ESTHER A RENNES En novembre 2016, Monsieur Yves Boucher, habitant à Ploufragan, commune proche de Saint-Brieuc, a téléphoné au Centre Edmond J. Safra pour dire qu il avait en sa possession un «Séfer Torah» qu il souhaitait remettre à la communauté juive de Rennes. Nous nous sommes rendus chez lui et il nous a remis une pochette, probablement destinée à un talith et brodée au nom de Abraham Hassoun. Cette pochette contenait un rouleau, qui n était pas un Séfer Torah, comme le pensait Monsieur Boucher, mais une Megillah d Esther. Monsieur Boucher nous a expliqué qu il était militaire en 1978, et qu il avait participé à l intervention de l armée française à Kolwezi, au Zaïre. Lors du repli des troupes françaises sur Lubumbashi, ville voisine et capitale de la province du Katanga, il a trouvé ce rouleau de parchemin qu il a sauvé du pillage. Il l a gardé précieusement tout au long de sa vie, et souhaitait désormais le remettre à une communauté juive. Vous trouverez ci-dessous des photos de la Megillah, de la pochette qui la protégeait, et de la lettre qu il nous a remise. Suivent le texte de cette lettre, et deux textes explicatifs, l un sur la Bataille de Kolwezi, l autre sur la présence juive en République Démocratique du Congo (RDC), ex Zaïre. La Megillah, la pochette et la lettre de l Adjudant Yves Boucher 1
La Megillah d Esther de Lubumbashi (RDC, ex Zaïre) La pochette (de talith probablement) au nom de Abraham Hassoun qui contenait la Megillah d Esther Lettre de Mr l Adjudant Yves Boucher 2
Enfant j ai vu un film avec John Wayne. Il était sergent parachutiste dans le Pacifique. Son but était de sauver des civils. Mon père était plus d une fois médaillé pour 39-45.Dans la famille, agriculteurs, marins, docteurs, infirmières. Je voulais sauver les autres, comme eux. Sergent et parachutiste en mai 1976, c était fait. Février 1978 je suis le sous-officier radio de la 1 ère compagnie du 3ème RPIMA de Carcassonne partie en mission au camp De Gaulle de Libreville, au Gabon. Mai 78 je me prépare à fêter la Saint Yves avec des amis civils. Le 17 mai, alerte. Le 18 mai, avec d autres, prêt sur nos différentes bases de l Afrique du Nord-Ouest, direction Kinshasa sous l intention de Giscard d Estaing et la demande du Président zaïrois Mobutu. Le but, former un Etat-major. Le 19 mai, jour de ma fête, j assiste avec les hommes du 2 ème REP à un improbable «conseil de guerre». Mon matériel n est pas aérolargable. Je rejoindrai avec mes 2 hommes la Légion 3 jours et demi plus tard. La guerre et ses odeurs qui ne vous quittent plus jamais Quelques jours plus tard nous quittons une ville désertée ; surtout la mort ; pour nous replier «vainqueurs» sur Lubumbashi dotée de l aéroport suffisant pour nous rapatrier. L Etat-major dont je faisais parti en tant que «personnel rattaché» s installe sur une sorte de propriété, un club belge. Les transmetteurs non légionnaires sont logés dans ce qui servait de synagogue. Nous y dormons comme nous pouvons. Nous étions partis pour 3 jours. Des forces africaines viennent lentement pour la relève. Avec aussi peu de bravoure et de moral que les soldats belges qui nous avaient rejoints. Kolwezi ou Lubumbashi, les Européens nous demandent de l aide, de ne pas partir. Et d emmener ce qui commence à se faire piller. Dans ma Jeep, ramener de Kolwezi armes, munitions, grenades. Avec mon caporal, nous allons armer et instruire durant plusieurs jours plusieurs familles, dont l une qui m accueillera plus tard à Bruxelles. Dans la synagogue, bien peu de choses en état sinon cette Tora (1) et sa pochette. D éducation catholique, je n ai pas suivi cette voie, néanmoins, il ne me semblait pas possible que cela soit détruit ou volé. Je suis resté 29 jours qui angoissent encore certaines nuits. J ai aujourd hui presque autant de médailles que mon père, celle du Zaïre est ma fierté, et puis j ai passé trois années dans le Pacifique. Et partout je faisais suivre cet objet, elle me rappelait tant de choses. Aujourd hui il est temps de la rendre à qui de droit. J avais désiré la sauver, au bout de 38 ans c est fait. Je salue votre communauté qui saura la respecter comme je l ai fait toutes ces années. Adjudant Boucher Yves (ER) (1) Monsieur Boucher pensait qu il s agissait d une Torah. Nous avons respecté l orthographe qu il a utilisée. 3
