Comment reprendre le contrôle sur la finance?

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Transcription:

Comment reprendre le contrôle sur la finance? Documents d analyse et de réflexion Février 2013 Rue Maurice Liétart, 31/4 B-1150 Bruxelles

Avec le soutien de la fédération Wallonie-Bruxelles Centre AVEC ASBL, rue Maurice Liétart, 31/4 B-1150 Bruxelles Tél. : +32/(0)2/738.08.28 http://www.centreavec.be 2

Comment reprendre le contrôle sur la finance? Retour sur la conférence/débat donnée par Olivier Bonfond et organisée par le Centre Avec Les politiques d austérité mises en œuvre aujourd hui dans la plupart des pays d Europe, au lieu de les aider à sortir de la crise, plongent les économies dans la récession et les populations dans la précarité. La Belgique n est pas en reste avec ses budgets d austérité de 2012 et 2013. Selon l annuaire «Pauvreté en Belgique» commandité par la Secrétaire d État à la lutte contre la pauvreté, 77.000 personnes supplémentaires tomberont sous le seuil de pauvreté en 2013 à cause de la dégressivité des allocations de chômage, et cela sans parler du gel des salaires, de la dégradation des services publics Aujourd hui, les gouvernements semblent subordonnés de gré ou de force aux intérêts des grandes puissances économiques et financières. Au nom du remboursement de la dette, les dirigeants font des choix qui servent avant tout l intérêt de la finance et non l intérêt général. Pour creuser ce constat, et surtout afin de trouver des alternatives, le Centre Avec a organisé une rencontre publique avec Olivier Bonfond 1 autour de cette question cruciale : Comment reprendre le contrôle sur la finance? La présente analyse découle de cette rencontre : de l exposé d Olivier Bonfond et du débat qu il a suscité. Une dette publique qui a profité à la finance Les politiques d austérité que nous connaissons trouvent leur raison d être dans une dette qui pèse lourdement sur le budget de l État. Il nous semble donc légitime de nous demander d où vient cette dette? Pourquoi et comment a-t-elle été contractée? Cet endettement a-til servi l intérêt général? Pour commencer, il s agit de déconstruire l idée, largement répandue dans les discours politiques et relayée dans les médias, selon laquelle la dette est trop élevée aujourd hui parce que les Belges auraient vécu au-dessus de leurs moyens, et qu il est donc bien normal aujourd hui d en revenir à des dépenses plus raisonnables. Cet argument pour justifier les politiques d austérité n est pas juste : en effet, les dépenses publiques en pourcentage du PIB sont restées rigoureusement stables ces trente dernières années, se situant autour de 43% du PIB. Comme le montre le graphique ci-dessous, il n y a pas de corrélation entre l évolution des dépenses publiques et l évolution de la dette publique. 1 Olivier Bonfond est économiste, conseiller au Centre d Education Populaire André Genot, membre du CADTM (Comité pour l'annulation de la Dette du Tiers-Monde, et auteur du livre Et si on arrêtait de payer. 10 questions/10 réponses sur la dette publique belge et les alternatives à l austérité. Editions Aden/CADTM/CEPAG, 2012. 3

L accroissement de l endettement ne vient donc pas d un État social trop prodigue. D où vient-il alors? Olivier Bonfond distingue principalement cinq facteurs d endettement qui n ont pas servi l intérêt général. Premièrement, l explosion des taux d intérêts dans les années 1980. Entre 1978 et 1981 la Belgique a emprunté avec des taux d intérêts nominaux entre 10 et 14% 2, ce qui a entraîné une forte augmentation de la dette notamment via ce qu on appelle un effet boule de neige, à savoir une situation où l État emprunte pour payer les intérêts de sa dette. Deuxième facteur d endettement, une politique fiscale socialement injuste. Alors que le pays connaissait une période de croissance qui aurait pu être l occasion pour l État, à politique fiscale égale, de diminuer le stock de sa dette publique et même de dégager un surplus pour investir dans des biens communs qui auraient amélioré le bien-être de la population, il a décidé de mettre en place des mesures fiscales très favorables aux grosses entreprises et aux plus riches, entraînant des manques à gagner importants pour les caisses de l État. À titre d exemple, «Les 50 plus grosses entreprises ont réalisé un bénéfice cumulé de 42,7 milliards d euros en 2009 mais ont payé à peine 0,2 milliards d euros d impôt, soit un taux de 0,57%. Si elles avaient contribué au taux normal de 33,99%, les recettes publiques auraient augmenté de 14,3 milliards d euros» 3. Le troisième facteur qui a entrainé l endettement excessif de l État est l interdiction par l article 123 du traité de Lisbonne 4 pour les États européens d emprunter à la Banque Centrale Européenne. Cette interdiction oblige les États à emprunter sur les marchés financiers dont ils ne maitrisent pas les taux d intérêts. Ainsi l État belge, au cours de ces 20 dernières années, a emprunté à un taux d intérêt moyen de 5% au lieu d emprunter auprès de sa Banque Centrale et, après le passage à l euro, auprès de la BCE à du 0 ou 1%. Cela 2 Pour comparaison : en janvier 2013, elle empruntait à 2,25% (voir www.debtagency.be). 3 BONFOND Olivier, Et si on arrêtait de payer. 10 questions/10 réponses sur la dette publique belge et les alternatives à l austérité. Editions Aden/CADTM/CEPAG, Anvers, 2012, p. 44. 4 Précédemment l article 104 du traité de Maastricht. 4

