dans quelles mains? Détention de la dette grecque au 1/7/2011 (en Md )



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Transcription:

éclairage Où en est la dette grecque? Olivier Berruyer Actuaire Si la crise de l euro dépasse désormais le cas strict de l endettement public grec, il n est pas inutile de revenir sur ce cas spécifique qui a suscité énormément de commentaires, générant même une certaine confusion. La dette grecque représentait, à mi-2011, environ 360 milliards d euros. Ses 40 principaux détenteurs en détenaient 270 milliards. Nous pouvons synthétiser leur répartition à travers les deux tableaux ci-dessous. On constate que près de la moitié de la dette grecque est désormais entre les mains d acteurs publics. dans quelles mains? Détention de la dette grecque au 1/7/2011 (en Md ) Grèce Monde International Total Public 36 25 111 172 Privé (Banque) 51 34 85 Privé (Assureur) 11 11 Divers 91 91 Total 87 162 111 360 Source : Estimation Barclays Capital Olivier Berruyer, www.les-crises.fr, 2011 1 er trimestre 2012 31

Conjoncture Détention de la dette publique grecque au 1/7/2011 Source : Estimation Barclays Capital Olivier Berruyer, www.les-crises.fr, 2011 Quelle décote? La presse a souvent résumé la principale mesure du sommet européen du 27 octobre 2011 comme étant une «décote volontaire de 50 % de la dette grecque». Cet accord mérite que l on revienne sur son texte précis et plus précisément sur son article 12. Nous analyserons cet article en deux temps. «La participation du secteur privé joue un rôle vital pour ramener l endettement de la Grèce à un niveau supportable. C est pourquoi nous nous félicitons des discussions en cours entre la Grèce et ses investisseurs privés visant à trouver une solution permettant d approfondir la participation du secteur privé. Parallèlement à un programme de réforme ambitieux pour l économie grecque, la participation du secteur privé devrait garantir la diminution du ratio de la dette grecque au PIB, l objectif étant de parvenir à un taux de 120 % d ici 2020. À cette fin, nous invitons la Grèce, les investisseurs privés et toutes les parties concernées à mettre en place un échange volontaire d obligations avec une décote nominale de 50 % sur la valeur notionnelle de la dette grecque détenue par les investisseurs privés. [ ]» 32 Sociétal n 75

Où en est la dette grecque? On constate ainsi que ne sont concernés à la base que les investisseurs privés, ce qui exclut donc les investisseurs publics, le FMI, l UE et la BCE. Il pouvait difficilement en être différemment, la BCE détenant pour son compte propre environ 45 milliards d euros d obligations grecques. Sont donc concernés par la décote les grosses banques et gros assureurs non grecs (45 milliards d euros) et les banques grecques (51 milliards d euros). Restent les 91 milliards d euros non identifiés : petites banques, hedge funds, supports d investissements, particuliers et entreprises. Supposons que 50 % soient potentiellement concernés par l échange, soit 45 milliards d euros. Nous obtenons ainsi un périmètre concerné par l accord d environ 140 milliards d euros de dette, sur les 360 de dette totale. Toutefois, il faut encore que les détenteurs acceptent l échange avec de nouvelles obligations qui se traduira pour eux par une perte. Les représentants des banques qui ont négocié avec les gouvernements n ont en effet aucun moyen d imposer quoi que ce soit à leurs mandants. Les grosses structures suivront, mais il n est pas sûr que les petites en fassent autant. Par exemple, les prochaines échéances de remboursement de la Grèce sont en mars 2012. Pourquoi, un titulaire de 100 de ces obligations, remboursées à 100 % en mars, accepterait-il de les échanger en janvier contre 50, avec en plus l obligation de les réinvestir à long terme sur de la dette grecque? Supposons toutefois le chiffre très optimiste de 80 % comme pourcentage des détenteurs privés qui accepteront l échange. On arrive ainsi à 110 milliards d euros de dette décotée de 50 %, soit 55 milliards de perte pour les investisseurs privés et, pour la Grèce, une diminution de sa dette de 55 milliards sur 360 milliards. La restructuration 1 réelle représente donc en fait 15 % de moins à rembourser pour la Grèce, bien loin des 50 % affichés. C est un progrès, mais cela reste bien loin du besoin réel de la Grèce Les huit premières banques privées grecques possèdent 51 milliards d euros de dette. Supposons que, dans les 91 milliards d euros non identifiés, il y ait 9 milliards de plus dans des petites banques grecques, hypothèse optimiste. On arrive ainsi à 60 milliards d euros sur les banques grecques, qui perdent donc 30 milliards dans l accord. Dans leur situation, ceci ne pourrait que déclencher leur faillite : il faudra donc une recapitalisation immédiate, qui est prévue dans l accord. Ainsi, l Europe va au final prêter environ 30 milliards à ces banques pour les sauver, ce qui revient à réendetter la Grèce L Europe va au final prêter environ 30 milliards à ces banques privées grecques pour les sauver, ce qui revient à réendetter la Grèce 1. Haircut. 1 er trimestre 2012 33

