Guêpes, abeilles et habitat traditionnel en Normandie

Documents pareils
1 cadre. 3 c 5 c. 7c 9 c. Actu Api n 19

Journées portes ouvertes ECOPHYTO

Petit conservatoire dans un jardin des Collines du Paradis

Un pavillon se compose de murs et d'un toit qui peuvent être réalisés de différentes façons suivant le budget donné :

Cours de Structures en béton

Les insectes jardiniers

Nathalie Juteau. Nathalie Juteau CONSEIL D ADMINISTRATION Juillet 2007

Comment bien utiliser votre assurance «Dommages-Ouvrage»

LE LAVOIR DE LA MONTAGNE - RAPPORT DE PRESENTATION - DOSSIER PHOTOGRAPHIQUE

AGORA 2014 Appel à idées Habiter les toits à Bordeaux Et pour compléter

RELEVE D ETAT DU PONT DES GRANDS-CRÊTS. On a procédé une auscultation visuelle entre le 23 et le 29 mars 2007.

Auxiliaires. Vue d ensemble les ravageurs et leurs ennemis naturels

Les méthodes de luttes : De la protection «systématique» à la Protection Intégrée (P.B.I.)

Guide d installation

STANDARD DE CONSTRUCTION CONDUITS, ATTACHES ET RACCORDS DE

Les portes intérieures

Pourquoi les guêpes, abeilles et bourdons piquent-ils? Arrgh! Une guêpe, là! Arrrrrgh! Va-t-en!!!

De La Terre Au Soleil

2. Les auxiliaires de culture

DIAGNOSTIQUEUR IMMOBILIER. Cursus complet théorique et pratique

Guide des autorisations d urbanisme

EN QUÊTE DU MONDE. Les nids de fourmis rousses. Présentation de la vidéo... 2 Générique... 2 description... 2 Principaux thèmes abordés...

Guide des auxiliaires indispensables : Aphelinus mali, punaises prédatrices et acariens prédateurs

ISOLER LA TOITURE INCLINÉE

Fiche Technique d Évaluation sismique : Construction basse en Maçonnerie Non-armée, Chaînée, ou de Remplissage en Haïti

Le séchage en grange du foin à l énergie solaire PAR MICHEL CARRIER AGR. CLUB LAIT BIO VALACTA

Réussir l assemblage des meubles

BILAN DE LA CAMPAGNE 2014

Villa dite Saint-Cloud

TITRE DE L ACTIVITÉ : Vivre en groupe chez les animaux. DISCIPLINES ET DOMAINES D ACTIVITÉ de la discipline

Libre-Service de l agence ISOPAR Garges-lès-Gonesse

ENCASTREZ UN EVIER ET POSEZ UN MITIGEUR A DOUCHETTE

JE RÉALISE. Poser. une alarme sans fil. Niveau

Mur double - appui plancher béton sur linteau Cellumat. 1/Détail: mur double appui hourdis béton sur linteau Cellumat

COMMENT CONSTRUIRE UN CRIB A MAÏS?

SALLE DE BAIN, DOUCHE, PLAN DE TRAVAIL CUISINE, PISCINE... Collage et jointoiement. L Epoxy facile

FICHE TECHNIQUE SikaLatex

LA CHARPENTE. Les principales pièces des charpentes traditionnelles

CHARPENTIER / CHARPENTIÈRE

CONTENU MISE EN PLACE. 1. Placez le plateau de jeu au centre de la table.

Programme détaillé de la formation AVEC PRE REQUIS ( Bac+2 bâtiment ou 3ans d expérience dans les techniques du bâtiment)

Maison, actuellement bureaux

Construction. Catalogue de détails. L habitat sain, naturellement. Produits pour la construction saine issus de matériaux naturels renouvelables

communes du pays de brouilly. Four du hameau de Chardignon Saint-Lager

OUTIL D AUTO-ÉVALUATIOn POUR LES RÉSERVES DE MUSÉE

FORMATION PATHOLOGIES BIOLOGIQUES DU BOIS DANS LA CONSTRUCTION. Connaître le bois et ses technologies. Identifier les agents de dégradation du bois

RENOVATION DES BÂTIMENTS ET CONSERVATION DES CHAUVES-SOURIS

Parking. Les places accessibles devront être les plus proches de l entrée.

