TRADUIRE CE NOM. Je reprends le texte du séminaire Les NON-DUPES ERRENT :

Documents pareils
Richard Abibon. «Le sujet reçoit de l Autre son propre message sous une forme inversée»

Lucile Cognard. S identifier à son symptôme

Service en ligne Obligation de retenue (Articles 30bis et 30ter)

ADAPTATION DES OBLIGATIONS RELATIVES AU BIEN-ETRE DES INTERIMAIRES

Annie Claude Sortant-Delanoë. L angoisse, nécessité logique entre jouissance et désir

Avant-propos. Marc Strauss. Respect versus amour. Forum envers de l'ecole - 10 juin 1999

PLAN DE LA CONFERENCE

DIU Soins Palliatifs et d Accompagnement.

LES APPRENTISSAGES DES ELEVES Qu est-ce qu apprendre?

O I L V I E V R AIME SA FM

La satisfaction de fin d analyse : une rencontre particulière avec le réel*

Instructions administratives relatives au site web CHECKDOC et à l application DOCSTOP

TARIFS MÉDIATION FAMILIALE CONVENTIONNELLE

Le guide s articule autour de quatre thèmes, qui sont incontournables pour bien documenter une situation d aliénation parentale ou de risque:

Internet et les nouvelles technologies : «Surfer avec plaisir et en sécurité»

La nouvelle architecture de contrôle du secteur financier

Google fait alors son travail et vous propose une liste de plusieurs milliers de sites susceptibles de faire votre bonheur de consommateur.

Big Data et entrepôt de données Cloud Exploitez-vous le potentiel de vos données?

Garde des enfants et droit de visite

Demande d accès aux données de la Banque-Carrefour des Entreprises et de la base de données «Activités ambulantes et foraines»

III MEMBRES I BUTS II SIÈGE

Savoirs professionnels en classe de lecture littéraire à l école

GUIDE POUR LA MISE SUR LE MARCHÉ DE DISPOSITIFS MÉDICAUX SUR MESURE APPLIQUE AU SECTEUR DENTAIRE

A vertissement de l auteur

Protection individuelle

L Essentiel des Règles de jeu du GN Version 2014-finale

Obligation de publication des comptes annuels et consolidés de sociétés étrangères

Équilibre entre vie professionnelle et vie privée

Déclarations anticipées concernant mes soins de santé et ma fin de vie

Séminaire «L éducation non formelle, un projet pour les habitants dans la cité»

1 - Connexion au service de gestion des demandes informatiques du lycée

Deux destins pour le sujet : identifications dans la névrose et pétrification dans la psychose

NOUVEAUTÉS POUR L ANNÉEE 2014

Jean-Jacques Gorog. La dritte Person*

INTERNET ET LA LOI. Marie-Ange CORNET (CAL/Luxembourg)

Charte de déontologie SMS+ applicable au 01/10/2013

Circonscription de. Valence d Agen

Changer de nom ou de prénom

Fiche d animation n 1 : Pêle-mêle

Photos et Droit à l image

Normes de référence. Comparaison. Commande cognitive Sentiments épistémiques Incarnés dépendants de l activité

eduscol Ressources pour la voie professionnelle Français Ressources pour les classes préparatoires au baccalauréat professionnel

CÉLÉBRATION PÉNITENTIELLE 2011 COMMISSARIAT DE TERRE SAINTE AU CANADA

GUIDE PRATIQUE. Droit d accès

LE CONTENU DES MODALITÉS DE SERVICE

COACH ME if you can! par Christine Thioux Administrateur-Directeur d A-Th & Associates

Reconnaissance et pacification

L égalité femmes-hommes dans le développement : alibi ou réalité? Claudine Drion Le Monde selon les femmes

CONDITIONS D UTILISATION DU SITE

Stromae Alors on danse

Local de retrait PASS

Vivre seul : quelques détails pratiques!