Conjoncture À ce stade, faisons un bilan de ce que la Grèce gagne réellement dans l opération : nous en sommes à - 55 + 30 = - 25 milliards pour les 360 milliards d euros de dette grecque, soit un haircut de seulement 7 %, de l ordre d une seule année de déficit! Terminons la lecture et l analyse de l article 12. «[ ] Les États membres de la zone euro contribueront à l ensemble des mesures relatives à la participation du secteur privé à hauteur de 30 milliards d euros. Sur cette base, le secteur public est disposé à fournir un financement supplémentaire au titre du programme pour un montant allant jusqu à 100 milliards d euros jusqu en 2014, y compris la recapitalisation requise des banques grecques. Le nouveau programme devrait être arrêté d ici la fin de 2011 et l échange d obligations devrait être mis en œuvre au début de 2012. Nous demandons au FMI de continuer à contribuer au financement du nouveau programme grec.» Cela signifie que quand le secteur privé dégrade ses comptes de 55 milliards d euros, il obtient une garantie publique de 30 milliards sur les 55 milliards restants. Au final, «le secteur public est disposé à fournir [ ] jusqu à 100 milliards, y compris la recapitalisation requise des banques grecques». En synthèse, nous pouvons résumer ainsi la décote de 55 milliards d euros : 30 milliards pour les banques grecques ; cet argent est in fine perdu par les actionnaires grecs, mais le contribuable européen va «avancer» une somme équivalente pour recapitaliser les banques grecques ; 25 milliards pour les banques non grecques ; cet argent est in fine perdu par les actionnaires, mais le contribuable européen va renflouer les banques les plus fragiles si elles ne peuvent lever les fonds nécessaires ; le contribuable européen garantit 30 milliards aux investisseurs privés. Aujourd hui, il y a 111 milliards d euros de dette portant in fine sur les contribuables. 34 Sociétal n 75 Au final, on note surtout que, face au haircut de 55 milliards, le secteur public s est engagé à fournir si besoin jusqu à 100 milliards d euros Le bilan de l accord est donc au mieux un haircut de 15 %, en pratique plutôt de 7 %, et au final une augmentation la dette grecque de 5 ou 10 %. Rappelons enfin qu en avril 2010, il n y avait pratiquement aucune participation internationale, toute la dette était privée. Aujourd hui, il y a 111 milliards d euros de dette portant in fine sur les contribuables, et le sommet a annoncé que la facture pourrait monter jusqu à plus de 200 milliards. En fait, pour le moment, le «contribuable» ne paie rien, car les États garantissent à

Où en est la dette grecque? crédit. Le résultat ultime de l accord est que les investisseurs obligataires grecs viennent de passer le mistigri aux investisseurs obligataires allemands, français, belges. Spirale infernale La Grèce étant proche non pas de la «faillite» 2 mais du défaut de paiement, poursuivons notre analyse de sa situation. Cela nous permettra de comprendre le plus simplement possible la spirale infernale dans laquelle nous sommes entraînés et qui touche désormais tous les pays occidentaux. Observons tout d abord le budget de la Grèce, au sens de Maastricht, comprenant donc la Sécurité sociale et les collectivités locales, depuis 1995. Grand écart évolution du budget public de la Grèce, 1995-2010-2012 (en % du PIB, 1 an glissant, au sens de Maastricht) Source : ministère grec du Budget et budget 2012 Olivier Berruyer, www.les-crises.fr, 2011 2. Cela n a pas de sens pour un État. 1 er trimestre 2012 35

