L ADOLESCENT SANS DEMANDE : Du souci repéré en milieu scolaire à la prise en charge



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Facultés de Médecine d ANGERS, POITIERS, TOURS, PARIS V MEMOIRE POUR LE DIPLÔME INTER-UNIVERSITAIRE DE MEDECINE ET SANTE DE L ADOLESCENT Année 2008-2009 L ADOLESCENT SANS DEMANDE : Du souci repéré en milieu scolaire à la prise en charge Le 03 avril 2009 Dr Myriam JARLAN TROJELLI

Remerciements A Madame le docteur Marie-France LE GAL Médecin conseiller technique honoraire, pour sa confiance qui m a encouragée à entreprendre cette formation et sa relecture attentive. A Madame le docteur Nadine LABAYE Médecin conseiller technique auprès de l inspecteur d académie de l Essonne, pour son dynamisme et ses encouragements à développer mon travail auprès des adolescents A Madame le docteur Martine BLANOT Médecin Éducation Nationale pour son intérêt et ses conseils dans la rédaction de ce travail Au Professeur DUVERGER et aux enseignants du Diplôme de Médecine et Santé de l adolescent, qui par leurs expériences et la qualité de leur enseignement ont changé mon regard sur les adolescents A Dominique, pour son soutien au quotidien et son aide informatique 2

Table des matières INTRODUCTION... 7 I) LES ADOLESCENTS ET LE MEDECIN DE L EDUCATION NATIONALE... 8 A) La population adolescente dans notre secteur d activité... 8 B) Les missions des médecins de l Éducation Nationale auprès des adolescents... 8 1. Les examens systématiques... 8 2. Les examens à la demande d un tiers... 9 C) Le médecin de l Éducation Nationale : un médecin de l adolescent dans l institution scolaire... 9 1. Une place privilégiée dans l approche des adolescents... 9 2. Les limites de notre fonction... 10 II) LE SOUCI REPERE EN MILIEU SCOLAIRE... 11 A) Qu est-ce que le «souci»?... 11 1. Le souci... 11 2. Ce qui fait souci en milieu scolaire... 11 B) Les examens à la demande d un tiers dans notre pratique... 12 1. Les motifs et origines de la demande... 12 2. Qui signale et quoi?... 13 2-1) L infirmière scolaire... 13 2-2) Les enseignants... 14 2-3) Le CPE... 16 2-4) Les élèves... 17 2-5) Les parents... 17 2-6) Assistante sociale et conseiller d orientation psychologue... 17 2-7) le personnel de direction... 18 C) Les constats et les difficultés du médecin scolaire... 18 III) CLINIQUE DE LA DEMANDE ET DE LA NON-DEMANDE A L ADOLESCENCE... 20 A) Le besoin, le désir et la demande... 20 1. Le besoin... 20 2. Le désir... 20 3. La demande... 21 3

4. «Le jeu de la demande»... 21 B) Particularités de la demande chez l adolescent... 22 1. La demande est formulée par un tiers... 22 2. Une demande difficile à exprimer... 22 3. La demande «masquée»... 22 4. La demande n aboutit pas forcément à un traitement... 23 5. Une demande différente selon les sexes... 23 6. La demande à une urgence ressentie... 23 7. Les demandes complexes nécessitant un travail en réseau... 23 C) L absence de demande des adolescents... 24 1. Une situation embarrassante pour l adolescent et le médecin... 24 2. L absence de demande, une caractéristique de l adolescence?... 24 2-1) la phase de séparation/ individuation... 24 2-2) la perte des repères... 25 3. Raisons de l absence de demande... 25 3-1) une verbalisation difficile... 25 3-2) le sentiment de toute puissance et d invulnérabilité... 25 3-3) les mécanismes de défense... 26 4. L expression non verbale du mal-être... 26 4-1) les maux pour les mots... 26 4-2) les conduites agies... 26 4-3) les attitudes, le contact face au médecin... 26 5. «L absence de demande est une demande en soi»... 27 D) TRAVAILLER AUTOUR DE L ABSENCE DE DEMANDE... 27 1. Créer un environnement propice à l émergence de la demande... 28 1-1) informer du motif d inquiétude... 28 1-2) définir le cadre de la consultation... 28 2. Adopter une attitude volontariste... 28 3. Faire preuve d empathie... 29 4. Rechercher le consentement de l adolescent : l alliance thérapeutique... 29 IV) Le protocole d évaluation clinique... 31 A) La temporalité et l organisation matérielle... 31 B) Analyser la demande des tiers... 32 C) La «convocation» au cabinet médical... 33 4

D) Le temps de la consultation avec le médecin scolaire, l «entretien d évaluation clinique»... 33 1. Les objectifs... 33 2. L importance du premier entretien... 34 2-1) du côté de l adolescent... 34 2-2) du côté du médecin... 34 2-2-a) Le langage non verbal... 34 2-2-b) Le langage... 34 2-3) L analyse de la symptomatologie... 34 2-3-a) À partir des symptômes qui ont motivé la consultation... 35 2-3-b) L anamnèse... 35 2-3-c) Rechercher d autres signes... 35 2-3-d) Les outils... 35 2-3-e) Souligner les compétences particulières et donner des objectifs simples et concrets 35 3. Le deuxième rendez-vous... 36 3-1) L examen clinique... 36 3-2) Évaluer la capacité de changement... 36 3-3) Rencontrer les parents... 37 3-4) La synthèse avec les partenaires de l établissement, et extérieurs... 37 E) L orientation diagnostique... 38 F) Le suivi : éviter le sentiment d abandon... 38 G) Les limites et difficultés pour le médecin EN... 39 1. Résister à la pression... 39 2. Reconnaître l urgence... 39 3. La résistance de l adolescent et de la famille... 39 4. Le contre-transfert... 40 V) LA PRISE EN CHARGE... 41 A) Quand l école s adapte aux élèves... 41 1. Sanctions : des mesures alternatives... 41 2. Favoriser l adaptation des élèves... 41 3. Aménager la scolarité... 42 B) Des adolescents sans demande : Histoires de prises en charge au collège... 42 C) L accompagnement vers les soins... 51 1. Les conséquences d une adresse trop rapide au «psy»... 51 2. Les représentations du soin psychothérapeutique... 52 5

