22 AVRIL 2015 P.15.0118.F/1 Cour de cassation de Belgique Arrêt N P.15.0118.F I., II. et III. 1. A. S. 2. A. Y., domiciliés à Bruxelles, rue Fransman, 111/1, parties civiles, demandeurs en cassation, ayant pour conseils Maîtres Laurent Kennes et Fanny Vansiliette, avocats au barreau de Bruxelles, IV. et V. LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D APPEL DE BRUXELLES, demandeur en cassation,
22 AVRIL 2015 P.15.0118.F/2 les cinq pourvois contre A. R. accusé, défendeur en cassation. I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR Les pourvois de S. et Y. A. sont dirigés contre les arrêts de motivation et de condamnation du 19 novembre 2014 et contre l arrêt statuant sur les intérêts civils du 25 novembre 2014, rendus par la cour d assises de l arrondissement administratif de Bruxelles-Capitale. Les pourvois du procureur général près la cour d appel de Bruxelles sont dirigés contre les arrêts précités du 19 novembre 2014. Les demandeurs S. et Y. A. invoquent deux moyens et le procureur général trois moyens, chacun dans une requête. Le conseiller Pierre Cornelis a fait rapport. L avocat général Damien Vandermeersch a conclu. II. LA DÉCISION DE LA COUR A. Sur les pourvois de S. et Y. A. : 1. En tant que les pourvois sont dirigés contre l arrêt de condamnation du 19 novembre 2014 : En vertu de l'article 359, alinéa 3, du Code d instruction criminelle, la partie civile ne peut se pourvoir que quant aux dispositions relatives à ses intérêts civils. irrecevables. L arrêt attaqué ne statuant que sur l action publique, les pourvois sont
22 AVRIL 2015 P.15.0118.F/3 2. En tant que les pourvois sont dirigés contre l arrêt de motivation du 19 novembre 2014 et l arrêt rendu sur les intérêts civils le 25 novembre 2014 : Il apparaît de l arrêt de motivation du 19 novembre 2014 que le jury a admis l excuse de provocation en faveur du défendeur. L arrêt du 25 novembre 2014 fixe, par ailleurs, la part de la responsabilité de la victime dans la réalisation des faits à 0,5 % de la réalisation du dommage. Sur le premier moyen : Le moyen reproche au jury d avoir apprécié la provocation uniquement en fonction de la subjectivité de l agent provoqué, sans avoir égard au critère de proportionnalité, ni à une appréciation objective de la gravité de la violence morale imputée à la victime, ni à sa gravité par rapport aux faits commis, ni à l effet que les propos outrageants attribués à la victime auraient pu avoir sur un homme normal et raisonnable. Aux termes de l article 411 du Code pénal, l homicide, les blessures et les coups sont excusables, s ils ont été immédiatement provoqués par des violences graves envers les personnes. Cette cause d'excuse n'est admise dans le chef de celui qui se rend coupable d'homicide ou de coups et blessures volontaires que pour autant qu'il s'agisse d'une réaction immédiate à des violences illicites et graves faites à son encontre, qui ne doivent pas être nécessairement et exclusivement physiques, mais peuvent être uniquement morales. La loi ne mesure pas la gravité des violences génératrices de l'excuse, qu'elles soient physiques ou morales, uniquement sur l'intensité de la réaction qu'elles ont entraînées, mais également sur leur intensité matérielle comparée à la gravité de l'infraction provoquée. Par ailleurs, la gravité de la provocation ne peut pas s'apprécier uniquement en fonction de la subjectivité de l'agent provoqué. Les violences graves requises par l'article 411 du Code pénal sont
22 AVRIL 2015 P.15.0118.F/4 celles de nature à amoindrir le libre arbitre d'une personne normale et raisonnable et non celles qui n ont eu cet effet qu'en raison de l'émotivité particulière de l'agent provoqué. L appréciation de l existence d une provocation est une question de fait relevant de l appréciation du juge du fond. Il appartient à la Cour de vérifier si le juge a pu légalement déduire de ses constatations en fait l existence de la cause d excuse. En l espèce, le jury a répondu de manière affirmative à la question relative à la provocation en considérant que les insultes attribuées à la victime ont aggravé l angoisse d anéantissement vécue par l accusé, ainsi que le sentiment d injustice et d humiliation que celui-ci ressentait depuis qu il avait été expulsé du domicile conjugal et se voyait obligé de vivre dans des conditions inhumaines, sans espoir d un avenir décent, subissant ainsi une lente descente aux enfers provoquée par l anéantissement du projet de vie commun. Par ces considérations, le jury a apprécié la gravité de la provocation uniquement en fonction de la subjectivité de l'agent provoqué en ayant égard seulement à l'intensité de la réaction que les insultes ont entraînées chez le défendeur sans examiner le rapport de proportionnalité nécessaire entre les violences génératrices de l excuse et l infraction provoquée. Il n a, dès lors, pas légalement justifié sa décision de retenir l excuse de provocation en faveur du défendeur. Le moyen est fondé. L illégalité entachant l admission de la cause d excuse entraîne la nullité de la décision qui, sur ce fondement, statue sur l action civile.
22 AVRIL 2015 P.15.0118.F/5 Bruxelles : B. Sur les pourvois du procureur général près la cour d appel de Il n apparaît pas des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard que les pourvois du demandeur aient été signifiés au défendeur. Les pourvois sont, dès lors, irrecevables. PAR CES MOTIFS, LA COUR Casse l arrêt de motivation du 19 novembre 2014 en tant qu il admet l excuse de provocation au regard des actions civiles exercées par S et Y A ; Casse l arrêt du 25 novembre 2014 en tant qu il statue sur les actions civiles exercées par S et Y A ; Rejette les pourvois pour le surplus ; Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge des arrêts partiellement cassés ; Laisse les frais à charge de l Etat ; Renvoie la cause, ainsi limitée, à la cour d assises du Brabant wallon, siégeant sans l assistance du jury. Lesdits frais taxés en totalité à la somme de trois cent septante et un euros quatre-vingts centimes dont I) sur les trois pourvois de S et Y A : cent cinquante-six euros cinquante centimes dus et cent cinq euros payés par ces demandeurs et II) sur les deux pourvois du procureur général de Bruxelles : cent dix euros trente centimes dus. Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Benoît Dejemeppe, conseiller faisant fonction de président, Pierre Cornelis, Gustave Steffens, Françoise Roggen et Sidney Berneman, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-deux avril deux mille quinze par Benoît Dejemeppe, conseiller faisant fonction de président, en présence de Michel Palumbo, avocat général délégué, avec l assistance de Fabienne Gobert, greffier.
22 AVRIL 2015 P.15.0118.F/6 F. Gobert S. Berneman F. Roggen G. Steffens P. Cornelis B. Dejemeppe