EVALUER LA DANGEROSITE ASSOCIEE A LA CONSOMMATION DE DIFFERENTS PRODUITS ADDICTIFS



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Transcription:

EVALUER LA DANGEROSITE ASSOCIEE A LA CONSOMMATION DE DIFFERENTS PRODUITS ADDICTIFS Cette note présente les résultats de l étude réalisée auprès des experts de la Fédération Française d Addictologie pour évaluer la dangerosité associée à la consommation de différents produits addictifs. Une évaluation précise, reposant sur les connaissances médico-scientifiques disponibles, des dommages individuels et sociétaux associés à la consommation est proposée pour les 9 produits addictifs étudiés. La comparaison des dommages globaux correspondant à ces évaluations avec les appréciations intuitives portées par les experts en addictologie sur les produits, montre que les appréciations mobilisent d autres éléments que la seule connaissance des dommages. L évaluation quantitative des bénéfices individuels et sociétaux perçus par les experts permet de rejeter l idée selon laquelle les appréciations correspondraient à un simple calcul dommages-bénéfices. Nous montrons cependant que ces appréciations peuvent s expliquer par un calcul dommages -bénéfices où certains dommages et certains bénéfices seraient particulièrement pris en compte, et d autres seraient négligés. A terme, ces résultats pourront servir de référence pour préciser le degré de connaissances en population générale des différents dommages identifiés et permettre ainsi de cibler les politiques de sensibilisation et d information sur les dommages les plus méconnus. Ils suggèrent également qu une meilleure description de l importance relative accordée par la population générale aux différents dommages et bénéfices est requise pour baser les politiques publiques en matière d addiction sur des données médico-scientifiques solides tout en tenant compte d autres éléments plus subjectifs intervenant nécessairement sur ces questions. Travail réalisé par Catherine Bourgain 1, Bruno Falissard 2 et Michel Reynaud 3 1 : Chargée de recherche à l Inserm, Unité U669 ; 2 : Directeur de l unité INSERM U669 ; 3 : Chef du service d addictologie de l Hôpital Paul Brousse. EVALUATION DE LA DANGEROSITE ASSOCIEE A LA CONSOMMATION DE PRODUITS ADDICTIFS PAR LES EXPERTS DE LA FEDERATION FRANÇAISE D ADDICTOLOGIE Le travail présenté ici s est articulé autour des axes suivants : - Définir l ensemble des dommages individuels et sociétaux, associés à la consommation de différents produits addictifs et proposer une mesure quantitative de chacun, basée sur les connaissances médico-scientifiques d experts en addictologie. Version du 3 novembre 2010 1