3. Les résistances au soin... 52 4. La qualité de l adresse... 52 5. Des pistes pour une meilleure prise en charge des adolescents en milieu scolaire.. 53 CONCLUSION... 54 ANNEXE 1 Questionnaire «qualité de vie»... 56 ANNEXE 2 Fiche d observation... 57 BIBLIOGRAPHIE... 58 6

INTRODUCTION Collèges et lycées, véritables lieux de vie pour les adolescents, sont aussi les lieux d expression de leur mal-être. Les adultes de l établissement repèrent des indices, s inquiètent, d autant plus que les signes sont bruyants et perturbent la vie de classe. Ils signalent alors le jeune aux professionnels médico-sociaux, dans l espoir que ceux-ci apportent une solution. Médecin scolaire, nous sommes à l interface entre les différents partenaires de l institution scolaire, les élèves, leurs familles, les services de soins et les différentes structures pouvant prendre en charge des adolescents. A l interface aussi entre tout ce qui constitue la richesse et aussi la complexité d un adolescent : le corps en pleine mutation, le développement psychique et cognitif, les interactions qui évoluent. Nous sommes confrontées à la difficulté que décrivent de nombreux auteurs dans la consultation avec un adolescent, celle de recevoir des jeunes, qui souffrent, mais qui n expriment aucune demande d aide. Des adolescents chez lesquels il est même parfois compliqué de croiser le regard, tant la relation leur paraît intrusive. Alors doit-on attendre qu un adolescent en manifeste le désir pour s occuper de lui? En quoi le processus de l adolescence est-il à l origine de l absence de demande, du déni des difficultés, ou de demandes masquées au travers d une symptomatologie qu il faudra décrypter? Comment peut-on accompagner un jeune malgré la non-demande? Ces questionnements nous ont amenés à modifier notre pratique. Ce travail présente l expérience d un protocole d évaluation clinique mis en place depuis un an pour les adolescents qui nous sont signalés par un tiers, et qui montrent des signes évoquant une souffrance psychique. Trois vignettes cliniques illustreront, cette démarche, et le travail de partenariat bien souvent nécessaire pour une évaluation plus juste et plus globale, mais encore la place capitale des parents, l importance du réseau pour un accompagnement vers une prise en charge spécialisée si besoin et enfin le cadre offert au sein même d un établissement scolaire, pour aménager la scolarité, restaurer la confiance et l estime de soi ce qui peut déjà permettre à beaucoup d entre eux d aller mieux. Ce sont trois histoires de regards d adolescents évitant soigneusement celui du médecin, mais qui, à un moment, accepteront l échange du regard. 7

I) LES ADOLESCENTS ET LE MEDECIN DE L EDUCATION NATIONALE A) La population adolescente dans notre secteur d activité Si l on considère que la puberté marque le début de l adolescence, on peut estimer que l entrée en 6ème correspond pour beaucoup d élèves à cette période du développement. La population adolescente représente environ 2600 élèves sur notre secteur d exercice qui se situe dans le centre de l Essonne. Cette population est répartie de la façon suivante : 1100 dans un lycée d enseignement général et technologique, 1300 dans 2 collèges, 80 en SEGPA et 120 en EREA (Établissement Régional d Enseignement Adapté). Ces deux derniers établissements accueillent des élèves en grandes difficultés scolaires auxquelles se rajoutent des difficultés psycho-sociales pour une grande majorité d entre eux. L EREA a un recrutement régional, accueille uniquement des garçons et comporte un internat, une grande part de ces élèves sont des adolescents difficiles ayant des parcours scolaires, éducatifs, mais également des parcours de soins chaotiques. B) Les missions des médecins de l Éducation Nationale auprès des adolescents Nos missions sont définies par circulaires ministérielles. Médecins avant tout, nous avons «un rôle spécifique de repérage, de diagnostic, d évaluation des situations pathologiques aussi bien d ordre somatique que psychique, et d orientation vers les structures de prise en charge adaptées» [66]. En tant que médecin de prévention et de santé publique, nous veillons au bien-être des élèves et contribuons à leur réussite. Nous voyons les adolescents des établissements scolaires soit dans le cadre d examens systématiques, soit pour des examens à la demande d un tiers et dans le cadre de ce travail nous nous intéresserons plus particulièrement à ces derniers. 1. Les examens systématiques Ils sont effectués essentiellement dans le cadre de l orientation professionnelle et pour la dérogation aux travaux interdits aux mineurs. Ils concernent des élèves qui choisissent une voie professionnelle. Ces bilans sont l occasion de dépister d éventuelles pathologies, d évaluer l incidence de pathologies existantes sur le choix de formations professionnelles, mais aussi d aborder avec l adolescent son développement dans sa globalité, et de répondre à des inquiétudes plus ou moins formulées mais réelles, car comme le soulignent P. Alvin et D. Marcelli «il s agit d envisager l avenir d un jeune à un moment de la vie où beaucoup ont des difficultés identitaires, ont peu confiance en eux, et se projettent difficilement dans le futur».[1] 8

2. Les examens à la demande d un tiers La circulaire fixant nos missions, précise que «le médecin assure le diagnostic des troubles présentés par les élèves qui lui sont signalés par l infirmier(ère) ou tout membre de l équipe éducative», il oriente si nécessaire et assure le suivi. Dans ce travail nous nous intéresserons aux demandes concernant des adolescents manifestant des signes de mal-être. En effet, là encore, il s agit d une orientation de nos missions suite au programme quinquennal de prévention et d éducation de 2003 à 2008 [68], qui comporte parmi ces objectifs de «mieux connaître, repérer et prendre en compte les signes de souffrances psychiques des adolescents». C) Le médecin de l Éducation Nationale : un médecin de l adolescent dans l institution scolaire 1. Une place privilégiée dans l approche des adolescents Le médecin Éducation Nationale (médecin EN) est le référent santé dans les collèges et lycées, il a une bonne connaissance de l environnement scolaire et de la réalité d un établissement. Nous disposons d un partenariat interne riche, et devant un adolescent en grandes difficultés nous travaillons rarement seuls. L organisation du travail, avec des demi-journées de présence dans chaque établissement scolaire, permet de prendre le temps nécessaire pour recevoir un adolescent, le revoir et évaluer une situation, suivre son évolution, travailler le lien avec le jeune et sa famille. Un adolescent peut nous consulter librement sans en informer ses parents s il ne le souhaite pas [72], et sans avoir à prévoir la rémunération de l acte. En tant que médecin de prévention, nous nous attachons à repérer précocement les signes de malaises chez un élève et dépister une pathologie éventuelle, à évaluer la situation, mais également à promouvoir des mesures pour adapter l environnement scolaire si nécessaire apportant ainsi un confort à un élève en souffrance. Une bonne connaissance de l établissement et des équipes le permet. Nous sommes particulièrement attentifs à une approche «biopsychosociale» de l adolescent, telle que la définit P. Alvin [2]. L examen clinique constitue notre spécificité de médecin dans l institution scolaire. S intéresser au développement et décrypter les signes flous que présentent les adolescents, mais aussi élargir notre vision à tout ce qui fait la vie du jeune, son environnement familial et social, garder le souci des enjeux de santé publique et d éducation pour la santé, tels sont les enjeux de la rencontre du médecin EN avec un adolescent. Le concept de prévention vise la santé globale des individus, auquel participe un aspect curatif, J.P. Deschamps précise que «la distinction entre soins curatifs et prévention, pour traditionnelle qu elle soit, apparaît sans justification Dialoguer avec un adolescent en difficulté, rassurer un adolescent inquiet du développement de son corps, aider à l intégration scolaire relèvent autant d une prise en charge curative que de la prévention. Il s agit en fait d une action de santé globale, curative d un malaise actuel, préventive d un malaise futur» [27] 9

