FOIRE DE CHALONS LES DONNEES ET LEUR TRAITEMENT ENJEU MAJEUR DES (FUTURES) INNOVATIONS Au-delà du «Pari du végétal», les événements professionnels de la Foire 2014 ont mis en valeur le rôle clé des données dans les innovations en cours et à venir. Désormais, les entreprises leaders seront celles qui savent collecter et agréger des données (mondiales). L accélération de leur traitement tant dans le domaine de la santé humaine que des plantes ou des animaux ouvre des perspectives pour lutter contre les maladies et améliorer les performances de chacun : alors, est-ce la «mort de la mort» et la fin de la faim dans le monde? Les organisateurs de la Foire de Châlons-en-Champagne ont fait le «Pari du végétal» pour installer cet événement parmi les grands rendez-vous agricoles nationaux. Logique pour notre région qui est au cœur de la valorisation du végétal qu elle soit alimentaire ou non. En prenant de la hauteur, et au regard des nombreuses conférences et tables rondes, l innovation et le big data 1 étaient dans toutes les bouches et tous les sujets : alimentaire, territoires, agro-écologie, santé, sécurité... Enjeu mondial et transversal, le big data est la clé d entrée vers un nouveau monde d innovations et va rebattre les cartes des puissances mondiales. Si la France et la Champagne-Ardenne (élargie?) veulent se faire une place parmi les futurs acteurs mondiaux du big data, il est temps de prendre le train en marche, et vite, comme l a conclu le Docteur Laurent Alexandre, grand témoin à l assemblée générale de la CCI de Champagne-Ardenne : «L innovation est au cœur de l économie de demain. Il ne faut pas être défaitistes, pessimistes, mais il faut la comprendre et en être.» Retrouvez l article dans son ensemble sur www.champagrica.fr INNOVER TOUJOURS Cinq entrepreneurs de Champagne-Ardenne étaient réunis lors de l assemblée générale de la CCI de Champagne-Ardenne pour échanger sur leur expérience en matière d innovation. Pour Joseph Puzo, repreneur d Axon Cable à Montmirail à la fin des années 1980, la réussite réside dans deux règles : 1. La montée en gamme en étant accompagné des PME du territoire avec l aide des universités et de leurs laboratoires pour améliorer ses produits et développer de nouveaux marchés en étant à l écoute de ses clients pour répondre à leurs attentes. Le travail en proximité est aussi un bon critère de protection des innovations. 2. L accélération en matière d innovation et de qualité, car les concurrents ne sont plus seulement en France, mais dans le monde. Axon cable investit en moyenne 10 % de son chiffre d affaires en recherche et développement. Timothée Duguit, président de Duguit Technologies fondée par son père et spécialisée dans la robotique, ajoute que «l innovation est aussi un outil de motivation des équipes et améliore l image de la société auprès des clients.» La qualification du personnel et le développement d outils de travail permet un gain de productivité exprime aussi Joseph Puzo. 1 Big data ou méga données : interprétation de données de masse non structurées pour avoir des signaux faibles.
Pour le Dr Laurent Alexandre, qui a expliqué les investissements importants des «GAFA» (Google, Apple, Facebook, Amazon) en matière de médecine, d intelligence artificielle, robotique et de traitements de données, «La France investit peu dans la recherche, donc le futur se construit loin du pays. Nous avons des élites technophobes, alors qu en Chine tous les membres du Parti sont ingénieurs.» et d ajouter «Le problème est que la France a beaucoup de PME. L écosystème européen ne permet pas de créer des grands groupes comme aux Etats-Unis et des centres d études performants. En France, la philanthropie va vers la culture, tournée vers le passé, alors que les Etats-Unis ont une philosophie entrepreneuriale.» Régis Jacobé, président de la Chambre d agriculture de Champagne-Ardenne, souhaiterait que le principe d innovation soit inscrit dans la constitution, mais s interroge si ce n est pas trop tard? Pour le Dr Alexandre : «Il n est pas trop tard, la France ne rejoindra pas les GAFA, mais peut exister.» PRODUIRE GRACE AU BIG DATA L agriculture est aussi un terreau fertile en matière d innovation ouvrant l ère de l intelligence farming comme l a expliqué Jean-Paul Hébrard, directeur de TV Agri et rédacteur en chef d Agriculture & Nouvelles technologies, ou «Comment l agriculteur va être au centre d un flux de données grâce au développement des techniques de communication, même si la réalité sera toujours la terre.». Pour preuve le constructeur de tracteurs John Deere investit 1 milliards $, soit 1,37 % de son chiffre d affaires, dans le virtuel avec la collecte d information sur le cloud en direct du tracteur grâce au wifi, le développement de tracteurs «farm sight» sans cabine commandé par un tracteur maître comme expliqué dans un reportage sur Power Boost (lien vers vidéo). 