QUESTIONS D ACTUALITÉ Quelles Significations? Quelles Consequences? Dr Vincent Molinié - Service de Pathologie, Hôpital Foch - Suresnes «Quoi qu il arrive j apprends» Marguerite Yourcenar, Les Carnets. I. INTRODUCTION Le cancer de la prostate représente la 3ème cause de décès par cancer, et la première cause de décès chez les hommes de plus de 75 ans, et en 2000 on estime à 40 300 le nombre de nouveaux cas de cancer de la prostate diagnostiqués et à 10 000 le nombre de décès liés à cette maladie [1]. Le pathologiste intervient dans le diagnostic par l interprétation des biopsies en reconnaissant formellement les foyers de carcinome prostatique et en apportant des arguments histo pronostiques, dont dépendent en partie la prise en charge thérapeutique du patient [2]. La mise en place ces dernières années, d un dépistage du cancer de la prostate par le dosage du taux des PSA sériques, a eu comme effet une augmentation dramatique du nombre de biopsies que les pathologistes doivent interpréter, et comme conséquence une augmentation des lésions d interprétation difficile comme les foyers de néoplasie intra épithéliale (PIN), les foyers de cancer minime de moins de 1mm et toutes les lésions pouvant mimer un cancer (Tableau 1). Tableau n 1 : Lésions pouvant mimer un cancer Atrophie Hyperplasie post atrophie Adénose PIN HG Biopsie des Vésicules séminales et des canaux éjaculateurs intra prostatiques Hyperplasie adénomateuse atypique ou adénose Devant une image équivoque un diagnostic de foyer suspect ne permettant pas d affirmer un cancer peut être avancé, soulevant à tort plus d inquiétude qu un diagnostic de cancer, à l urologue et au patient, induisant parfois à tort une nouvelle série de biopsies. II. DIAGNOSTIC D UN FOYER SUSPECT, UN FOYER MINIME? Sous le terme de foyer suspect sont habituellement regroupées un certain nombre de lésions pouvant mimer un foyer tumoral, et correspondant morphologiquement à un foyer de prolifération micro glandulaire et parfois rapportées sous le terme d ASAP acronyme de : Atypical Small Acinar Proliferation suspiscious but not diagnosis of cancer. De nombreuses lésions bénignes comme l adénose (hyperplasie adénomateuse atypique), l atrophie, l hyperplasie des cellules basales ou les foyers de dysplasie ou néoplasie intra épithéliale prostatique de haut grade (PINHG) peuvent être confondues avec un foyer d adénocarcinome prostatique et aboutir au diagnostic de foyer suspect. Les foyers suspects sont des foyers pour lesquels le pathologiste aura éliminé formellement un foyer tumoral malin et pour lesquels le diagnostic de lésion bénigne ne peut être porté avec certitude. 2
Le diagnostic de malignité repose avant tout sur des données architecturales : aspect infiltratif de la prolifération glandulaire, qui se dispose de façon anarchiques entre les glandes résiduelles, dissociant le stroma musculaire, avec un contour irrégulier, et sur des données cytologiques : présence de noyaux plus volumineux que celui de la glande normale, nucléoles volumineux dont la taille est généralement supérieure à 1µ [2], modifications tinctoriales cytoplasmiques des cellules tumorales et sur la disparition de la couche des cellules basales autour des acini tumoraux. Cette disparition est appréciée le plus souvent en technique histologique standard, ou est recherchée après étude immunohistochimique avec les anticorps dirigés contre les cytokératines de bas poids moléculaire (CK 903 ou 34beta E12, CK 5/6) ou avec l anticorps dirigé contre la protéine p63 [3-7]. L utilisation récente d un anticorps dirigé contre les cellules prostatiques tumorales comme la p504s qui marque spécifiquement les cellules tumorales est parfois indispensable pour faire pencher la balance en faveur d une lésion maligne [6]. Après application d un cocktail p63/p504s seuls les foyers de prolifération micro glandulaire avec disparition de la couche des cellules basales (p63 ) et n exprimant pas l AMACR (p504s -) doivent être considérés comme des foyers suspects [7]. Les rares études publiées sur la réalisation d une deuxième série de biopsies en cas d ASAP font état d un taux de détection élevé de cancer (56%) [8,9]. Il est probable que dans ces études déjà anciennes pour lesquelles la réalisation d une étude immunohistochimique avec l anticorps anti AMACR n a pas été faite, ces foyers d ASAP représentent probablement des foyers de cancer minime. III. CONDUITE À TENIR DEVANT UN FOYER MINIME Le terme de foyer minime a été défini par Thorson en 1985 pour les foyers tumoraux, mesurant moins de 1mm [10]. Le diagnostic de cancer de prostate sur quelques glandes est un véritable challenge car un grand nombre de lésions bénignes peuvent présenter le même aspect. De nombreux pathologistes