Décrets, arrêtés, circulaires

Numéro du rôle : Arrêt n 121/2002 du 3 juillet 2002 A R R E T

N IMPRIMER PAS CE DOCUMENT, VOUS POURREZ LE CONSULTER DURANT L INSTALLATION

COMMENTAIRE DU FORMULAIRE DE DEMANDE 2015

2010/2011 MASTER 2 SPECIALITE 8 MEF (IUFM/UPV/INSHEA)

LA FORME PRESENTATION TYPE. La lettre de motivation ALTEDIA LEE HECHT HARISSON Prénom NOM Adresse. Tél : Société Adresse.

Accueil des PC. Le Parent correspondant. Le parent correspondant au collège. Vérifier vos coordonnées Emarger Prendre un café, un thé

(la Société ) I. ASSEMBLEE GENERALE ORDINAIRE

Lignes. directrices. droits. d enfants. d accès. Pour l expertise en matière de garde. et des. février 2oo6

Liste des règles 1. Texte original. (Etat le 1 er septembre 2008)

LE PERMIS D'ENVIRONNEMENT - CLASSE 3

PRESENTATION DES RECOMMANDATIONS DE VANCOUVER

Gérer sa e-reputation

COMMUNICATION N D. 134

Grands principes du droit du divorce

Guide du Président de commission de district

Le film Nouveau en Suède / Nouveau à l Agence pour l emploi

COMMENT PARLER DES LIVRES QUE L ON N A PAS LUS?

Quand les enfants apprennent plus d une langue

La restauration scolaire

DIRECTIVE SUR L UTILISATION DES OUTILS INFORMATIQUES, D INTERNET, DE LA MESSAGERIE ELECTRONIQUE ET DU TELEPHONE ( JUIN V.1.

CIRCULAIRE N 1668 DU 27/10/2006. Tous réseaux

Dans une étude, l Institut Randstad et l OFRE décryptent le fait religieux en entreprise

Regard critique de D.E.I.-France sur le 2 rapport de la France relatif à l application de la CIDE. Genève le 6 février 2004

Parent avant tout Parent malgré tout. Comment aider votre enfant si vous avez un problème d alcool dans votre famille.

CAISSE D ÉCONOMIE SOLIDAIRE DESJARDINS

Lecture critique et pratique de la médecine

Dans l Unité 3, nous avons parlé de la

MODE D EMPLOI

Est-ce que les parents ont toujours raison? Épisode 49

GUIDE D INSCRIPTION EN COMPTE DES TITRES DES SOCIÉTÉS QUI DEMANDENT LEUR ADMISSION EN BOURSE

Informations générales Assurance Auto ING

Proposition d assurance Flexibel Junior Saving

DESCRIPTION ET EXEMPLES DE COLLECTEUR DE FONDS EN LIGNE ET HORS LIGNE

Jean Allouch. L amour Lacan. EPEL, 2009, 467 p.

Education, visions d'un monde

Exercices L2 : Les lettres officielles. Plouaret, le 20 octobre Mme la Directrice Restaurant les quatre flots 25 rue des alouettes LANNION

Consignes pour les travaux d actualité Premier quadrimestre

Qu est-ce qu une bonne candidature? La lettre de motivation

La Bibliothèque municipale a pour mission de contribuer aux loisirs, à l information, à l éducation et à la culture de tous.

Règlement intérieur du Conseil d administration

Parcours de formation. Coach. Et si vous pouviez accompagner vos clients ou vos collaborateurs par le coaching?

CONSULTATIONS COMMUNAUTAIRES

Commission d éthique pour les télécommunications

INSCRIPTION DES ETUDIANTS NON- RESIDENTS EN BELGIQUE

B. L ENGAGEMENT DE PRISE EN CHARGE COMME PREUVE DE MOYENS DE SUBSISTANCE SUFFISANTS (Annexe 3bis)

Présentation du Séminaire VI par Jacques-Alain Miller

CAHIER DES CHARGES Pour la mise en œuvre d une maison de santé pluridisciplinaire En Lot-et-Garonne

Transcription:

1 TRADUIRE CE NOM Anne Joos de ter Beerst Dans la leçon X du séminaire LES NON-DUPES ERRENT, Lacan nous dit qu il voudrait nous montrer comment se monnaie ce NOM, le NOM du PÈRE. «Se monnaie», nous pouvons déjà y entendre la question du prix, du prix à payer, mais aussi la question de l échange, échange introduit par ce terme de monnayer, terme qui renvoie à comment y entrer dans cette économie de l échange dont Lacan nous parle déjà dans le séminaire V : LES FORMATIONS DE L INCONSCIENT, quand il aborde la question de la femme et de la signifiance du phallus. A ce moment de son enseignement Lacan précise que le phallus est à concevoir comme le «signifiant de la distance de la demande du sujet à son désir», et l entrée dans le cycle signifiant permet pour une femme d entrer «dans une dialectique déterminée de l échange». (leçon du 12 mars 1958) Je reprends le texte du séminaire Les NON-DUPES ERRENT : «Pour porter ce NOM, il ne suffit pas que la mère parle, mais il faut qu elle le dise ce NON» Il fait référence à tout ce qu il a souligné dans les leçons qui précèdent à propos du dire, «du dire comme évènement». Nous ne sommes pas sans savoir, et Lacan le souligne d une façon tout à fait explicite, que pour un enfant c est tout autre chose de s entendre dire NON, que de devoir deviner dans les énervements, les excès ou les cris de la mère que quelque chose ne va pas.

2 La clinique avec les enfants, et pas seulement les enfants, et très éclairante à ce propos, et ce que nous pouvons penser c est que dans le premier cas, il est fait offre d un signifiant adressé à l enfant, tandis que dans le second cas il s agit d un signe, qui ne dit rien, qui montre un énervement et qu il faut décoder, deviner et comme on sait dans le jeu des devinettes souvent on se trompe, ou on est trompé. Le «Dire Non», s il est un signifiant, il n y aura pas à le comprendre, par contre il introduit l enfant à ce qui mène la mère (ou le père) et qui est donc de l ordre de la structure du signifiant, et que donc ce qui le mène cet enfant est aussi de l ordre du signifiant. (Introduire est ici à entendre au sens d introduction, de ce qui fait entrer dans ) Je reprends le texte du séminaire LES NON-DUPES ERRENT. Car il y a un passage qui m a arrêté puis interpellé par sa condensation et le changement de registre qu il opère. «La mère par laquelle la parole se transmet, la mère, il faut bien le dire, en est réduite, ce Nom, à le traduire par un Non, justement, le non que dit le père. Ce qui nous introduit au fondement de la négation.» Ma question est alors la suivante : comment penser cette traduction, dès lors que le Nom-du-Père est un signifiant intraduisible, un signifiant qui transmet le refoulement et la castration? Quand la mère traduit le Nom par un Non, une lettre change, un changement de lettre opère, c est le non que dit le père et qui monnaye par sa voix, la voix de la mère, la voix de l Autre qu elle incarne, un certain nombre d interdictions. Elle acte par ce dire l interdit auquel elle est elle-même soumise et se soumet, le «tu ne réintègreras pas ton produit» que Lacan évoque déjà dans ce même séminaire V, Les Formations de l Inconscient. En 1958 il ajoute que l interdit paternel est présent sous une forme médiée dans le discours de la mère, «c est un ne-pas qui se transmet au niveau ou l enfant reçoit le message attendu de la mère». (p.228, séminaire ALI) Ce «Dire Non» est donc la rencontre avec ce que Lacan appelle l articulation signifiante. Si le signifiant est ce qui représente le sujet pour un autre signifiant,