veut dire qu au lieu de payer les 63 milliards d euros d intérêts de la dette qu il aurait payés s il avait emprunté, disons à du 1%, il en a payé 313 milliards, soit 250 milliards de plus que s il avait pu emprunter auprès de sa propre banque. Une des raisons évoquées pour justifier cette interdiction est que les pouvoirs publics allaient être tentés de faire tourner la planche à billet et d ainsi provoquer de l inflation. Si certains considèrent ce risque comme réel, Olivier Bonfond considère comme un non-sens le fait d avoir donné à la finance privée, c està-dire à un secteur qui a pour objectif prioritaire le profit maximum à court terme et non l intérêt général, le contrôle de la politique monétaire. Les banques privées empruntent à la Banque Centrale Européenne à du 0,75% pour ensuite prêter cet argent à du 2%, 3%, 4%, 5% ou 6% aux États européens. Enfin, les deux derniers facteurs qui ont engendré la crise de la dette sont le sauvetage financier et la crise économique. Entre 2007 et 2012, la dette publique a augmenté de 100 milliards d euros à prix courants dont 35 milliards d euros sont directement imputables aux injections de capitaux dans les banques pour assurer leur sauvetage. La récession qui a suivi la crise financière a également creusé le déficit de l État : le ralentissement de l activité économique a diminué les recettes fiscales et a augmenté les dépenses sociales, notamment à cause de l augmentation du chômage. À partir de cette analyse, Olivier Bonfond pose deux constats. D une part, l augmentation de la dette provient avant tout d une socialisation massive de dettes privées. D autre part, tous les facteurs qui ont provoqué l augmentation de la dette publique ont systématiquement servi les intérêts de la finance et des détenteurs de capitaux. Comment se fait-il alors que, c est sur les citoyens que retombe le poids de cette dette? Pourquoi la finance est-elle si puissante? Si les gouvernements sont en théorie des instances libres et autonomes chargées de servir l intérêt général, ils sont en réalité la cristallisation des rapports de force au sein d une société. Aujourd hui les plus forts sont les détenteurs de capitaux et les gouvernements, de gré ou de force, sont poussés à servir leurs intérêts plutôt que l intérêt général. Si on ne peut en aucun cas se réjouir de cette crise, celle-ci aura cependant permis de faire l éclairage sur ce fait. Combien de fois les mouvements sociaux, lorsqu ils réclamaient plus de moyens pour améliorer les services publics (éducation, hôpitaux, chemins de fer, etc.), s entendaient dire que les caisses étaient vides? Alors que quand les banques ont plongé, l État a trouvé et allongé plusieurs milliards d euros sans broncher. Comment expliquer que les détenteurs des capitaux ont acquis cette position de force capable de faire plier les pouvoirs publics? Olivier Bonfond pointe plusieurs facteurs qui ont permis à la finance d acquérir sa puissance actuelle : la déréglementation systématique du secteur, la privatisation, l opacité et l interdiction pour les États d emprunter auprès de leur Banque centrale. En ce qui concerne la dérégulation du système financier, les principales règles mises en place en réaction à la crise financière de 1929 pour protéger la société d une nouvelle crise ont été peu à peu abrogées, laissant libre cours à toutes sortes de montages financiers aventureux et irresponsables. Par exemple, le Président Roosevelt en 1933 avait fait passer une loi imposant la séparation des banques de dépôts et des banques d investissement, garantissant par là que l argent des épargnants ne serait pas investi en bourse. Dans les années 70, les banques se sont mises à contourner cette loi qui a fini par être abrogée dans les années 90 et les banques de dépôt ont à nouveau été autorisées à faire des investissements et à vendre des assurances. Dès ce moment, non seulement les banques ont très fort grossi mais surtout, cela leur a donné un énorme pouvoir sur l État. Quand la 5