Conjoncture Nous observons ainsi : une tendance à l amélioration entre 1995 et 1999, comme partout en Europe, dans un contexte de croissance forte ; puis une tendance au «laxisme» jusqu en 2007, caractérisée par une baisse des recettes et une stabilité des dépenses ; puis l explosion du déficit en 2009 en raison de la La Grèce mérite de très loin le titre de championne du monde de la rigueur. crise, due à une forte hausse des dépenses consacrées au soutien du système bancaire ; enfin une situation de consolidation à des niveaux élevés en 2010-2011. La Grèce mérite de très loin le titre de championne du monde de la rigueur. Des mesures incroyables ont été prises depuis 2010, allant de baisses dantesques des salaires des fonctionnaires ou des pensions de retraite à d importantes hausses de TVA et d impôts. Mais, au final, on observe clairement que ces mesures n ont eu presque aucun effet perceptible ni à court ni à moyen terme! Le bilan est que ces mesures d austérité ont été bien trop fortes et violentes pour l économie, qui a chuté en récession et ne semble pas s en remettre. Le budget grec 2012 table même sur encore - 2,5 % en 2012 On observe donc cet effet paradoxal faisant que, tout du moins à court et moyen terme, la rigueur fait souffrir le pays mais n arrange en rien sa situation. Malgré tous leurs efforts, les Grecs voient leur déficit s élever en 2011 et devenir largement supérieur à celui d avant la rigueur Intéressons-nous à cet égard à l évolution sur le long terme de la dette publique grecque. 36 Sociétal n 75

Où en est la dette grecque? Retour dans les sixties Dette publique et charge de la dette en Grèce, 1950-2010-2012 (en % du PIB) Source : Estimation Berruyer, FMI, ministère grec du Budget et budget 2012 Olivier Berruyer, www.les-crises. fr, 2011 Quatre périodes se détachent clairement : 1950-1980 : la dette est stable autour de 25 % du PIB durant les Trente Glorieuses ; 1980-1993 : début du «financiarisme», la dette est multipliée par 4 en dix ans ; 1993-2007 : stabilité de la dette autour de 100 % du PIB ; 2007-2010 : la dette croît de 50 %, et se dirige en fait vers un doublement par rapport à 2007, vers les 200 %. Le point crucial est celui des intérêts payés par la Grèce pour qu on lui prête de l argent. L arrivée de l euro a en effet spectaculairement fait chuter les taux d intérêt en Europe, si bien que la dette a coûté de moins en moins cher. Le revers de la médaille est que la Grèce n a pas été incitée à mettre en place des politiques de rigueur pour revenir à des situations d équilibre. Dans ce type de situation, le danger principal saute aux yeux : celui d une remontée des taux d intérêt. Même s ils retrouvaient par exemple leur niveau de 1990, 1 er trimestre 2012 37

Conjoncture Inutile de dire qu un pays n acceptera jamais de payer 15 % ou 20 % de son PIB en intérêts à la fraction la plus riche de sa population et à des étrangers on comprend très bien que la courbe rouge rejoindrait la courbe bleue. Inutile de dire qu un pays n acceptera jamais de payer 15 % ou 20 % de son PIB en intérêts à la fraction la plus riche de sa population et à des étrangers Ce serait d ailleurs non seulement inacceptable sur le plan politique mais insupportable sur le plan économique. C est exactement ce qui s est passé dans la crise grecque ; la courbe rouge n est pas beaucoup montée, car la Grèce n a plus pu se financer sur les marchés, qui ont fermé le robinet. L Europe est venue au secours de la Grèce, sous une forme relevant de l acharnement thérapeutique. Le résultat est à ce stade horriblement destructeur pour la Grèce et coûteux pour les contribuables Cas d école Intéresserons-nous au financement de la dette grecque, véritable cas d école qui va montrer la très grande fragilité du financement actuel des États. Car, à la différence d une entreprise, pour un État la bonne question n est jamais «suis-je solvable?» (en théorie, c est toujours le cas, la dette étant toujours inférieure au patrimoine du pays ) mais bien «ai-je plus intérêt à rembourser mes créanciers qu à ne pas le faire?». Cela se résume aujourd hui par la question «puis-je continuer l incroyable système de cavalerie actuelle ou pas?», la négative entraînant très probablement le défaut. Ce qui revient au final à résoudre la question «des prêteurs vont-ils continuer à me prêter de l argent?», la négative entraînant le défaut. En effet, comme dirait La Palice, «Tant qu on vous prête de l argent, vous ne serez jamais en faillite». En fait, ce n est jamais l emprunteur qui décide de faire défaut, c est toujours le créancier, quand il coupe les vivres, préférant ne plus soutenir une structure en faillite en mettant toujours plus d argent au pot, à fonds perdu. Observons ce qui se passe pour la Grèce au niveau de ses émissions de dette et rappelons que l État grec dispose d environ 50 milliards de recettes tous les ans. 38 Sociétal n 75