2. Les limites de notre fonction Ce travail a été motivé par les constats suivants : les adolescents expriment rarement une demande directe auprès du médecin scolaire et convoqués au cabinet médical 58% d entre eux ne viennent pas spontanément, ne formulent aucune plainte et sont dans l incapacité de répondre à la question : «savez-vous pourquoi on se voit?». Nous avons essayé d analyser les raisons de ce constat : notre temps de présence dans un établissement n est que d une demi-journée en moyenne par semaine, mais il est important que le moment de présence soit connu des adultes de l établissement et des adolescents. Nous sommes joignables téléphoniquement pour un conseil technique à tout moment. Nos missions vastes et diverses sont peu ou mal connues et identifiées, des clichés désuets persistent dans les mentalités des parents surtout. La création de sites en ligne dans certains établissements, sites consultables par les parents et les jeunes, permet une présentation de nos missions et précise l aide que nous pouvons apporter en cas de difficultés. Les adolescents sont facilement accessibles mais il s agit d une «population captive» Les adolescents et leurs familles n ont pas le choix du médecin de l établissement et le connaissent rarement. L élève est informé de la date du rendez-vous au cabinet médical au moyen d une fiche de renseignements que doivent compléter les parents, mais qui n est pas toujours transmise aux parents. Être médecin dans l institution scolaire, demande d être au clair sur sa fonction, nous ne sommes pas là pour réaliser une écoute bienveillante, car en milieu scolaire tout le monde «fait de l écoute» ce qui peut aboutir finalement à une confusion des rôles, l adolescent ne sait plus trop à qui il s adresse. Le rôle du médecin se situe dans le dépistage et l orientation diagnostique avec toute la complexité et la prudence que cela implique à l adolescence, période à laquelle les signes sont rapidement changeants et évolutifs dans le sens de l aggravation comme de l amélioration. Il faut donc rester vigilant sans pour autant «passer la main» trop rapidement. Une des difficultés peut être la fragilité du réseau externe à l établissement, notamment avec des confrères médecins, ce réseau est à monter et à entretenir. Les médecins libéraux, hospitaliers, des CMP et CMPP, ou encore du centre de planification, font rarement des démarches auprès du médecin scolaire, c est toujours le médecin de l éducation nationale qui les sollicitent pour un avis ou une demande de prise en charge. Nous pouvons avoir néanmoins des échanges téléphoniques au sujet de situations préoccupantes. 10

II) LE SOUCI REPERE EN MILIEU SCOLAIRE A) Qu est-ce que le «souci»? 1. Le souci Volontairement nous avons choisi d employer ce terme non médical, utilisé par A. Braconnier dans l ouvrage collectif «du souci au soin»[11] et repris largement lors du colloque de la Société Française pour la Santé de l Adolescent et du DIU médecine et santé de l adolescent, en décembre 2008 à Angers. L étymologie de ce mot est latine : «sollicitare», qui signifierait «ce qui vous remue». Le souci traduit donc une préoccupation, s accompagnant d inquiétude, elle sous-entend à la fois la perception d un problème mais aussi l empathie et l intérêt porté à celui qui en souffre. Il ne s agit pas d un symptôme ni d un trouble, relevant de la sémiologie médicale, car ce n est pas le médecin, ou très rarement, qui est à l origine du repérage des difficultés d un élève, mais bien les professionnels qui ont les adolescents au quotidien dans leurs classes ou dans les autres espaces scolaires. 2. Ce qui fait souci en milieu scolaire Un élève passe parfois jusqu à 9 heures par jour à l école, et la scolarité dure en moyenne dixneuf ans, ce qui est considérable dans la vie d un jeune. L école est le lieu d enjeux importants au plan développemental, elle est souvent révélatrice de difficultés mais peut aussi en produire. En fonction de la personnalité et des capacités cognitives du jeune, de nombreuses situations peuvent constituer une source de problèmes pour les adolescents, et une préoccupation pour les adultes qui les accompagnent. D une part selon ce que l élève peut investir dans sa scolarité, en lien avec les apprentissages, impliquant valorisation de soi ou au contraire mésestime, d autre part, en fonction des rencontres avec les pairs et avec les adultes pouvant être «source de conflits ou d identification», comme le soulignent M Rufo et M Choquet [56]. Les exigences scolaires peuvent être des contraintes mal tolérées par l adolescent : rester assis et attentif au moins 45 minutes, recevoir un enseignement plus ou moins passivement, et qui peut être très éloigné de ses centres d intérêt, exacerbent l «intolérance à la passivité obligée qu impliquent les transformations physiques pubertaires subies pendant l adolescence» dit N. Catheline. Par leurs comportements, perturbateurs le plus souvent, ils luttent contre cette passivité, et ont l impression ainsi de garder la maîtrise.[16] L école est le terrain des apprentissages, mais aussi de la relation avec les autres, l effet de groupe est très important, il y a peu d originalité, les collégiens semblent se fondre dans une masse assez homogène et finalement protectrice. Les qualités ou les difficultés relationnelles d un jeune seront propices à l épanouissement ou au repli sur soi, à l émergence de troubles 11