Complexité et auto-organisation chez les insectes sociaux. Complexité et auto-organisation chez les insectes sociaux

PLAN DE SITUATION C'est le plan qui localise votre terrain PCMI 1. SAINT DENIS - Bellepierre Parcelle AY 592. Ech : 1/ 2000 ème

Soudal Panel System SPS. La force extrême derrière vos panneaux de façade. SOUDAL PANEL SYSTEM. Soudal Panel System 1 SPS SOUDAL PANEL

La Chapelle de la Ferme d Ithe

Le bac à graisses PRETRAITEMENT. Schéma de principe. Volume du bac à graisses. Pose

Poseuse de systèmes intérieurs

Nouvel immeuble de bureaux pour la C.U.B - Groupe FAYAT

Contrôle thermographique Tarifs et prestations :

L HABITAT. Technologie 5ème

Surligne les phrases si elles sont justes :

Regard sur le béton. Maison «Mannaz» à Wasseiges

Les dimensions mentionnées sont pour la plupart reprises dans la réglementation (STS54, NBN EN 3509), RGPT, arrêté royal du 07/07/97)

Haute-Normandie. Livret jeune public

CONNAISSANCE DU PATRIMOINE ARCHITECTURAL ET URBAIN RAPPORT DE PRÉSENTATION

Colle époxydique multi usages, à 2 composants

Présentation renouveau école Georges Pamart

Mettre la puce à l oreille mais pas de poux! français. Guide anti-poux

LE MONITORING DE LA BIODIVERSITE EN SUISSE. Hervé LETHIER, EMC2I

Bancs publics. Problématiques traitées : FICHE

Guide Technique Pour la Charpente de Mur. LSL et LVL SolidStart LP

AVEC ARDEX, vous MORTIERS DE JOINTOIEMENT ARDEX

Garde-corps. bfu bpa upi. Base: norme sia 358. Les bâtiments doivent répondre à un besoin humain fondamental, celui de se sentir en sécurité.

Carport Evolution 1 Voiture Adossant

Les insectes auxiliaires du jardin Maintenir la biodiversité dans le Grand Lyon

ÉVALUATION DU TYPE DE DOMMAGE CAUSÉ PAR LA PUNAISE PENTATOMIDE VERTE, ACROSTERNUM HILARE (SAY) SELON LE DÉVELOPPEMENT DES FRUITS

LES FOURMIS NUISIBLES AU QUÉBEC

LES MENUISERIES INTÉRIEURES

Muret Laurentien MC. Classique et Versatile

NOM équipement. Notice accessibilité pour les établissements recevant du public

Auxiliaires au Jardin

NOUVELLES POUR LE STOCKAGE DES

les escaliers La pose Guide d installation pour bricoleurs Préparation des outils Prêt à installer Moulé à votre style de vie

MANUEL D INSTALLATION DES BRIQUETTES ET PIERRES BRICO DÉCO CONCEPT


La fourmi. Biologie et protection

ESTIMATION DE LA TAILLE DES POPULATIONS D ANOURES DE LA FORET DE FONTAINEBLEAU (SEINE ET MARNE)

SOLAIRE PHOTOVOLTAÏQUE V-SYS ULTRA - FLEXI - ON FLOOR - ON TOP. FABRIQUÉ EN FRANCE

Vu le dahir du 7 kaada 1371 (30 Juillet 1952) relatif à l urbanisme et, notamment, son article 18 ;

ETUDE D UN BATIMENT EN BETON : LES BUREAUX E.D.F. A TALENCE

Techniques et matériaux

MONIER CLIMA COMFORT PLUS L isolation de toiture la plus mince. Des performances thermiques maximales et plus de confort

EXTENSIONS ECOLOGIQUES

NOUVEAU DISPOSITIF REGLEMENTAIRE Les ERP

Barrières infrarouge actif double faisceaux Multi fréquences SBT 30F-60F-80F-100F-150F Notice d installation. Logo

ARSEAA LES MARRONNIERS

Carnet photos. Visite commentée des travaux

Le rôle des haies dans le maintien et le développement des auxiliaires de culture et les pollinisateurs

Salles de bains PMR *

PLONGEZ AUX SOURCES DU CONFORT... Chauffe-eau électrique Chauffe-eau thermodynamique Chauffe-eau solaire ÉDITION

A KEE SAFETY PRODUCT A C C È S E N H A U T E U R. Plateforme d'accès. ASSEMBLAGE SANS OUTILS ALTERNATIVE ÉCONOMIQUE à UN ÉCHAFAUDAGE

FICHE DE POSE FILMS AUTOMOBILES FPP Auto A SOMMAIRE

Voyez la réponse à cette question dans ce chapitre.

