littérature». Le langage qu il utilise pour ses dialogues sert donc exclusivement l action, qui est «la base même du vaudeville».

LA BELLE ÉPOQUE L apogée de la carrière de Georges Feydeau coïncide avec une période de l histoire européenne qu on a nommée la «Belle Époque». Elle s étend de la toute fin du xix e siècle jusqu au début de la Première Guerre mondiale. Elle est marquée par de grands progrès sociaux, économiques, scientifiques, et aussi par un foisonnement culturel et artistique, qui profite surtout aux classes bourgeoises. Une période de prospérité Après la guerre franco-allemande de 1870, la France connaît une période de paix relativement longue (quatre décennies), qui est favorable au développement et à la consolidation de son pouvoir. Le gouvernement met tout en œuvre pour imposer les valeurs républicaines. Si, d un côté, on entretient un désir de revanche contre l Allemagne, qui a annexé les territoires de l Alsace et de la Lorraine, de l autre, on calme les esprits en adoptant une série de lois pour favoriser la liberté d expression, la liberté syndicale ainsi que la laïcité et la démocratisation de l enseignement. Un sentiment nationaliste s affermit au sein de la population française, qui prend de plus en plus conscience de faire partie d une grande puissance, un des plus grands empires coloniaux de son époque. Paris se développe et se modernise pour devenir le symbole du prestige national. L avenir semble offrir toutes les possi bilités à cette France qui s épanouit. Prospérité, joie de vivre, insouciance sont dans l air du temps, surtout après la dépression économique des années 1880. Par ailleurs, la Belle Époque doit son nom surtout à une bourgeoisie qui profite pleinement de sa richesse, jouit des progrès et des divertissements culturels, voyage beaucoup. Paris est le terrain de jeu de cette classe aisée. C est aussi dans cette France des privilégiés qu est né Feydeau ; son père est issu d une famille noble et travaille dans le monde de la finance (en plus de fréquenter les milieux littéraires). Les personnages de Feydeau proviennent justement de cette bourgeoisie qu il connaît bien. La bourgeoisie française est très hiérarchisée. C est pourquoi il convient de distin guer la petite bourgeoisie (petits rentiers, fonctionnaires), la moyenne bourgeoisie (petits patrons, avocats, médecins) et la grande bourgeoisie de la finance et de la politique. Les plus riches bourgeois vivent au cœur de Paris, dans des hôtels particuliers, et animent de leur présence les salons, les réceptions mondaines, les galeries d art et les salles de spectacles.

Cette époque n est cependant pas aussi «belle» pour une bonne partie de la population, qui vit dans la pauvreté et la précarité. C est le cas notamment de nombreux ouvriers qui, malgré des améliorations de leurs conditions au début des années 1900, doivent encore supporter des journées de travail harassantes dans la crainte constante du chômage. Une période de progrès Le climat qui règne au tournant du xx e siècle est marqué par l optimisme et la croyance en un progrès de l humanité qui se traduira par de nombreuses avancées technologiques et scientifiques. La tour Eiffel, plus haute tour jusqu alors jamais construite, érigée lors de l Exposition universelle de 1889 pour souligner le centenaire de la Révolution, devient l emblème de ce progrès à l échelle mondiale. La biologie, la chimie, la médecine, la physique ont connu de véritables révolutions durant cette époque. Par exemple, en 1885, Louis Pasteur découvre le vaccin contre la rage. Trois ans plus tard, il fonde l institut qui porte son nom, le premier centre de recherche scientifique. En 1903, Pierre et Marie Curie, de leur côté, partagent, avec Henri Becquerel, le prix Nobel de physique pour la découverte de la radioactivité. La Belle Époque, c est aussi celle de nombreuses inventions qui allaient être déterminantes dans l histoire du xx e siècle : le premier moteur à explosion, la première automobile, le premier film, le premier aéroplane, le premier réseau de distribution de l électricité, la première radio TSF (téléphonie sans fil), etc. Une période de divertissement et de créativité Ce foisonnement d idées trouve aussi son écho dans le monde artistique et culturel. Paris est devenue la capitale mondiale du divertissement, de la mode et du loisir, pour ceux qui en ont les moyens, évidemment. C est aussi une époque florissante pour les cabarets du quartier Pigalle, notamment le Moulin Rouge, qui a ouvert ses portes en 1889, et que le peintre Toulouse-Lautrec a immortalisé dans ses œuvres.

