Les grandes lignes de la démarche de Jean-Charles Rafoni

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Transcription:

Les grandes lignes de la démarche de Jean-Charles Rafoni Préambule o Il est nécessaire d'adapter l'apprentissage de la lecture au «profil de base» de l'enfant Il existe, de façon schématique, trois grands profils d'élèves parmi les nouveaux arrivants : les enfants totalement non lecteurs, que ce soit dans leur langue ou en français (ces enfants, en règle générale, ne savent pas non plus écrire) ; les enfants lecteurs dans leur langue première sur des caractères non latins avec une distinction à faire entre les langues alphabétiques (alphabet arabe ou cyrillique par exemple) et les langues non alphabétiques (idéogrammes chinois par exemple) ; les enfants lecteurs dans leur langue première sur des caractères latins. L'apprentissage de la lecture ne s'appréhende pas de la même façon en fonction de ces trois profils : il va falloir, dans le premier cas, apprendre à lire au nouvel arrivant ; il va falloir, dans le deuxième cas, apprendre à lire au nouvel arrivant dans la langue française : l'enfant, toutefois, est déjà entré dans la culture écrite ; il doit simplement passer d'un code à un autre, c'est-à-dire passer d'un code - qui n'est pas nécessairement alphabétique (dans les langues asiatiques par exemple) - au code alphabétique de la langue française ; il va falloir, dans le troisième cas, apprendre au nouvel arrivant les correspondances entre les graphèmes et les phonèmes de la langue française, sans lui réapprendre totalement à lire, après avoir identifié les correspondances qu'il a du mal à lire ou qu'il ne connaît pas. Une distinction peut être faite, parmi ces enfants, entre ceux qui parlent une langue romane, susceptible de faciliter l'intercompréhension, et ceux qui parlent une langue non romane. o Il existe des similitudes et des différences entre l'apprentissage de la lecture aux nouveaux arrivants et aux enfants nés en France Les objectifs poursuivis avec les nouveaux arrivants sont les mêmes qu'avec les enfants nés en France : il est nécessaire, conformément aux instructions officielles, de travailler tout à la fois sur la conscience phonologique, le décodage, la compréhension des textes et l'expression écrite. 1

Mais... Les élèves nouvellement arrivés en France (ENAF) scolarisés à l'école élémentaire doivent souvent acquérir ces compétences dans un temps très court et très limité : ils ne bénéficient pas, lorsqu'ils arrivent directement à l'école élémentaire, du travail préparatoire effectué à l'école maternelle ; les enseignants doivent les conduire au niveau des enfants de leur âge le plus vite possible. Les nouveaux arrivants rencontrent fréquemment des difficultés spécifiques : - ils ne sont pas nécessairement initiés à la culture écrite dans leur famille ; - ils ne discriminent pas forcément tous les sons de la langue française ; - ils ne possèdent pas suffisamment le lexique et la syntaxe de la langue française pour pouvoir anticiper sur le sens des mots et des phrases dans les activités de déchiffrage. Il est nécessaire de mettre en œuvre des réponses pédagogiques adaptées à leurs besoins qui diffèrent, sur certains points, des méthodes d'apprentissage de la lecture utilisées en règle générale. o Il est nécessaire de travailler quelques compétences fondamentales préalablement ou parallèlement à l'apprentissage de la lecture : la latéralisation (il est nécessaire de s assurer que les enfants maîtrisent le concept de la distinction entre la droite et la gauche au-delà de la seule question du vocabulaire) ; le sens de l'écriture et de la lecture en français ; l'apprentissage de l'alphabet dans les trois écritures ; le graphisme et l'apprentissage de l'écriture des lettres de l'alphabet. la conscience phonologique : les non lecteurs n ont pas conscience, au départ, de la segmentation d une phrase en mots distincts, d un mot en syllabes et d une syllabe en phonèmes : il est nécessaire de mener à cette fin des activités spécifiques simples. La démarche de Jean-Charles Rafoni Jean-Charles Rafoni n a pas conçu une méthode précise formalisée dans un manuel. Il propose un cadre d intervention qui est susceptible de venir en aide aux nouveaux arrivants en difficulté et de compléter les méthodes existantes lorsqu elles s avèrent inefficaces. Il préconise une démarche d'apprentissage qui a été expérimentée et qui est 2

