PRÉHISTOIRE POITIERS Montmorillon MONTMORILLON Le site préhistorique de la Piscine PHOTO C. DELAGE Christophe DELAGE Outils en silex, sagaies, poinçons, aiguilles à chas, bâtons percés, parures, manifestations artistiques, restes humains Des fouilles d hier à la redécouverte d aujourd hui. Dans le travail complet de tout archéologue, on trouve d abord des prospections et/ou des fouilles qui vont permettre d exhumer des vestiges du passé. Par la suite, ce matériel va être conservé, étudié et les connaissances obtenues diffusées. Avec le site de la Piscine, à Montmorillon, nous allons découvrir un cheminement un peu différent. En 1982, les fouilles archéologiques du site étaient en effet interrompues. Heureusement, Pierre Marcel, inventeur et fouilleur du gisement, avait mis en œuvre des techniques rigoureuses qui lui permirent de ne rien laisser de côté des vestiges archéologiques. Il avait également bien avancé leur tri. Mais l étude n a cependant jamais été achevée et peu de publications en sont sorties. Pendant 30 ans, ce gisement a donc connu une longue période d inactivité et d oubli. C est pour le réhabiliter scientifiquement et le valoriser auprès d un large public que nous nous sommes replongé dans les rapports de fouilles inédits, les notes personnelles de Pierre Marcel et les quelques publications connues. Les fouilles de Pierre Marcel Le site archéologique de la Piscine est situé dans Montmorillon même et doit son nom à la toute proche piscine municipale. Constitué d un abri-sousroche, d une «grotte» et d un talus à l ouest de celleci, il se trouve sur la rive droite de la Gartempe, au pied d une falaise de calcaire jurassique. Il a été découvert fortuitement, le 24 mai 1966, lors de travaux de terrassement pour l aménagement d un jardin d enfants. Pierre Marcel (1934-2006), alors professeur d histoire-géographie au lycée Jean Moulin de la ville, fut chargé de mener les investigations de terrain. Elles consistèrent, les premières années (1966-1968), au tamisage à l eau ARCHIVES PIERRE MARCEL / MUSÉE DE MONTMORILLON Vue générale du site de nos jours. Pierre Marcel sur le gisement, dans les années soixante-dix. Le Picton n 212 Mars Avril 2012 1
ARCHIVES PIERRE MARCEL / MUSÉE DE MONTMORILLON État du gisement en 1966, après le passage du bulldozer. Dent d ours perforée (taille réelle). Valorisation des collections et nouvelles activités L année 2011 a été, en grande partie, tournée vers la commémoration des 45 ans de la découverte du gisement de la Piscine qui a eu lieu le 24 mai 2011, en présence de M. le Maire et de la famille Marcel. À cette occasion a été réalisé un ouvrage faisant le bilan documentaire des recherches de Pierre Marcel il peut être acheté auprès du musée de Montmorillon, tél. 05 49 91 13 99, musee.montmorillon@alienor.org. d environ 40 tonnes de déblais, initialement déplacés par le bulldozer. Par la suite, entre 1968 et 1982, treize campagnes de fouilles ont mis au jour un riche gisement archéologique. Ces fouilles se sont concentrées, toutes ces années, sur l abrisous-roche et le talus à l ouest de la grotte, le projet s achevant dans la cavité. En 1982, Pierre Marcel avait, semblet-il, prévu de s arrêter quelque temps, afin de mettre ses notes et relevés au propre et de publier «le résultat de PHOTO F. BOUGNOTEAU / MUSÉE DE PRÉHISTOIRE DE LUSSAC-LES-CHÂTEAUX Le bois de renne gravé exposé au musée de Préhistoire de Lussacles-Châteaux fait l objet, depuis juin 2011, d un dossier sur le site Internet du Conseil des musées du Poitou-Charentes : www.alienor.org/ articles/bois-grave/index.htm. Par ailleurs, le dimanche 24 juin 2012, lors des Journées nationales de l archéologie, une visite guidée, complétée par une présentation de matériel archéologique, aura lieu sur le site. Enfin, il est désormais possible de s informer et de suivre l avancement des recherches et des activités liées au site préhistorique de la Piscine sur : sitearcheo-la-piscine.blogspot.com Page d accueil du site Internet (Alienor.org) sur le bois de renne gravé. 