Je vais revenir sur cette question posée par Lacan dans Le Sinthome (la leçon du 16 décembre 1975) :

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Transcription:

Le nœud à trois : à lire comme ça s écrit Thatyana Pitavy Le trois introduit un air subversif dans notre façon de penser. Il ne nous laisse pas indifférent, si ce n est en cela que pour pouvoir le lire, il faut accepter d aller au-delà de la norme mâle, en tout cas, ne pas se limiter à elle Ça se lit comme ça : RSI, Réel, Symbolique et Imaginaire. Il s agit ici d une écriture qu on peut dire sans alphabet, sans abécédaire, pourtant ce qui s écrit n est pas dénoué de lettres, des petites, des grandes tout cela dans un lalangue vivante et continue. Lire en même temps que ça s écrit c est considérer le temps comme dimension nécessaire à cette lecture Ce qu il s agit de lire n est rien d autre que la topologie du sujet en temps et en acte. Je vais revenir sur cette question posée par Lacan dans Le Sinthome (la leçon du 16 décembre 1975) : «Si le trois est bien le support de toute espèce de sujet, comment l interroger? Comment l interroger de telle sorte que ce soit bien d un sujet qu il s agisse?» Voilà le travail. Voici ce qui m a mise au travail au cours de cette année. C est cela que je vais essayer de reprendre aujourd hui. Très précisément, comment à la fois interroger et démontrer que tout sujet est sujet au trois, est sujet à trois? J aimerais revenir sur cette proposition que le trois ne se limite pas au nœud borroméen à trois tel que nous en avons l intuition... ou en faisons l association parfois un peu rapidement. Cliniquement parlant, je dirais qu il peut se montrer par trois temps et par trois modalités distinctes : dans sa forme réduite (le triskel), dans sa forme homogène (le nœud de trèfle) et dans sa forme généralisée (le nœud borroméen à trois/la chaîne borroméenne à trois). Le trois du triskel, du nœud de trèfle et du nœud borroméen à trois ne sont pas des objets équivalents, en ceci qu ils ne sont pas à même de se retrouver par une déformation continue.

Néanmoins, ils peuvent se retrouver potentiellement l un dans l autre par une opération de coupure et de raboutage. Le trois du triskel, c est la base du nœud, ce n est pas encore un nœud, mais c est déjà une consistance. Il consiste en la rencontre de ces trois droites, plutôt de ces trois surfaces ouvertes qui indiquent un lieu commun, ce triple trou central. C est à cet endroit là que Lacan localise l objet petit a. Le nœud de trèfle, c est l UN nœud, un vrai nœud. C est aussi le nœud à trois tel que Lacan le nomme dans RSI (p.57) et qu il reprend de façon plus appuyée dans le Sinthome. Il est trois en ceci qu il est fait de trois croisements. Or, en clinique, il est connu pour sa mise en continuité paranoïaque. J ajouterais ceci, que si cette pente du nœud à trois à s homogénéiser est un fait de structure, cela est aussi un fait que la mise à plat de ce nœud permet non seulement de dessiner quatre champs distincts mais aussi de le colorier avec une ou trois couleurs. Ce qui introduit une place pour la différence, à savoir, une erre possible à la métaphore Je veux dire par là qu il peut se montrer ainsi sous une forme pas toute homogène Enfin, celui qu on connaît comme nœud borroméen à trois, qui je le rappelle, n est pas vraiment un nœud, mais une chaîne. Pour la seule raison qu il est constitué des trois nœuds triviaux, donc, pour être rigoureux, trois nœuds noués font chaîne. Ceci dit, rien n empêche de rajouter des ronds supplémentaires à cette chaîne borroméenne à trois, qui, j insiste, n est chaîne qu à partir de trois, ainsi on peut commencer par rajouter +1 3+1 ça fait quatre 4+1 ça fait cinq et aller jusqu à l infini Ces transformations possibles du nœud à trois, que ça soit dans un sens comme dans l autre, que ça soit pour le réduire ou pour le construire, suppose que le trois comme lieu de refoulement se superpose à la notion de structure elle-même. Comme si le refoulé et le refoulement étaient inscrits dans des temps logiques différents, mais que potentiellement il s agirait du même Ceci venant se fonder sur ce principe de contradiction : là où rien ne change, tout change Car, selon ces temps de la structure, le sujet ne se donne pas à lire de la même manière. C est ainsi que lire comme ça s écrit, c est lire la topologie du sujet en acte à chaque fois qu il se manifeste. On peut tout de même rappeler que cela n est possible que dans le dispositif d une cure et que le transfert devient partie prenante de ce qui s écrit et de ce qui se lit, bien évidemment. Une fois le trois posé comme ça, il y a un deuxième point qui me semble essentiel à reprendre, c est celui de notre nosographie habituelle. Il me semble que la topologie lacanienne déplace radicalement la nosographie classique : névrose, psychose et perversion. C est-à-dire, que la théorie des nœuds chez Lacan opère ce passage d une structure fixée, modélisée à des écritures localisées, actualisées par le choix éthique de chaque sujet, choix éthique qui consiste à prendre en compte ce qui lui cause, ce dont il est la cause et de faire en conséquence. Cela viendrait dénouer de nombreuses impasses structurelles, car, si vous me suivez, cette approche suppose la structure comme étant en quelque sorte Une, celle du trois. Le trois