200 personnes ont ainsi été mobilisées pour développer la plateforme de collecte de données MyJohnDeere.com. La société imagine déjà l agriculture du futur (proche?) comme elle le montre dans une vidéo intitulé Farm Forward sur Youtube. Jérôme Mestrude, responsable de la communication chez Exel Industries, spécialiste des appareils à traiter, explique que la pulvérisation de précision permet de réduire la dérive de 60 à 90 % : un marché d avenir et qui représente environ 10 % des ventes à ce stade. L utilisation de drones pour affiner l application des produits de santé végétale tend aussi à se démocratiser avec des tarifs en baisse : de 40 000 euros auparavant, il n en coûte que 26 000. Jean-Paul Hébrard explique la puissance de l utilisation de big data en matière agricole. L analyse de données de masse intervient pour interpréter les résultats de production sur un grand nombre de parcelles, comme le fait une coopérative aux Etats-Unis sur un million de parcelles pour améliorer les rendements. Pour mieux prévoir les rendements, Monsanto à quant à lui investit dans Climate Corporation, une start-up en assurance qui utilise des moyens technologiques pour collecter des données climatiques et prévoir les potentialités de récolte. Ces moyens permettraient aux coopératives de donner à l avance les rémunérations aux agriculteurs et de lisser ainsi les revenus face à d éventuels risques climatiques. La recherche avance aussi en matière de production végétale et animale comme l explique Bruno Desprez, directeur général des Semences Florimond-Desprez : «Notre métier de base est de combiner les plantes, d améliorer la quantité de progrès par unité de temps. Avec le phénotypage, il s agit d une véritable innovation de rupture, le
séquençage est de plus en plus rapide avec des moyens techniques de plus en plus petit. Ainsi, 80 % des Holsteins sont sélectionnées pour leur capacité à donner du lait.» Pour les betteraves, alors qu il existe 3 000 variétés sur le marché, Bruno Desprez affirme que toute la diversité mondiale se retrouve en réalité dans 15 types de semence. Un groupe d'agronomes de coopératives et un conseiller agricole de la Chambre d'agriculture de la Marne, emmené par Coop de France Déshydratation, a de son côté développé AGROLUZ+. Cet outil logiciel en ligne fait l'inventaire des pratiques et des performances agronomiques globales en luzerne et permet surtout à chaque producteur de comparer ses propres résultats à ceux d'un échantillon d'agriculteurs qu'il définit lui-même en fonction des caractéristiques et de la localisation de son exploitation. Le chantier AGROLUZ+, très original dans le milieu agricole, a été pensé et conduit par Coop de France Déshydratation et réalisé par Antiss. Chez Arvalis, l une des voix d innovation réside dans les solutions de biocontrôle (méthode naturelle en introduisant des auxiliaires ou des stimulateurs de défense), marché de niche en phase charnière qui intéresse un grand nombre d acteurs. Jean-Paul Bordes, directeur du pôle Recherche & Développement pour Arvalis, évoque aussi la mise au point d une puce ADN pour tester la réceptivité des plantes à différentes substances. Ces solutions semblent être plus sûres que l introduction de gènes de type BT (Bacillus Thuringiensis) dans les semences technique OGM, car le BT n évoluera pas contrairement aux insectes, d autant que la technique est chère et risquée. Souvent l innovation vient de l agriculteur lui-même selon Frédéric Vigier, délégué à l expertise pour l IRSTEA, organisme de recherche sur l agriculture et le développement des territoires, qui cite l exemple de l isobus de Class ou la possibilité de développer l utilisation d un exosquelette pour les travaux de physiques difficiles. Didier Marteau, président de la Chambre d agriculture de l Aube, nuance : «La technologie c est bien, mais pas à n importe quel coût!» L ALIMENTATION POUR TOUS Mais la profusion d innovations et leur accélération n empêchent toujours pas la malnutrition dans le monde : 870 millions d habitants souffrent de malnutrition sur la planète, selon une étude des Nations Unies datant de 2012, dont 15 % des habitants des pays en développement, Asie puis Afrique en tête. L alimentation pour tous était au cœur des échanges lors de la conférence de l Accir, le 2 septembre à la Foire, avec réalisme et espérance. Le développement de l agriculture dans ces pays est primordial pour l alimentation et le développement d une activité rémunératrice et créatrice d emplois. Pour Christian Rousseau, président de la fédération des coopératives agricoles de Champagne-Ardenne et vice-président de Vivescia, «Cela dépend de ce que mangera la population et il y aura 9 milliards d habitants s ils peuvent manger!» Le nœud du problème ne se situe pas, selon Jean-Luc François du pôle Agriculture, développement rural et biodiversité de l AFD (agence française de développement), au niveau agricole : «Le vrai