10 ans de travail», mais différentes circonstances personnelles et professionnelles l en ont empêché. Quel bilan tirer de ces fouilles? Elles ont mis au jour une abondance et une variété de vestiges insoupçonnées à l époque. Plusieurs dizaines de milliers de silex taillés outils et déchets. Des vestiges de faune non travaillés : renne, cheval, antilope saïga, cerf, etc. De nombreuses vertèbres de poissons : truite et saumon ; des restes de microfaune et quelques fragments d os d oiseaux : harfang, lagopède, outarde. Des outils en matière dure animale typiques du Paléolithique supérieur : baguettes, sagaies demi-rondes, poinçons, aiguilles à chas, lissoirs, ciseaux, bâtons percés, ainsi que des fragments de «navettes». Des restes humains : plusieurs dents et fragments osseux. Des éléments de parure : coquillages, dents et os d animaux percés dentales, incisives de cervidés, phalanges de renne, os longs d oiseaux, incisive d ours, etc. Des morceaux de pigments/colorants : manganèse et restes d ocre. Des manifestations artistiques, illustrées par un nucléus au cortex portant une tête de cheval gravée, un bois de renne sur lequel sont gravés des chevaux, ainsi que divers os d animaux et des fragments calcaires incisés. Autant d éléments qui firent que, dans les années soixante-dix, les préhistoriens pressentaient déjà ce gisement comme essentiel à la compréhension de la préhistoire régionale. Tout ceci grâce à Pierre Marcel, qui mit en œuvre, dès 1968, des techniques de fouilles très méticuleuses (et devenues aujourd hui évidentes) : notes de terrain, photographies, repérage en 3D, carroyage de 1 x 1 mètre, dessins, lavage, marquage et tri des vestiges archéologiques, moulages, échantillonnage de sédiments, etc. On ne peut donc qu apprécier à sa juste valeur la rigueur de la fouille de ce gisement et le «sens du terrain» de Pierre Marcel. 2 Le Picton n 212 Mars Avril 2012
Nucléus au cortex gravé d une tête de cheval et son relevé (à partir d un dessin réalisé par Pierre Laurent). Un gisement riche, encore en devenir Trente ans après la fin des travaux de terrain la situation est paradoxale puisque malgré un travail satisfaisant et un potentiel informatif réel aucune exploitation n en a été faite : pas d étude monographique et peu de publications. Les études archéologiques n ayant jamais dépassé le stade d observations très préliminaires et pour certaines catégories de vestiges seulement, comme l art mobilier ce gisement attend donc encore d être totalement mis à profit. À l issue des fouilles, le matériel fut en partie dispersé pour répondre aux besoins de la recherche et de la présentation au public. Pierre Marcel conserva les échantillons des dernières campagnes de terrain et un lot fut présenté au musée de Montmorillon 1. Mais lorsque le musée ferma, et que Pierre Marcel cessa ses recherches, les collections furent abandonnées, parfois récupérées in extremis. Ce n est qu au cours des années 2006 à 2008, que des efforts ont permis de localiser les différents lots et de les regrouper en un même lieu : le musée municipal de Montmorillon. Désormais, la plupart de ces collections sont donc sous la responsabilité scientifique du musée, qui a pour vocation de les rendre accessibles aux PHOTO ALAIN OLLIVIER PHOTO C. PERAULT chercheurs. Quelques pièces emblématiques ont fait l objet d une convention de prêt avec le musée de Lussac-les-Châteaux. Ainsi, le bois de renne gravé et la dent d ours percée figurent dans l exposition permanente du pôle culturel de la Sabline pour leur valeur artistique et scientifique. Outre ces collections, les sédiments archéologiques toujours en place laissent ouverte l opportunité d une reprise des fouilles. Le sondage ouvert par Vue aérienne du site, le hangar de fouille se situe à peu près au centre de l image (la piscine et la Gartempe sont en bas, respectivement à gauche et à droite). 1. À l époque il constituait le musée de préhistoire, installé à la Maison-Dieu. Bois de renne gravé (longueur environ 30 cm). PHOTO V. LAGARDERE / CMPC Le Picton n 212 Mars Avril 2012 3
