Géopolitique de la dette américaine Par Rébecca Palanee Présentation du problème géopolitique En réponse à leur dette grossissante, les États-Unis émettent des obligations gouvernementales, des titres de créances appelés bons du Trésor, qui leur permettent d emprunter de l argent sur le marché monétaire à court terme 1. Les bons du Trésor attirent énormément d acteurs financiers à travers le monde, car ils sont considérés comme une valeur refuge 2. En effet, puisque l économie américaine est reconnue comme étant la plus solide au monde, la dette américaine est considérée comme étant virtuellement sans risques, c est-à-dire que la probabilité que le gouvernement américain ne rembourse pas sa dette est considérée nulle. Cependant, comme l indique la carte à ce sujet, malgré leur savoirfaire financier, les États-Unis effectuent des transactions en provenance de paradis fiscaux. Parmi les paradis fiscaux qui transigent la dette américaine, seuls ceux des Caraïbes sont répertoriés sur la carte. Cependant, en réalité, ils ne sont pas les seuls avec qui fait affaire la première puissance mondiale. Les 1 Portail de la finance et de l investissement. 2012. «Définition bon du trésor». En ligne. http://www.trader-finance.fr/lexiquefinance/definition-lettre-b/bon-du-tresor.html (Consulté le 29 novembre 2012.) 2 Malti, Djallal. 2011. «La dette américaine reste une valeur refuge malgré sa dégradation par S P». AFP. En ligne. http://library.eureka.cc.res.banq.qc.ca/webpages/search/result.aspx. (Consulté le 28 novembre 2012.) Collège Jean de Brébeuf Automne 2012 1
paradis fiscaux sont partout. Plusieurs pays démontrent la présence de cette économie informelle à l intérieur même de leurs territoires. C est notamment le cas des États-Unis, du Canada, du Luxembourg, de Singapour, de la Suisse, du Royaume-Uni, des Bermudes, de l Irlande, de l Australie, de l Allemagne, de la France, de la Belgique, du Japon, des Pays-Bas et du Mexique 3. Actuellement, la moitié des prêts internationaux découleraient de banques installées dans des paradis fiscaux et la moitié des dépôts internationaux iraient vers ces mêmes destinations 4. Autour de 60% du commerce mondial se ferait via les multinationales qui, elles, réduisent leur note fiscale en déplaçant leurs capitaux d un territoire à l autre 5. Les paradis fiscaux sont, de manière générale, des pays peu réglementés dans lesquels des résidents étrangers, des individus à la fortune colossale ou des entreprises ouvrent des comptes à l abri de l impôt et où le gouvernement ne risque pas d y mettre le nez. La souveraineté de ces pays leur permet d ajuster les lois (ou d être exemptés des lois) pour répondre aux demandes de leurs clients 6. Dans les centres financiers offshores, le niveau de confidentialité par rapport aux transactions est démesuré : les impôts sont faibles 3 Chavagneux, Christian et Ronen Palan. 2012. Les paradis fiscaux. 3 e édition. Paris : Collection Repères, p.19. 4 Ibid, p. 14-15. 5 Shaxson, Nicholas. 2012. Les paradis fiscaux : enquête sur les ravages de la finance néolibérale. Londres : André Versaille éditeur, p.384. 6 Chavagneux, Christian et Ronen Palan, p.10 Collège Jean de Brébeuf Automne 2012 2
ou inexistants. Des entreprises dont le siège social est ailleurs ne paient peu ou pas d impôt elles aussi 7. Les paradis fiscaux nuisent énormément à l économie mondiale. Leur existence affecte à la fois les pays en développement et les nations les plus riches, car ils détournent des recettes fiscales qui devraient revenir aux pays impliqués dans les transactions ou la production 8. Les paradis fiscaux pourraient être considérés comme l une des pires plaies mondiales, car «i ls affaiblissent les gouvernements élus, sapent la base fiscale des États et corrompent la vie politique 9.» Le gouvernement américain soutient qu il tente de repérer