- Dans une perspective de politique publique qui ne peut se baser sur les seuls dommages, définir les bénéfices individuels et sociétaux associés à la consommation des produits et les faire évaluer quantitativement par des experts en addictologie - Associer dommages et bénéfices pour proposer des évaluations globales de la consommation de ces produits. - Comparer ces évaluations globales calculées à partir des dommages et des bénéfices mesurés séparément avec l appréciation intuitive globale des experts sur les différents produits. Huit produits ont été retenus pour l analyse : le tabac, l alcool, le cannabis, la cocaïne, l héroïne, l ecstasy, les amphétamines et les autres drogues de synthèse. Le DSMV ayant très récemment ajouté les jeux d argent à la liste des addictions, nous avons également introduit ce comportement dans la liste des «produits addictifs» étudiés. Ce travail s est appuyé sur une enquête auprès de membres actifs de la FFA, fédération regroupant la plupart des associations professionnelles intervenant dans les addictions (alcool, tabac, drogues illicites ) selon des approches variées (médico-social, hospitalier, universitaire, réduction des risques, médecins généralistes et associations de patients). Avant d être interrogés, ces experts ont reçu une liste de publications récentes synthétisant les connaissances médico-scientifiques disponibles sur le sujet. Au total, 48 experts ont rempli le questionnaire d enquête. Agés en moyenne de 49 ans, hommes pour 60% d entre eux, à 77% médecins (49% psychiatres) et à 21% autres professionnels médico-sociaux, les experts de notre échantillon sont représentatifs des personnes occupant des responsabilités au sein des différentes associations membres de la FFA. Deux types d évaluations leur ont été proposés pour chacun des 9 produits : - Evaluations séparées des différents dommages et bénéfices. En utilisant des échelles visuelles analogiques (EVA) graduées de 0 (aucun dommage ou aucune dépendance ou aucun bénéfice) à 10 (dommages extrêmes ou fréquents ou dépendance extrême ou bénéfices extrêmes), les experts ont mesuré quantitativement les dommages individuels (dommages sanitaires aigus, dommages sanitaires chroniques, dépendance), les dommages sociétaux (coûts sanitaires et sociaux ; coûts légaux ;conséquences sociales des troubles du comportement entraînés par la consommation de substances), les bénéfices individuels (bénéfices hédoniques, bénéfices identitaires, bénéfices autothérapeutiques) et les bénéfices sociétaux (bénéfices économiques, bénéfices sociaux, bénéfices culturels). Le descriptif proposé aux experts pour chacun des 6 dommages et 6 bénéfices retenus est présenté en annexe. L analyse des données EVA a permis de valider cette procédure quantitative qui est à la fois robuste et homogène (détails fournis en annexe). - Préférences intuitives globales. Les experts ont du déterminer, sur la base de leurs connaissances, s ils préféraient pouvoir consommer le produit ou ne pas le consommer (préférence relative à la consommation individuelle) et s ils préféraient vivre dans une société où le produit est consommé ou dans une société où il n est pas consommé (préférence relative à la consommation sociétale). RESULTAT N 1 : UNE MESURE QUANTITATIVE DES DIFFERENTS DOMMAGES ASSOCIES A LA CONSOMMATION DES PRODUITS ADDICTIFS Le détail des évaluations moyennes de tous les dommages définis tant au niveau individuel (dommages sanitaires aigus ; dommages sanitaires chroniques ; dépendance) que sociétal (coûts sanitaires et sociaux ; coûts légaux ; conséquences sociales des troubles du comportement entraînés par la consommation de substances) est présenté en annexe. Version du 3 novembre 2010 2

Avec une EVA moyenne supérieure à 7, alcool et héroïne ressortent comme les deux produits présentant les dommages sanitaires aigus les plus extrêmes, alors que pour les dommages sanitaires chroniques se sont l alcool et le tabac, avec une EVA moyenne >8, qui sont les plus à risque. A l opposé, les jeux d argent (JdA) sont associés aux dommages sanitaires aigus et chroniques les plus faibles (EVA moyennes <3). Si tous les produits étudiés présentent un degré certain de dépendance (EVA moyennes >4,5), c est pour l héroïne, le tabac, l alcool et la cocaïne qu elle est la plus marquée (EVA moyennes >7) et pour l ecstasy qu elle est la plus faible (EVA moyenne <5). En matière de dommages sociétaux, ce sont l alcool et le tabac qui présentent les coûts sanitaires et sociaux les plus importants (EVA moyennes>8), les autres produits, à l exception de l héroïne (EVA moyenne =6.67), étant associés à des dommages moyens à faibles (EVA moyennes <5). L héroïne, la cocaïne, l alcool et le cannabis présentent des coûts légaux substantiels (EVA moyennes >6). Les conséquences sociales négatives sont particulièrement élevées pour l alcool (EVA moyenne = 8.46), l héroïne (EVA moyenne =7.28) et la cocaïne (EVA moyenne=6.31). A l autre extrême, elles sont considérées comme faibles pour le tabac (EVA moyenne =2.26). La Figure 1 présente les valeurs globales de ces dommages (dommage global = somme de tous les dommages, dommage individuel = somme des dommages individuels et dommage sociétal = somme des dommages sociétaux). Figure 1 Dommages Dommages Dommages Lorsque tous les dommages sont additionnés, trois groupes de produits se distinguent. L alcool, l héroïne et la cocaïne constituent le groupe de produits les plus à risque. La catégorie intermédiaire compte le tabac, le cannabis, les autres drogues de synthèse, les amphétamines et l ecstasy. Enfin, les jeux d argent présentent un profil général de dommage particulièrement bas. Cette catégorisation est également valable lorsque les dommages sont séparés en dommages liés à la consommation individuelle ou à la consommation sociétale, avec cependant des variations au sein du groupe intermédiaire. Ainsi le tabac qui présente des dommages individuels élevés, présente des dommages sociétaux faibles, alors que le cannabis dont les dommages individuels sont relativement bas, présente au contraire des dommages sociétaux relativement plus élevés. Cette évaluation fournit donc un panorama comparatif des différents dommages liés aux produits addictifs étudiés, qui mobilise les connaissances médico-scientifiques actuellement disponibles. Dans une perspective Version du 3 novembre 2010 3

