LES ARRETS DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L HOMME CLEFS DE LECTURE ARRET R.C. ET V.C. C. FRANCE (req. n 76491/14), le 12 juillet 2016 http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-164685 ARTICLE 3 Interdiction de la torture ARTICLE 5 1 et 4 Droit à la liberté et à la sûreté ARTICLE 8 Droit à la vie privée et familiale Dans l affaire R.C. et V.C. c. France, une ressortissante roumaine condamnée pénalement (la requérante) et son enfant (le requérant) font l objet d une mesure d éloignement du territoire français. Elles remettent en cause le fondement de leur détention et sa nécessité. La Cour européenne des droits de l homme (la Cour) juge que la proximité du centre de rétention d un aéroport s analyse en une violation de l article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l homme et des libertés fondamentales (la Convention) pour l enfant. Cependant, la Cour estime que les autorités françaises ont recherché des alternatives à la rétention afin de prévenir les conséquences néfastes que cela aurait sur la vie familiale des requérants, et, qu en tout état de cause, ces derniers ont pu contester effectivement cette décision devant les juridictions françaises. La durée de détention est imputable aux autorités roumaines, qui ont mis deux semaines à délivrer un laissez-passer consulaire permettant de renvoyer les requérants en Roumanie.
Une ressortissante roumaine est LES FAITS arrêtée et placée en détention provisoire quelques mois après son arrivée en France, car elle est accusée d avoir commis des infractions pénales. Son enfant naît en détention. Le tribunal correctionnel condamne la requérante à trois ans d emprisonnement dont six mois avec sursis et à une peine d interdiction du territoire français de dix ans. Le préfet ordonne le placement en rétention de la requérante, accompagnée de son enfant. La requérante conteste la décision du LA PROCEDURE SUIVIE préfet devant le tribunal administratif, DEVANT LES JURIDICTIONS qui rejeta sa requête. Le juge des FRANÇAISES libertés et de la détention, saisi par le préfet, ordonne la prolongation de la rétention de la requérante, accompagnée de son enfant. L ordonnance de prolongation de la rétention fut confirmée par la Cour d appel, aux motifs que, bien que la mère fasse seule l objet du placement en rétention, l enfant ne peut, au regard de son âge, qu accompagner celle-ci. La prolongation du maintien en rétention est donc justifiée. Selon la Cour administrative d appel, aucun des éléments fournis par la requérante (condamnation pénale, revenus, absence d hébergement, volonté de ne pas retourner dans son pays) ne permettaient de conclure qu une mesure moins attentatoire aux libertés, telle que l assignation à résidence, était possible. Faisant suite à une demande de mesures provisoires par la requérante, la CEDH exige de la France qu elle prenne les mesures nécessaires pour s assurer que la détention de la requérante et du requérant soit compatible avec les critères dégagés dans sa jurisprudence. Le préfet a par conséquent mis fin à la rétention de la requérante en l assignant à résidence dans un hôtel. Quelques jours plus tard, la requérante et le requérant seront éloignés vers la Roumanie.
Devant la Cour, les requérants allèguent SUR LE FOND de violations de l interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (art. 3), de leur droit à la liberté et à la sûreté (art. 5, 1, f) et de leur droit d habeas corpus (art. 5, 4) et de leur droit à la vie privée et familiale (art. 8). Sur la violation alléguée de l article 3 de la Convention Pour la requérante, le centre de rétention n était pas adapté à l accueil des enfants. Il est dépourvu de véritable espace de loisirs ou d éducation à destination des enfants, qui doivent se contenter d une petite cour, et la pièce dédiée aux familles est inadaptée à sa destination. De plus, l enfant courrait un risque d atteinte physique et psychologique en raison d une exposition à de fortes nuisances sonores générées par les appels incessants des hauts parleurs du centre et par le trafic des pistes de l aéroport de Toulouse situé à proximité immédiate du centre. Trois facteurs permettent de conclure à la violation de l article 3 : le bas âge des enfants, la durée de leur rétention et le caractère inadapté des locaux concernés à la présence d enfants. La Cour constate que le centre en question était habilité par les autorités à recevoir des familles, lesquelles sont séparées des autres, retenues dans des chambres spécialement équipées avec du matériel de puériculture adapté. Cependant, la Cour constate que le centre de rétention est exposé à des nuisances sonores particulièrement importantes qui ont conduit au classement du terrain en «zone inconstructible». À ce titre, les enfants, pour lesquels des périodes de détente en plein air sont nécessaires, sont particulièrement soumis à ces bruits d une intensité excessive. De plus, l organisation du centre a pu avoir un effet anxiogène sur l enfant de la requérante. La Cour affirme qu une rétention de brève durée dans les circonstances de l espèce n atteint pas le seuil de gravité de l article 3. En l espèce, la Cour conclut néanmoins que cette brève période a été dépassée, s agissant de la rétention d un enfant de deux ans qui s est prolongée pendant dix jours dans des conditions engendrant «la répétition et l accumulation de ces agressions psychiques et émotionnelles», ayant «nécessairement des conséquences néfastes sur un enfant en bas âge» ( 39). Il y a donc violation de l article 3.
