16 AVRIL 2015 C.14.0466.F/1 Cour de cassation de Belgique Arrêt N C.14.0466.F R. T., demanderesse en cassation, représentée par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de domicile, contre P. R., défendeur en cassation. I. La procédure devant la Cour
16 AVRIL 2015 C.14.0466.F/2 Le pourvoi en cassation est dirigé contre l arrêt rendu le 5 juin 2014 par la cour d appel de Mons. Le président de section Christian Storck a fait rapport. L avocat général Thierry Werquin a conclu. II. Le moyen de cassation La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants : Dispositions légales violées Articles 2251, 2253, 2262bis, modifié par l article 5 de la loi du 10 juin 1998, du Code civil et, en tant que de besoin, 10 de ladite loi du 10 juin 1998 modifiant certaines dispositions en matière de prescription Décisions et motifs critiqués L arrêt «dit l appel [du défendeur] recevable et partiellement fondé ; par conséquent, met à néant le jugement déféré, sauf en ce qu il a débouté [le défendeur] de sa demande reconventionnelle pour procédure téméraire et vexatoire ; dit la demande de [la demanderesse] irrecevable et l en déboute ; compense les frais et dépens des parties en première instance ; condamne [la demanderesse] aux frais et dépens [du défendeur] en instance d appel, liquidés à la somme de 1.250 euros, et lui délaisse ses propres frais et dépens». L arrêt fonde ces décisions sur ce que : «[Le défendeur] invoque la prescription de la dette litigieuse ; En l absence de terme conventionnel, le point de départ de la prescription est la date de la reconnaissance de dette, soit le 5 décembre 1996 ;
16 AVRIL 2015 C.14.0466.F/3 L article 2262 ancien du Code civil prévoyait tant pour les actions réelles que personnelles un délai de prescription de trente ans ; À la suite de l adoption de la loi du 10 juin 1998 modifiant certaines dispositions en matière de prescription, le délai de prescription des actions personnelles, c est-à-dire celles dont l objet est un droit de créance, fut réduit à dix ans (article 2262bis nouveau du Code civil) ; Néanmoins, en vertu de l article 10 de cette loi, lorsque l action a pris naissance avant l entrée en vigueur de celle-ci, les nouveaux délais de prescription ne commencent à courir qu à dater du 27 juin [lire : juillet] 1998, date d entrée en vigueur de la loi ; Le délai de prescription aurait dû expirer en l espèce le 27 juillet 2008, sauf cause d interruption ou de suspension de la prescription ; En vertu de l article 2244 ancien du Code civil, une citation en justice, un commandement ou une saisie, signifiés à celui qu on veut empêcher de prescrire, forment l interruption civile ; La citation du 19 janvier 2012 étant postérieure au 27 juin 1998 [lire : juillet 2008], celle-ci n a pu interrompre la prescription ; Il en découle que l action en paiement fondée sur la reconnaissance de dette du 5 décembre 1996 doit être déclarée irrecevable puisque tardive». L arrêt fonde ainsi le rejet de l action en paiement de la demanderesse sur l écoulement de la prescription de dix ans prévue par l article 2262bis, 1 er, alinéa 1 er, du Code civil, cette prescription n ayant pu être interrompue par la citation du 19 janvier 2012 puisque celle-ci était postérieure de plus de dix ans au 27 juillet 1998, date de l entrée en vigueur de la loi du 10 juin 1998, constituant le point de départ de la prescription de dix ans établie par cette loi. Griefs
16 AVRIL 2015 C.14.0466.F/4 La prescription peut, ainsi que l arrêt le relève d ailleurs, être non seulement interrompue mais aussi suspendue (article 2251 du Code civil). L arrêt constate que les parties se sont mariées le 7 mars 1998 et que leur divorce a été prononcé le 13 mai 2013, étant par ailleurs non contesté que, ainsi que le relèvent les conclusions de synthèse d appel de la demanderesse, les parties sont toujours en instance de divorce, le défendeur ayant interjeté appel du jugement ayant autorisé leur divorce. Il résulte ainsi des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard que les parties sont mariées depuis le 7 mars 1998. Or, l article 2253 du Code civil dispose, en un texte qui n a pas changé depuis 1804, que la prescription «ne court point entre époux». Il s agit là d une cause légale de suspension de la prescription (article 2251 du Code civil). Il s ensuit qu une prescription dont le point de départ se situe le «27 juin [lire : juillet] 1998» (article 10 de la loi du 10 juin 1998 visé au moyen) n a pu courir depuis cette date puisque les époux étaient mariés depuis le 7 mars 1998 et que la prescription ne court point entre époux (article 2253 du Code civil). Il suit de là que, en décidant que la prescription prévue par l article 2262bis du Code civil a couru entre le «27 juin [lire : juillet] 1998» et le 27 juillet 2008, alors que les parties étaient mariées durant cette période, l arrêt : 1 méconnaît la cause légale de suspension de la prescription établie par l article 2253 du Code civil et, partant, viole ledit article 2253 ainsi que l article 2251 de ce code ; 2 par voie de conséquence, méconnaît l article 2262bis, 1 er, alinéa 1 er, du Code civil, en considérant comme acquise la prescription prévue par cet article alors qu elle était suspendue depuis son point de départ théorique (violation dudit article 2262bis, 1 er, alinéa 1 er, du Code civil et, en tant que
16 AVRIL 2015 C.14.0466.F/5 de besoin, des articles 2251 et 2253 du même code et de l article 10 de la loi du 10 juin 1998 visés au moyen). III. La décision de la Cour En vertu de l article 2251 du Code civil, la prescription court contre toutes personnes, à moins qu elles soient dans quelque exception établie par la loi, et, aux termes de l article 2253 de ce code, elle ne court point entre époux. L arrêt considère que la prescription de la créance de la demanderesse sur le défendeur a pris cours le 5 décembre 1996 et que, d une durée initiale de trente ans, conformément à l article 2262 ancien du Code civil, elle est, depuis le 27 juillet 1998, date de l entrée en vigueur de la loi du 10 juin 1998 modifiant certaines dispositions en matière de prescription, d une durée de dix ans en vertu de l article 2262bis de ce code. L arrêt, qui constate que les parties se sont mariées le 7 mars 1998 et que la demanderesse a engagé une procédure en divorce le 25 juillet 2011, n a pu, sans violer les articles 2251 et 2253 du Code civil, décider que la demande de la demanderesse en remboursement de sa créance était prescrite pour n avoir été formée que par une citation du 19 janvier 2012. Le moyen est fondé. Par ces motifs, La Cour Casse l arrêt attaqué, sauf en tant qu il reçoit l appel et statue sur la demande reconventionnelle du défendeur ;
16 AVRIL 2015 C.14.0466.F/6 Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l arrêt partiellement cassé ; fond ; Réserve les dépens pour qu il soit statué sur ceux-ci par le juge du Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d appel de Liège. Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, le président de section Albert Fettweis, les conseillers Martine Regout, Michel Lemal et Sabine Geubel, et prononcé en audience publique du seize avril deux mille quinze par le président de section Christian Storck, en présence de l avocat général Thierry Werquin, avec l assistance du greffier Patricia De Wadripont. P. De Wadripont S. Geubel M. Lemal M. Regout A. Fettweis Chr. Storck