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Avocats aux Conseils, «La pratique du filtrage des pourvois par les avocats au Conseil d Etat et à la Cour de cassation», janvier 2015 Groupe de travail «Filtrage» La pratique du filtrage des pourvois par les avocats au Conseil d Etat et à la Cour de cassation Note des avocats au Conseils d Etat et à la Cour de cassation Dans leur rôle d auxiliaires de justice devant les plus hautes juridictions nationales, les avocats au Conseil d Etat et à la Cour de cassation ont toujours veillé à exercer de la façon la plus objective leur mission de conseil envers leurs clients, de façon à éviter à ceux-ci l engagement de procédures qui seraient manifestement vouées à l échec, et qui n auraient comme effet que de provoquer un engorgement du Conseil d Etat et de la Cour de cassation. L exercice d une forme de filtrage des pourvois par les avocats aux Conseils est l accessoire d une bonne administration de la justice devant les juridictions suprêmes, ce dans l intérêt des justiciables comme de la qualité du fonctionnement des hautes juridictions 1. L activité de consultation sur les chances de succès des pourvois est inhérente aux missions des avocats au Conseil d Etat et à la Cour de cassation, tenus de faire connaître aux justiciables qui les saisissent les chances de succès des pourvois qu ils instruisent, et d attirer leur attention, le cas échéant, sur les risques liés à la condamnation aux frais irrépétibles au profit du défendeur, ou encore sur les risques liés à un pourvoi incident. Le règlement général de déontologie adopté par le Conseil de l Ordre des avocats au Conseil d Etat et à la Cour de cassation a formalisé cette obligation. Il prévoit, en son article 47 : «L avocat aux Conseils doit, dans tous les cas, donner à son mandant ou à son représentant son avis sur les chances de succès du pourvoi qu il est chargé d instruire. 1 En témoigne notamment un taux de cassation notablement plus élevé, selon les statistiques recensées aux Rapport annuel de la Cour de cassation, dans les matières soumises la représentation obligatoire par un avocat aux Conseils, par comparaison avec les matières dispensées : une telle différence ne s explique pas seulement la maîtrise de la technique de cassation ou la nature spécifique d un contentieux donné, mais également par le rôle de dissuasion exercé par les avocats aux Conseils auprès de leurs clients, lorsque le pourvoi envisagé apparait voué à l échec. 1

«Cet avis doit être clair». L activité consultative des avocats aux Conseils prend habituellement trois formes principales qui peuvent d ailleurs se cumuler entre elles au fil du traitement d une même affaire, selon que le client ou son représentant a souhaité obtenir un avis sur les chances de succès du pourvoi préalablement à la rédaction d un mémoire ampliatif, ou a donné instruction à l avocat aux Conseils de former et instruire directement le pourvoi. L avocat aux Conseils, tenu de donner son avis sur chaque procédure dont il est saisi, peut ainsi être amené à délivrer : un premier avis rapide par téléphone ou par courriel, après lecture de la décision de justice contre laquelle le justiciable envisage de se pourvoir ; une consultation approfondie sur les chances de succès d un pourvoi principal et/ou le risque de pourvoi incident ou provoqué, établie : o soit avant tout pourvoi si l avocat a été saisi suffisamment en amont de l expiration du délai de pourvoi, o soit à l abri d un pourvoi conservatoire ; un avis dans la correspondance adressé au justiciable avec le projet de mémoire ampliatif (ou selon le cas de mémoire en défense, afin d évaluer le risque de cassation). L Ordre des avocats aux Conseils a recensé, dans le courant du mois de novembre 2014, les statistiques des différents cabinets de façon à permettre d observer de façon globale la pratique de la consultation devant la Cour de cassation et le Conseil d Etat. Chaque cabinet étant géré de façon autonome, il n existe pas, en effet, d instrument ad hoc permettant de mesurer ces pratiques comme ce peut être le cas au sein d une seule et même institution. Les résultats de cette collecte de données (qui porte sur les années 2013 et 2014) permettent de dégager les principaux enseignements suivants. I. Les avis rapides informellement délivrés par téléphone ou par courriel ne sont pas statistiquement quantifiables. Par principe, lorsque l avis préalable est négatif, aucun dossier n est enregistré au cabinet. Tel est le cas par exemple lorsque le pourvoi apparaît manifestement irrecevable (saisine de l avocat aux Conseils hors délai, ouverture d une autre voie de recours) ou de toute évidence voué au rejet (pourvoi tendant uniquement à faire rejuger une pure question de fait). Dans la pratique des cabinets d avocats aux Conseils, c est au quotidien que sont délivrés des 2