Sur la violation alléguée de l article 5, 1 et 4 de la Convention Selon la requérante, le placement en rétention administrative de son enfant est contraire à l article 5, 1, f) car il n existe aucune base légale en France à cette fin. En effet, le droit français interdit les mesures d éloignement contre les mineurs, ce qui sous-entendrait que l édiction d une mesure de rétention des mineurs afin de les éloigner du territoire serait impossible. De plus, la requérante expose que puisque son enfant ne faisant l objet ni d un arrêté d expulsion ni d un arrêté de placement en rétention, elle n avait aucun recours à sa disposition pour contester sa privation de liberté, ce que s analyserait en une violation de l article 5, 4. La Cour rappelle que toute privation de liberté doit avoir respecté «les voies légales» et été «régulière». Elle constate qu en France, il n existe aucun texte déterminant les conditions dans lesquelles la présence en rétention des enfants est possible : seule la mère faisait l objet d une mesure d éloignement et d un arrêté ordonnant son placement en rétention. La Cour observe également qu il convient, dans toute la mesure du possible et conformément à l intérêt supérieur des enfants, de ne pas séparer ceux-ci de leurs parents. Ainsi, lorsque les parents sont placés en rétention, les enfants sont eux-mêmes de facto privés de liberté, dans un cadre «gravement préjudiciable» aux enfants puisque «source d angoisse et de tensions» ( 55). En l espèce, la Cour note que les autorités françaises ont examiné la possibilité de prendre une mesure moins coercitive avant de décider du placement en rétention de la famille, et ont motivé leur décision au regard de plusieurs facteurs objectifs (cf. supra). Par conséquent, il n y a pas violation de l article 5, 1. Selon la Cour l article 5, 4 ne garantit pas le droit à un contrôle juridictionnel habilitant le tribunal à se substituer aux autorités sur l ensemble des éléments de la cause, ce qui s analyserait en un contrôle de pure opportunité. Cependant, le contrôle doit être assez ample pour s étendre «à chacune des conditions indispensables à la régularité de la détention d un individu». En l espèce, la Cour d appel a pris en compte la présence de l enfant, et a recherché s il était possible de recourir à une mesure alternative à la détention. Après avoir constaté que la requérante avait été condamnée pénalement, qu elle était très mobile et qu elle avait déclaré ne pas souhaiter retourner en Roumanie, la Cour d appel a conclu qu une assignation à résidence ne permettrait pas de prévenir efficacement le risque de fuite. Partant, les juridictions internes ont recherché si une mesure moins coercitive pouvait être mise en œuvre. La requérante a donc pu bénéficier d un recours au sens de l article 5, 4.
Sur la violation alléguée de l article 8 de la Convention La requérante soutient que le placement en rétention dont les requérants ont fait l objet n était pas «nécessaire», et que l assignation à résidence aurait été parfaitement adaptée à leur situation. La Cour commence par affirmer que la situation des requérants relève du droit à la vie familiale, et que le placement en rétention s analyse comme une ingérence dans l exercice du droit consacré par l article 8. Cette ingérence enfreint la Convention, sauf si elle est «prévue par la loi», si elle poursuit des buts légitimes, et si elle est «nécessaire dans une société démocratique» pour les atteindre. En l espèce, il existe une base légale à la détention de la mère : l article L. 554-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA). L ingérence poursuit le but légitime de «la lutte contre l immigration clandestine et du contrôle de l entrée et du séjour des étrangers sur le territoire» ( 75). La Cour s interroge ensuite sur la justification de l ingérence par un «besoin social impérieux» ( 76) proportionné au but poursuivi. Ici, l enfermement doit être proportionné au but poursuivi, à savoir l éloignement des requérants. Trois éléments servent au contrôle de proportionnalité : (i) le risque de fuite des requérants ; (ii) la recherche d une alternative à la détention ; (iii) la mise en œuvre des diligences nécessaires pour exécuter au plus vite la mesure d expulsion et limiter le temps d enfermement. En l espèce, la Cour confirme l appréciation portée par les autorités nationales sur les risques de fuite et sur l impossibilité de recourir à une mesure alternative à la rétention. De plus, le laissez-passer consulaire a été sollicité par le préfet auprès des autorités roumaines le jour même du placement en rétention. Le maintien en rétention est seulement dû au fait que les autorités roumaines aient mis deux semaines à délivrer le laissezpasser. Par conséquent, il n y a pas violation de l article 8.
SOLUTION APPORTEE PAR LA COUR l article 8 de la Convention. La Cour conclut à l unanimité qu il y a eu violation de l article 3 à l égard du requérant mais qu il n y a pas eu violation de l article 5 1 et 4 ni de Avertissement Ce document a été écrit par le Secrétariat général de la Commission nationale consultative des droits de l homme, et n est pas un document officiel de la Cour européenne des droits de l homme. Il s inscrit dans les missions de la CNCDH d éducation et de suivi du respect de ses engagements internationaux par la France.