3 ici il représente cette femme pour un autre, il articule la relation de cette femme à ce qui l unit au père de son enfant, à son homme. Traduire c est alors nouer dans un dire. C est à partir de là, me semble-t-il qu on peut penser aussi la réduction dont parle Lacan. «Elle en est réduite à», peut s entendre comme le fait qu à cet endroit-là la question de sa propre subjectivité n apparait pas. Si elle ne peut supporter cette réduction, ce serait parce qu elle-même tiendrait le phallus. Si elle peut y acquiescer au phallus, de sa position pas-toute de femme, elle peut se faire support de cette soustraction, accepter d être réduite comme mère, à cet endroit-là. C est ainsi que j entends le prix à payer, ce qui se monnaye. Ce n est pas au nom de sa subjectivité à elle, mais au nom de la relation nouée à cet homme, qu elle laisse la place là à ce nom, qu elle peut supporter d être réduite, «acquiescer à cette perte de ce qui se supporterait de la dimension de l amour»(lacan) Il ne s agit pas ici de porter l enfant mais bien de porter le nom à l enfant en y indiquant du même coup la marque d où elle a pu être nommée «femme» pour cet homme. Quand une mère s énerve et dit à son enfant : «mais dans quelle langue faut-il que je te le dise pour que tu entendes?», nous pourrions lui répondre (ce que nous ne faisons pas mais que peut-être le dit-enfant tentera de lui faire saisir à sa manière) qu il s agit de le lui dire dans une langue où la question de son désir à elle, de femme, est crocheté, articulé au père réel, une langue où est audible pour l enfant comment elle a tressé ses affaires à elle, ses affaires à son père à elle et à son homme pour qui elle est une femme. Dans quelle langue? Nous pourrions encore penser : dans une langue qui serait borroméenne-ment tissée, tressée. Je ne sais pas s il est très juste de parler de langue borroméenne mais on peut y entendre que ce serait une langue dans laquelle les trois ditmensions sont nouées.

4 Le réel c est ce qui fait le trois, c est ce qui rend possible le deux. On pourra dès lors entendre que cela n aura pas le même effet : - de dire non au nom du père - ou de dire non, au nom du père. La première phrase formalise un non adressé à la fonction Nom du père, un non qui la refuse, voire la récuse ou la dénie. (datif) La seconde inscrit, par la négation qu elle suppose, la soustraction de jouissance qui concerne tant l enfant que la mère.(forme adverbiale) N est-ce pas à cela que nous avons affaire quand le dire non ne s appuie pas sur le Nom du Père, n est pas nouage des trois registres, mais agit comme un dire duel qui ressortit de la seule position de la mère à l enfant, qui semble dès lors être du registre du caprice et qui suscite alors cette haine et cette violence que nous retrouvons même chez de très jeunes enfants qui vont jusqu à frapper ou mordre leur mère, sans réaction face à un tel débordement incompréhensible pour elles. Je ne reprendrai pas ici cette situation que j avais exposée en mars dernier aux journées consacrées à la psychanalyse et le travail social, concernant cette jeune femme qui se faisait mordre par son enfant de deux ans. Dernière remarque : C est juste à la suite du passage évoqué plus haut que Lacan souligne ce moment de substitution du Nom-du-Père par le «nommer à». Dans le «nommer à» il n y a pas de place pour la négativité, c est dans la positivité du projet que l enfant sera assigné à telle ou telle place. Positivité du projet. Projet de parentalité déjà ratifié par nos lois belges (auteur du projet parental, un auteur de projet suffit) Je formulerai ma seconde question de la façon suivante : Dans cette positivité du projet d un auteur, l enfant n est-il pas en place de recevoir toutes les pro-jections parentales qu il sera appelé à réaliser sans un Dire Non qui viendrait limiter cette réalisation du projet, qui viendrait dire

5 l impossible de la réalisation telle/quelle de ce projet, que le projet des parents c est une chose et que celle de l enfant de tenter de mener à bien sa vie désirante en est une autre? Si nous tentons de travailler les implications du «nommer à» en lien avec le nouage borroméen ne pouvons-nous pas penser que dans cette positivité du projet l enfant est en place de ce qui fait tenir l auteur du projet, tenir lieu de nouage particulier pour l auteur à moins qu il ne soit au centre de ce nœud, un objet «a» bien serré. Quel travail alors pour lui d en sortir? Il me semble que nous avons à penser ces questions puisque c est à cela que les enfants dans nos cliniques ont affaire. L adulte à qui l enfant est adressé, qui soutient l adresse de l enfant n est-il pas en position, non de rappeler le tiers mais bien de tiers concret pour faire ce travail de rappeler qu il y a du réel et d ainsi introduire l enfant à la négation? Août 2011