d importants paradis fiscaux dans le monde dans le but d y mettre fin. En réalité, il ne fait que les alimenter. Il supporte, en agissant ainsi, une importante économie criminelle (les réseaux de blanchiment d argent font appel aux mêmes techniques de dissimulation que les fraudeurs fiscaux), qui nuit d ailleurs de manière significative au système financier américain 10. Analyse du problème L impôt est indispensable à une société, car il permet d offrir des services essentiels aux membres qui la composent. L impôt sert, entre autres, à financer les dépenses publiques. Il est perçu pour offrir à la population des services scolaires, des soins de santé, des infrastructures, pour financer l armée et la police, etc. L état redistribue de plus l argent à des particuliers, à des personnes dans 7 Ibid, p.7-9. 8 Shaxson, Nicholas, p.381. 9 Ibid, p.395. 10 Chavagneux, Christian et Ronen Palan, p.74. Collège Jean de Brébeuf Automne 2012 3
le besoin qui bénéficient de l aide sociale ainsi qu à des entreprises au moyen de diverses subventions. L impôt permet de diminuer les inégalités. Il permet également d orienter l économie 11. Cependant, la somme des impôts des riches a considérablement baissé au cours des dernières années. Par exemple, en 2001, sous le gouvernement Bush, le taux d imposition est passé de 39,6% à 35% pour les ménages dont le salaire s élevait à plus de 250 000 $, et de 37% à 33% pour la catégorie suivante. En ce qui a trait aux entreprises, le taux d imposition est passé de 21,4% en 2001 à 17,2% en 2003. Les réductions d impôts effectuées sous l administration de George W. Bush s élèvent sur dix ans à 2300 milliards de dollars 12. Or, une diminution de l impôt a conduit inévitablement à une baisse de la protection sociale et à un accroissement des déficits publics, donc, de la dette 13. L existence des paradis fiscaux ne date pas d hier. Les autorités étatsuniennes sont même à l origine de la création de certains paradis fiscaux. À compter des années 1950-60, les banques américaines ont commencé à chercher des moyens de contourner la réglementation instaurée suite à la crise de 1929 en établissant des 11 s.a., s.d. «À quoi sert l impôt?». Attac. En ligne. http://local.attac.org/13/arles/diapoimpot.pdf (Consulté le 28 novembre 2012.) 12 Bourdeau, Réjean. 2004. «La Bourse préfère George W. Bush». La Presse. En ligne. 16 octobre, p.13. In Biblio-branchée. s.l. http://library.eureka.cc.res.banq.qc.ca/webpages/search/result.aspx#. Consulté le 29 novembre 2012. 13 Frémeaux, Philippe et Louis Maurin. 1999. «À quoi servent nos impôts?». Alternatives économiques. En ligne. (Octobre). http://www.alternatives-economiques.fr/a-quoi-servent-nos-impots- _fr_art_129_12999.html. Consulté le 28 novembre 2012. Collège Jean de Brébeuf Automne 2012 4
filiales offshores 14. En 1980 est fondée l International Banking Facility, une disposition légale qui propose aux résidents américains d avoir accès à des services offshores, c est-à-dire à l extérieur de leur territoire. Il s agit d une juridiction qui ne perçoit peu ou pas d impôts sur les revenus des capitaux 15. D autre part, au cours de la même période, l essor des technologies de l information a grandement contribué à favoriser l organisation et l utilisation des réseaux de paradis fiscaux en rendant plus facile la circulation de l argent, notamment par internet 16. Cependant, en 1998, le Comité des affaires fiscales de l OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) a tenté d établir une liste noire des pays qui favorisent et utilisent les paradis fiscaux pour leur imposer plus de réglementations afin de mettre fin au problème. Quarante-deux pays ont été identifiés, puis partagés en trois groupes de manière à évaluer ceux qui présentent un plus haut niveau de risque. Un Forum de stabilité financière est également créé en 1999 dans le but de construire une nouvelle architecture financière internationale. Cependant, toutes les contributions mises en place pour enrayer les paradis fiscaux se sont rapidement effondrées lors de l arrivée de Bush au pouvoir 17. Parmi ces nombreux faux pas, en 2004, le président des États-Unis a adhéré à une amnistie fiscale, c est-à-dire qu il a fixé, pendant un an, un taux d imposition de 5,25% à la place de 35% à des multinationales qui détournaient une part de leurs profits vers des 14 Chavagneux, Christian et Ronen Palan. p.61. 