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Transcription:

Mesdames et Messieurs les Présidents, Chers amis anciens combattants, Mesdames et Messieurs, chers Collègues, Chers enfants, A 11 heures du matin, le 11 novembre 1918, les hostilités sont suspendues sur l ensemble du front. Les belligérants venaient de signer à 5h40, à Rethondes, la convention d armistice qui mettait fin à plus de quatre années de guerre, une guerre terrible, LA Grande Guerre, comme l Histoire la retient. Cette guerre terrible, cette Grande Guerre qui tua chaque jour 900 de nos soldats français pendant 4 ans, et laissa 300 000 disparus sur les champs de bataille. boucherie. Une guerre qui aura sacrifié une génération entière dans une interminable C est vers chacun d entre eux, chaque mot, chaque disparu, chaque blessé que s est envolée votre Marseillaise, chers enfants. Votre chant de notre hymne national, ici et maintenant, ce matin du 11 novembre 2008, 90 ans après le 11 novembre 1918 est d abord un message puissant de notre jeunesse, un message de respect et de reconnaissance pour la génération qui, il y a presque un siècle, est tombée.

Ce chant aux accents certes guerriers que je vous félicite d avoir appris est aussi un symbole républicain fort, comme l est notre drapeau bleu, blanc, rouge, comme l est notre devise liberté, égalité, fraternité, comme l est devenu notre pays, la France, celle des Lumières, celle de la Révolution Française, celle qui a tant fait vibrer dans le monde entier, celle que vous aimez et que j aime. Ce matin, grâce aux enfants de l école Curie, nous nous rappelons que ce chant révolutionnaire fut celui qui, il y a maintenant 90 ans, unifia nos soldats français, ces vénérables Poilus combattant pour la France. Ils portaient la nation au bout de leurs bottes, ils étaient la nation! Ils ont donné leur vie pour elle, pour nous. 90 ans ont passé. Des ouvrages, des expositions commémorent actuellement cette date anniversaire du 11 novembre 1918 qui marque la fin d un atroce conflit, mais qui reste avant tout celle d une guerre mondiale, la première de toutes, et malheureusement pas la dernière. Un souvenir tellement douloureux qu il nous marque encore aujourd hui par-delà les générations, à travers les témoignages laissés par toutes celles et ceux qui l ont subi, que ce soit au front ou dans la vie civile. Ces témoins se font rares. Il y a quelques mois, vous vous en souvenez peut-être (c était en mars dernier), s éteignait le dernier Poilu, Lazare Ponticelli.

Le dernier combattant français de cette sombre période de l Histoire de l humanité s en est allé, et cette commémoration de l armistice est la première qui s effectue sans aucun survivant de l enfer des tranchées. L Histoire avance, les années passent, mais Lazare Ponticelli et tous ses camarades, morts ou rescapés, nous ont laissé un message très simple, très fort : n oubliez pas, n oublions pas! N oublions pas que cette guerre 14-18, qu on appelait la der des ders, la dernière des dernières, tant elle avait été horrible, tant elle avait dépassé en folie tout ce que l on pouvait imaginer, fut une folie absolue. Oui, chers enfants, oui, Mesdames et Messieurs, la guerre n est jamais une solution. Il n y a pas de guerre juste, et comme disait Jean Jaurès, «on ne fait pas la guerre pour éviter la guerre». Entre 1914 et 1918, en quatre ans seulement, 9 millions de personnes sont mortes. Il est impossible de se représenter ce que cela signifie, cela dépasse nos représentations, nous les citoyens du XXI e siècle pour qui une vie, une seule vie humaine n a pas de prix! Alors imaginons. Imaginons un bref instant la vie sous terre dans les tranchées, au milieu des morts et des rats, avec ces bruits d obus qui crèvent les tympans, dans le froid et dans le noir, sans eau, parfois durant toute une année

Imaginons ces combattants, pensant à leur femme, à leurs enfants, claquant des dents et pleurant comme des gosses au moment de sortir de leur tranchée pour courir à découvert jusqu à celle d en face en espérant qu un miracle les préservera de la mitrailleuse adverse Imaginons et souvenons-nous, devant ce monument, devant ces tombes. Souvenons-nous, oui, de ces Wattrelosiens, partis de chez eux, enlevés à leur famille, à leur épouse, à leur mère, et jamais revenus. Souvenons-nous de ce qu ils ont connu. Tant d écrivains, d Alain- Fournier à Apollinaire ou Péguy ont su, grâce à leurs mots, nous dire ce que fut l horreur des combats, des tranchées, l horreur de la vie, de la survie Louis Krémer fut un de ceux-là, fantassin de 2 e classe, parti au front en août 1914, tué par un obus le 18 juillet 1918 devant Compiègne. Il n aura jamais revu sa famille. Il n aura jamais connu le 11 novembre 1918. Pourtant il l a espéré, lui qui dans une de ses lettres décrivait ce qu il voyait autour de lui, à savoir : «La campagne cadavérique où les bois ne sont plus que des champs de troncs coupés, les arbres que des moignons, la terre qu un charnier gonflé de cadavres». Ses lettres savent nous dire plus que tout long discours ce qu il vit, ce qu il vécut, ce qu il endura.