Où en est la dette grecque? Question de confiance émissions annuelles de la dette publique grecque, 2007-2011 Source : ministère grec du Budget Olivier Berruyer, www.les-crises.fr, 2011 On observe bien le pic de 2009, où la Grèce a dû émettre beaucoup de dette pour amortir les dettes anciennes et surtout financer son nouveau déficit. Par la suite, de moins en moins de prêteurs lui ont fait confiance, et elle a dû emprunter de plus en plus «court», jusqu à devoir s appuyer fortement sur des bons du Trésor, donc des prêts de trois ou six mois avec des taux allant de 4 à 5 % Le reste est constitué des prêts du FESF et du FMI. En fait, tout le principe de la cavalerie de la dette publique est d emprunter pour rembourser ses dettes, avec intérêt. Quand un investisseur prête à cinq ans à un État, celuici n a qu une et une seule façon de le rembourser : c est d obtenir, dans cinq ans, qu un autre investisseur lui prête la même somme plus les intérêts. Passé un certain niveau, cela implique que la dette ne pourra plus sérieusement décroître, ou alors un an ou deux avant d exploser avec la prochaine crise. Le jeu de mistigri que la dette publique se résume dans la formule : «Ne jamais en détenir le jour du défaut». En 2010, la Grèce a emprunté plus de 70 milliards d euros pour rembourser 30 milliards à des investisseurs et financer son déficit de l année de 40 milliards, pour 1 er trimestre 2012 39

Conjoncture 50 milliards de recettes. On comprend qu un tel système de fuite en avant ne peut se finir que dans le mur : comment, avec 50 de recettes, la Grèce pourrait-elle parvenir à supprimer 40 de déficit ET obtenir un excédent pour rembourser des échéances de 30 à 40 tous les ans? Observons d ailleurs le besoin de financement à partir de 2012. Échéances effrayantes Maturité de la dette publique grecque (354 Mde) (au 30/06/2011) Source : Trésor grec Olivier Berruyer, www.les-crises.fr, 2011 On voit que la Grèce fait face à des échéances effrayantes jusqu en 2015. Ainsi, quand l Union européenne se dit disposée à prêter 100 milliards d euros à la Grèce, c est uniquement pour que celle-ci puisse rembourser les échéances de 2012-2015. À défaut, cela ruinerait certes les banques, mais surtout la BCE, le FESF (donc les autres États) et le FMI. Le «vrai» budget grec Les États présentent leurs budgets en indiquant seulement la charge d intérêt, et jamais le flux d emprunt nécessaire au remboursement de la dette qui arrive à 40 Sociétal n 75

Où en est la dette grecque? échéance. D un point de vue comptable, cela signifie que les mécanismes de dette et de remboursement ne figurent pas dans le budget, qui doit s interpréter comme un compte de résultat. Il semble toutefois plus pertinent de représenter également le flux de trésorerie avec les émissions et les amortissements de dette. Pertinence du flux Budget public de l état Grec en 2010 Source : ministère grec du Budget Olivier Berruyer, www.les-crises.fr, 2011 Revenons au budget grec : en 2010, l État grec perçoit 55 milliards d euros d impôts, pour financer 66 milliards de dépenses courantes et 13 milliards d intérêts sur sa dette. Il doit aussi rembourser 36 milliards d emprunts arrivant à échéance (20 milliards de plus d un an, 16 milliards de moins d un an). Il n a donc d autre choix que d emprunter 60 milliards d euros. Soit plus que ses recettes Tout est là : si les prêteurs fuyaient 3 brutalement, la Grèce ne disposerait plus que de 55 milliards de recettes pour payer 115 milliards. Comme nous le disions, elle n aurait alors plus que le choix entre deux solutions : prélever en une fois 60 milliards du patrimoine des Grecs ; ne pas rembourser ses créanciers. 3. Enfin, les derniers que sont le FESF et le FMI. 1 er trimestre 2012 41

Conjoncture Plusieurs siècles d histoire montrent que les États choisissent toujours la seconde option. Un défaut efface les 13 milliards d intérêts, et il ne manquerait alors plus que 11 milliards à la Grèce pour se passer de prêteurs à l avenir, ceux-ci se montrant évidement plus que frileux pour prêter à un État venant de faire défaut. Ce montant est appelé déficit primaire, c est le déficit avant le paiement des intérêts. Ce dernier a été très fortement réduit et n est plus que de 7 milliards en 2011, et est prévu à 1 milliard par le budget grec pour 2012. Plusieurs siècles d histoire montrent que les États choisissent toujours la seconde option. Bien évidement, dès ce moment-là, la Grèce aura une tentation naturelle : faire défaut ; en situation d équilibre primaire, elle n aura en effet plus besoin d aller emprunter de l argent sur les marchés. Si elle faisait alors vraiment défaut, ceci confirmerait une fois de plus le précepte bien connu des États : «Les promesses n engagent que ceux qui les reçoivent.» ( Jacques Chirac, Le Monde, 22 février 1998). 42 Sociétal n 75