15 Ibid, p.9. 16 Ibid, p.77. 17 Chavagneux, Christian et Ronen Palan. p.83-85. Collège Jean de Brébeuf Automne 2012 5
paradis fiscaux, et qui avaient prévu de les récupérer aux États- Unis 18. Les hommes politiques doivent être vigilants. Les paradis fiscaux sont devenus le refuge du capital financier. En lui permettant de fuir la réglementation et l imposition, ils ont nettement contribué à endetter les États-Unis 19. D autre part, le fait que les paradis fiscaux soient largement utilisés en dit beaucoup sur la façon dont le pouvoir politique et économique fonctionne dans le monde aujourd hui. Les paradis fiscaux donnent la possibilité aux plus riches de conserver leurs privilèges sans qu il n y ait pour cela une raison valable. Ils creusent les écarts entre les riches et les pauvres, puisque ceux qui ont moins d argent n ont pas accès aux mêmes avantages 20. Énormément d Américains vivent dans des conditions précaires et dépendent en partie de l aide sociale pour vivre. Selon le recensement effectué au pays en 2011, 49% des Américains vivraient dans un foyer où au moins un des membres reçoit d une façon ou d une autre l aide de l État ; 26,4% vivraient dans un foyer où au moins une des personnes bénéficie de l assurance maladie pour les plus démunis (le Medicaid). Ensuite, 15,8% des Américains vivraient dans une famille où au moins une des personnes touche des bons alimentaires (food stamps). Par ailleurs, 18 Ibid, p.18. 19 Shaxson, Nicholas. p.382. 20 Ibid, p.381. Collège Jean de Brébeuf Automne 2012 6
depuis 2009, le taux de chômage n aurait pas descendu en bas de 8% 21. Les gens qui trempent dans la corruption agissent toujours en secret contre le bien commun. Cela diminue la confiance du public et vient modifier l idée selon laquelle les institutions auraient été fondées au nom de l intérêt collectif. Bon nombre des services que les paradis fiscaux offrent à leurs clients ont les mêmes effets que les pots-de-vin. Ils leur permettent par exemple d éviter des obstacles bureaucratiques. Les pots-de-vin corrompent et pourrissent les États au même titre que les paradis fiscaux qui corrompent le système financier 22. Propositions Pour redresser l économie, les dirigeants politiques devraient promouvoir la transparence, quitte à dévoiler au grand jour les résultats des bénéfices accumulés par les multinationales. Cette mesure doit autant s appliquer aux entreprises qu aux banques. Le partage d information, d un pays à l autre doit se faire sur la même base. Il faut faire des réformes fiscales : «L impôt ne doit plus être envisagé comme un coup pour l actionnaire, qu il faut minimiser, mais comme un dividende à distribuer à la société 23». La dette américaine pourrait même être réduite par une augmentation de l impôt. Cependant, avant d en venir à une telle 21 Bussard, Stéphane. 2012. «Qui sont les 47% d assistés de Mitt Romney?». Le Temps. En ligne. 20 septembre. In Biblio-branchée. s.l. http://library.eureka.cc.res.banq.qc.ca/webpages/search/result.aspx. Consulté le 28 novembre 2012. 22 Ibid, p.392. 23 Shaxson, Nicholas. p.391. Collège Jean de Brébeuf Automne 2012 7
