La ronde autour du monde Si toutes les filles du monde Voulaient s'donner la main, Tout autour de la mer, Elles pourraient faire une ronde. Si tous les gars du monde Voulaient bien êtr'marins, Il f'raient avec leurs barques Un joli pont sur l'onde. Alors on pourrait faire Une ronde autour du monde, Si tous les gens du monde Voulaient s'donner la main. Paul FORT
Balançoire Quand tu parles bien, tu me berces, Et je m'envole avec ta voix. Les étoiles à la renverse, Je m'élance au ciel, un, deux, trois! Si tu bégaies, je me balance À petits coups secs, cahoté, Quand tu déclames, la cadence Me fait descendre et remonter. Tu accélères ton effort, Je fais des bonds comme une chèvre. Attention! Ne crie pas trop fort Je suis suspendu à tes lèvres. Jacques CHARPENTREAU
À des dames envolées Nous avions sous les tonnelles Une maison près Saint-Leu. Comme les fleurs étaient belles! Comme le ciel était bleu! Parmi les feuilles tombées, Nous courions au bois vermeil ; Nous cherchions des scarabées Sur les vieux murs au soleil... Je contais la Mère l'oye ; On était heureux, Dieu sait! On poussait des cris de joie Pour un oiseau qui passait. Victor HUGO
Abri Dans les lignes de ta main Pour me plaire j y veux voir Que rien ne nous sépare Et qu avons même destin. Dans les lignes de ta main Je découvre en cherchant Les signes bienfaisants De ce qui me convient. Dans le creux de ta paume Où ma main se blottit Je retrouve mon abri Doux et calme. Comme un baume. Esther GRANEK
L'école Dans notre ville, il y a Des tours, des maisons par milliers, Du béton, des blocs, des quartiers, Et puis mon cœur, mon cœur qui bat Tout bas. Dans mon quartier, il y a Des boulevards, des avenues, Des places, des ronds-points, des rues Et puis mon cœur, mon cœur qui bat Tout bas. Dans notre rue, il y a Des autos, des gens qui s'affolent, Un grand magasin, une école, Et puis mon cœur, mon cœur qui bat Tout bas. Dans cette école, il y a Des oiseaux chantant tout le jour Dans les marronniers de la cour. Mon cœur, mon cœur, mon cœur qui bat Est là. Jacques CHARPENTREAU
Mon Ami La lune s enfuit dans la lutte, entre la nuit et l aurore. L argent de la toile d araignée étincelle dans la brume. Mon ami, mon ami, mon ami, Je t appelle mon ami. La rosée dans la vallée, Les violettes sur la colline, Les ruisseaux coulent de la montagne, dans le matin de ma vie. Mon ami, mon ami, mon ami, Je t appelle mon ami. Les chevaux sont dans la prairie, mangeant de l herbe douce. Les oiseaux chantent dans la forêt, Sauf le rossignol endormi. Mon ami, mon ami, mon ami, Tu es revenu mon amour. Chloé DOUGLAS
Poème pour la défense des liaisons Ah! Je voudrais encore vous dire je vous aime! Je vous fais en tremblant ce tendre et doux aveu, Car sans hésitations, en ces instants suprêmes On veut le doux objet dont on est amoureux. Quand on est amoureux, on a en soi deux hommes, Quand on aime on est fort et on est un enfant Eh oui! Ça saute aux yeux, devant Ève et sa pomme Vous êtes plus enfant qu un enfant de dix ans. L amour vient sans histoire et comme un bon apôtre Et petit à petit, c est affreux, il vous a, On délaisse les uns, et on oublie les autres, Et on perd ses amis, parfois quand on en a. Alors? Doit-on souffrir? Doit on subir ce maître? Tout homme paraît-il, souffre de temps en temps. Mais mieux vaut l éviter, me direz-vous peut-être C est exact, mon amour, Alors, allez-vous-en! Christian VEBEL
L enfance Qu ils étaient doux ces jours de mon enfance Où toujours gai, sans soucis, sans chagrin, je coulai ma douce existence, Sans songer au lendemain. Que me servait que tant de connaissances A mon esprit vinssent donner l essor, On n a pas besoin des sciences, Lorsque l on vit dans l âge d or! Mon cœur encore tendre et novice, Ne connaissait pas la noirceur, De la vie en cueillant les fleurs, Je n en sentais pas les épines, Et mes caresses enfantines Étaient pures et sans aigreurs. Croyais-je, exempt de toute peine Que, dans notre vaste univers, Tous les maux sortis des enfers, Avaient établi leur domaine? Nous sommes loin de l heureux temps Règne de Saturne et de Rhée, Où les vertus, les fléaux des méchants, Sur la terre étaient adorées, Car dans ces heureuses contrées Les hommes étaient des enfants. Gérard de Nerval
En sortant de l'école En sortant de l'école nous avons rencontré un grand chemin de fer qui nous a emmenés tout autour de la terre dans un wagon doré Tout autour de la terre nous avons rencontré la mer qui se promenait avec tous ses coquillages ses îles parfumées et puis ses beaux naufrages et ses saumons fumés Au-dessus de la mer nous avons rencontré la lune et les étoiles sur un bateau à voiles partant pour le Japon et les trois mousquetaires des cinq doigts de la main tournant ma manivelle d'un petit sous-marin plongeant au fond des mers pour chercher des oursins Revenant sur la terre nous avons rencontré sur la voie de chemin de fer qui voulait l'attraper une maison qui fuyait fuyait tout autour de la Terre fuyait tout autour de la mer fuyait devant l'hiver Mais nous sur notre chemin de fer on s'est mis à rouler rouler derrière l'hiver et on l'a écrasé et la maison s'est arrêtée et le printemps nous a salués C'était lui le garde-barrière et il nous a bien remerciés et toutes les fleurs de toute la terre soudain se sont mises à pousser pousser à tort et à travers sur la voie du chemin de fer qui ne voulait plus avancer de peur de les abîmer Alors on est revenu à pied à pied tout autour de la terre à pied tout autour de la mer tout autour du soleil de la lune et des étoiles A pied à cheval en voiture et en bateau à voiles. Jacques PREVERT
Page d'écriture Deux et deux quatre quatre et quatre huit huit et huit seize... Répétez! dit le maître Deux et deux quatre quatre et quatre huit huit et huit font seize Mais voilà l'oiseau-lyre qui passe dans le ciel l'enfant le voit l'enfant l'entend l'enfant l'appelle : Sauve-moi joue avec moi oiseau! Alors l'oiseau descend et joue avec l'enfant Deux et deux quatre... Répétez! dit le maître et l'enfant joue l'oiseau joue avec lui... Quatre et quatre huit huit et huit font seize et seize et seize qu'est-ce qu'ils font? Ils ne font rien seize et seize et surtout pas trente-deux de toute façon et ils s'en vont. Et l'enfant a caché l'oiseau dans son pupitre et tous les enfants entendent sa chanson et tous les enfants entendent la musique et huit et huit à leur tour s'en vont et quatre et quatre et deux et deux à leur tour fichent le camp et un et un ne font ni une ni deux un à un s'en vont également. Et l'oiseau-lyre joue et l'enfant chante et le professeur crie : Quand vous aurez fini de faire le pitre! Mais tous les autres enfants écoutent la musique et les murs de la classe s'écroulent tranquilement. Et les vitres redeviennent sable l'encre redevient eau les pupitres redeviennent arbres la craie redevient falaise le porte-plume redevient oiseau. Jacques PREVERT