Pierre Marcel au pied de l abri a révélé une séquence stratigraphique de près de quatre mètres d épaisseur et ses estimations étendent le gisement sur plusieurs centaines de mètres carrés. Les treize campagnes de terrain ont apporté les preuves de la richesse d un site qui aujourd hui est donc loin d être épuisé. Du reste, lors de l arrêt des fouilles, en 1982, Pierre Marcel conservait l ambition de les reprendre, tant le potentiel y était grand à ses yeux. Bois de renne gravé (détail d une tête de cheval). Différentes faces du bois de renne gravé. PHOTO V. LAGARDERE / CMPC DESSIN PIERRE LAURENT Bibliographie Christophe Delage, Le Site préhistorique de la Piscine, Montmorillon (Vienne). Vol. 1 : historique des recherches (1966-1982), musée de Montmorillon, 2011. Roger Joussaume, Jean-Pierre Pautreau, La Préhistoire du Poitou. Poitou-Vendée-Aunis, des origines à la conquête romaine, Ouest-France, 1990. Pierre Marcel, «Gravure magdalénienne sur cortex de nucléus», Congrès préhistorique de France, compte-rendu de la XX e session, Provence, 1974, Société Préhistorique française, 1977. Suzanne de Saint- Mathurin, Jean Airvaux, André Chollet, François Lévêque, Stéphane Lwoff, L Art préhistorique en Poitou, musée de Lussac-les- Châteaux, 1990. 2. Ces outils spécifiques doivent déjà être présents dans d autres sites, dans des niveaux bien datés et, par comparaison, on estime, avec une fiabilité toute relative, que l on a affaire à des niveaux «contemporains». 3. C. Delage, voir bibliographie Et d un grand intérêt scientifique Mais peut-on en dire plus sur la valeur et l intérêt scientifiques de ce gisement? Quelle stratigraphie et quelle ancienneté par exemple On appelle séquence stratigraphique la superposition de couches de sédiments, ces découpages reflétant une certaine chronologie. Avons-nous affaire ici à plusieurs niveaux archéologiques? Pierre Marcel n ayant rien publié, les opinions divergeaient dans les années soixante-dix. Trente ans plus tard, s appuyant sur une analyse des carnets de fouille, des notes et schémas de terrain, il semble que cette séquence pourrait se développer sur près de quatre mètres d épaisseur, scandée de plusieurs horizons archéologiques. À la base, la fouille s est arrêtée sur une roche compacte, mais on ignore s il s agit d un énorme bloc effondré ou de la roche mère. Au-dessus, un niveau (B/C) composé de sables limoneux d inondation fluviatile, contient deux niveaux archéologiques cendreux, noir et ocre-rouge, marqués par de nombreux vestiges archéologiques, ainsi que des structures d habitat bien visibles. Cet ensemble est surmonté par un autre niveau sablonneux (D/E/h), qui livre également une couche archéologique renfermant les restes d un foyer, ainsi que des silex taillés et des fragments osseux remaniés, disposés dans le plus grand désordre. La séquence se termine actuellement par un niveau stérile. Toutefois, il faut rappeler qu une partie des niveaux supérieurs a été irrémédiablement détruite par le creusement d un fossé, vers 1900, et par les travaux de terrassement au bulldozer, en mai 1966. Quant à l ancienneté des dépôts archéologiques, les préhistoriens peuvent faire appel à différentes techniques de datation. Les premières, dites absolues (carbone 14, par exemple), n ont pas encore été appliquées ici. Mais les archéologues ont également recours à des méthodes de chronologie relative. Ils peuvent essayer de retrouver des «fossiles directeurs», des outils bien typés (silex ou os), susceptibles de fournir des indices sur la date des occupations humaines du site 2. Alors que l âge des différents horizons archéologiques de la Piscine était encore inconnu dans le détail il y a une trentaine d années, nous nous sommes essayé récemment à cet exercice 3. Ces hypothèses n auraient pas pu être avancées par Pierre Marcel car la valeur de «marqueurs» comme le débitage de silex de type la Marche, les navettes ou les sagaies de type Lussac-Angles, que nous retenons ici, ne fut largement acceptée qu à partir de la fin des années quatre-vingt. 4 Le Picton n 212 Mars Avril 2012