mesure, il serait bien d essayer de récupérer l argent de ceux qui ont fui l impôt. Au lieu de continuer de pratiquer un libéralisme déréglementé qui ne profite qu aux riches, les États-Unis devraient songer à avoir un contrôle étatique plus fort 24. Le gouvernement américain devrait indiquer dans sa constitution que l évasion fiscale est considérée comme une infraction semblable au blanchiment d argent et que, par conséquent, elle devrait être sanctionnée selon les mêmes dispositifs. L évasion fiscale pourrait d autre part être évoquée dans les conventions internationales, tout comme en ce qui a trait à la corruption dont il a été question à la Convention des Nations Unies 25. D autre part, le problème d évasion fiscale peut amener des problèmes de sécurité aux États-Unis ainsi qu ailleurs dans le monde. Les paradis fiscaux sont des lieux fréquentés par des marginaux, mais également par des criminels et des terroristes. Certains y font appel pour mettre de l argent de côté pour leur retraite, alors que d autres les utilisent pour pouvoir poursuivre leurs activités illégales. Plusieurs banques à Dubaï ont, par ailleurs, été identifiées comme des centres offshores qui ont servi à financer le réseau terroriste d Al-Qaïda 26. Il est évident, cependant, que le fait d avoir un président compétent à la tête du pays va pouvoir aider les États-Unis à progresser. Barack Obama a déjà exprimé à la communauté internationale 24 Cretin, Thierry. 2009. «Les paradis fiscaux». Études. En ligne. s.d. In Biblio-branchée. s.l. http://www.cairn.info.res.banq.qc.ca/revue-etudes- 2009-11-page-439.htm. Consulté le 29 novembre 2012. 25 Ibid, p.394. 26 Chavagneux, Christian et Ronen Palan. p.75 Collège Jean de Brébeuf Automne 2012 8
qu il envisageait de lutter contre les paradis fiscaux. En mars 2010, il a fait voter la nouvelle loi FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act). Celle-ci impose aux établissant financiers étrangers de dévoiler au gouvernement l identité de tous les clients américains avec lesquels ils font affaire. À partir de 2013, tous ceux qui n appliqueront pas la loi FATCA seront contraints de payer une taxe punitive de 30% sur leurs revenus 27. Bibliographie Livres Chavagneux, Christian et Ronen Palan. 2012. Les paradis fiscaux. 3 e édition. Paris : Collection Repères, 125 p. Shaxson, Nicholas. 2012. Les paradis fiscaux : enquête sur les ravages de la finance néolibérale. Londres : André Versaille éditeur, 447 p. Documents électroniques Bourdeau, Réjean. 2004. «La Bourse préfère George W. Bush». La Presse. En ligne. 16 octobre, p.13. In Biblio-branchée. s.l. http://library.eureka.cc.res.banq.qc.ca/webpages/search/result.aspx#. Consulté le 29 novembre 2012. Bussard, Stéphane. 2012. «Qui sont les 47% d assistés de Mitt Romney?». Le Temps. En ligne. 20 septembre. In Biblio-branchée. s.l. http://library.eureka.cc.res.banq.qc.ca/webpages/search/result.aspx. Consulté le 28 novembre 2012. 27 Ibid, p.103 Collège Jean de Brébeuf Automne 2012 9
Cretin, Thierry. 2009. «Les paradis fiscaux». Études. En ligne. s.d. In Biblio-branchée. s.l. http://www.cairn.info.res.banq.qc.ca/revue-etudes- 2009-11-page-439.htm. Consulté le 29 novembre 2012. Frémeaux, Philippe et Louis Maurin. 1999. «À quoi servent nos impôts?». Alternatives économiques. En ligne. (Octobre). http://www.alternatives-economiques.fr/a-quoi-servent-nos-impots- _fr_art_129_12999.html. Consulté le 28 novembre 2012. Malti, Djallal. 2011. «La dette américaine reste une valeur refuge malgré sa dégradation par S P». AFP. En ligne. http://library.eureka.cc.res.banq.qc.ca/webpages/search/result.aspx. Consulté le 28 novembre 2012. Portail de la finance et de l investissement. 2012. «Définition bon du trésor». En ligne. http://www.trader-finance.fr/lexiquefinance/definition-lettre-b/bon-du-tresor.html Consulté le 29 novembre 2012. s.a., s.d. «À quoi sert l impôt?». Attac. En ligne. http://local.attac.org/13/arles/diapoimpot.pdf Consulté le 28 novembre 2012. Collège Jean de Brébeuf Automne 2012 10