RECONNAISSANCE DE L ETAT PALESTINIEN,

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Transcription:

RECONNAISSANCE DE L ETAT PALESTINIEN, NEGOCIATIONS DE PAIX AVEC ISRAËL, LE HAMAS ENTRE STRATEGIES INTERNES ET EXTERNES Laetitia Seurat (Doctorante au CERI-Sciences Po) Malgré les dires du président Mahmoud Abbas, l idée de se rendre à l ONU ne semble pas faire l unanimité parmi toutes les organisations palestiniennes. Le Hamas s est désolidarisé de cette démarche essentiellement pour deux raisons : tout d abord parce qu il est, selon lui, illusoire de croire qu un recours à l ONU pourrait renforcer la position dans laquelle se trouvent les Palestiniens ; ensuite parce qu il estime que cette initiative, émanant de la seule OLP et non d un gouvernement d unité nationale, n a aucune légitimité. Le ministre des Affaires étrangères du Hamas Mohammed Awad considère que tout plan visant à la réussite d une telle initiative doit être fondé sur l'unité des rangs palestiniens. Il a déclaré le 25 juillet dernier : «Avec notre unité, nous pouvons nous adresser au monde avec un discours unifié, afin que tout le monde comprenne que nous voulons, et même

méritons, un Etat. Nous craignons que la détermination du président de l'autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, d'aller à l'onu en septembre prochain pour obtenir la reconnaissance d'un Etat palestinien fondé sur les frontières de 1967, ne soit qu une campagne médiatique qui ne nous permette pas d obtenir de résultat». Si le Hamas a officiellement affiché son opposition au projet du président palestinien, il ne semble pas en revanche refuser le principe de la négociation. La charte du mouvement ne pose d ailleurs aucun interdit religieux ou juridique qui ferait obstacle à une telle initiative. Le Hamas est cependant en désaccord avec la manière dont l OLP mène les négociations de paix avec Israël. En 2006, dans le journal Al Risala, le chef du Hamas Mahmoud Al Zahhar avait qualifié d inadmissible la façon dont les négociations avec l Etat hébreu avaient été menées par l OLP sans toutefois en désavouer le principe. Le Hamas négocie lui-même de façon indirecte (par l intermédiaire d une tierce partie, tantôt égyptienne tantôt allemande) depuis plusieurs années la question de la libération de Gilat Shalit, soldat israélien retenu à Gaza. D après le journal Al Hayat, une délégation du Hamas présidée par Khaled Meshaal, chef du bureau politique du mouvement, se serait rendue au Caire le 16 août dernier pour tenter d avancer sur ce dossier. Pour le Hamas et ses sympathisants, cette démarche est acceptable parce qu elle concerne une question relative aux droits des prisonniers. Le mouvement a également mené des négociations indirectes pour parvenir à une trêve au moment de l opération Plomb durci, campagne militaire israélienne de (grande) envergure ciblant la bande de Gaza et dont l'objectif affiché était de mettre fin aux tirs de roquettes provenant de ce territoire fin 2008-début 2009. Trois ans plus tôt, après s être imposé aux élections législatives en janvier 2006, le mouvement avait pris contact avec nombre de pays ou/et organisations européens pour tenter de trouver une solution au conflit israélopalestinien. Sa victoire électorale a placé le Hamas dans une position difficile. En effet, majoritaire au Conseil législatif palestinien, le mouvement, qui ne veut pas se «salir les mains» dans des négociations directes avec Tel Aviv, se devait néanmoins de participer aux négociations de paix. Le Hamas a alors transféré le dossier des négociations à l OLP, acceptant donc, pour la première fois dans l histoire palestinienne, que le président mène des négociations directes avec l Etat hébreu. Le dernier accord de réconciliation inter-palestinienne de mai 2011 repose d ailleurs en partie sur le fait que le chef du bureau politique du Hamas (qui réside à Damas), Khaled Meshaal, ait accordé un délai supplémentaire d un an à Mahmoud Abbas pour poursuivre les négociations avec la partie israélienne. 2