de politique publique, il parait difficile de considérer produits sous le seul angle des dommages. Nous avons donc évalué la perception par les experts interrogés des différents bénéfices associés à la consommation des produits. RESULTAT N 2 : UNE MESURE QUANTITATIVE DES BENEFICES ASSOCIES A LA CONSOMMATION DES PRODUITS ADDICTIFS, TELS QUE PERCUS PAR LES ADDICTOLOGUES Suivant la même démarche que celle adoptée pour l étude des dommages, les bénéfices associés à la consommation des produits, ont été catégorisés en bénéfices liés à la consommation personnelle (bénéfices hédoniques, bénéfices identitaires, bénéfices auto-thérapeutiques) et en bénéfices liés à la consommation sociétale (bénéfices économiques, bénéfices sociaux, bénéfices culturels). Le détail des évaluations moyennes des différents types de bénéfice est présenté en annexe. De façon intéressante, tous les produits, hormis le tabac, sont associés à un bénéfice hédonique important (EVA moyennes >6). Ce type de bénéfice est d ailleurs jugé supérieur au bénéfice identitaire lié à la consommation pour tous les produits sauf trois - alcool, cannabis et tabac, produits de consommation courante dont le rôle de socialisation est bien décrit. Le bénéfice auto-thérapeutique des produits étudiés est jugé globalement moyen à faible sauf pour l alcool, le cannabis et l héroïne (EVA moyennes >6). Au niveau sociétal, les bénéfices économiques sont importants (EVA moyennes >7) pour les trois produits licites (alcool, tabac, jeux d argents), en cohérence avec la définition de cet item. Ils sont très faibles pour toutes les autres substances. L alcool est le seul produit reconnu pour ses bénéfices sociaux importants (importance des groupes sociaux concourant à la production et à la distribution ; EVA moyenne=7.27), le tabac et les jeux d argent n étant associés qu à des bénéfices sociaux moyens. Enfin, en matière de bénéfices culturels, seul l alcool est considéré de façon très positive (EVA moyenne=8.27), le cannabis se trouvant classé en seconde position (EVA moyennes=5.70). La Figure 2 présente les valeurs globales de ces bénéfices (bénéfice global = somme de tous les bénéfices, bénéfice individuel = sommes des bénéfices liés à la consommation individuelle et bénéfice sociétal = somme des bénéfices liés à la consommation sociétale). Globalement, l alcool constitue un produit à part avec des bénéfices nettement supérieurs à ceux des autres produits. Cette supériorité est plus marquée au niveau sociétal, mais reste nette au niveau des bénéfices individuels. Le tabac, avec des bénéfices sociaux importants et des bénéfices individuels moyens, est globalement placé en second, juste suivi par le cannabis et les jeux d argent. En effet, les bénéfices individuels liés à la consommation de cannabis sont jugés par les experts nettement plus importants que ceux liés aux jeux d argent, alors que les deux produits sont moins nettement distingués sur l échelle des bénéfices sociétaux. Ce sont les drogues de synthèse (ecstasy, amphétamines, autres drogues de synthèse) qui présentent globalement les bénéfices les plus faibles, derrière la cocaïne et l héroïne dont les bénéfices individuels sont jugés supérieurs. Version du 3 novembre 2010 4