Les marqueurs Tout d abord, quelques fragments de «navettes», objets interprétés comme des «porte-grattoir doubles», ont été récemment reconnus qui pourraient être associés à la couche inférieure des niveaux B/C. Ces pièces sont bien caractéristiques d un faciès du Magdalénien moyen, connu surtout à la Garenne (Saint-Marcel, Indre-et-Loire), mais aussi au Chaffaud (Savigné, Vienne), et daté entre 15 500 et 14 800 ans. Nous avons également repéré quelques pointes de sagaie en bois de renne bien caractérisées biseau simple et fine cannelure dorsale, que l on dit maintenant de type Lussac-Angles. On peut se demander si cet horizon ne pourrait pas correspondre à la couche supérieure des niveaux B/C. Ces pointes de sagaie sont typiques d un autre faciès du Magdalénien moyen, très bien représenté dans le département et daté d il y a environ 14 700/14 000 ans. Enfin, en s appuyant sur des comparaisons stylistiques du bois de renne gravé avec d autres sites magdaléniens du sud-ouest de la France, comme la Madeleine et Laugerie-Basse (Dordogne) ou le Mas d Azil (Ariège), etc., Pierre Marcel attribua cet objet à la phase récente du Magdalénien, datée d environ 13 500/12 500 ans. Les niveaux D/E/h de la Piscine pourraient lui être associés. Si l on part du principe que les engins de terrassement ont bouleversé principalement l ensemble Éléments d industrie en matière dure animale. archéologique supérieur de la séquence, on peut alors estimer que celui-ci était très riche en vestiges anthropiques : silex taillés, restes fauniques, éléments de parure, pigments/colorants, foyers, restes humains, art mobilier Cette séquence pourrait donc s étaler grossièrement entre 16 000 et 12 000 ans. Toutefois, l établissement d un cadre chronologique plus précis ne pourra se faire que par l entremise de datations radiométriques fiables. Toutes ces considérations semblent revitaliser les problématiques de recherche concernant ce gisement et, dans le même temps, l élever à une position plus centrale dans la compréhension des phénomènes culturels régionaux de la fin du Paléolithique. Mais elles n auront de valeur et de portée dans ce cadre de la connaissance que si elles sont testées par des recherches à venir. Aux côtés de gisements proches comme le Roc-aux-Sorciers (Angles-surl Anglin) ou le Taillis-des-Coteaux (Antigny) qui font l objet de recherches en cours, la Piscine pourrait participer du courant actuel qui devrait rapidement renouveler nos connaissances du Magdalénien régional. n PHOTO C. DELAGE Hommage à Pierre Marcel, pour sa rigueur et sa passion. Merci, pour leur aide et leur soutien, à sa famille, Mme Marcel et ses enfants ; à Yves Bouloux (maire de Montmorillon), Clément Pérault et Charlotte Croissant (musée de Montmorillon), Vincent Lagardère (CMPC), Florence Bougnoteau (musée de Préhistoire de Lussac-les-Châteaux). Le Magdalénien moyen à faciès de Lussac-Angles Le faciès de Lussac-Angles du Magdalénien moyen est largement présent dans la région, au point qu on peut se demander si cette concentration ne correspond pas à son territoire. Comme son nom l indique, il est bien documenté à Lussac-les-Châteaux (la Marche, les Fadets, réseau Guy-Martin) et à Angles-sur-l Anglin (le Roc-aux- Sorciers). Il est également reconnu au Taillis-des-Coteaux (Antigny) et à la Piscine (Montmorillon). Si on ignore cette culture vers le nord, elle se retrouve par contre vers le sud : en Vienne, au Chaffaud (Savigné) et en Charente, à la Chaire-à- Calvin (Mouthiers-sur-Boëme), au Placard (Vilhonneur) et à Montgaudier (Montbron). Ces gisements ont en commun certains traits bien typés comme les sagaies à biseau simple et cannelure dorsale, les incisives de chevaux gravées de triangles, l art pariétal et mobilier. Au sein de cet ensemble, la Marche et le Roc-aux- Sorciers semblent jouer un rôle très privilégié dans l implantation territoriale de cette culture. Avec des milliers de pierres gravées pour l un et un abri sculpté pour l autre, ils livrent notamment d incomparables vestiges artistiques. Il est très rare en préhistoire ancienne d atteindre un degré de précision chronologique et culturelle tel que nous le laisse entrevoir le faciès de Lussac- Angles. Même si des questions archéologiques de base chronologie, subsistance, mobilité sont encore débattues, de nouvelles perspectives concernant la définition identitaire de ce groupe, le niveau de complexité sociopolitique ou les contacts interethniques, peuvent être envisagées dès maintenant et sur des bases plus solides. Carte de distribution du faciès Lussac-Angles du Magdalénien moyen dans la Vienne. DAO C. DELAGE Le Picton n 212 Mars Avril 2012 5