utilisable aussi bien avec des enfants totalement non lecteurs qu'avec des enfants lecteurs sur des caractères non latins. Elle est fondée sur quatre grandes orientations. o Première orientation : les enfants non francophones rencontrent fréquemment des difficultés de discrimination auditive des sons de la langue française : ils ont du mal, en particulier, à distinguer les voyelles qui n'existent pas dans leur langue : en, on, in par exemple (je parle des voyelles phonétiques et non des lettres). Jean-Charles Rafoni suggère, pour cette raison de limiter au départ le travail sur la conscience phonologique aux unités sonores les plus faciles à manipuler : les mots, les syllabes, les rimes... 1 Il juge inutile d inciter les nouveaux arrivants à repérer et à isoler d emblée des phonèmes «à l oreille» en raison de leurs difficultés de discrimination des sonorités de la langue française. Il estime que les nouveaux arrivants non francophones ne peuvent pas identifier et discriminer les phonèmes sans la médiation visuelle des lettres. Il privilégie, ce faisant, une approche qui va de l étude des graphèmes vers les phonèmes (approche graphémique), alors que la plupart des manuels d'apprentissage de la lecture privilégient, à l'heure actuelle, une démarche qui va de l étude des phonèmes vers les graphèmes (approche phonémique). Cécile Goï, une ancienne enseignante en classe d'initiation en Indre-et-Loire, devenue ensuite formatrice au CASNAV d'orléans- Tours, puis maître de conférences à l'université de Tours, recommande elle aussi une approche graphémique. o Deuxième orientation : Jean-Charles Rafoni déconseille de placer d'emblée les nouveaux arrivants en situation de lecture en «production vocale», c'est-à-dire en situation de lecture à haute voix dans le cadre du déchiffrage. Il préconise d'engager, dans un premier temps, une phase de lecture «en réception vocale» au cours de laquelle l'enseignant demande simplement aux enfants de «voir ce qu'ils entendent». L'enfant est invité, concrètement, au cours de cette phase, à identifier des mots simples lus à haute voix par l'enseignant, puis à identifier, visualiser et à manipuler les syllabes ainsi que les phonèmes qui les composent. Jean-Charles Rafoni désigne cette phase de lecture «en réception vocale» sous le terme d'«adressage vocal». Celle-ci porte sur l'unité des mots et non sur l'unité des 1 Il est possible d utiliser, par exemple, quelques activités conçues par B. Stanke pour apprendre à segmenter une phrase en mots et un mot en syllabe, sans aller jusqu aux activités d'identification auditive des phonèmes. 3

phrases et des textes. Elle ne dure qu un temps limité. Elle aide l'enfant à comprendre le principe du code alphabétique : elle lui permet de réaliser, au travers de manipulations du matériau écrit, que la langue écrite code la parole au moyen de correspondances entre les graphèmes et les phonèmes, et de mieux comprendre que les phrases sont segmentées en mots distincts ; elle lui permet également d'acquérir un premier capital de correspondances entre les graphèmes et les phonèmes, à partir des correspondances les plus fréquentes et les plus stables dans la langue française, capital qui lui donne ensuite la possibilité d entrer dans le tâtonnement phonologique. Jean-Charles Rafoni suggère diverses possibilités d'activités dans le cadre de «l'adressage vocal» : association d'un mot lu à haute voix à l image qui le représente (dominos, mémory, etc.) ; reconnaissance d'un mot lu à haute voix parmi plusieurs étiquettes de mots ; reconnaissance des syllabes (lues à haute voix et distinguées) d'un mot ; épellation d'un mot ; écriture d'un mot avec des lettres étiquettes ; écriture des syllabes successives d'un mot avec des lettres étiquettes ; reconstitution de phrases à l'aide de mots étiquettes ; identification d'un mot manquant dans une phrase à l'aide de mots étiquettes dont l'un est retourné. La démarche «d'adressage vocal» que préconise Jean-Charles Rafoni appelle plusieurs remarques. L'enfant non lecteur ne peut identifier des mots et des syllabes que dans le cadre d'une approche globale. Or, celle-ci suppose un certain nombre de préalables que Jean-Charles Rafoni ne détaille pas : - l'enfant doit connaître le sens de la lecture et de l'écriture en français - il ne peut pas engager ce travail sans connaître les lettres ; - l'apprentissage de l'écriture et de la formation des lettres semble offrir un précieux moyen de les mémoriser : il constitue un corollaire fondamental de l'apprentissage de la lecture. Les nouveaux arrivants peuvent toutefois utiliser des lettres étiquettes ou des lettres magnétiques si leur maîtrise du geste est encore insuffisante ; - l'identification globale d'un mot ou d'une syllabe n'a de sens que si l'enfant mémorise «une suite ordonnée de lettres», qu'il peut épeler, comme le 4