Figure 2 Le panel d experts sollicités présente une certaine expertise en matière de bénéfices des produits addictifs, liée à leur fréquentation des consommateurs et à leur expérience propre pour certains produits. Néanmoins, cette situation ne fait pas d eux des référents incontestables sur ces aspects de la consommation. En conséquence, le panorama proposé doit être considéré avec précaution. Il témoigne des représentations qu ont les experts en addictologie, des bénéfices liés à la consommation des produits. Cette représentation est cependant importante. Bien qu experts des dommages, ces professionnels sont souvent considérés comme experts des produits. Leur perception des différents bénéfices influence inévitablement leur appréhension globale des produits. RESULTAT N 3 : UNE EVALUATION DE LA BALANCE DOMMAGES-BENEFICES ASSOCIEE A LA CONSOMMATION DES PRODUITS Pour évaluer l appréhension globale des produits par le panel d experts, nous avons dans un premier temps calculé la balance dommages-bénéfices associée à chaque produit. Pour ce faire, nous avons additionné tous les dommages mesurés par les EVA et y avons retranché les bénéfices. Ainsi une balance nettement positive signe un produit dont les dommages sont très supérieurs aux bénéfices, et à l inverse une balance négative signe un produit dont les bénéfices sont jugés globalement supérieurs aux dommages. Ce calcul de balance a été effectué en considérant tous les types de dommages et de bénéfices (balance globale), les dommages et bénéfices liés à la consommation individuelle (balance individuelle) ou les dommages et bénéfices liés à la consommation sociétale (balance sociétale). Ces balances dommages-bénéfices sont présentées sur la Figure 3. Cette approche identifie les jeux d argent comme un «produit» à part, dont la balance globale est nettement négative, ses bénéfices étant jugés supérieurs aux dommages. A l autre extrémité, l héroïne apparait comme le produit avec la balance dommages-bénéfices la plus positive, dans la mesure où les dommages sont jugés très supérieurs aux bénéfices. Le tabac, le cannabis et l alcool présentent des balances globales quasi-nulle pour le cannabis, légèrement positive pour l alcool et légèrement négative pour le tabac. Dans le cas du cannabis, la balance est favorable pour la consommation individuelle mais défavorable au niveau sociétal. C est le contraire pour le tabac dont les dommages individuels sont supérieurs aux bénéfices mais dont les bénéfices sociétaux sont supérieurs aux dommages. Version du 3 novembre 2010 5

Figure 3 Balance Dommages Balance Dommages Balance Dommages L alcool dont le bilan apparaît neutre au plan sociétal, a des dommages individuels jugés supérieurs aux bénéfices. Il constitue ainsi le 4 ème produit dans l ordre favorable décroissant de la balance globale. Construites à partir des EVA de dommages et de bénéfices, ces balances dommages-bénéfices sont informatives. Elles ne correspondent pas pour autant à un avis directement exprimé par les experts du panel. Pour les obtenir, des hypothèses sont faites sur la façon dont les experts pourraient globaliser les dommages et bénéfices des produits : nous supposons qu ils additionnent les dommages, bien connus, et y retranchent les bénéfices perçus. Cette hypothèse revient à considérer que tous les dommages et tous les bénéfices (tels que définis pour les EVA) sont mis à égalité, qu aucun n est jugé plus important que l autre. RESULTAT N 4 : LES PREFERENCES INTUITIVES GLOBALES DES EXPERTS NE SE REDUISENT PAS A LA SOMME DES DOMMAGES ET DES BENEFICES Pour juger de la pertinence de cette hypothèse, nous avons évalué directement l appréciation globale des consommations individuelles et sociétales des produits, par les experts. Il leur a été demandé de préciser s ils considéraient qu il est préférable de vivre en consommant le produit ou sans le consommer et s ils considéraient qu il est préférable de vivre dans une société où le produit est consommé ou dans une société où il ne l est pas. De ces réponses, nous avons extrait pour les 9 produits la proportion d experts préférant vivre sans consommer le produit (respectivement en le consommant) et le proportion d experts préférant vivre dans une société où le produit n est pas consommé (respectivement où il est consommé). Ces proportions sont présentées à la figure 4. Comme nous le supposions, ces préférences intuitives ne se déduisent pas simplement de l évaluation des dommages individuels et sociétaux. Alors que l alcool constitue le produit le plus à risque au niveau individuel et sociétal (voir Figure 1), c est celui qui présente les préférences les plus élevées. La possibilité sociétale de consommer du cannabis, 4ème produit jugé le plus à risque au niveau sociétal, est pourtant souhaitée par 42% des experts. Version du 3 novembre 2010 6

