Du général de Gaulle à Jacques Chirac Les Français et le gaullisme Sommaire 1 re partie L essence du gaullisme et son expression 1. Le «père fondateur» : de Charles de Gaulle au gaullisme 25 Le milieu 26 La personnalité : le caractère 28 Les expériences : «Je suis avant tout un soldat» 30 2. D une langue gaullienne à une langue gaulliste? 33 Une langue à la fois classique et marquée par un style 34 propre Une langue généralement admirée 35 Les mots, signes de reconnaissance du gaullisme 36 3. Des formes d expression : entre modernité et tradition 39 La radio et la télévision, outils essentiels du gaullisme 39 Après de Gaulle 45
L essence du gaullisme et son expression 1. Le «père fondateur» : de Charles de Gaulle au gaullisme Aucune autre famille politique française n est autant liée à un homme que le gaullisme. Certes, l histoire contemporaine a connu le bonapartisme, le boulangisme et le poujadisme, trois courants eux aussi dominés par la personnalité de leur chef éponyme. Le gaullisme a d ailleurs dès ses débuts suscité une référence au bonapartisme (Raymond Aron écrit en 1943 un article intitulé L ombre des Bonaparte) et surtout au boulangisme, notamment en 1947, lors de la création du RPF. Mais les boulangistes n ont pas exercé le pouvoir et seul le bonapartisme a eu une existence assez longue pour rivaliser avec le gaullisme. Cependant le régime fondé par les Bonaparte, qu il s agisse de Napoléon ou de Louis-Napoléon, a connu une vie plus éphémère que la Cinquième République instituée par de Gaulle en 1958. Durant ses trente premières années de vie, le gaullisme est étroitement lié à la personne de Charles de Gaulle, qu il s agisse du gaullisme de guerre, du gaullisme d opposition sous la IV e République ou du gaullisme au pouvoir entre 1958 et 1969. Il faut donc pour comprendre ce qu est le gaullisme présenter l homme qui, en lançant l appel du 18 juin en 1940, entre dans l Histoire et signe, sans le savoir, l acte de naissance d une famille politique majeure de la seconde moitié du XX e siècle. Même si le gaullisme a survécu à de Gaulle, l essence du gaullisme est incontestablement constituée par les paroles, les écrits et les actes d un homme : Charles de Gaulle, dont le rôle historique est né d un milieu, d une personnalité et d expériences. 25
2. D une langue gaullienne à une langue gaulliste? Charles de Gaulle est un homme d épée mais aussi un homme de plume. L écriture apparaît chez lui comme une vocation au même titre que les armes. Elle fait de lui un exceptionnel écrivain militaire, salué et reconnu en son temps et consacré récemment par la publication des Mémoires dans la Bibliothèque de La Pléiade, véritable panthéon littéraire, en 2000. Elle est aussi un remarquable outil de l action politique menée par de Gaulle, tant dans les discours que Jean Lacouture qualifie de «littérature parlée» que dans le cœur de l œuvre constituée par la publication des Mémoires de guerre et des Mémoires d espoir. De la langue gaullienne, le glissement s effectue vers la langue gaulliste dont de Gaulle n a pas le monopole comme l illustre, par exemple, le discours de Michel Debré. La langue gaullienne est une langue travaillée, à la fois classique et marquée par un style propre, généralement admirée. Sans même prendre en compte, dans le discours gaullien oral, la voix, les intonations, les gestes, les seuls mots, à l écrit comme à l oral, permettent de caractériser une langue à laquelle les Français s habituent peu à peu, de 1940 à 1970, et qui devient une composante essentielle du gaullisme au temps du général de Gaulle. Si les successeurs Pompidou, Jacques Chirac à la tête du gaullisme ne disposent pas de la langue gaullienne, utilisent-ils la langue gaulliste? Chez de Gaulle, tout est écrit, y compris les discours, rédigés, appris par cœur, dits sans variante sauf dans de très rares exceptions où il se laisse entraîner dans le discours au-delà de ce qu il avait écrit. Dans À demain de Gaulle, publié en 1990, Régis Debray souligne dans un style flamboyant l originalité de Charles de Gaulle par comparaison avec un autre illustre Français, Napoléon : «à de Gaulle écrivain, il manque l inachevé qui fait tilt. Il survit par ses saillies, non par ses périodes. Quarteron, chienlit, volapük : sa verve l a sauvé, son verbe l endimanche. Napoléon était un «primaire», un geyser des pre- 33
D UNE LANGUE GAULLIENNE À UNE LANGUE GAULLISTE? 34 miers jets. De Gaulle, un «secondaire». «Tout ce que je n écris pas, disait-il, je le renie». L un dicte, l autre compose L étude comparée des correspondances reste à faire Elle opposerait un télégraphe à un académicien, une voix à un style, une brutalité à une courtoisie. Disons : la cravache au ciseau». De Gaulle s est expliqué sur son écriture, travaillée par souci pédagogique mais aussi par nécessité. Au journaliste André Passeron, il déclare en 1966 «les choses que je veux faire savoir, que je trouve importantes, j y pense longtemps, je les écris toutes, je les apprends par cœur, je travaille beaucoup et longuement, je me donne un mal de chien et je les récite parce que je veux qu on les sache. Cela, c est important. Ce sont les seules choses qui aient de l importance à mes yeux». Dans Mémoires d espoir, il écrit «dans tous les dits et écrits qui accompagnèrent mon action, qu ai-je été moi-même, sinon quelqu un qui tâchait d enseigner?». Mais «écrire ne fut jamais un divertissement» pour de Gaulle, comme l écrit Alain Larcan car l écrivain reconnaît dans Mémoires de guerre «je n ai pas la plume facile», d où une écriture laborieuse, raturée.
3. Des formes d expression : entre modernité et tradition L a première originalité du gaullisme, c est d être né à la radio et d avoir plus tard, sous la V e République, largement utilisé la radio et la télévision pour s exprimer. Sans être pionnier dans l usage des nouveaux moyens d information, de Gaulle a été le premier à les utiliser autant en France, en particulier la télévision dont l essor correspond aux années durant lesquelles il est président de la République. Mais le gaullisme a aussi mis à contribution des formes d expression plus classiques qu il ne faut pas oublier et négliger, tant à l écrit que dans la propagande orale. 39