anxieux comme on peut le voir dans les phobies scolaires, les somatisations. La violence subie et qui est surtout l apanage des collèges, favorise l émergence de ces troubles. [15] Au sein d un établissement scolaire, qui est le mieux placé pour repérer un adolescent en difficultés? Quels sont les signes qui interpellent et que les adultes vont signaler au médecin? B) Les examens à la demande d un tiers dans notre pratique Nous avons repris nos statistiques personnelles réalisées chaque fin d année scolaire depuis 2005. Elles permettent de comptabiliser les différents bilans réalisés par un médecin EN. Nous constatons qu entre 100 et 132 adolescents nous ont été signalés chaque année en vue d un examen à la demande d un tiers, parmi lesquels seuls 10 à 15 d entre eux avaient déjà été vus précédemment et présentant des signes récurrents nous sont à nouveau signalés. Il y a donc de nombreux adolescents repérés chaque année. Sur les deux dernières années scolaires 2006-07 et 2007-08 nous reprenons les dossiers médicaux, afin d apprécier l origine de la demande et les motifs de consultation. La taille des échantillons étant insuffisante (225 élèves), les pourcentages sont à prendre comme une tendance, sans réelle valeur statistique. 1. Les motifs et origines de la demande 5% 2% 5% 7% 12% 10% pb de santé inapte au sport TSA/ Handicap diff scolaires tr comport 16% tr psychosomatique ou de l'humeur conduites à risque 16% jeune en danger 14% 13% idées suicidaires absentèisme Les motifs de demande de consultation de 2006 à 2008 Nous avons recensé, les motifs de consultation pour les élèves qui nous ont été adressés par un tiers de 2006 à 2008. Environ 46% des raisons invoquées pour une consultation avec le médecin scolaire pourraient être regroupées sous le terme de «motifs psychologiques». C est le cumul des troubles du comportement, et des «troubles psychosomatiques ou de l humeur» mais aussi des conduites à risque, de l absentéisme et des formulations d intentions suicidaires. 12

Ces chiffres prennent le motif de consultation principal, mais il est possible de retrouver des signes de souffrance psychique pour un élève vu pour un problème de santé chronique, ou pour des troubles spécifiques d apprentissage. 7% des adolescents ont été repérés pour avoir plusieurs troubles associés. 10% des élèves ont été examinés à plusieurs reprises au cours des 2 années pour des motifs différents, par exemple, problèmes de santé puis absentéisme, troubles du comportement puis conduites à risque. Nous revenons sur les principales raisons de troubles psychologiques et les signes qu elles regroupent. Les troubles du comportement comprennent divers symptômes observables : agitation et instabilité motrice, agressivité, violence, impulsivité, racket... Ces signes pouvant être retrouvés dans «les troubles des conduites, le trouble oppositionnel avec provocation, le déficit d attention et hyperactivité, le trouble du comportement perturbateur non spécifié» tels qu ils sont décrits dans l article de L Gicquel et M Corcos [32]. Nous avons repris le terme utilisé par Y Gervais et D Marcelli dans la grille d analyse des symptômes [46], «les troubles psychosomatiques et de l humeur» qui regroupent entre autres, les plaintes somatiques floues, les malaises atypiques, les scarifications, l inhibition, l isolement, les angoisses, le «vécu négatif». Quant aux conduites à risques elles recoupent les fugues, accidents, les consommations de produits psycho-actifs. 2. Qui signale et quoi? infirmière enseignants CPE auto-saisine élève parents AS/COP 0% 5% 10% 15% 20% 25% 30% Personne à l origine de la demande Selon le professionnel qui repère, les signes d inquiétude, et les motifs de demande de consultation sont différents, nous évoquerons chaque catégorie de tiers demandeurs en fonction de la fréquence des demandes. 2-1) L infirmière scolaire Par ordre de fréquence, c est l infirmière qui nous signale le plus souvent les élèves, sa présence, plus régulière que la notre, dans les établissements permet qu elle soit repérée comme adulte référent par les élèves mais aussi par l équipe pédagogique. 13

De grandes enquêtes épidémiologiques réalisées par M Choquet, montrent que dans le recours aux soins, les élèves ont consulté l infirmière scolaire dans 43,4% des cas au moins une fois dans l année contre 18,1% pour le médecin scolaire [19]. Dans notre secteur d exercice, le nombre de passages d élèves à l infirmerie est très important, plus de 1000 élèves y viennent dans une année scolaire. Traumatologie, plaintes somatiques représentent la majorité des demandes, de par leur expérience, les infirmières savent bien repérer la souffrance psychique derrière une plainte a priori somatique [6]. Il y a aussi les élèves qui souhaitent une information, ou qui viennent tout simplement pour «parler». Elles feront un premier entretien, si elles repèrent des signes de mal-être importants, en accord avec le jeune, elles nous l adressent pour complément de l évaluation, et dépistage d une pathologie éventuellement. Motifs de demande Les élèves venant à l infirmerie de façon très récurrente, pour des symptomatologies atypiques, des plaintes floues nous sont signalés. Elles nous ont demandé aussi de recevoir les adolescentes s infligeant des scarifications, les jeunes ayant une addiction avérée ou suspect de l être, de même si un problème médical est décelé ou signalé par l élève ou encore de gros problèmes d hygiène de vie, troubles du sommeil notamment. Enfin elles nous signalent de façon systématique tous les élèves ayant exprimé des idées suicidaires. Le risque de passage à l acte suicidaire est perçu par les infirmières de mon secteur comme une urgence, mais dont l appréciation reste difficile, cette impression est retrouvée dans l enquête réalisée par M. Choquet et X. Pommereau concernant l identification et l orientation des jeunes à haut risque suicidaire [20]. Outils de repérage Le repérage des signes de souffrance psychique peut se faire au moyen d un questionnaire auto-administré (annexe 1), que nous avons élaboré avec un groupe de médecins scolaires. Les infirmières le proposent systématiquement aux jeunes de 6ème vus lors du bilan infirmier concernant tous les élèves de cette tranche d âge, mais aussi à des élèves d autres classes, pour lesquels elles suspectent un mal-être. Ce questionnaire comprend 20 items permettant d apprécier le ressenti de l élève sur l adaptation au collège, les relations extra et intra familiales, mais aussi l estime de soi, l hygiène de vie. Il permet une amorce au dialogue entre l infirmière et le jeune et met en évidence des problématiques qui ne seraient probablement pas exprimées spontanément, en particulier les inquiétudes, la tristesse, voire les idées autour de la mort, ouvrant sur la question éventuelle des idées suicidaires. Pour l élaboration de ce questionnaire nous nous sommes inspirés d auto questionnaires déjà validés, notamment l échelle qualité de vie de Duke et le questionnaire de pré-consultation du service pour adolescents du Kremlin-Bicêtre [3] et les items sont adaptés pour convenir à la population des collégiens, et même des touts jeunes adolescents de 6ème. 2-2) Les enseignants Lorsqu un médecin exerce depuis plusieurs années dans un collège ou un lycée, il est reconnu en tant que professionnel de santé et conseiller technique, les professeurs formulent alors directement ce qui leur cause un souci. 14