soulignent à juste titre Roland Goigoux et Sylvie Cèbe dans leur ouvrage. L'enfant, à défaut, va s'arrêter sur un ou plusieurs détails (silhouette d'un mot par exemple, trait saillant...) qui ne sont pas pertinents. Les activités d'écriture de mots ou de syllabes avec des lettres étiquettes, ou encore d'épellation, que suggère Jean-Charles Rafoni, semblent de ce point de vue les plus judicieuses ; L'identification d'un certain nombre de syllabes permet à l'enfant de les réinvestir pour décoder d'autres mots : la syllabe «mer» dans «mer-ci» par exemple est la même dans «mer-cre-di». Ces réinvestissements doivent être formalisés. Des activités complémentaires aux activités proposées par Jean-Charles Rafoni dans le cadre de «l'adressage vocal» semblent nécessaires pour permettre aux nouveaux arrivants de mieux prendre conscience de l existence des phonèmes. Il est utile d engager un travail complémentaire de fusion de phonèmes pour former des syllabes de base avec chaque phonème étudié : la, le, li, lo, par exemple, lorsque l on étudie le phonème [ l ]. La méthode phonétique et gestuelle de Suzanne Borel-Maisonny repose elle aussi sur une identification renforcée des phonèmes qui s appuie à la fois sur la visualisation des graphèmes, le geste et l image préalable du geste. Chaque lettre étudiée est affichée au tableau et montrée avec le geste qui l accompagne. La démarche de Jean-Charles Rafoni et la méthode de Suzanne Borel-Maisonny, de ce point de vue, ne paraissent pas inconcilibales. Il semble possible de les associer, c'est-à-dire d'utiliser également, dans certains cas, les gestes de Suzanne Borel- Maisonny lorsque les parents peinent particulièrement à identifier certains phonèmes. Il semble nécessaire, enfin, de permettre à l'enfant ou l'adulte d'acquérir, dans le cadre de cette phase d'adressage vocal, les mots-outils que l'on retrouve dans la plupart des textes : à, dans, avec, par, est, etc. o Troisième orientation : Jean-Charles Rafoni recommande d'engager, dans un deuxième temps, l'apprentissage de la lecture en «production vocale» dans le cadre d'une phase dite de «lecture dialoguée» : celle-ci facilite, au moyen de questions et d'interventions de l'enseignant, le dénouement du tâtonnement phonologique, ainsi que la mémorisation des mots et des correspondances entre les graphèmes et les phonèmes. Elle favorise l'anticipation et «le plaisir cognitif» de l'enfant qui découvre les mots. 5

Elle l entraîne peu à peu dans une spirale positive de succès qui accélère la constitution du lexique mental (la mémorisation des mots). Jean-Charles Rafoni propose différentes formes d aide à la lecture dans le cadre de cette phase : L'aide initiale pour mieux comprendre le contexte de la phrase à lire : l enseignant essaie de permettre aux apprenants de l'appréhender «avant l'amorce de la lecture» au moyen de questions. Exemple : la phrase à lire est : «Elle a reçu la balle sur le visage.» Elle est accompagnée d'une image d'une enfant pleurant. L'enseignant peut poser la question initiale : «Pourquoi pleure-t-elle?» Puis, lorsque les enfants auront lu : «Elle a reçu la balle...», il peut leur demander «Où?», pour les inciter à lire «sur le visage». L'aide seconde pour mieux comprendre le contexte : elle est «ciblée sémantiquement et après coup sur un mot difficile qui n a pas pu être lu». Exemple : la phrase à lire est la suivante : «On écoute les maîtres et les maîtresses.» Les enfants buttent sur le mot «maîtresses». L'enseignant explique que ce sont des femmes pour les aider. La lecture au-delà du mot : l aide consiste à sauter sur l unité suivante lorsqu un mot est trop difficile à déchiffrer. Exemple : la phrase à lire est : «Inès prend une photo.» L'enfant butte sur le mot «prend». L'enseignant invite l'enfant à lire le mot d'après. La lecture du mot «photo» l aide à lire et à comprendre qu «Inès prend une photo». La lecture d un mot par l adulte. L enseignant peut également lire un mot trop difficile à déchiffrer pour ne pas casser les enfants dans leur élan, et le faire retravailler ensuite dans le cadre de «l adressage vocal». La démarche de Jean-Charles Rafoni appelle deux remarques. Il est possible, à la fin de la «phase d'adressage vocal», d'engager une première démarche de tâtonnement phonologique sur les mots eux-mêmes et non sur les phrases. Ce travail préliminaire sur l'unité des mots ouvre des possibilités intéressantes : - il est possible à ce stade, de lire à haute voix des morceaux de «vrais textes» aux apprenants (même s ils sont constitués au départ d une ou deux phrases simples), afficher le texte au tableau, sans demander aux parents de le lire intégralement, mais en leur demandant de déchiffrer simplement les mots les plus simples à décoder ; 6