Transcription:

LA CONNAISSANCE ET L ACTION PRÈS DE CHEZ SOI! Inventaire de la Nature Guêpes, abeilles et habitat traditionnel en Normandie * Résumé L habitat traditionnel normand, avec ses murs en colombage et son paysage de bocage, est une image bien connue. Ce qu on sait moins, c est que ces constructions sont aussi le refuge d une faune intéressante d insectes hyménoptères. En effet, la construction à colombage restitue plusieurs types de micro habitats activement recherchés par les femelles de guêpes et d abeilles solitaires pour l installation de leur nid : - Les galeries creusées dans les poutres par les insectes xylophages sont souvent occupées par des guêpes et abeilles xylicoles ou rubicoles, qui dans la nature nichent dans le bois mort ou les tiges creuses : osmies, guêpes sphécides, etc. ; - Le chant des toitures de chaume peut abriter en grand nombre de petites espèces rubicoles, surtout de petits sphécides (Trypoxylon, Pemphredonini) ; - Les murs en torchis et en bauge miment les parois terreuses sèches, un substrat recherché par certaines espèces terricoles aux exigences spécifiques : abeilles anthophores, halictes, guêpes maçonnes. Ce type de paroi sèche est rare dans la nature en Normandie ; - Et plus généralement les multiples refuges présents dans ce type de construction peuvent être utilisées par de nombreux insectes opportunistes : pompiles, guêpes sociales En dehors des guêpes sociales, ces espèces ne sont jamais agressives et ne causent pas de dommages aux constructions. La présence de nids de guêpes et d abeilles solitaires va secondairement favoriser la venue des espèces parasites, qui appartiennent à des groupes d insectes beaucoup plus variés : guêpes chrysides, sapygides, abeilles coucous, hyménoptères parasitoïdes (ichneumonides, braconides, chalcidiens...), mouches parasites (bombyles, tachinaires), coléoptères méloides Écologiquement parlant, les murs de terre crue, torchis ou bauge, sont le milieu le plus intéressant. C est là qu on rencontrera le plus d espèces remarquables, notamment des espèces xérophiles sur les parois bien exposées. À cet égard, les longs murs en bauge qui ceinturent les propriétés mériteraient une attention particulière. Mots-clés : insecte, hymenoptères, xylophages, micro-habitats * 10 rue de Thorigny - 76130 MONT SAINT-AIGNAN - p_tripotin@hotmail.com La maison Normande Nous avons tous en tête l image d Epinal de la maison normande traditionnelle, faite d une ossature en poutres assemblées et d un remplissage à base de terre crue (torchis), avec sa couverture en chaume, quelquefois encore préservée, mais de plus en plus souvent remplacée par des tuiles ou des ardoises. Ce mode de construction à colombage n a en fait rien de très original : on le retrouve presque inchangé dans d autres régions de France (Alsace) et du monde (jusqu en Corée), en général là où la pierre de construction faisait défaut. Plus originaux sont les hauts murs de terre crue moulée et séchée sur place, appelés localement murs en bauge, qui délimitent les propriétés. Nous y reviendrons car c est un des éléments les plus intéressants pour la faune d insectes. Il faut aussi mentionner l environnement bocager, avec ses arbres têtards et ses alignements d arbres de haute tige édifiés sur des cordons de terre surélevée, qui sont eux aussi favorables à la faune sauvage. Par ces constructions, l homme a encouragé la présence d insectes qui ont prospéré autour de lui, souvent à son insu. Parmi ceux-ci, beaucoup d hyménoptères aculéates, auxquels nous nous intéresserons ici. 187