Principaux motifs d inquiétude : difficultés scolaires et agitation Les professeurs signalent les élèves en grandes difficultés scolaires. Le temps scolaire est limité, un élève ne peut accumuler trop de retard, le problème de son orientation se posera rapidement si les difficultés ne sont pas résolues. Elles constituent un facteur de risque pour la santé physique et psychique d un individu, le médecin a un rôle de médiateur à jouer. Il essaie d avoir une vision non réductrice des difficultés et recherche les raisons possibles de l échec, en faisant appel notamment à la compétence du COP (conseiller d orientation psychologue). Qu il s agisse d un retard simple en lien avec des facteurs socioculturels, d un trouble spécifique d apprentissage ou d une difficulté de pensée, les éléments sont souvent intriqués, et les aides diversifiées. [17] Les professeurs signalent également les adolescents qui leur posent des problèmes de discipline en cours et qui perturbent la classe par leur comportement Les signes manifestés par les élèves, peuvent renvoyer l enseignant à ses propres limites en matière d adaptation de la pédagogie, ou encore dans la façon de poser un cadre de discipline et de gérer des débordements. L élève en difficulté est celui qui met aussi l adulte en difficulté, ce qui n est jamais une situation confortable et peut générer une souffrance chez le professeur. L agressivité verbale et parfois physique de quelques élèves, «attaque les failles des adultes» souligne P Duverger [29] Selon les enseignants, leur expérience, leur histoire personnelle, le seuil de tolérance est très variable. Certains ne peuvent attendre et font eux-mêmes l injonction d une prise en charge «psy» aux parents sans en avoir parlé au préalable au personnel de santé de l établissement afin d évaluer un réel besoin de bilan spécialisé. Quand l adolescent se confie au professeur Les adolescents «choisissent» parfois un professeur, et pas forcément à un membre de l équipe médico-sociale, pour parler de leurs problèmes. Ainsi dans un collège, un jeune professeur principal fut très déstabilisé après avoir reçu les confidences d une jeune fille, au comportement très provocateur, avec des actes agressifs très impulsifs, elle annonçait à l enseignant «son homosexualité», lui demandant d intervenir en sa faveur auprès de l élève dont elle était amoureuse. Au lycée, une élève en grande souffrance alternant épisodes de boulimie, tentatives de suicide, scarifications, avec un suivi psychothérapeutique important, montrait à deux professeurs masculins les scarifications qu elle pratiquait, leur demandant même de panser les plaies qu elle venait de se faire, en suppliant de ne pas l envoyer voir l infirmière car elle préviendrait sa mère ce qu elle refusait. Elle interpellait ainsi peu à peu tous ses professeurs. Beaucoup se sentaient investis d un rôle d écoute, et d aide, l un d entre eux lui conseillait de dialoguer avec lui sur «Facebook». Il fut rapidement débordé par les confidences de cette adolescente, ne sachant que faire de tout ce qu elle lui confiait. Ces exemples montrent que certaines situations peuvent mettre en difficulté les enseignants. Pleins de bonnes intentions pour aider les élèves, ils ne veulent pas trahir leur confiance et gardent pour eux ces situations, avant de les signaler enfin à l équipe médicale ou sociale lorsqu ils sont dépassés. Une angoisse nourrie par la médiatisation de certains problèmes 15

Nous remarquons que leur inquiétude s accroît avec la médiatisation de certains problèmes d adolescents, la violence en particulier. Les idées suicidaires que leur confient certains élèves, sont source de grande inquiétude, à juste titre d ailleurs car le risque de passage à l acte est réel pour certains jeunes. Deux très jeunes adolescents d un même collège en classe de 6ème se sont suicidés à deux ans d intervalle, ces faits ont profondément marqué et culpabilisé les professeurs, d autant plus qu ils n avaient jamais manifesté bruyamment leur détresse. Il convient donc de pouvoir entendre l enseignant, de rechercher les causes du malaise exprimé. L intérêt d un outil d observation et de liaison professeurs- médecin Nous avons élaboré une fiche de liaison avec le médecin (annexe 2) permettant au professeur de préciser les signes repérés chez un élève, au moyen d une grille d observation. Cette fiche liste des signes possibles de manifestations de la souffrance psychique, pas seulement des signes bruyants, qui sont repérés sans trop de difficultés, mais aussi les signes «en creux», la souffrance silencieuse de l adolescent qui se fait oublié. Demander de préciser et d objectiver leurs observations par écrit, permet aux enseignants de prendre un temps de réflexion et un peu de distance avec l inquiétude que génère une situation difficile à supporter en classe. 2-3) Le CPE Les conseillers principaux d éducation (CPE) viennent en troisième position dans la demande d examen. Personnel à l interface entre la direction de l établissement, les enseignants, et autres membres de l équipe éducative, ils se font l écho des préoccupations de l un ou l autre de ces partenaires. CPE et professeurs, représentent plus d un tiers des demandes de bilan exprimées. Principaux motifs d inquiétude : absentéisme et troubles du comportement Leurs préoccupations concernent essentiellement l absentéisme, les retards répétés. Le CPE nous sollicite lorsqu une raison médicale est avancée par l adolescent et sa famille pour justifier l absentéisme important, ou lorsqu il suspecte un trouble anxieux ou une phobie scolaire. Il est interpellé par le comportement des élèves dans l enceinte scolaire, les incivilités, les dégradations, la violence, autant de signes identifiés comme une façon de communiquer un mal-être par le jeune [25]. Participant aux conseils de classes et travaillant étroitement en collaboration avec les professeurs et l équipe de direction, il est attentif au rapport qu entretient l élève avec la réussite ou l échec scolaire. Nous l avons vu, les élèves en échec scolaire nous sont souvent signalés, mais il y a aussi les élèves qui surinvestissent les études et qui sont très peu signalés. Pourtant, 25% des collégiens de 15 ans ressentent une pression scolaire, celle-ci peut être mal supportée, ces jeunes sont plus souvent mis à l écart ou font l objet de violences de la part des pairs [56]. Le CPE rappelle la règle, en ayant éventuellement recours aux sanctions, mais surtout en essayant de mettre en place des dispositifs adaptés à chaque élève, que nous développerons au chapitre V. Malgré ces mesures individuelles, s il n y a pas d amélioration des conduites de l élève, le CPE nous interpelle. 16