Figure 4 De façon plus étonnante, la prise en compte des bénéfices sous la forme des balances dommages-bénéfices présentées au paragraphe précédent reste également insatisfaisante. Ainsi, l alcool est le 4ème produit avec la balance dommages-bénéfices individuels la plus défavorable, alors que 75% des experts affichent une préférence pour la possibilité d en consommer, loin devant tous les autres produits. Le cannabis et les jeux d argent présentaient les deux meilleures balances dommages-bénéfices individuels. Les experts pourtant ne sont que 29% à préférer pouvoir «consommer» des jeux d argent et 27 % à pouvoir consommer du cannabis. De la même façon, 82% des experts ont une préférence pour la vie dans une société où la consommation d alcool est possible alors que la balance dommages-bénéfices sociétaux de l alcool était nulle. Ils ne sont que 38% à préférer vivre dans unes société où le tabac est consommé, 52% pour les jeux d argent, alors que ces deux produits présentaient des balances dommages-bénéfices sociétaux favorables à la consommation. RESULTAT N 5 : LES EXPERTS ACCORDENT UNE IMPORTANCE VARIABLE AUX DIFFERENTS DOMMAGES ET BENEFICES POUR FORMER LEURS PREFERENCES INTUITIVES. Considérant néanmoins qu il existe un lien fort entre préférences intuitives globales, dommages et bénéfices, nous avons combiné ces différentes mesures dans une même modélisation statistique. Cette dernière nous permet de proposer une explication à la façon dont les experts forment leurs préférences intuitives globales. Nous montrons qu en supposant que les experts accordent une importance variable aux différents dommages et bénéfices, il est possible de déduire leurs préférences intuitives globales à partir des dommages et bénéfices mesurés par EVA. La modélisation statistique choisie permet en outre d identifier quels sont les dommages et bénéfices importants et ceux qui sont moins pris en compte. Nous montrons ainsi que pour tous les produits sauf l alcool, les experts accordent une importance 4 fois plus grande aux dommages sanitaires aigus qu aux dommages sanitaires chroniques en matière de consommation individuelle. De la même façon, ce sont les coûts sanitaires et sociaux d une part et les bénéfices sociaux d autre part, qui sont les éléments déterminants les préférences globales intuitives relatives à la consommation sociétale. Version du 3 novembre 2010 7

Pour expliquer le statut particulier de l alcool en matière de consommation individuelle, il faut supposer que les experts considèrent avant tout les bénéfices identitaires et auto-thérapeutiques associés et tendent à négliger les dommages sanitaires aigus. Les préférences sur la consommation sociétale de l alcool s expliquent si l on considère que les experts négligent les conséquences sociétales des troubles du comportement entraînés par la consommation et prennent avant tout en compte les coûts sanitaires et sociaux et les bénéfices sociaux. Pour obtenir ces résultats, nous avons modélisé le processus par lequel les experts forment leurs préférences en supposant que les préférences sont des arbitrages rationnels basés sur la somme de dommages et de bénéfices, chacun pondéré de façon indépendante et potentiellement différente. Ce modèle est très simple, et il n a pas pour ambition de décrire le mécanisme réel de la prise de décision. Mais il suffit pour montrer que l évaluation la plus précise et la plus circonstanciée possible de chaque dommage et de chaque bénéfice ne permet pas de prédire la préférence intuitive. Aussi compétents soient-ils, les experts introduisent à ce stade une subjectivité qui leur est propre. Version du 3 novembre 2010 8