- il est également possible de poser des questions de compréhension écrite aux enfants sur ces textes ; cette façon de faire permet de sensibiliser les nouveaux arrivants aux spécificités de la langue écrite, et de travailler avec eux à la fois sur le lexique, l imprégnation syntaxique, le déchiffrage et la compréhension écrite. Il est nécessaire de prévoir une étude systématique, successive et progressive des correspondances entre les graphèmes et les phonèmes : il est conseillé de commencer avec les voyelles communes au français et à la langue d'origine des enfants et de ne traiter les voyelles susceptibes de provoquer des difficultés de discrimination auditive qu'à l'issue de l'étude des graphèmes les plus stables de la langue (les consonnes principalement) ; la mise en place de cette progression est un moyen de s assurer des acquis des parents et de les contrôler ; elle peut être l occasion d afficher au fur et à mesure dans la classe les correspondances entre les graphèmes et les phonèmes étudiées et de les visualiser : les parents peuvent consulter ces affiches pour se remémorer les correspondances qu ils ont oubliées ; elle est aussi l occasion de constituer des cahiers de sons ou de correspondances entre les graphèmes et les phonèmes à compléter au fur et à mesure : ces cahiers facilitent la mémorisation de la combinatoire et le travail éventuel à la maison 2. o Quatrième et dernière orientation : Jean-Charles Rafoni souligne que l'enfant non francophone (qui n'a jamais appris à lire) ne peut entreprendre une démarche de tâtonnement phonologique que sur des mots et des structures de phrases qu'il comprend et qu il peut employer à l'oral. Les nouveaux arrivants ne peuvent pas mémoriser les correspondances entre les graphèmes et les phonèmes s'ils ne comprennent pas le sens des mots qu'ils déchiffrent. Cela suppose d utiliser, pour déchiffrer, un corpus de mots et de phrases adapté, en employant le vocabulaire et les formes syntaxiques que connaissent les nouveaux arrivants. Cécile Goï fait exactement le même constat. 2 L utilisation de l alphabet phonétique (API) dans ces affiches ou ces cahiers ne soulève pas de difficultés majeures : les enseignants l utilisent le plus souvent «pour faire apparaître aux yeux des enfants la différence entre ce qui s entend (codé en API) et ce qui se voit (l orthographe)», notent Roland Goigoux et Sylvie Cèbe. 7

La découverte des relations entre les phonèmes avec des enfants lecteurs sur des caractères latins o Il convient d'identifier les relations entre les graphèmes et les phonèmes qu ils maîtrisent mal ou qu'ils ne connaissent pas dans la langue française ; o Il est nécessaire, là encore, de privilégier une approche qui va de l'étude des graphèmes vers les phonèmes, pour les aider à différencier les sons ; o Il est possible de traiter simultanément les oppositions de sons qu'ils distinguent mal. Les Portugais, par exemple, confondent les phonèmes [ y ] et [ u ] : l'enseignant peut leur demander de lire, au cours de la même séance, une série de mots avec le phonème [ y ] et une série de mots avec le phonème [ u ], pour mieux percevoir les différences en français (exemple : rue, vue ; roue, vous, etc.) ; o il est nécessaire de leur apprendre les graphies des phonèmes qui peuvent être transcrits de différentes façons ; o Il semble néanmoins possible, avec les lecteurs expérimentés dans leur langue d'origine, de travailler simultanément sur la compréhension orale et sur la compréhension écrite de textes lus à haute voix par l'enseignant, à condition d'utiliser des textes simples accompagnés d'illustrations.. La visualisation écrite de phrases entendues peut faciliter leur compréhension ; elle aide notamment le nouvel arrivant à mieux segmenter les phrases qu'il entend en mots distincts et facilite l'imprégnation syntaxique. Une phonéticienne, Odile Ledru-Menot, qui enseigne à l'inalco (l'institut national des langues et civilisations orientales), affirme que «nous retenons 10 % de ce que nous lisons, 20 % de ce que nous entendons, 30 % de ce que nous voyons et 50 % de ce que nous voyons et entendons en même temps». 8