avis négatifs informels ne donnant lieu à aucune ouverture de dossier, et conduisant par conséquent un justiciable à renoncer, sans engager de frais, à tout pourvoi même conservatoire. II. Dans les dossiers effectivement ouverts, la pratique de la consultation varie selon les matières. - En matière civile, une consultation approfondie sur les chances de succès d un pourvoi est délivrée en moyenne dans 57 % des dossiers. La consultation préalable sur les chances de succès d un recours, délivrée à la demande du client ou de son représentant, implique une étude approfondie de l entier dossier de première instance et d appel, comprenant, outre l arrêt lui-même, le jugement de première instance, les conclusions de l ensemble des parties, ainsi que les différentes pièces produites de part et d autre. Cette étude est destinée à déterminer si un ou des moyens suffisamment sérieux de cassation sont susceptibles d être formulés au soutien du pourvoi envisagé, et à faire apparaître s il existe un risque de pourvoi incident ou provoqué. L avocat aux Conseils, après un examen de la régularité formelle de la décision attaquée, analyse les chefs de dispositifs faisant grief et la motivation de l arrêt s y rapportant, propre et le cas échéant adoptée des premiers juges. Il vérifie, après avoir rappelé et explicité les règles de droit positif applicables, et analysé la doctrine pertinente, si un ou des griefs susceptibles d entraîner la cassation peuvent utilement être articulés. Si la consultation est négative, l avocat aux Conseils informe nettement son client de ce qu il lui déconseille la poursuite de la procédure. Il attire dans tous les cas son attention sur le risque de mise à la charge du perdant des frais irrépétibles, l avertit le cas échéant des sanctions qui assortissent les recours abusifs, et du risque éventuel de pourvoi incident ou provoqué. La consultation, comme indiqué ci-avant, peut être délivrée soit à l abri d un pourvoi conservatoire, soit avant tout pourvoi si le délai dans lequel l avocat aux Conseils a été saisi le permet. On doit préciser que le chiffre moyen de 57 % de consultations préalables recouvre d assez grandes disparités, ce qui s explique sans doute par les structures de clientèle propres à chaque cabinet. Les clients institutionnels sont très généralement, sinon systématiquement demandeurs d une consultation approfondie sur les chances de succès d un pourvoi, tandis que les particuliers y sont moins enclins. De la même façon, en matière sociale, il existe une importante différence de pratique selon que le demandeur est un employeur ou un salarié. Ceci peut s expliquer d une part par le fait que de nombreux employeurs sont également des institutionnels, d autre part par le moindre risque de condamnation du salarié aux frais irrépétibles, en cas d échec du pourvoi. 33 % des consultations préalables établies par les avocats aux Conseils sont clairement 3

négatives, 46 % de ces consultations sont «mitigées» (c est-à-dire que l analyse du dossier n aura pas permis de faire apparaître clairement des chances manifestes de cassation ou un risque patent de rejet), et seules 21 % des consultations sont clairement positives. - Dans les dossiers ne donnant pas lieu à une consultation préalable à la demande du client, un avis est adressé au justiciable ou à son représentant, en même temps que le projet de mémoire ampliatif. Il s agit alors d un avis plus succinct, sous forme de lettre. Tout autant que lors d une consultation préalable, l avocat aux Conseils peut être conduit à conseiller à son client d abandonner la procédure, lorsque l étude du dossier fait apparaître que le pourvoi est manifestement dépourvu de chances de succès. - Les consultations et avis délivrés entraînent une renonciation au pourvoi dans 37 % des dossiers ouverts au sein des cabinets. Cette renonciation se traduit : - par un désistement ou une déchéance si un pourvoi avait été formé à titre conservatoire ; - ou par une abstention pure et simple de former le pourvoi, dans le cas contraire. Ceci explique que le chiffre des renonciations à se pourvoir ne coïncide pas avec le taux de désistement et de déchéance mentionné par le rapport de la Cour de cassation, qui s est élevé à une moyenne de 25 % au cours de ces cinq dernières années : une partie des consultations est, en effet, délivrée avant tout pourvoi. L abandon d un pourvoi seulement projeté, mais non encore déposé, est ainsi «neutre» d un point de vue statistique pour la Cour de cassation. - En matière pénale, seuls 12% des dossiers dans lesquels un avocat aux Conseils est constitué donnent lieu à l établissement d une consultation approfondie préalablement au dépôt d un éventuel mémoire ampliatif. Ce taux beaucoup plus faible qu en matière civile s explique essentiellement par l effet suspensif des pourvois portant sur les dispositions pénales. Les consultations sont établies essentiellement, quoique non exclusivement, dans les dossiers qui portant sur les intérêts civils. - Devant le Conseil d Etat, une consultation préalable est demandée et établie dans 23 % des dossiers. 4