En recherche de causalité Nous constatons que les adultes de l établissement sont dans la recherche d une cause possible pour expliquer le comportement d un élève, notamment des causes intrafamiliales : manque de cadre éducatif, parents peu présents, séparation parentale, ceci a été relevé lors d une étude réalisée en 2004 dans différents établissements scolaires [7]. 2-4) Les élèves Les lycéens sont directement demandeurs d un rendez-vous pour des motifs bien précis, tels qu une inaptitude à l éducation physique et sportive, ou encore une demande d aménagements aux examens, il n y a que très rarement de demandes pour un motif de sensation de mal-être psychologique, ce qui a été une des motivations pour ce travail. Mais certains jeunes viennent rencontrer l infirmière ou le médecin pour nous faire part de leurs inquiétudes concernant un de leur camarade. 2-5) Les parents Les parents peuvent nous contacter directement. Cette tendance se confirme puisque en quatre ans, les demandes émanant des parents ont progressé de 4 à 23. Cette augmentation est due à la reconnaissance des troubles spécifiques d apprentissages comme handicap dans la scolarité, la dyslexie est le cas le plus fréquent. Ils souhaitent que nous évaluions les difficultés spécifiques de leur enfant et que nous mettions en place, en accord avec l ensemble de l équipe éducative, un projet d accueil individualisé (PAI) avec un ensemble d aménagements pédagogiques, prenant en compte les besoins spécifiques de l élève. Les problèmes de santé survenant chez l enfant font également l objet de demandes de leur part. Enfin il y a aussi une augmentation des sollicitations de parents inquiets par la dégradation des résultats scolaires ou débordés par le comportement de leur adolescent à la maison, et qui souhaitent notre avis. Il arrive fréquemment qu un adolescent manifestant des signes de malaise chez lui, se montre tout à fait adapté au collège ou lycée, ce comportement est assez caractéristique de la «crise d adolescence» [41]. Mais il est plus rare que lorsqu un adolescent manifeste des signes de mal-être dans l établissement scolaire, aucune difficulté ne soit rapportée par les parents en ce qui concerne son attitude au domicile et ses relations avec sa famille. 2-6) Assistante sociale et conseiller d orientation psychologue Nous constatons que l assistante sociale et le conseiller d orientation psychologue (COP) nous signalent peu d élèves directement, mais tout comme nous ils ne sont pas quotidiennement au contact des mêmes élèves. Néanmoins, ils sont présents aux réunions de synthèse et autres commissions de suivi. Ces rencontres, initiées au départ dans le cadre de la prévention des conduites à risques, permettent d «étudier la situation d un élève à la lumière des compétences professionnelles différentes» [63]. Nous convenons ensemble de la conduite à tenir, et quel sera le professionnel le plus à même d évaluer la situation de l adolescent dans un premier temps, tout en sachant que pour une évaluation la plus juste et la plus globale, un véritable travail de partenariat sera nécessaire. Ces commissions se déroulent dans le respect du secret professionnel en ce qui nous concerne, nous pouvons tout à fait apporter des éléments utiles à la scolarité d un adolescent, 17

sans révéler bien entendu le contenu d une consultation, il nous semble important de rappeler le devoir de réserve dont doivent faire preuve les autres adultes de l établissement lorsqu ils ont connaissance d éléments confidentiels. 2-7) le personnel de direction Le personnel de direction nous interpelle surtout pour les adolescents les plus difficiles, et lorsque les rapports des enseignants concernant le comportement d un élève, s accumulent sur leur bureau. C) Les constats et les difficultés du médecin scolaire Les chiffres des statistiques personnelles font mention d élèves vus ou revus à la demande du MEN, il s agit d une auto-saisine, concernant des élèves déjà connus par le médecin. C est un suivi, qui a débuté parfois à l école élémentaire. À partir de toutes les demandes d examen pour des élèves repérés nous constatons des dysfonctionnements à la fois institutionnels et mais aussi du fait de notre organisation personnelle: - Les élèves manifestant des signes bruyants de malaise sont facilement repérés, mais ceux qui ne perturbent pas, sont rarement signalés. Les professeurs ne sont pas formés au repérage précoce des signes de souffrance, et n ont pas toujours des notions sur le développement de l adolescent. - Et pourtant 60% environ des adolescents que nous voyons pour la première fois, ont déjà reçu le conseil d une aide «psy» de la part d un adulte de l établissement. Très peu ont suivi ces recommandations, ou bien les séances se sont rapidement interrompues. Certains enseignants notamment, considèrent le recours au soin psychologique comme une solution à tous les problèmes des élèves. - Les professeurs et CPE peuvent se trouver débordés par un élève qui leur exprime ouvertement sa souffrance. Notre rôle est de les conseiller, pour qu ils puissent être dans une relation d aide vis-à-vis d un adolescent qui va mal, tout en gardant leur place d enseignant et non de psychothérapeute, ce qui n est pas leur travail et qui accentue la confusion dans laquelle se trouve le jeune qui les envahit de ses confidences. Ils doivent nous en parler, sans avoir la culpabilité de trahir l élève et l accompagner vers le pôle médical de l établissement. - Les tiers demandeurs d une consultation pour l adolescent attendent une réponse rapide devant une situation devenue urgente, alors qu elle dure parfois depuis de longs mois avant d être signalée. Or une évaluation nécessite du temps, il nous semble impossible d avoir une vision générale des difficultés en un seul examen. - Lorsqu un enseignant ou le CPE nous signale un élève, il s agit d une demande imprécise, tel élève va mal nous devons le voir. Cette injonction résume dans de nombreux cas leur demande, d où l intérêt de les inciter à préciser leurs observations, ce que nous développerons plus loin. - Les élèves invités à se rendre au cabinet médical ne viennent pas spontanément au rendezvous, c est le cas pour 58% d entre eux. Nous pouvons nous demander s il est préférable de demander aux assistants d éducation d aller le chercher, ou bien d accepter le choix de l élève de ne pas répondre à l invitation, pour garder la maîtrise d une démarche qu il ne 18