bourse s est effondrée, l État n a alors eu d autre choix que d offrir des garanties et de recapitaliser les banques pour éviter qu elles ne se mettent en faillite et que les dépôts des épargnants ne partent en fumée. Par ailleurs, les banques se sont mises à fabriquer des produits financiers très complexes notés par des agences de notation, dont ces mêmes banques sont actionnaires. Ces produits, circulant sur le marché sans réel contrôle, se sont révélés être hautement toxiques. Pour ce qui est de la privatisation des banques, dans les années d après-guerre la tendance était au contrôle du secteur bancaire par une autorité publique forte. De cette façon, en France, la loi du 2 décembre 1945 stipule la nationalisation de la Banque de France et des quatre grandes banques de dépôt. Puis, au fil du temps, les banques ont été privatisées, elles se sont mises à grossir par fusions et acquisitions pour peu à peu constituer un secteur oligopolistique particulièrement puissant. Cela permit aux banques et autres institutions financières de croitre dans des proportions démesurées ; Rappelons que sur les 6.000 banques en Europe, les 15 plus grandes représentent 150% du PIB et plus de 40% du total du secteur bancaire. Enfin, pour ce qui est de la transparence, le secteur financier peut aujourd hui agir dans une opacité tout à fait légale, faisant transiter les fonds par des paradis fiscaux et pratiquant le shadow banking, un système qui leur permet de sortir en toute légalité une partie des actifs de leur bilan pour des transactions de gré à gré sans avoir à rendre de comptes sur les quantités et leur destination 5. Nous sommes donc dans une situation où les institutions financières privées ont des tailles énormes, où elles contrôlent les dépôts de paiement, mais aussi tous les systèmes de paiement : en effet, à moins d avoir quelques liquidités cachées sous le matelas, comment payer nos courses de la semaine ou le dentiste sans carte bancaire? Si les banques devaient aujourd hui s effondrer, c est toute l économie qui s effondrerait. Ces éléments permettent aux banques de réaliser une véritable prise d otage de la société, obligeant l État à les refinancer à coup de milliards d euros. Que faire? Une fois ces constats posés, vient la question essentielle : comment remettre la finance à sa place? Pour ce faire, plusieurs choses sont possibles en lien avec les éléments identifiés plus haut. Tout d abord, certes, il fallait sauver les banques, mais il fallait les sauver autrement, en commençant par sortir le Conseil d Administration et ouvrir les livres de comptes. Dans la mesure où une future faillite bancaire reste une potentialité, il est important de se préparer à donner une réponse mieux ajustée. Par ailleurs, Roosevelt a eu raison de le faire et ses successeurs tort de le défaire : il est impératif de séparer à nouveau les banques de dépôt et les banques d investissement pour que l épargne des citoyens et des PME ne soit plus investie en bourse avec le risque de servir à la spéculation. Ensuite, il faut permettre à la BCE de prêter directement de l argent aux États. Il faut également développer plus de transparence : en interdisant le shadow banking, en levant le secret bancaire, et en interdisant aux 5 Ainsi, ce n est que très récemment (novembre 2012) que le parquet de Bruxelles a découvert que la banque Fortis avait créé en 1999 une filiale à Jersey, appelée Scaldis Capital, pour un capital de 3,4 milliards d euros. Scaldis était utilisé pour éviter le contrôle de certaines activités et produits par l autorité belge des marchés financiers, la FSMA. 6