Ainsi, le lundi 27 décembre 1914, à des amis, il écrit : «Cette guerre finira-t-elle jamais? J en désespère, quelquefois, de la boue où je croupis, des souvenirs s élèvent pour moi Souvenirs nébuleux de la vie. La tourbe humaine pourrit autour de moi. Les balles sifflent comme une tempête de grêlons sur la terre et sur les toits. Dans le gel, dans la bise, dans l eau, les nuits interminables s écoulent lentement, si lentement, heure par heure, minute par minute, seconde après seconde. Une seconde, c est un siècle. La mort présente à chaque pas, à chaque bruit, à chaque instant». Le même, Louis Kremer, le 6 avril 1917, dans une autre lettre, écrit : «Tout autour de nous, c est la mort sous toutes ses formes. D innombrables cadavres émergent à demi du sol retourné. Leurs chairs décomposées et leurs loques puantes se devinent dans tous les contours du terrain et dans tous les détails du paysage C est le gigantesque bric-à-brac des charniers. Et le plus triste, ce sont les multiples débris humains qui traînent dans tous les coins» (fin de citation). Mesdames et Messieurs, chers enfants, pour tous ces soldats, ces années, ce furent «la vermine, les rats, la pourriture, l encagement éternel dans le cachot souterrain, dans les ténèbres sales de la tranchée», ce furent «le bruit incessant des obus, les gaz, le manque de nourriture, le manque de boisson, le manque de sommeil», en un mot, le manque de tout Ce furent des armes de guerre, des uniformes, des terres rouges de sang humain, le leur, celui d un ami, d un camarade, d un frère.

Ce furent aussi la vaillance, le courage, de ces hommes qui ont mobilisé toutes leurs forces, sont allés jusqu au bout de leurs forces pour défendre leur vie et leur pays. Ce furent la Somme, la Marne, le Chemin des Dames, Verdun, autant de lieux qui raisonnent encore d un sinistre écho jusque dans ce cimetière de Wattrelos où s affiche dans une froideur glaciale, une froideur de pierre, une froideur de mort, la liste des noms de ceux qui tombèrent au champ d honneur pour la défense de la Liberté, pour l avenir de leurs enfants, de leurs petitsenfants et arrière-petits-enfants dont vous êtes, dont nous sommes. Souvenons-nous aussi qu à Wattrelos, ce fut l occupation, dès le 13 octobre 1914. La Ville, qui avait déjà l âme d une résistante, fut mise sans tarder à l amende par les Allemands, victimes de petits attentats. Le maire de l époque, Henri Briffaut, avec la complicité des médecins de la ville, fit courir le bruit qu une épidémie de fièvre typhoïde ravageait la population wattrelosienne, ce qui valut à Wattrelos une pause, dans l occupation, de plus de deux ans! Mais cette anecdote ne peut masquer ce que fut la terrible réalité du quotidien : la pénurie de ravitaillement entraînant la famine, qui elle-même entraîna les maladies. Loin des tranchées, notre population souffrit également. L hiver 1916 fut terrible : les températures descendirent à 15 et les possibilités de se chauffer étaient devenues quasi-inexistantes. Parallèlement, les déportations se multiplièrent ; Henri Briffaut lui-même fut envoyé dans un camp en Allemagne.

Finalement, à la libération de la ville, le 18 octobre 1918, Wattrelos se réveilla exsangue de ce cauchemar. Les Allemands avaient fait sauter les ponts du Laboureur, de la rue Catteau et de la Gare, mis le feu aux usines Kuhlmann et Vandendriessche, pillé les dernières ressources communales. Oui, Mesdames et Messieurs, ce premier conflit mondial fut, à tous points de vue, dévastateur. Il reste dans notre histoire comme une trace indélébile. Il est dans nos mémoires collectives. Et parce qu il a meurtri tant de chairs, tant de familles, jusqu à dans notre ville-même, si le temps avance, il ne peut, il ne doit pas être oublié! Au contraire, il doit être enseigné, expliqué. Chacun le sait, la signature de l armistice du 11 novembre, ne constitua pas formellement la fin de la guerre mais elle fut ressentie comme telle. Cette date est restée jour de fête nationale dans les pays vainqueurs, mais non pas jour de liesse! C est une journée du souvenir des sacrifices et des morts ; c est une journée de mémoire de la fin de la Grande Guerre. C est une journée de recueillement. C est une journée de respect. Elle doit nous unir, elle doit nous fédérer, nous les descendants de ceux qui ont perdu leur vie pour que nous, nous puissions vivre la nôtre. Alors, je le dis avec force à tous les théoriciens de la modernisation ou aux thuriféraires d un monde sans histoire : ne touchez pas au 11 novembre ni aux commémorations!

Car c est en portant haut vos drapeaux, Messieurs les porte-drapeaux, c est en arborant vos médailles, Mesdames et Messieurs du monde combattant, c est en regardant toutes ces tombes qui rappellent des jeunesses balayées, c est en égrenant cette liste, affreuse et terrible liste des morts de notre commune, que chacun de nous, que chacun de ces enfants devant moi saura trouver le respect des disparus, saura comprendre l horreur de la guerre, saura combattre les forces, terribles forces qui veulent, qui créent la guerre, saura puiser en lui la conviction que la paix est un bien, le bien le plus précieux. Vive la paix, et que vive la France et que vive Wattrelos dans un XXI e siècle apaisé qui sache, enfin, construire le bonheur de l Humanité.