comprend pas et lui donner un nouveau rendez-vous? Mais d ailleurs est-ce un choix, un refus délibéré, ou un oubli comme ils disent tous lorsqu on leur demande la raison du rendez-vous manqué? De plus 30% des élèves se présenteront sans avoir informé les parents du rendez-vous. - Il est surtout très fréquent en tant que médecin EN de convoquer un jeune qui ne connaît pas la raison de ce rendez-vous, l enseignant ou autre membre de l équipe éducative, qui s inquiète pour lui, n a pas pris la peine de l informer de son souci, ni du fait qu il en a parlé au médecin et sollicite son avis. Nous recevons donc des adolescents qui ne savent pas ce qu ils font dans notre bureau, ce qui ne favorise pas le premier entretien. Alors comment comprendre la difficulté pour un adolescent à formuler une demande d aide auprès du médecin? Comment interpréter par ailleurs les multiples demandes qu ils expriment par leurs attitudes et comportements? 19

III) CLINIQUE DE LA DEMANDE ET DE LA NON-DEMANDE A L ADOLESCENCE La demande que formule parfois l adolescent a des particularités propres à cette période. Mais fréquemment il ne demande aucune aide, utilisant le langage non verbal, ou un symptôme particulier pour exprimer sa souffrance. A) Le besoin, le désir et la demande Ces notions ont été développées par les psychanalystes et généralisées au champ de la santé mentale. Demande et besoin sont intriqués, ils sont à la base de toute psychothérapie mais aussi des consultations médicales au cours de laquelle une plainte est exprimée. Douleur, gêne, souffrance physique, ou bien psychique, la démarche de consultation est déjà une demande faite au médecin, demande de guérison, ou au moins de soulagement, demande d écoute, ou de conseils, soutenue par le besoin de bien-être ou en tous cas d un mieux-être. Entre besoin et demande Lacan introduit la notion de désir, désir inconscient qui s exprime à travers un symptôme. 1. Le besoin Le besoin s inscrit en creux chez une personne, c est «le manque de ce qui est perçu comme nécessaire» (Littré) ; l «envie» est donnée comme un synonyme. Exprimer des besoins, des envies nécessitent de pouvoir se projeter hors de soi-même vers l Autre, et «hors du temps présent pour élaborer des projets de vie» précise P. Gutton [37]. L absence de besoin, d envie, peut faire évoquer un état dépressif ou du moins de repli sur soi, de retrait, mais c est peut-être aussi une attente qui a du mal à s exprimer, ce que l on constate chez les adolescents. Le besoin est également «l expression de la pulsion d autoconservation vouée à la répétition : faim, soif, mais aussi emprise, fuite». Il signe un état de tension, de malaise corporel qui demande à être satisfait, ce qui peut engendrer un état de dépendance à l Autre, car «Le besoin ne peut se passer de l Autre notamment chez le petit enfant» souligne JL Graber [35]. Or l adolescent aspire à se détacher des objets d attachement infantiles. Mais est-ce si facile pour un adolescent d identifier ses besoins propres, alors qu il souhaite se différencier de l Autre et notamment de ses parents? Est-il possible pour lui d avoir conscience de ses manques, de la souffrance qui en découle et de pouvoir l exprimer face à un adulte? 2. Le désir Il s inscrit entre besoin et demande, contrairement au besoin qui peut être lié à une obligation biologique, le désir va au-delà du bien-être organique, et il est propre à l espèce humaine. Dans le Grand dictionnaire de Psychologie (Larousse), le «sujet» est «un être 20

désirant, soumis à la loi symbolique et contraint de passer par la parole pour établir la vérité : le sujet en psychanalyse est le sujet du désir que S. Freud a découvert dans l inconscient» Et il s agit en effet d un désir inconscient qui a du mal à se dire. Tout médecin s attache bien sûr au symptôme présenté, mais doit avoir conscience que le symptôme traduit la difficulté d un sujet avec son désir. Pour Lacan, le désir se produit au-delà de la demande, et il ne peut jamais la satisfaire «le désir de l homme, c est le désir de l Autre» et Hegel explicite : ce que désire l homme, c est que l Autre le désire. Le désir va pouvoir se déployer dans la parole et à travers la demande. 3. La demande D après le Littré «Demander» signifie «exprimer à quelqu un qu on souhaite obtenir quelque chose de lui», mais aussi «interroger, essayer de savoir, de connaître» impliquant une curiosité, un élan, une dynamique qui là encore peuvent faire défaut chez un adolescent qui va mal. Demander exige le langage, avec les limites que cela entraîne chez certains adolescent ayant des difficultés d expression surtout quand il s agit de parler de ses émotions, des sentiments des doutes, ou encore d exprimer une demande d aide. La demande c est «la quête de l Autre, elle est plus que la simple expression d un besoin et ne peut se réduire à la demande d un objet, car elle vise au-delà de l objet en ce qu elle s adresse à un Autre et qu elle trouve toujours en son fond une demande d amour suffisamment radicale pour qu elle soit insatisfaite» écrit aussi J.L. Graber. Cette demande d amour pourrait se traduire à l adolescence par : «aimez-moi, puisque je ne peux m aimer moi-même» Ainsi, demander, expose à la déception, au risque du refus de l autre, au manque de compréhension. On note fréquemment une discordance entre la demande d un adolescent et celle du parent ou d un tiers ou encore lorsque la demande est formulée par le jeune mais interprétée différemment par le médecin. [38]. Faute de temps, nous pouvons être tenté d en rester à une demande exprimée et d essayer de la satisfaire rapidement, mais cela empêche alors tout échange, n ouvrant pas sur un espace de parole que le jeune aurait pu saisir. 4. «Le jeu de la demande» Pour A. Braconnier, à l adolescence la demande se situe en plusieurs lieux, il y a celle du jeune et celle de son entourage, c est à la fois une demande de guérison pour faire cesser le symptôme et une demande de compréhension, mais pas forcément la demande d être soigné. «Le jeu paradoxal que constitue la résistance au changement et le refus inconscient de guérir est souvent difficile à concevoir consciemment pour chacun des partenaires tant son illogisme paraît important» [11] Mais un adolescent peut être adressé à un psychothérapeute sans avoir de vraie demande au départ et développer au fil de la cure une forte demande. X. Renders parle de l «ubiquité de la demande en psychanalyse» il y a une demande consciente et inconsciente «le patient s adresse à l analyste et croit lui demander soulagement, compréhension, changement, mais il s avère que la demande est ailleurs, la première en cache une autre plus inconsciente, entre les lignes, l attente par exemple d être déclaré malade, celles de directives magiques, celle de l échec de l autre, c est le transfert» [54] 21