comme structure minimale et le sujet comme effet de cette structure serait ainsi à localiser dans ses diverses manifestations symptomatiques fût-elles névrotiques, psychotiques ou perverses. Ceci dit, névrose, psychose et perversion restent des repères cliniques nécessaires. Je ne crois pas qu on ait intérêt à s en passer, d ailleurs. Néanmoins, la topologie lacanienne nous impose de lire ces catégories autrement, de s en servir autrement. Car avec RSI la notion de structure change et celle du sujet également. Disons qu à partir de là, la frontière entre le normal et le pathologique tend à se réduire voire même à s effacer Voyons, quelle garantie avons-nous de notre santé mentale? Quoi dire de la paranoïa constitutive, ordinaire de chacun? De notre état d automatisme mental quasi normal? Si nous interrogeons le nœud à quatre, que Lacan désigne comme étant celui de la névrose, ce qu on peut constater c est qu il est le même que celui proposé à certaines suppléances. Alors, comment ne pas voir que nous sommes tous dans le même trou, que ça soit celui de la structure ou encore celui de la vie et qu on se débrouille comme on peut pour se sortir de là. Car qu en est-il de la névrose dans la topologie lacanienne? Si ce n est qu elle est ici un +1, un rond de plus, un supplément à la chaîne borroméenne à trois. Seulement, une fois que ce +1 a été rajouté, qu est-ce qui se passe? Il prend une valeur capitale, il n y a plus que lui qui compte! Il devient le compteur de la chaîne. Ce qui est intéressant, c est que ce +1 n est pas indispensable au départ, mais il le devient Ce qui était une chaîne devient après coup un nœud. Or ce qui me semble discutable ce n est pas le fait de rajouter du +1 ; après tout, il se peut que cela soit plus confortable avec un ou des ronds de plus Ce que je trouve problématique c est le rapport qui vient s établir entre le trois et ce +1, ce forçage, cette dépendance, ce y croire. Et l impossible qui vient s inscrire dans ces cas de figure, l impossible de s en passer, ça oui, on peut l interroger. Effectivement, c est ça l impasse, cette écriture ne tient que d y croire Peut-on dire que la névrose est effet d une interprétation? Que dans l après coup de ce rajout, de ce UN de plus, la névrose n est qu une suppléance parmi d autres, un sinthome, voir même un symptôme? On sait qu une suppléance provoque des effets de structure, en ce sens elle peut même prendre valeur de structure, comme dans le cas du nœud à quatre. La question est quand même celle de savoir s il y a équivalence entre suppléance et structure. Lacan rappelle cela dans RSI en disant que ce n est pas parce que cette suppléance au Nom du père n est pas indispensable qu elle n a pas lieu. Il évoque même notre possible état de suffisante dissociation pour que seul le Nom du Père fasse nœud borroméen 40 ans après, en sommes-nous toujours et encore là? Je dirais plutôt que ce que nous appelons (à tort ou à raison) la levée du refoulement fait que le trois se donne à lire aujourd hui sans plus aucun tabou, disons qu il s est dévoilé en quelque sorte, et qu à partir

