1 r e 007: RACHDI Aïcha Que dire? Comment le dire? Ce que j éprouve n est pas indicible mais invivable. Peut-on le raconter? Le pourra-t-on? Le doute me vient dès ce premier instant. Ces villes détruites et saccagées par la haine, accompagnées des cris et larmes des victimes innocentes. Je suis arrivé comme un ancien, la guerre je la connais mais celle-ci est différente des précédentes. En effet cette guerre est d un nouveau genre, désormais des civils en masse sont tués et leurs maisons dévastées. Je veux dénoncer l horreur de la situation, c est un massacre. Le dégoût est omniprésent, ici règne une odeur effroyable de charnier, l odeur de la mort. Rien ne sert d être sociable. Qui sait? Dans une heure ou bien même à l instant je risque la mort. Cœur de pierre, je ne m attache à personne et je n en avais pas l intention. Je ne sais pas à qui s adresse cette lettre puisque je n ai aucune famille et aucun ami mais sachez ceci : Ceux qui n aiment pas la paix n ont pas connu la guerre. Célestin Mira
2 e 001: LACHERY Léa Mon cher Charles, Le 30 avril 1917 Tu es rentré depuis très peu de temps chez toi auprès de ta femme et de tes enfants. Je t envie tellement. Ici ta présence me manque beaucoup, je me sens terriblement seul la nuit dans ce silence monstrueux. Hier, tard dans la nuit, nous entendions encore un soldat français crier sans s arrêter avec beaucoup de douleur «Pitié! Sauvez moi!». Quelle horreur. Aujourd hui je vais sur ce terrible champ d assaut A chaque instant je pense à ma fille et à ma femme restées à la maison. Je ne veux pas mourir sous les balles allemandes ou sous leurs obus. Pour me protéger je vais dans les trous d obus comme tu le faisais. Mais à chaque fois, je tombe sur des corps de soldats ou du moins ce qu il en reste. Je ne veux pas finir comme ça. Cette nuit il a plu. Nous avons du dormir dans la boue. Edmond, notre fidèle ami est mort abattu par un allemand. Chaque jour, chaque heure, chaque minute de ma vie de soldat je me pose cette question : pourquoi dois-je les tuer? eux aussi ont-ils une famille qui les pleureront? J ai tellement peur de mourir que je pense à me mutiler comme tu l as fait pour enfin rentrer chez moi et essayer d oublier cette horreur, ces corps, ce sang. Peut-être te renverrai-je une lettre si je ne suis pas mort au prochain assaut aujourd hui ou demain. Henry.
3 e 005: DUPONT Madisson 15 février 1916. Ma chère famille, Cela fait un an et demi que je me trouve dans les tranchées. Ici nos cœurs sont lourds. Nous ne pouvons pas évacuer tous les cadavres ce qui provoque une odeur insupportable. Il y a deux jours de ça, mon coéquipier s est fait tuer devant mes yeux. Son corps est resté près de moi toute la journée. Comme je ne supportais pas cette situation, j ai demandé à d autres soldats de mon escouade de m aider à l enterrer. Nous avons passé la journée à enterrer les corps des gens qu on appréciait. Après cette terrible épreuve, il est difficile de se lier d amitié avec quelqu un car nous sommes plus que jamais conscients qu on se trouve sur le palier de la mort. Je me retrouve donc seul pour ne pas souffrir davantage car la guerre est assez difficile. Nous sommes au mois de février et le froid est toujours présent. J ai les pieds tellement froids que j ai du mal à m en servir, de même pour mes mains. Essaie de tuer l ennui si tu n arrive pas à appuyer sur la détente. J ai toujours l inquiétude de m endormir et de ne pas me réveiller à cause du froid. Ici, il n y a pas de douches, ni de salles de bain. Non, dans les tranchées, les soldats ne se changent pas, ne se lavent pas. On se traîne dans la boue toute la journée. Je te laisse imaginer l odeur affreuse. Ce n est pas le pire,