Cette différence avec la matière civile s explique sans doute par plusieurs raisons. - D abord, le Conseil d Etat n intervient pas toujours comme juge de cassation, mais peut être saisi également comme juge de premier ressort (recours pour excès de pouvoir à l encontre de certains actes réglementaires) ou d appel (dans certains contentieux, tel celui des élections). - Ensuite, les délais de procédure, plus courts devant le Conseil d Etat que devant la Cour de cassation, ne permettent pas toujours l établissement d une consultation préalable. Tel est en particulier le cas le cas lorsque l avocat aux Conseils est saisi peu de temps avant expiration du délai de pourvoi, ou encore en matière de référés dans lesquels les délais sont particulièrement brefs. De façon plus générale, le délai de droit commun de trois mois dans lequel le mémoire complémentaire doit être déposé à l appui d un pourvoi devant la haute juridiction administrative est trop bref pour permettre d établir successivement une consultation approfondie sur les chances de succès d un pourvoi puis, le cas échéant un mémoire complémentaire en cas de décision de poursuite de la procédure En effet, la procédure administrative, distincte de la procédure civile, ne permet d avoir une vision exhaustive du litige que lorsque le dossier de première instance et d appel est mis à disposition de l avocat aux Conseils. Or, cette transmission par le Conseil d Etat n intervient qu après le dépôt de la requête sommaire (qui équivaut, quoique sous une forme succinctement motivée, à la déclaration de pourvoi). Ces contraintes de calendrier conduisent le plus souvent l avocat aux Conseils à préparer directement un projet de mémoire complémentaire au soutien du pourvoi. Or, même lorsqu un tel projet est assorti d un avis négatif, l impact de cet avis auprès du justiciable est alors nécessairement moins fort que les conclusions d une consultation objective sur les chances de succès du pourvoi. - Enfin, les risques procéduraux sont aussi plus limités puisque, tant qu un pourvoi n a pas passé la barrière de la procédure d admission, il n existe pas de risque de condamnation aux frais irrépétibles ou de formation d un pourvoi incident. La consultation devant le Conseil d Etat est clairement négative dans 21 % des cas, mitigée dans 63 % des cas, et clairement positive dans 16 %. Elle entraîne une renonciation au pourvoi dans 15 % seulement des dossiers. Ceci tient sans doute, d une part, à la nature particulière du contentieux administratif, dans lequel l une des parties est habituellement une collectivité chargée d une mission de service public ; d autre part, ici encore, à l existence d une procédure préalable d admission qui n expose pas le demandeur au pourvoi au risque du paiement de frais irrépétibles ni à celui d un pourvoi incident. 5

III. Enfin, le rôle de filtrage de l avocat aux Conseils s exerce tout au long de la procédure devant la Cour de cassation, lorsqu un pourvoi est introduit et soutenu. D une part, l avocat aux Conseils, dans l exercice de son devoir de conseil, sélectionne les chefs de dispositif de la décision attaquée seuls susceptibles de faire l objet de moyens de cassation, et conformément à une jurisprudence fermement établie, il conserve le choix final des moyens pouvant être formulés au soutien du pourvoi, pourvu qu il informe, préalablement au dépôt du mémoire, le client ou son représentant des raisons pour lesquelles certains moyens ne pourraient être soutenus soit qu ils soient manifestement irrecevables (tels les moyens nouveaux et mélangés de fait), soit qu ils soient inopérants (par exemple comme visant une motivation surabondante), soit encore qu ils soient à l évidence sans fondement juridique. D autre part, l avocat aux Conseils dissuade habituellement son client de répliquer au(x) mémoire(s) en défense, sauf les rares cas où celui-ci contiendrait des inexactitudes susceptibles d influer sur la solution de l affaire devant la Cour de cassation. De même, des observations sur le rapport du conseiller-rapporteur ne sont déposées que l avocat aux Conseils l estime absolument nécessaire. Il en va ainsi, enfin, de la demande de plaidoirie qui, devant les chambres civiles de la Cour de cassation, n est pas d usage, sauf à ce que l affaire se trouve orientée vers une formation particulièrement solennelle de la Cour (chambre mixte ou assemblée plénière) : l avocat aux Conseils n use de la faculté de plaider que dans les affaires présentant une difficulté juridique particulière à trancher et dans lesquelles des observations orales apparaissent susceptibles d apporter à la Cour un éclairage venant utilement compléter la procédure écrite. 6