L échec de la demande consciente lorsque le thérapeute n apporte pas la solution attendue par le patient, va permettre la poursuite du soin psychothérapeutique, le sujet articule sa demande initiale à d autres demandes plus anciennes, à d autres questions restées sans réponses qui constituent le fil de son histoire. En ce qui nous concerne alors que nous ne sommes pas thérapeutes, quand un adolescent s autorise à dire des choses à livrer ses doutes, ses questionnements, son ressenti, alors même qu il se demande ce qu il fait dans le cabinet médical, il donne déjà du sens à la consultation et prend conscience de certains faits ce qui sera une amorce pour une demande d aide. Ainsi «la demande est un lien à construire» [30] B) Particularités de la demande chez l adolescent Lorsqu elle s exprime, la demande peut revêtir divers aspects chez un adolescent. Le médecin devra faire un travail de décryptage, pour se décentrer de la demande initiale sans la négliger, cherchant avec le jeune ce qui peut réellement être le nœud du problème 1. La demande est formulée par un tiers «La demande n est pas univoque» écrivent P Alvin et D Marcelli [1], car l adolescent est rarement autonome dans sa demande. Un adulte la formule à sa place en lien ou pas avec sa demande propre. C est la mère le plus souvent qui porte la demande de son enfant lorsqu elle l amène en consultation chez le médecin traitant, et dans le cadre scolaire c est un adulte de l établissement ou parfois un camarade qui s inquiète pour un de ses pairs et qui vient voir l infirmière ou le médecin pour lui en parler. Le fait qu un autre porte la demande peut entraîner une confusion, le médecin doit analyser la demande de la personne qui l interpelle, et la dissocier de celle de l adolescent, de façon à aborder le jeune avec un regard neuf et sans a priori. Il doit aussi permettre à l adolescent de s introduire dans un circuit ayant pour origine un Autre, en faisant à son tour une demande propre. 2. Une demande difficile à exprimer L adolescent a du mal à mettre en mots sa demande de soins, «les réponses laconiques en cours d entretien reflètent le sentiment d étrangeté à soi de l adolescence, qu il convient de considérer dans la dynamique du processus d appropriation subjective écrit M. Gilloots en évoquant la demande d adolescents en situation de précarité. [33] Le médecin peut l aider à reformuler et à travailler autour de la représentation qu a l adolescent d un problème de santé donné. 3. La demande «masquée» Une demande précise, à propos d une plainte somatique peut en cacher une autre plus complexe et multi factorielle, nécessitant un investissement psychique coûteux pour un adolescent. Il prend le prétexte d un autre objet de soin pour la consultation, ainsi il propose un autre motif, plus banal, à la symptomatologie plus ou moins floue, difficile à faire préciser cliniquement, mais qui lui semble plus «acceptable». 22

Il s agit de ces adolescents qui se présentent fréquemment à l infirmerie pour une plainte somatique, le plus fréquemment des céphalées, des douleurs abdominales, une sensation de vertiges, de la fatigue, derrière lesquelles il faut rechercher : un dysfonctionnement familial, des difficultés scolaires, une maltraitance, un trouble de l humeur Le travail consiste alors, sans pour autant négliger la plainte initiale, à élaborer et légitimer un ou plusieurs objets de soins plus adaptés à la situation remarque D. Armengaud. [5] 4. La demande n aboutit pas forcément à un traitement L objet présenté n est pas toujours destiné à recevoir un traitement, il peut s agir d une plainte sur l image de son corps, l adolescent se trouve trop petit, l adolescente trop grosse sans que cela soit médicalement objectif et ne nécessite aucun régime ni traitement. Mais le jeune est en demande de conseils, d informations sur ses transformations corporelles pouvant être source d angoisse. On retrouve souvent une mauvaise estime de soi chez ces adolescents 5. Une demande différente selon les sexes Il semble plus facile pour les filles, d être dans la relation avec le médecin, d exprimer une demande, de cerner les préoccupations. Au contraire chez le garçon la demande de soins est moindre, on note beaucoup plus de réticences, de résistances à exprimer un mal-être autrement que dans l agir, ils peuvent ressentir la consultation comme une menace. [40] Il est plus acceptable pour une fille d exprimer une plainte, de demander de l aide, que pour un garçon, les rôles sociaux attribués à chaque sexe en seraient a priori responsables «Demande et accès aux soins sont des démarches essentiellement sociales reflétant des codes de comportement conformes aux archétypes masculins ou féminins : demander de l aide pour soi-même, n attente pas à sa féminité, tandis que la capacité de s en sortir par soi-même pourrait prouver sa masculinité» remarque D. Marcelli [49] Il arrive que des filles soient également dans une opposition affichée dans la relation avec le médecin, on retrouve souvent des conduites agies chez elles, pas seulement des automutilations, ce qui là encore est une manifestation plus féminine [61], mais aussi des troubles du comportement avec agressivité, impulsivité. Elles agissent sur le même mode d expression que les garçons. 6. La demande à une urgence ressentie Dans un moment de crise, l émergence soudaine d un mal-être, déclenchée par un événement parfois mineur pousse l adolescent à consulter, alors il manifeste le besoin de faire cesser immédiatement sa souffrance. Il a du mal à différer, à temporiser. Le médecin peut travailler sur le ressenti du jeune parallèlement à ses représentations et au ressenti de son entourage Il prend en compte aussi, en tant que médecin, son propre ressenti, son anxiété, notamment par rapport à la véritable urgence que constitue en particulier le passage à l acte suicidaire. 7. Les demandes complexes nécessitant un travail en réseau Lorsqu un adolescent est en grande difficulté, la multitude des signes repérés sollicitent l intervention de différents professionnels (médecin EN et médecins traitants, assistante sociale, parfois juge pour enfants, éducateur ) nécessitant un travail bien coordonné, en partenariat, pour une cohérence des soins et des projets pour l adolescent. 23