entreprises (dont les banques) toutes transactions financières avec les paradis fiscaux. Il est possible d aller encore plus loin, notamment en interdisant la socialisation des dettes privées, à savoir le refinancement des dettes privées par de l argent public. L Équateur l a fait en inscrivant cette règle dans sa constitution. Il faut également interdire les produits toxiques mais aussi la spéculation sur toute une série de produits tels que les matières premières et les produits alimentaires et réglementer la titrisation : que ne soient autorisés à échanger sur les bourses que les acheteurs et les vendeurs réels, et qu ils investissent avec un pourcentage de fonds propres suffisamment élevé pour éviter l effet domino si leur investissement venait à s écrouler. D autre part, afin de freiner la spéculation et de rééquilibrer les richesses, il faut, comme le réclame depuis plusieurs années le mouvement ATTAC, instaurer une Taxe sur les Transactions Financières pour l Aide aux Citoyens. Ces deux derniers éléments de l acronyme sont essentiels, les recettes fiscales qui découleraient d une taxe sur les transactions financières doivent être mises au service du bien public et non servir à recapitaliser les banques en cas de nouvelles faillites, ainsi que le propose la Commission européenne. Un autre chantier à mettre en œuvre pour reprendre le contrôle des activités financières est la reprise de contrôle du secteur bancaire par les pouvoirs publics. En mettant en place une banque publique dont l objectif prioritaire ne serait pas la maximisation des profits mais une gestion saine des dépôts des épargnants qui permettrait de financer des projets socialement utiles et écologiquement soutenables. Cela dit, une banque publique risquerait d être trop faible par rapport à la puissance de la finance mondiale. Il serait donc nécessaire d aller plus loin en mettant sur pied un pôle bancaire public capable de concurrencer efficacement le secteur bancaire privé. Certains proposent même d aller encore plus loin avec une socialisation complète du secteur de la banque et de l assurance. Enfin, une autre proposition importante consiste à déclarer un moratoire sur la dette, la mise en place d un audit et l annulation des parts illégales et illégitimes de cette dette. Il s agirait pour l État de dire : «Aujourd hui j ai des obligations envers ma population plus importantes que de rembourser les créanciers : payer la dette aujourd hui empêche la satisfaction des besoins fondamentaux de ma population. Je suspends donc le payement de cette dette en vertu du respect du droit international en général et de la charte des Nations- Unies en particulier». Dans le même temps, l État et/ou les citoyens feraient une analyse approfondie, un audit, de la dette : la façon dont elle a été contractée, qui la détient, pour ainsi déterminer les parts illégitimes : celles qui n ont pas servi les intérêts collectifs mais bien les intérêts particuliers seraient alors déclarées nulles 6. C est possible Ce qu il faut surtout garder en tête, c est que ces avancées ne se feront pas sans la pression des citoyens sur les pouvoirs publics. Les grands changements sociaux de l histoire ont été réalisés grâce à des mobilisations sociales importantes et une conscience critique collective forte. Dans cette perspective, il faut commencer par rompre avec le fatalisme et se défaire 6 Pour plus d information sur les dispositions légales permettant d affirmer la primauté de la satisfaction des droits humains sur le droits des créanciers consultez l article de Renaud Vivien, Suspendre le remboursement de la dette pour protéger les droits de population : http://cadtm.org/suspendre-le-remboursement-de-la 7

de l idée que les propositions ci-dessus sont impossibles à mettre en œuvre parce que le secteur financier serait trop complexe et la finance trop puissante pour qu on puisse en reprendre le contrôle. Les exemples sont nombreux où une pression populaire combinée à une volonté politique réelle ont permis de gagner des victoires face à la finance. Prenons l exemple de la Pologne qui après la chute de mur se retrouvait avec de graves difficultés financières. Pour y faire face, elle a suspendu son payement malgré le refus de l Union européenne de lui accorder un moratoire en lui opposant l exigence d un remboursement rendu possible à coup de plans d austérité. Ce refus a mis la Pologne en position de force. Comme le dit avec humour Olivier Bonfond : «Si tu dois mille euros à une banque et que tu ne les as pas, tu dors mal mais si tu lui dois 10 milliards d euros et que tu ne les as pas, alors c est elle qui dort mal». Résultat de ce refus catégorique, les banques ont consenti à une réduction des intérêts et à une diminution du stock de la dette. Le pays ne s en est que mieux porté : sa souveraineté a été renforcée et, pendant la durée de la suspension de payement, le pays a pu sortir la tête de ses difficultés financières. La Pologne n est pas le seul exemple d un pays qui, plutôt que de demander des sacrifices à sa population, tient tête aux créanciers et change ainsi le rapport de force : l Argentine en 2001, l Equateur en 2007 ou encore l Islande en 2008 sont autant de pays qui, plutôt que de rassurer les marchés, ont décidé de les affronter et de les inquiéter. Non seulement il n y a pas eu la catastrophe annoncée, mais ils ont vu leur situation sociale et économique s améliorer. À tous ceux qui disent que si on ne paye pas, nous courrons à la catastrophe, nous pouvons répondre que, même si s affronter à la finance n est pas chose facile, c est la voie actuelle qui nous mène tout droit à la catastrophe : régression des droits sociaux, récession économique, explosion des inégalités, de la précarité et de l exclusion sociale, montée de l extrême droite il est donc grand temps de faire autrement. Ce changement passera obligatoirement par une volonté politique forte et des citoyens informés et engagés. De nombreux mouvements sociaux se mobilisent aujourd hui pour éviter l effondrement, lutter contre le chômage et construire une Europe démocratique. Ces mobilisations et actions, comme par exemple la campagne menée conjointement par la FGTB, le CEPAG et le CADTM : «A qui profite la dette? On veut savoir!» ou encore le Collectif Roosevelt 2012, fondé par l économiste et conseiller régional d Ile de France Pierre Larrouturou, le sociologue et philosophe Edgar Morin et Stephan Hessel et dont il existe un groupe local à Bruxelles, nous offrent la possibilité à nous citoyens de nous informer, d informer les personnes autour de nous et de participer concrètement à l action citoyenne. Claire Wiliquet Centre Avec 8