La Bataille de Kolwezi (République démocratique du Congo, ex Zaïre) Il s agit d une opération aéroportée franco-belge aidée par l armée zaïroise. L ex Congo belge accède à l indépendance et prend le nom de République démocratique du Congo (capitale Kinshasa). De 1971 à 1997, ce pays change de nom et s appelle Zaïre. Dans ce vaste pays, riche en ressources minières, souvent en guerre depuis son indépendance, la province du Katanga ou Shaba (capitale Lubumbashi) se soulève en 1978 contre le pouvoir central. En mai plusieurs centaines d Européens sont pris en otages dans la ville minière de Kolwezi par les rebelles katangais. Plus d une centaine d Européens auraient été assassinés. Le Président Mobutu fait alors appel à la France et à la Belgique. Le président Giscard d Estaing prend de cours les autorités belges et décide d une intervention militaire aéroportée : le 19 mai 1978 «la Légion (2ème REP) saute sur Kolwezi». Les légionnaires sont rapidement rejoints par des parachutistes belges, puis par l armée zaïroise. La ville est sous contrôle en 48h. 2800 ressortissants étrangers sont libérés. Cinq soldats français et un parachutiste belge y ont trouvé la mort ainsi que 170 européens, 250 rebelles katangais et 700 civils africains. La présence juive au Congo (RDC) Les premiers juifs arrivent au Congo du temps de la colonisation belge, au tout début du XXe siècle, le plus souvent en provenance d Afrique du Sud. Ils s établissent essentiellement à Elisabethville (actuel Lubumbashi), capitale du Katanga, riche province minière. Ce sont pour la plupart des Ashkénazes originaires de Pologne, de Lituanie, de Roumanie et de Russie. L un d eux, Benjamin Granat y ouvre une boucherie ; un autre crée une imprimerie et fonde un journal «L Etoile du Congo». En 1909 est créée la «Congrégation israélite du Katanga» et le premier oratoire. Vers la même époque, un juif de Rhodes arrive au Congo et ouvre en 1904 un magasin à Elisabethville. Il fait venir dans les années 20 beaucoup d autres juifs également originaires de Rhodes, alors colonie italienne. Beaucoup d entre eux vont s installer tout le long du réseau ferroviaire alors en construction. Ils se consacrent au commerce et créent également des usines de textile et des minoteries, et jouent un rôle important dans le développement économique du Congo. Lors de la crise économique de 1929 de nombreux juifs Ashkénazes quittent le pays pour émigrer en Afrique du Sud ou en Rhodésie. Le Congo a alors une population juive essentiellement sépharade ; ils édifient une synagogue dans le centre ville d Elisabethville (synagogue qui existe toujours) et font venir un rabbin de Rhodes, Moïse Levy, qui servira la communauté pendant 53 ans. 4
La population juive au Congo va compter jusqu à 3000 membres, établis surtout à Elisabethville (où vivaient encore 2200 personnes en 1967), à Léopoldville (Kinshasa) et Luluabourg (Kananga) dans la province du Kasaï, au centre du pays, qui a compté jusqu à 300 âmes. A la suite des troubles survenus lors de l indépendance, puis des problèmes liés à la «zaïrianisation» voulue en 1973 par le président de l époque, le Maréchal Mobutu, de nombreux juifs émigrent, et finalement la plupart des communautés disparaissent lors des graves troubles de 1991-1993. La communauté de Kananga, au Kasaï, avait déjà disparu en 1975, et seule persistera celle de la capitale, Kinshasa. Il y avait 400 juifs en 1960, 750 en 1985 du fait de l arrivée de juifs fuyant le Katanga. Une synagogue fut construite à Kinshasa en 1987 sur un terrain offert par le président Mobutu, mais depuis les pillages de 1991-1993, il n y a plus que 200 juifs au Congo, principalement regroupés dans la capitale, avec un seul rabbin, Shlomo Bentolila, du mouvement loubavitch, en place depuis 1992. On connaît des «enfants naturels» de juifs du Congo. Certains ont joué un rôle important dans l histoire congolaise. C est le cas de Kengo wa Dondo, né Léon Lubicz, ancien Chef du gouvernement et Président du Sénat, et dont le père était un médecin d origine polonaise, et de Moïse Katumbi Chapwe, fils d un juif de Rhodes, et ancien gouverneur du Katanga. Et n oublions pas le créateur de mode, Olivier Strelli, né Nessim Israël, fils d un juif de Rhodes dirigeant d une usine textile, né en 1946 à Kinshasa et qui vit actuellement à Bruxelles. Sa fille, Mélissa Israël est présentatrice sur TéléBruxelles. Serge Hannoun 5