non! C est que tout ça amène des poux, des plaques rouges et aussi les rats. Les rats nous rendent encore plus la vie impossible. Je suis recouvert de morsures, celle de mon mollet est infectée. Elles nous empêchent de tomber dans les bras de Morphée. On me connaît assez pour savoir que je suis un gros mangeur. Mais ici, on nous donne presque rien à manger. Le froid nous aiguise terriblement l appétit. J ai perdu quinze kilos durant ces deux années. Mes forces sont faibles, je ne résisterai pas longtemps à ce rythme. Aujourd hui, la mort ne me fait plus peur. J accepte mon sort. Mais si je ne devais pas survivre à la guerre, je voudrais mourir le plus vite possible car, quitte à mourir, je souhaite partir de cet enfer maintenant. Je me trouve actuellement en 3e ligne, l ennui est bien présent, trop présent! J ai pu remarquer que chaque soldat a sa manière de combattre l ennui. Ils jouent aux cartes, écrivent des lettres, fabriquent des objets souvent absurdes mais la plupart se plongent dans un monde fictif. C est la seule manière de ne pas mourir d ennui. Mais ça peut aussi avoir des effets négatifs : un soldat, c est tellement enfermé dans son monde qu il en devient fou. Pour ma part, l angoisse est toujours présente. J ai toujours peur que ma tranchée soit prise d assaut par l ennemi. J ai mal au cœur quand j apprends le nombre de soldats morts et blessés pour un résultat nul. Mais ma première peure est de monter en première ligne depuis que j ai vu un homme reculer car il en devenait fou. Il tremblait, il criait, s arrachait les cheveux, appelait ses enfant en pleurant. Cette scène m a touché au point que j ai de la pitié pour cet homme.
La seule chose qui me plait c est dormir. C est le seul moment où je peux être avec vous. Mais tu te doutes que c est pas simple de trouver le sommeil, rien n est simple ici. Les bruits des canons et des obus sont constants. Les rats et leurs morsures. Bref, je ne connais plus la définition du mot silence. Je ne pensais pas dire ça un jour mais ça me manque. Ici, les hommes ont le temps de prendre conscience des choses et de se remettre en question et moi, je me suis rendu compte que je ne vous disais pas assez que je vous aimais. Le manque est tel que regrette de ne pas vous avoir donné tout l amour que vous méritez. Il est bête d attendre d être près de la mort pour vous dire à quel point je vous aime. Je supporte très mal l idée d être loin de vous. Mais si Dieu décide que je dois mourir de cette façon, je l accepte. La religion est deuxième force car, sans elle, je ne sais pas si j aurais pu vous écrire cette lettre qui, je l espère, ne sera pas la dernière.
4 e 020: BRIENNE Anaïs Mon Abigaëlle, Je vais commencer par le plus important : tu me manques, tout me manque. Je ne vais pas te mentir en te disant que tout va bien, parce que tout va mal. Je saigne, je suis blessé au cœur, mon cœur saigne. Comment avons-nous pu en arriver là? Ces mitrailleuses qui tuent chaque jour un de mes amis. Tu sais, l adrénaline est si forte quand nous devons traverser le no man s land. Eviter les balles, courir le plus vite possible sans regarder derrière nous, pour voir ensuite que la moitié de tes amis sont tombés sous les balles. Les voir à terre, achevés, détruits mais pas morts, presque. Si seulement ça s arrêtait là! Mais non. Tu sais, je pense qu il n y a pas de mot pour décrire ce que l on vit ; une guerre infernale qui ne s arrête jamais. Tout est difficile, que ce soit dans les tranchées, là où l ennui nous paraît insurmontable, ou dans les repos souterrains que nous avons construits. Enfin, si on peut appeler ça des repos. Les rats nous y font vivre la misère la nuit. Nous n avons pas de répit. Mes vêtements n ont pas été changés depuis que je suis ici, nous ne pouvons même pas nous laver! Je crains de ne plus avoir l odorat en parfait état! Nous puons tous! Sans exception! Sans oublier tous ces cadavres qui pourrissent à côté et partout même.
Je vais arrêter de te raconter l enfer d une histoire dont nous ne connaissons pas la fin. Avant je voudrais te demander une faveur. Donne-moi de ton temps et écris-moi le plus souvent que tu le pourras. A très bientôt, que ce soit sur Terre ou au paradis. Je t aime mon amour Ton mari pour toujours