En peinture, plusieurs mouvements d avant-garde voient le jour. Les impressionnistes ouvrent la voie aux cubistes, aux expressionnistes et à l Art nouveau. C est l époque des Monet, Cézanne, Renoir, Van Gogh, Gauguin, Matisse, Braque, Picasso. Auguste Rodin, de son côté, révolutionne la sculpture avec la liberté de ses formes. Sur le plan littéraire, certains se passionnent pour les technologies et les inventions, comme Victor Hugo, alors que d autres voient plutôt dans la modernité la déchéance de l homme, comme Guy de Maupassant. La Belle Époque est aussi une période bénie pour le théâtre français. Depuis le milieu du xix e siècle, les Parisiens ont pris l habitude de fréquenter les scènes de ce qu on appelait le «Boulevard» (le boulevard du Temple, aussi surnommé le «boulevard du crime», à cause des histoires de meurtres qui y étaient présentées). On y jouait des mélodrames et des vaudevilles, genres qui plaisaient à un public bourgeois en quête de plaisirs et de légèreté. Au tournant du siècle, même si la vie du Boulevard s est un peu effritée, Paris continue d être un carrefour théâtral incontournable. On vient de partout pour applaudir ses comédiens chéris, comme Sarah Bernhardt, ou des auteurs comme Georges Feydeau, Georges Courteline ou Sacha Guitry. Durant la même période, on assiste aussi à un renouvellement des genres au théâtre. Les auteurs de vaudeville connaissent toujours de francs succès, mais on s oriente de plus en plus vers la comédie de mœurs, à la tonalité moins légère. Par ailleurs, André Antoine, en fondant le Théâtre-Libre en 1887, allait révolutionner l esthétique théâtrale en insistant sur l importance du réalisme sur scène pour donner au spectateur l illusion qu il assiste à une tranche de vie «authentique». Il donne également une place centrale au metteur en scène qui, jusque-là, était surtout confiné à un rôle de technicien. Enfin, d autres genres vont aussi s affirmer, par exemple le symbolisme, qui propose un théâtre plus évocateur, et même le romantisme, qui fera un retour marqué en 1897 avec Cyrano de Bergerac, d Edmond Rostand.

LE VaudeVILLE Il faut remonter aussi loin qu au xv e siècle pour retracer les origines du vaudeville, qui, à cette époque, n était pas un genre dramatique. Il s agissait plutôt d un type particulier de chansons sur des airs populaires auxquels un certain poète, Olivier Basselin, aurait appliqué des textes satiriques. On aurait appelé ces chansons des «vaux-de-vire», en référence à la vallée de Vire, en Normandie, d où était originaire le poète. Le terme s est ensuite progressivement modifié pour devenir vaudeville. Ce n est qu à la fin du xvii e siècle que le vaudeville fait son apparition sur les scènes de théâtre. Ce sont d abord les Comédiens Italiens qui introduisent des chansons dans leurs spectacles, donnant naissance à un genre qu on appelait «comédie en vaudeville». Après l expulsion des Comédiens Italiens de Paris, les vaudevilles sont repris par les théâtres de foire. À la veille de la Révolution de 1789, le vaudeville a ses propres salles et ses propres auteurs. Les sections parlées se mêlent de plus en plus aux chansons. Ces dernières ont comme fonction de résumer l action, d apporter des éclaircissements ou même de remplacer certains dialogues. Les amours contrariés, les scènes de ménage, les conflits entre générations sont des thèmes récurrents. À partir de la fin du xviii e siècle, le vaudeville connaît un essor considérable, notamment parce que la population a besoin de se divertir après des années de révolution et de guerre. On retrouve deux types de pièces : le «vaudeville anecdotique», qui s appuie sur un fait contemporain, et le «vaudeville-farce», qui parodie, par exemple, des opéras ou des drames. Si la qualité des productions laisse souvent à désirer, les deux plus grands vaudevillistes du xix e siècle, avant Feydeau, soit Eugène Scribe et Eugène Labiche, réussissent, grâce à une structure dramatique plus rigoureuse, à donner du lustre au genre. À partir de 1860, le vaudeville perd ses couplets chantés et se définit davantage comme une comédie gaie fondée sur le comique de situation. Le public commence toutefois à se lasser de ce genre et se tourne vers l opérette et les revues, qui gagnent en popularité. Le terme vaudeville devient démodé et prend même une connotation péjorative. Comme on le sait, il faudra Georges Feydeau pour réinventer le genre, lui redonner ses lettres de noblesse et le faire entrer dans la postérité. Il en est l auteur le plus génial, parce qu il «incarne un vaudeville enfin débarrassé de tout complexe vis-à-vis du «grand art» 7. 7 Jacqueline de JOMARON (sous la direction de), Le théâtre en France : du Moyen Âge à nos jours, Paris, Armand Colin, 1992, p. 698.

Pour en savoir plus FEYDEAU, Georges. Pièces courtes, monologues, vaudevilles et comédies, Paris, Omnibus, 2008. FEYDEAU, Georges. Théâtre complet, 4 tomes, Paris, Classiques Garnier, 2011. GIDEL, Henry. Georges Feydeau, Paris, Flammarion, 1991. JOMARON, Jacqueline de (sous la direction de). Le théâtre en France : du Moyen Âge à nos jours, Paris, Armand Colin, 1992. SHENKAN, Arlette. Georges Feydeau, ce méconnu, Montréal, Éditions Multimédia Robert Davies, 2001. VIALA, Alain (sous la direction de). Le théâtre en France, Paris, Presses universitaires de France, 2009. Quelques sites Internet : http://www.alalettre.com/feydeau.php Information sur Georges Feydeau : biographie, œuvres http://www.herodote.net/la_belle_epoque_ -synthese-423.php Information sur la Belle Époque http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/ vaudeville/100891 Information sur le vaudeville