La construction à colombage, un vrai nichoir à insectes Rappelons que c est parmi les hyménoptères aculéates (ou porte-aiguillon) que l on trouve toutes les espèces de guêpes et d abeilles qui construisent un nid, que celui-ci est l œuvre des femelles uniquement, et que l essentiel des espèces sont solitaires. De façon générale, les abeilles approvisionnent leurs cellules (dans lesquelles se développe individuellement chacune des larves) avec du pollen mêlé de nectar, tandis que chez les guêpes, ici surtout des Sphécides et des Vespides, l approvisionnement se fait avec des insectes (adultes ou immatures) ou des araignées paralysés. Le choix des fleurs butinées pour les abeilles ou des proies pour les guêpes est caractéristique du genre ou de l espèce. L emplacement du site de nidification est déterminant dans le succès reproductif de beaucoup d espèces. On retouve dans la maison à colombage trois substrats utilisés par beaucoup d hyménoptères nidificateurs : des tiges creuses dans la toiture en chaume, des galeries d insectes xylophages dans les poutres en bois, et des parois verticales terreuses et sèches sur les murs en torchis et en bauge. On notera que ce sont les mêmes substrats qui sont proposés aux insectes dans les nichoirs à hyménoptères. Mais rassurons d entrée les heureux propriétaires : la présence d hyménoptères nicheurs dans les poutres de sa maison n a rien à voir avec une attaque d insectes xylophages, et ne menace jamais leur solidité. Et les espèces concernées, dépourvues de tout instinct de défense du nid comme toutes les espèces solitaires, ne sont jamais agressives. Elles réservent leur piqûre à la capture de proies en général minuscules, et pour les espèces du Nord de la France celle-ci est bénigne. Elles sont en revanche un sujet d observation de choix pour les naturalistes. La faune des tiges creuses : les espèces rubicoles On sait que dans la nature de nombreuses espèces nichent dans les tiges creuses de ronces (Rubus), de phragmites, de sureau, etc. Le chant des toitures en chaume offre des tiges coupées par centaines, et dans les cas favorables la toiture peut héberger des nids en grand nombre. Les toitures assez récentes sont plus favorables. Avec le temps l extrémité des tiges se dégrade et s obstrue progressivement et les tiges perdent alors de leur attractivité. Le diamètre des tiges autorise la nidification d espèces de taille petite ou très petite. Parmi les Sphécides ce sont surtout de petits Pemphredoninae (Passaloecus, Stigmus, Psenulus, Spilomena...), tous chasseurs de proies minuscules comme des pucerons ou des psoques, et des Trypoxylon, petites guêpes au corps allongé qui chassent des araignées minuscules ; de petites abeilles rubicoles (Megachilides, Ceratina) nichent aussi dans les tiges les plus grosses. Cette faune est souvent assez banale, mais la concentration de nids autour des toitures favorables permet localement le développement d espèces parasites associées qui sont plus rares, ou tout du moins plus difficiles à observer dans la nature. Passaloecus. 188

Ectemnius. Crossocerus. La faune des pièces de bois : les espèces lignicoles L ossature du colombage est faite de poutres de chêne équarri qui se couvrent avec le temps de diverses galeries d insectes xylophages qui sont autant de sites de nidification potentiels pour les hyménoptères lignicoles. Ainsi l aubier est presque toujours percé de galeries de vrillettes (Anobium sp), d un diamètre de 1 à 2 mm environ, souvent réutilisées par de minuscules espèces de Sphécides, comme les Spilomena ou Stigmus rencontrés précédemment, voire de très petits Trypoxylon. Si le mur a été exposé à l humidité, le chêne peut avoir été attaqué par d autres coléoptères xylophages de taille plus importante, qui ont laissé des galeries de plus fort diamètre et plus profondes. Les poutres portent aussi souvent la marque d anciens trous de clous ou de perforations diverses. Autant de galeries qui, en fonction de leur diamètre, vont intéresser un spectre plus large d hyménoptères : des sphécides de la tribu des Crabronini, tels que de petits Crossocerus ou des Ectemnius, souvent chasseurs de diptères ; des Pemphredoninae de taille plus importante comme des Pemphredon ou des Psenulus, chasseurs de pucerons ; des guêpes vespides du groupe des Odynères, chasseuses de chenilles, qui operculent le nid d un bouchon terreux ; de nombreuses abeilles solitaires comme des Osmies, des Megachiles, etc. Dans la nature ces espèces nichent dans le bois sec attaqué par des insectes xylophages. Quand il est préservé, le bocage normand est riche en gîtes potentiels, avec ses arbres têtards, ses vieux fruitiers et ses arbres isolés. En général, la guêpe commence par localiser une galerie favorable, puis elle l aménage en la nettoyant des débris accumulés, en l élargissant, et prépare des emplacement pour les cellules. Elle approvisionne alors chaque cellule, dans laquelle est pondu un oeuf, et la referme par une cloison avant de passer à la suivante. Un bouchon final fait de matériaux malaxés, terre, bois trituré ou résine pour certaines abeilles, operculera le nid côté externe, ce qui permet de reconnaître aisément les galeries occupées. À leur sortie, les guêpes et abeilles perforent le bouchon, mais des traces d opercule restent souvent visibles sur les côtés du trou de sortie. Un trou de sortie de petite taille par rapport au diamètre de l opercule signe en général la sortie d un parasite. D une année sur l autre les mêmes galeries sont souvent réutilisées, quelquefois par des guêpes qui y sont nées, si bien qu une petite colonie d une espèce donnée peut se retrouver au fil des ans autour de la même maison, voire sur la même poutre, le facteur limitant l expansion de la colonie étant le nombre de galeries favorables. Souvent, les parasites, rares au début, se développent parallèlement et finissent par effectuer une prédation très importante sur les populations d hôtes. Quelquefois, sur des colonies anciennes, pratiquement plus aucune guêpe ou abeille ne parvient à maturité. Osmia. Guêpes, abeilles et habitat traditionnel en Normandie 189