Comment expliquer cette remise du dossier des négociations à l OLP? Le Hamas a-t-il eu un véritable choix ou bien l actuelle situation de cohabitation entre les deux formations palestiniennes a-t-elle obligé le mouvement à un tel transfert? Une première hypothèse nous conduit à considérer que le Hamas a volontairement souhaité transférer le dossier de la négociation à l OLP. Cette décision témoignerait d un réel pragmatisme politique et d une capacité d adaptation du mouvement à un environnement en perpétuelle évolution. De la sorte, le mouvement, avec lequel la communauté internationale et Israël ont refusé de traiter, se donne une image de modération et l OLP reste l interlocuteur incontournable dans les pourparlers de paix. Un tel processus permettrait au Hamas de renforcer sa cohésion interne et de mieux répondre aux attentes de son électorat populaire. A l inverse, une participation aux négociations de paix avec Tel Aviv aurait très probablement entraîné des tensions et une désolidarisation de certaines parties du mouvement. Toutefois, il est également possible que le Hamas ait été obligé de transférer le dossier des négociations à l OLP avec laquelle il partage le pouvoir. En effet, le mouvement ne souhaitait pas se délester de l intégralité de ce dossier sur lequel le Fatah et le Hamas font de la surenchère. La question du transfert du dossier avait d ailleurs fait l objet de vifs désaccords entre les deux parties au moment de la constitution du gouvernement d union nationale en mars 2007. Alors que le Fatah insistait sur l obligation du gouvernement (dominé par le Hamas) d accepter que l OLP soit décisionnaire, le Hamas considérait que tout accord avec Israël devait être validé par un accord bilatéral entre l OLP (qui exerce le pouvoir exécutif) et le Conseil législatif (où le Hamas est majoritaire). L accord du Caire de 2005 1 et le document d entente nationale de 2006 stipulaient déjà que tout accord de négociation avec l Etat d Israël devait obligatoirement être soumis au vote du Conseil législatif. Les accords signés avec Israël, que Mahmoud Abbas doit donc soumettre à la nouvelle assemblée nationale dans laquelle le Hamas est majoritaire, devraient également être validés, dans une phase ultérieure, par un référendum populaire. Si le Hamas a montré qu il était prêt à collaborer avec le Fatah, il a cependant conservé sa position plus que réservée à l égard d une politique de paix à tout prix avec Israël. 1 Accord signé par douze factions palestiniennes sur l ouverture d une période de trêve et l élaboration des bases d une entente nationale, ce document signe volonté du Hamas de participer aux élections législatives de janvier 2006. 3

Il n est donc pas évident que le Hamas ait tenté de dépasser ses propres divisions en confiant le dossier de la négociation à l OLP. Une partie du leadership de Gaza représentée par Mahmoud Al Zahhar n a pas accepté qu au cours de la dernière réconciliation interpalestinienne de mai 2011, Meshaal concède une année supplémentaire à l OLP pour négocier avec Israël. Ce processus de transfert du dossier comporte donc un risque pour le Hamas de voir se multiplier les différences de points de vue en son sein, voire de conduire certains de ses membres à se désolidariser. Conscient de ce risque, le mouvement n aurait néanmoins pas pu empêcher le transfert du dossier des négociations à Mahmoud Abbas, condition sine qua non de l accord de réconciliation des deux formations palestiniennes. Le Hamas a donc à la fois choisi de remettre le dossier des négociations à l OLP par pragmatisme et volonté de coopération mais, forcé de trouver un compromis politique dans sa cohabitation avec le Fatah et l OLP, il aurait également été obligé d agir ainsi. Quoi qu il en soit, ces deux hypothèses n interdisent pas au mouvement de participer aux négociations avec Israël. Malgré le fait qu il continue d affirmer n avoir aucun contact direct avec Tel Aviv, certaines de ses déclarations montrent qu il pourrait s engager dans une telle démarche dans le cas où l Etat hébreu se retirerait de Cisjordanie et libérerait les prisonniers palestiniens incarcérés tant dans les prisons israéliennes que dans celles de l Autorité. Le leadership de Damas et de Gaza s accordent sur ce point : la solution au conflit passe par le Hamas. Khaled Meshaall a défini comme un objectif en mettant l accent sur l importance que prenait le Hamas dans le processus de paix. Ahmad Youssef, ancien conseiller du Premier ministre Ismael Haniyeh, est lui aussi favorable à cette orientation et affirme que le Hamas demeure un acteur incontournable. Le mouvement est prêt à négocier mais se dissocie du Fatah qui s est engagé dans une politique de reconnaissance d Israël sans contreparties depuis la fin des années 1980. Est-il possible de négocier avec Tel Aviv sans reconnaître l Etat hébreu? Oui, répond le Hamas qui prend l exemple de la Syrie qui lors de la conférence de sommet de Madrid de 1991 a négocié avec Israël sans avoir au préalable reconnu le pays. Pour le Hamas, la négociation ne peut en aucun cas être vue comme une forme de reconnaissance. Le mouvement pourrait avoir laissé l OLP échouer dans le dossier des négociations pour se présenter ensuite comme un interlocuteur d avenir dans le règlement du conflit. A la lumière de cette hypothèse, l opposition du Hamas à l égard de l initiative du président palestinien à l ONU peut être interprétée comme suit : le mouvement profiterait de l impossibilité dans laquelle est l OLP de constituer un gouvernement d union nationale avant septembre 4

(notamment en raison de la menace de boycottage financier d une telle institution de la part du gouvernement américain) pour délégitimer l action de Mahmoud Abbas. A la lumière de cette hypothèse, l opposition du Hamas à l égard de l initiative du président palestinien à l ONU peut être interprétée comme suit : le mouvement profiterait de l impossibilité dans laquelle est l OLP de constituer un gouvernement d union nationale avant septembre (notamment en raison de la menace de boycottage financier d une telle institution de la part du gouvernement américain) pour délégitimer l action de Mahmoud Abbas qui ainsi, apparaîtrait impuissant tandis que le Hamas, que nul ne pourra accuser de s être compromis, pourrait se présenter comme une force de résistance alternative. 5