de là on ne peut plus faire comme si on ne voyait pas, comme si on ne savait pas. Le sujet ordinaire marche déjà sans le quatrième, seulement, ça marche autrement. Est-ce cela un progrès? De s en passer du quatrième? Lacan est catégorique là dessus, il dit que le seul progrès qu il peut y avoir dans le trois, dans ce strict minimum de la structure, c est dans l imaginaire, dans la consistance qu il est repérable. Je ne sais pas ce que veut dire un progrès dans l imaginaire Plus de consistance, moins inconsistants? Ce que je peux constater néanmoins, c est que de s en passer du quatrième, on se raconte moins des histoires, ça c est sur! Par contre il y a un point essentiel à soulever : s en passer après avoir pu s en servir c est tout autre chose que n avoir jamais pu compter dessus Cela inscrit une différence dans la clinique du trois : il y a ceux qui peuvent trouver un savoir faire du trois, comme ça peut-être le cas dans une fin de cure, et il y a ceux qui ignorent leur trois et ne font que subir continuellement ses effets. Enfin, ce qu on constate dans la clinique, c est qu un sujet peut tout au long de sa vie traverser des états psychopathologiques autres que ceux prescrits par sa dite «structure» de départ des névrosés fous et des psychotiques normés on en trouve alors, quelle lecture? Partons de ceci que le trois n est pas à traiter Réel, Symbolique et Imaginaire sont irréductibles à cet endroit du sujet. Quoiqu il arrive un parlêtre reste toujours un être de langage, qu il le veuille ou pas, c est comme ça. Voici un autre point qui m a accompagné tout au long de cette année, celui du dénouage. J insiste sur cette question, car je crois qu il s agit d une question de fond cruciale Le trois est soumis à une logique radicale, ça ne tient qu à partir de trois et si l on enlève un des trois, les deux autres ne tiennent plus ensemble. Le trois est le strict minimum. Dans le cas contraire, comment faire tenir l hypothèse d un sujet dénoué? Hors structure? Hors langage? Le sujet névrosé, risque t-il le dénouage? Est-ce qu il peut s en passer de son quatrième? Tel qu est imagé le nœud à quatre, à savoir à partir des trois ronds superposés, s en passer, c est certes très risqué. Le névrosé choisit le plus souvent de s abstenir. Il a tellement la crainte de se défaire que ça lui arrive même de rajouter quelques ronds supplémentaires pour se rassurer! Le sujet pervers qui comme nous savons organise sa dépendance autrement, ce qui l intéresse ce n est pas le faux trou du quatrième, mais le vrai trou de l objet, en quoi il assure avec maîtrise le coincement de celui-ci. L objet est plus que jamais coincé! De temps à autre cela peut arriver que l objet du fétiche foute le camp Alors, le plus souvent c est l angoisse qui prend le dessus. Mais l angoisse n est pas sans objet contrairement à ce qu on dit, elle noue le sujet, il se retrouve «noué d angoisse». Le sujet psychotique, que dire? Disons, qu il n y a rien de plus serré qu un paranoïaque. Le nœud de trèfle comme nous savons c est un vrai nœud. Je ne crois pas vraiment qu on puisse parler de dénouage. Ceci dit, il est connu qu une paranoïa puisse basculer vers une mélancolie Alors, que dire du mélancolique ou du maniaque, de ces sujets abjet, en ceci qu ils sont réellement identifiés à l objet? Selon Marcel Czermak, dans ces dispositions l objet prend toute la place, il obture, ce n est plus que lui qui parle, un objet parlant. Dans les dernières

journées sur Topologie et Clinique je disais qu une lecture de ce fait clinique à partir du triskel était à considérer. Or, ce qu on peut constater dans cette figure du triskel c est qu il n y a plus que ce triple trou central qui fait consistance. En fait, l ouverture de ces trois droites efface toute possibilité de nomination autre que celle qui est ici proféré par l objet. Alors, c est l objet qui se met à parler sans plus aucune modération. Le trou de l objet consiste néanmoins. Ce que je trouve équivoque à la vue du dénouage, c est qu on puisse supposer qu un parlêtre peut se retrouver dans une condition autre que celle du langage, que celle de son humanité, et que cette lecture entretient, nous tient coincé à une croyance du UN absolu, obligatoire, alors qu il n est ici que contingence, un pur hasard, et que dans le bon cas, il est un choix. Tout cela dit, il faut quand même être d accord que le sujet de la topologie lacanienne, n est pas le sujet freudien, en ceci qu il ne se prénomme pas Œdipe. Ce que nous appelons sujet chez Lacan est à mon sens beaucoup plus proche du cœur du nœud, de ce triple trou central, à savoir, de l objet petit a que de la triade papa, maman et enfant. Lacan ne nous épargne pas avec sa topologie, l objet est au cœur du sujet, il n est pas seulement la cause de son désir, mais il est la cause même de son ek-sistence. J irais encore plus loin, si on regarde le nœud à trois dans sa mise à plat, on peut très vite lire qu on baigne ici dans un nœud des jouissances. Il y a là, quatre champs tout à fait délimités : jouissance phallique, jouissance Autre, jouissens et le plus-de-jouir qu on oublie toujours de compter parmi les jouissances alors qu elle est ici en place tout à fait privilégiée. L objet est le seul à dialoguer avec les trois autres, donc jouissance de l objet. J ai envie de dire que le jouir de la vie n est ici qu un euphémisme, la vie ne demande qu à jouir, c est ça l enfer! Tels qu ils sont figurés ces champs des jouissances, on n a que le choix de passer de l un à l autre. C est vertigineux et raide comme approche. La dureté c est que RSI ne raconte pas des histoires du soir ni de mythes à nous faire rêver. La question que pose le trois est plutôt celle de savoir comment faire pour se limiter et se protéger de l enfer? Car, à cet endroit, c est chacun qui peut savoir faire pour soi, les suppléances n étant ici qu artifices. Mais quand elles sont valables pourquoi s en priver? Le souci, c est qu elles sont limitées. Nous savons très bien que ce qui était opérant pour un sujet à un moment donné, ça peut ne plus être le temps d après, qu il faut pouvoir et savoir passer à autre chose quand cela se présente.