La faune des murs en torchis et en bauge : les espèces terricoles Nous arrivons ici à l élément le plus original, car les murs de torchis ou de bauge miment un type de milieu rare dans la campagne normande : les parois de terre sèche. Rappelons que les abeilles et guêpes terricoles, nombreuses en espèces, sont en général très exigeantes, sinon exclusives, quant au type de substrat recherché pour le nid et à l inclinaison du sol : beaucoup nichent dans le sol horizontal (terre tassée ou sols sableux). Celles qui nous intéresseront ici recherchent pour la construction de leur nid des parois verticales ou sub-verticales. En l absence de couches de terrain favorables et malgré le climat humide de Normandie, des milieux s apparentant à des parois sèches se rencontrent ponctuellement sur les pentes écorchées des coteaux calcaires, sur le bord des talus qui s effritent, et le long des chemins encaissés protégés de la pluie battante. Les souches d arbre déracinés par le vent (pins surtout) créent aussi des micro-milieux favorables dans la terre qui reste agglomérée au fouillis des racines. La tranche des dépôts artificiels de sable ou de sédiments et le front des carrières peuvent aussi être très favorables aux hyménoptères, mais la faune y est sensiblement différente, avec des espèces sabulicoles. En Normandie les parois sèches sont donc souvent des milieux artificiels à évolution rapide, soumis à l érosion ou la revégétalisation. Pour survivre, les espèces qui les recherchent doivent avoir de bonnes facultés de dispersion. Un nouveau secteur favorable, même très restreint, sera vite découvert et occupé si l espèce est présente alentour. Pour certaines espèces (abeilles notamment) des agrégats importants de nids pourront se développer sur des zones restreintes. Mais la disponibilité en sites favorable à la nidification reste le facteur limitant pour ces espèces. Les murs en torchis et surtout en bauge constituent le substitut idéal, supérieur même à ce qui est disponible dans la nature, car mieux protégé des intempéries et plus pérenne. Les premières abeilles ou guêpes pionnières vont commencer par creuser le mur, en général par réhumidification progressive. Celles-ci sont surtout des abeilles (Anthophores) et des guêpes solitaires (Odynères) d assez forte taille. Maçonnes, elles cimentent les parois de la galerie en confectionnant un mortier étanche plus résistant que le mur d origine. Ces premières galeries vont ensuite ouvrir la voie à d autres espèces qui ont besoin d une amorce de galerie, voire d un nid tout préparé. Après de nombreuses années d utilisation, le mur apparaît complètement grêlé de trous de sortie et de traces d anciens nids d abeilles et de guêpes. Parmi les espèces rencontrées, citons parmi les abeilles, les Anthophores, dont la plus commune est Anthophora plumipes ; de petits Halictus qui forment des agglomérations de nids («bourgades»), des abeilles coupeuses de feuilles (Megachile), d autres Megachilidae... Chez les guêpes, on rencontrera surtout des guêpes maçonnes (Eumeninae), qui en dehors des murs en terre sont assez rares en Normandie : plusieurs Odynères, dont Odynerus. Anthophora. 190