n osent pas à tort affirmer le diagnostic de cancer et classent parfois ces lésions en foyer suspect, ou pensent que de nouvelles biopsies sont nécessaires, et que la présence d un foyer de moins de 1mm sur des biopsies correspond en fait à un défaut d échantillonnage de la tumeur. Là encore les études immunohistochimiques montrant une disparition des cellules basales et une positivité de la p504s permettront d affirmer un diagnostic de malignité [6,7]. La présence d un foyer minime n étant pas synonyme de cancer de bas grade les critères habituels concernant le grading du score de Gleason s appliquent. La présence d un foyer minime (< 1mm) a-t-elle une valeur diagnostique fiable? De nombreux cliniciens pensent que la présence d un foyer minime témoigne d un cancer non significatif. Les publications sur ce sujet parfois contradictoires [11] montrent que la plus part des cancers de petite taille diagnostiqués sur biopsies correspondent à des tumeurs de volume significatif des pièces de prostatectomies radicales, et que le diagnostic de malignité une fois porté sur des arguments objectifs et confirmé par un éventuel deuxième lecteur, les facteurs histo pronostiques classiques (% envahissement tumoral, score de Gleason) peuvent être appliqués. Les patients présentant un foyer < 1mm ont généralement des cancers de plus petit volume, le plus souvent pt2, et moins agressifs [12, 13]. Bien qu il existe une sous évaluation du score de Gleason entre les biopsies et les pièces de prostatectomie (Kappa = 0,22 pour les foyers < 1 mm et Kappa = 0,62 pour les foyers > 5mm ; p = 0,04) [13], le score de Gleason reste moins élevé [13]. Le diagnostic de cancer avec foyer minime < 1mm, n est ni lecteur, ni préleveur dépendant, et reste un diagnostic fiable, correspondant généralement à un cancer de volume significatif, qui ne nécessite pas dès lors que deux pathologistes ont authentifié avec certitude ce diagnostic, de nouvelles biopsies. IV. DÉFINITION ET CONDUITE À TENIR DEVANT UN DIAGNOSTIC DE NÉOPLASIE INTRA ÉPITHÉLIALE DE HAUT GRADE. Le terme de Néoplasie intra-épithéliale prostatique (PIN) est utilisé pour décrire une lésion précurseur du cancer prostatique carac- 3
Figure 1 : Foyer minime d adénocarcinome prostatique score de Gleason 6(3+3). Intérêt du cocktail d anticorps anti p63 / p504s montrant la disparition des cellules basales et le marquage des cellules suspectes avec p504s. A droite persistance d un marquage des noyaux des cellules basales des glandes normales avec p63. Figure 2 : Foyer suspect : présence de 3 glandes bordées d une seule assise de cellules. Intérêt du cocktail d anticorps anti p63 / p504s montrant la disparition des cellules basales et le marquage des cellules suspectes avec p504s. Diagnostic final : Carcinome prostatique score 6(3+3). Figure 3 : Foyer suspect : glandes dilatées tortueuses atrophie? Carcinome prostatique? Intérêt du cocktail d anticorps anti p63 / p504s montrant la persistance des cellules basales au niveau des glandes normales et le marquage des glandes tumorales avec p504s 4
térisée par une prolifération des cellules épithéliales bordant les canaux et les acini prostatiques, présentant des anomalies cytonucléaires, comparables à celles observées dans les cellules des carcinomes prostatiques, mais ayant conservés une architecture normale [14, 15]. Ces lésions ont été décrites initialement en 1986 par Mac Neal et Bostwick sous le terme de dysplasie intracanalaire [16]. Le terme de PIN proposé par Bostwick et Brawer a progressivement remplacé le terme de dysplasie intracanalaire [17] et a été subdivisé en : PIN de bas grade (PINBG), et PIN de haut grade (PINHG), qui seules doivent être signalées sur les compte rendus histologiques des prélèvements biopsiques [14]. Il est actuellement admis que les PINHG et le cancer invasif partagent plusieurs caractéristiques histopathologiques, morphométriques et biologiques : augmentation de l apoptose (bcl-2, p27), des facteurs de croissance cellulaire (growth factor b, fibroblast growth factor, c-met, insulinlike growth factors ), hyper expression de p 53, méthylation GSTP1, modification des protéines kinases, perte de l expression de la b 4 intégrine, expression de KAI 1, et génétiques : délétion 8p, gain chromosomiques 10, 12 [17], et même hyper expression de l amethyl CoA racemase [7]. La fréquence des lésions de HG-PIN retrouvées sur les biopsies prostatiques varie dans la littérature de 0,5 à 23% en fonction de la population étudiée (population générale versus population urologique), des critères histologiques retenus, de la qualité des techniques (épaisseur de coupe, colorations) et du grades retenus [15]. En Europe les pays scandinaves semblent avoir une prévalence plus faible (3,4%), que les pays du sud de l Europe (3,75 à 15%) [18]. En Asie l incidence semble également être moins élevée qu aux Etats-Unis [18]. L importance clinique de la mise en évidence de lésions de PINHG isolées sur des biopsies prostatiques est basée sur le risque élevé de cancer invasif associé présent dans la glande prostatique, dans 22 à 100% des cas, le plus souvent à proximité des foyers de PIN [14, 15, 18]. Ce risque est d autant plus élevé que la lésion est de haut grade, qu il existe une suspicion clinique (toucher rectal anormal) ou biologique (élévation PSA), ou que l âge est élevé. Les PIN HG n élèvent pas le taux des PSA, ne modifient pas le toucher rectal, ni l écho structure de la prostate. La présence d un taux suspect de PSA, associé à des lésions de PINHG isolées sont liés à la présence d un cancer associé non identifié par la première série de biopsies [18]. Une nouvelle série de biopsie en sextant est recommandée dans les trois à six mois, sans nouveau dosage des PSA [18], associée à des biopsies dirigées sur la région ou il existait des lésions de PINHG ou sur une zone hypo-échogène. Dans 60 à 65% des cas, le cancer est mis en évidence du même côté que les foyers de PINHG isolées [14, 15, 18]. L incidence des cancers mis en évidence sur une deuxième série de biopsie varie de 2,3% à 24% [19] et la majorité des cancers sont diagnostiqués dès la deuxième série de biopsies [20]. La présence de PINHG isolée ne doit pas dicter la décision thérapeutique et en aucun cas un traitement radical ne peut être envisagé en cas de diagnostic de PINHG isolée. V. CONCLUSION Le dépistage de masse du cancer de la prostate a modifié la lecture des biopsies prostatiques. Le pathologiste est actuellement confronté à une interprétation d anomalies complexes pouvant aboutir à une incertitude diagnostique. L utilisation raisonnée des nouveaux anticorps comme les marqueurs spécifiques des cellules tumorales (p504s) et des cellules basales (CK5/6, CK 903, p63) permet de diminuer ces incertitudes. Une fois le diagnostic de cancer posé sur des arguments histologiques formels, associés à une positivité de l AMACR, et une disparition complète des cellules basales, même en cas de foyer minime de moins de 1mm il n est pas nécessaire d effectuer de nouvelles biopsies et les critères histo pronostiques classiques peuvent s appliquer (données cliniques, taux des PSA, % d envahissement tumoral, nombre de biopsies positives, bilatéralité, score de Gleason.) pour permettre une prise en charge thérapeutique adaptée du patient. Une deuxième lecture, actuellement non prise en compte dans la nomenclature des actes médicaux peut être proposée. Dans un certain nombre de cas un diagnostic de lésion suspecte (ASAP) ou de PINHG isolée peut être proposé, et une nouvelle série de biopsies être envisagée 5
Ce Qu il Faut Retenir L utilisation d un anticorps dirigé contre les cellules prostatiques tumorales comme la p504s qui marque spécifiquement les cellules tumorales doit faire pencher la balance en faveur d une lésion maligne. Après application d un cocktail p63/p504s seuls les foyers de prolifération micro glandulaire avec disparition de la couche des cellules basales (p63 -) et n exprimant pas l AMACR (p504s -) doivent être considérés comme des foyers suspects. Le diagnostic de cancer avec foyer minime < 1mm, n est ni lecteur, ni préleveur dépendant, et reste un diagnostic fiable, correspondant généralement à un cancer de volume significatif, qui ne nécessite pas dès lors que deux pathologistes ont authentifié avec certitude ce diagnostic, de nouvelles biopsies. Les PIN HG n élèvent pas le taux des PSA, ne modifient pas le toucher rectal, ni l écho structure de la prostate. La présence d un taux suspect de PSA, associé à des lésions de PINHG isolées est liée à la présence d un cancer associé non identifié par la première série de biopsies. En cas de PINHG isolée une nouvelle série de biopsies en sextant sans nouveau dosage des PSA, associée à des biopsies dirigées sur la région ou il existait des lésions de PINHG ou sur une zone hypo-échogène est recommandée dans un délai de trois à six mois. RÉFÉRENCES 1. Réseau français des registres du Cancer. Evolution de l incidence et de la mortalité par cancer en France de 1978 à 2000. Francim Hôpitaux de Lyon, Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale, Institut de Veille Sanitaire, 2003. http:// www. invs.sante.fr/ 2. Molinié V, Vieillefond A, Cochand-Priollet B, Dauge-Geffroy MC, Lefrère-Belda MA, De Fromont M, Lesourd A, et al. Recommandations pratiques pour les prélèvements prostatiques. Ann Pathol 1999; 19: 549-56. 3. Shah RB, Zhou M, LeBlanc M, Synder M, Rubbin M. 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