Avant de conclure, je voudrais discuter un dernier point avec vous, celui de la responsabilité du sujet, celui de l éthique du trois. Juste avant les vacances, j ai reçu un nouveau patient, un jeune homme de 31 ans qui vient de faire 6 ans de prison ferme. Du trafic et consommation de drogues, vols avec violence, violence conjugale, etc Très visiblement, ce sujet est écrit, inscrit dans une paranoïa flamboyante. Lors de ce premier entretien il hurlait comme une bête sauvage. J ai envie de dire que je n étais pas très à l aise avec lui Bref, ce qui m a permis de continuer l entretien c est que je n étais pas son lieu d adresse. Il avait de la haine à l égard de son père, qui selon lui battait sa mère quand il était plus jeune, au point même que celle-ci a fini par abandonner père et fils depuis dix ans. Alors, il estime que son père n a jamais rien fait pour lui, qu il l a laissé tomber. Il dit que sa mère a creusé son trou et que son père a fini de l enterrer. Très excédé, il me disait qu il était devenu un animal et il hurlait comme s il en était vraiment un. Enfin, j ai quand même pu lui dire que j entendais sa haine et sa souffrance mais que malheureusement on ne pouvait pas se transformer en animal, ça serait effectivement beaucoup plus simple de laisser faire la nature, mais qu il n en était pas un et qu il fallait qu il se prenne en main, que s il ne faisait pas cela pour lui, personne ne le ferait à sa place. Curieusement, ça l a calmé. Je ne suis pas sûre qu il retournera me voir, en fait, c est l assistante sociale qui veut bien, elle a raison. C est un cas lourd comme on dit. Il ne veut pas voir de psychiatre, et je ne suis pas sûre qu il ait envie de venir dialoguer non plus, en tout cas, pour l instant ce n est pas gagné. Il y a un texte remarquable de Pierre Coërchon sur le nœud de trèfle et le Nom propre, eh bien, ce jeune homme a un nom propre d enfer, je le transforme à peine Lucif(ER) se faire il est réellement endiablé, possédé par son nom. Je me suis demandée ce qui aurait pu se passer si j avais commencé par faire le Papa avec ce jeune homme, en lui disant de se taire parce que, croyez moi, il était très excédé, il injuriait son père et sa grand-mère paternelle très méchamment, il dénonçait l inceste entre eux. J aurais pu très vite me faire l objet de toute sa haine, le papa que j aime et que je hais et hop, on reproduit le scénario infantile. C était coton comme entretien, l axe imaginaire ne demandait que ça, de la matière. Ce qu on peut dire c est que le choix du trois ou celui du quatre n organise pas un sujet de la même façon, encore moins un psychanalyste, incontestablement, il s agit là d un choix qui oriente une éthique et une pratique. Ce jeune homme, comment l interroger dans sa responsabilité de sujet, dans ses passages à l acte? Car six ans de prison ferme ce n est pas rien Qu en est t-il d un sujet possédé, endiablé par son Nom? Comme il dit si bien, il n a pas choisi son Nom, ni sa vie, ni son père, ni sa mère, mais il est là, sous l emprise, épinglé, obligé de s y faire, d y faire avec tout ça. Jusqu où est-il est sans savoir? Car comme tout le monde, et même à son insu, il est concerné et par son Nom et par sa Vie et surtout par sa jouissance. Ce garçon ne se plaignait pas de ses années de prison, il sait qu il a été loin, et qu il fallait payer de ça. Il sait aussi que ça a été cher payé. C est à son père qu il en veut, vers qui il

profère des menaces de mort à haute voix. Il en veut aussi à sa mère de l abandon. C est toujours un petit garçon. Mais est-il irresponsable de ce qui le pousse à l acte? Il faut aussi savoir d où on répond à ces questions, la responsabilité dans la psychose est un vaste sujet d ordre juridique, politique, économique, historique, psychiatrique, psychanalytique C est clair que la notion de responsabilité voire même de culpabilité n est pas la même dans ces champs divers. A cet endroit, le discours analytique ne parle pas la même langue Voici des questions auxquelles il est difficile de répondre. J ai envie de dire qu un sujet n est jamais sans responsabilité, qu on ne lui rend pas service à ne pas lui en reconnaître en tant que sujet. Certes, on ne choisit pas tout, même très peu, mais nous avons toujours un choix, et cela il faut le faire savoir et valoir