problème c est la paix et la difficulté à régler les inégalités sociales.» car, comme le Dr Alexandre, il est assez confiant dans les prévisions démographiques d autant que les marges de manœuvre sont considérables pour développer la productivité de la terre dans le monde peu de pays ont autant de rendements qu en France et réduire le gaspillage de nourriture, voire changer la manière de se nourrir, avec moins de protéines par exemple. Ceci passe par l éducation et une agriculture familiale, évidente pour Angélique Delahaye, maraîchère et présidente de l association Solaal 2, et capable de répondre aux besoins alimentaires de la planète, bien plus que l agriculture de firmes, selon Jean-Luc François. Mais le développement de l agriculture dans les pays en développement dépend aussi d une volonté politique, et d un choix stratégique entre les productions agricoles permettant l autonomie alimentaire et les autres productions plus industrielles qui ouvrent le pays aux marchés internationaux. C est le cas en ce moment de l Afrique qui vend ses terres à des étrangers. En Afrique de l Ouest, la profession agricole de Champagne-Ardenne apporte son aide depuis les années 60 au travers de l Accir, le Cœur de Nourricia, «en diffusant le modèle agricole coopératif pour permettre aux agriculteurs d avancer plus vite et des techniques pour éviter l érosion des sols, reconquérir la productivité des terres», explique Christian Rousseau qui démontre la solidarité entre agriculteurs du monde, complété par Jean-Luc François : «Solidarité d accord, accompagnement avec humilité, mais aussi investissement. Je conçois que ce soit difficile pour les agriculteurs de penser ainsi, mais d autres le font déjà comme les Brésiliens, par exemple.» Ainsi en 2012, la banque brésilienne BTG Pactual a dévoilé la création d'un fonds d'investissement en Afrique d'un milliard de dollars pour des projets dans les domaines énergétique, agricole ou d infrastructures, justifié par des données macroéconomiques globalement bonnes sur le continent africain avec une dette publique de 60 % du PIB en moyenne et un taux de croissance moyen de 5 %. Les investissements en Afrique sont «à long terme et obtiennent de bons retours». Réflexion qui n a pas était abordée, mais qui pourrait se poser : et si le big data permettait de mieux équilibrer les besoins alimentaires et les productions agricoles de la planète? Et de les vendre au meilleur coût pour relever le défi de l alimentation pour tous? QUESTION DE SOCIETE Aujourd'hui, «les big data sont une question de vie ou de mort pour les entreprises», selon Kenneth Cukier, auteur d un ouvrage de référence sur le sujet, car si elles sont utilisées pour l agriculture, elles le sont aussi pour connaître les citoyens, à travers leurs parcours sur Internet, le trafic de leur téléphone portable, les signaux émis par les capteurs multiples du monde de l internet des objets. Ces masses de données accumulées refaçonnent tous les secteurs du monde, de la santé à l économie en passant par les transports, la gestion de la ville et des territoires. Le sujet prend donc une importance considérable et donne lieu à des applications et des expérimentations à grande échelle. Il convient d en prendre la juste mesure et aussi d en mesurer les limites, méthodologiques et éthiques comme proposé par le CEPE (centre d études des programmes économiques) lors d une conférence organisée à la Foire le 2 septembre. Pour Maximin Charpentier, président de la Chambre d agriculture de la Marne, toutes ces innovations n ont de sens que si elles répondent à un objectif précis, en interrogeant l assemblée sur celui-ci : «Estce pour nourrir, pour produire des biens de consommation, contribuer à diminuer le CO²? Il s agit d un débat sociétal. Mon rôle de président de Chambre d agriculture est d être l interface entre les acteurs. Il faut travailler en réseau pour concevoir l agriculture de demain. Ce que j attends c est une rupture technologique qui permettra d augmenter la biomasse à l hectare.» Le projet de Ferme 112, sur l ancien site de la base 2 Face à l augmentation du nombre de Français vivant en-dessous du seuil de pauvreté, aux besoins croissants des associations caritatives ainsi qu à la baisse du soutien communautaire, la profession agricole et ses filières ont créé en mai 2013 une association de dons de produits agricoles et alimentaires à destination des plus démunis en France : SOLAAL, SOLidarité des producteurs Agricoles et des filières ALimentaires.
aérienne proche de Reims, a vocation d être un pôle d excellence en matière d expérimentations culturales, techniques et d agroéquipement avec des tests en lien avec les agriculteurs, les lycées agricoles, le pôle IAR, notamment l Institut européen de la bioraffinerie situé à Bazancourt. Régis Jacobé reste confiant sur l avenir : «L agriculture a toujours regardé droit devant et la région souhaite préparer l agriculture de demain avec pour objectif de nourrir. Il faut avoir confiance dans les agriculteurs. Et il faut que l Europe retrousse ses manches pour faire face à l intégration des données des GAFA et autres agrégateurs de données. Il est toujours temps d appliquer le principe d innovation que le principe de précaution.»