Eumenes. Odynerus spinipes, le plus commun, ont un nid dont l orifice s orne durant sa construction d une cheminée externe bien repérable ; ses nids sont souvent réemployés par d autres espèces proches ; on y rencontre même des Eumenes, guêpe potière très commune au sud de la Loire mais peu fréquente en Normandie, qui appose ses nids de terre sur le mur de torchis. L exposition du mur est importante, car la plupart des guêpes et abeilles concernées sont thermophiles. On trouvera le plus de nids sur les parois bien exposées au rayonnement solaire, qui peuvent alors s élever fortement en température, la terre restituant ensuite doucement la chaleur. À cet égard, les murs en bauge sont particulièrement favorables car ils présentent toujours une face bien exposée et se déroulent sur des métrages importants (quelquefois plusieurs centaines de mètres), généralement dans un environnement dégagé. Pour les murs de torchis des constructions, l exposition est déterminante. Souvent, seule la façade sud est attractive. Le débord des toitures ou la présence de constructions adjacentes peuvent limiter par leur ombre la présence des insectes. Dans les maisons bien entretenues un enduit récent est souvent apposé, qui empêche ou limite le creusement des nids, qui ne sont pas les bienvenus... C est donc souvent sur les murs en torchis des bâtiments utilitaires, en mauvais état ou abandonnés, qu on trouvera le plus de nids. Dans une moindre mesure, les joints friables (chaux ou en terre) des murs de briques ou de rognons de silex peuvent aussi être utilisés par les hyménoptères (osmies notamment). Melecta. Sapyga. Le cortège d espèces parasites La concentration de nids d hyménoptères autour des constructions anciennes attire toujours un cortège d espèces parasites, qui s introduisent dans les nids pour y pondre durant la construction ou les perforent ensuite. Les espèces parasites sont beaucoup plus nombreuses que les espèces-hôtes, mais la majorité ne sont pas souvent observées. Citons parmi les hyménoptères aculéates, la grosse abeille-coucou Melecta albifrons qui pond dans les nids d Anthophores, les Sapyga qui parasitent les Osmies, les nombreux Chrysis qui s attaquent aux abeilles et les guêpes maçonnes ; parmi les hyménoptères parasitoïdes, des Gasteruption, des Ichneumonides (Cryptinae), des micro-hyménoptères Chalcidiens... Des diptères aussi : des Bombylides comme les Anthrax, des Sarcophagides comme les Miltogramma. Et même des Coléoptères Meloides, dont on trouve assez souvent les larves triongulin accrochées au corps des guêpes maçonnes ou des abeilles. La diversité des comportements et des stratégies chez les parasites est très vaste, et encore peu connue. Certains ne s attaquent qu à un seul hôte, d autres à un vaste spectre d espèces. Chrysis. Guêpes, abeilles et habitat traditionnel en Normandie 191

Les espèces opportunistes Les auvents et la sous-face des toitures, les crevasses des poutres, les infractuosités entre le torchis et le colombage, les galeries dans le bois ou les murs sont des espaces protégés des intempéries qui attirent des espèces opportunistes. Les guêpes pompiles viennent y chasser les araignées, ou y cacher une proie paralysée. Les espèces hivernantes s y abritent des rigueurs de l hiver : reines de vespides sociaux, diptères (Muscides), coléoptères (coccinelles), punaises, vanesses... À l occasion, un nid de guêpes sociales est établi sous le rebord d une toiture... En conclusion... En Normandie, d assez nombreuses espèces rubicoles et lignicoles peuvent venir nicher dans le bois des constructions à colombage, mais on peut penser que les populations de ces espèces ne sont pas menacées tant que suffisamment de bois mort est conservé dans la nature. C est heureusement le cas dans nombre de secteurs de la campagne normande (zones d élevage). Rappelons qu un petit nombre d arbres favorables suffit au maintien d une espèce. La situation est toute différente pour la faune d hyménoptères des murs de terre, à la fois plus remarquable et plus menacée parce que plus exigeante. Pour le torchis des constructions se pose la question de l entretien du mur, pratique nécessaire mais préjudiciable aux populations d insectes. Les murs en bauge ne posent pas ces problèmes d entretien. Ils sont très attractifs et abritent des espèces rares dans la nature environnante. Leur conservation chaque fois que c est possible, et la construction de nouveaux murs, ou la création de structures analogues spécialement dédiées aux insectes, seraient très utiles au maintien dans la campagne normande de cette faune originale de guêpes et d abeilles nicheuses, et des parasites qui y sont associés. Nid de Polistes (guêpes sociales). 192