Données Annexes Description des 12 items de dommages et de bénéfices évalués dans notre étude Bénéfices / Dommages Individuels Bénéfices / Dommages Sociétaux Dommages Bénéfices Dommages sanitaires aigus On pensera à tous les effets immédiats, par exemple : dépression respiratoire, troubles cardio-vasculaires, overdose, comas éthyliques, accidents de la voie publique, troubles aigus du comportement, violence, troubles psychotiques aigus Dommage sanitaires chroniques Par exemple : cancers, troubles cardio-vasculaires chroniques, pathologies respiratoires, cirrhose, troubles psychotiques chroniques, troubles cognitifs chroniques, états démentiels, hépatites, HIV. Dépendance Cette dimension doit prendre en compte les éléments de dépendance physique et l importance de la dépendance psychique et notamment de la perte de contrôle, du craving et des besoins compulsifs qu elle entraîne Bénéfices hédoniques Il s agit d évaluer l intensité du plaisir obtenu et l importance des sensations intenses ou inhabituelles Bénéfices identitaires La consommation du produit permet d entrer dans des cadres et des codes sociaux renforçant l identité. Il convient d évaluer leur potentiel de socialisation, lié à la valeur collective et culturelle de leur usage Bénéfices auto thérapeutiques La consommation permet le soulagement de tensions et de souffrances internes, notamment celles associées à des émotions générées par la relation à autrui. On y intègrera les éventuels effets positifs sur la santé de ces produits (French paradox, nicotine et neurone ) Coûts sanitaires et sociaux Ils comprennent par exemple : les coûts sanitaires directs liés à la prise en charge et à l hospitalisation, les coûts sanitaires indirects liés à l incapacité et aux arrêts de travail et les coûts liés à la prise en charge sociale et à l invalidité. Les coûts sanitaires et sociaux sont associés à la fréquence de consommation et à la dangerosité des produits. Coûts légaux Ils peuvent être liés à la violence et aux comportements antisociaux qu entraîne la consommation de ces produits, liés à la lutte contre le trafic et l économie souterraine des produits illégaux, etc. Ces coûts peuvent aussi comprendre les frais de douanes, de police, de justice, ainsi que les coûts liés à l incarcération. Conséquences sociales des troubles du comportement entraînés par la consommation de substances Il s agit là d évaluer : les désordres sociaux liés aux dommages accidentels ou provoqués à autrui, aux biens (violence familiale ou sociale) ; les conséquences sur le fonctionnement familial, soit à cause des effets du produit, soit à cause des altérations des motivations des utilisateurs les éloignant de leur famille pour des activités liées aux produits. Bénéfices économiques Il s agit d évaluer l importance économique (dans l économie licite) que représentent la production, la vente, la distribution, la commercialisation, la promotion et la consommation du produit. NB : Ces bénéfices pour la société s évaluent en tenant compte du pourcentage des consommateurs Bénéfices sociaux Il s agit d évaluer l importance que revêt la consommation du produit pour les équilibres sociaux, en particulier l importance des groupes sociaux concourant à la production et à la distribution. NB : Ces bénéfices pour la société s évaluent en tenant compte du pourcentage des consommateurs Bénéfices culturels Il s agit d évaluer la place qu a le produit dans les différentes cultures ou micro-cultures, sa valeur festive ou conviviale, son inscription dans les rituels sociaux NB : Ces bénéfices pour la société s évaluent en tenant compte du pourcentage des consommateurs Version du 3 novembre 2010 9

Evaluation des items de dommages et de bénéfices Valeurs moyennes des EVA. Version du 3 novembre 2010 10

Robustesse et Homogénéité des évaluations visuelles analogues des dommages et des bénéfices. Pour évaluer la pertinence des mesures quantitatives des 12 items de dommages / bénéfices choisis, nous avons testé leur robustesse et leur homogénéité. Nous montrons que les valeurs moyennes d EVA pour chacun des 12 items ne sont pas différentes lorsqu elles sont calculées sur l échantillon des 48 experts ou sur des sous-échantillons (stratification par sexe ou par spécialité). Ces mesures sont donc robustes à la composition du panel d experts. Nous montrons également que les valeurs d EVA pour chacun des 12 items sont d autant plus homogènes qu elles sont ciblées sur des items mieux connus du panel d experts sollicités. Les membres de la FFA sont en grande majorité des professionnels du dommage, plus compétents sur les évaluations de dommages, et des thérapeutes, plus compétents sur les items individuels que sur les items sociétaux. Parmi les 9 produits étudiés, l alcool est le plus consommé et le mieux connu des addictologues et c est celui qui présente les évaluations les plus homogènes. En matière de dommages individuels, les évaluations de 4 autres produits sont également remarquables par leur homogénéité tabac, cannabis, cocaïne et héroïne. Après l alcool, ces 4 produits sont les plus consommés et/ou ceux qui présentent les plus fortes dépendances. Ce sont donc les produits auxquels les experts en addictologie sont les plus souvent confrontés et ceux auxquels ils sont le plus formés. Version du 3 novembre 2010 11