Bocages et biodiversité. Évolution des assemblages d espèces sous l effet de l intensification de l agriculture

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Transcription:

15 Bocages et biodiversité. Évolution des assemblages d espèces sous l effet de l intensification de l agriculture Alain BUTET, Françoise BUREL, Nadia Michel, Yannick Delettre Introduction En Europe, les paysages agricoles représentent jusqu à 75 % des territoires. Au cours des dernières décennies, l évolution des politiques et des techniques agricoles a été le moteur de mutations importantes au sein de ces paysages (Turner et Meyer, 1994). Aujourd hui la conservation de la biodiversité sur ces espaces est devenue aussi préoccupante que dans les espaces semi-naturels ou protégés (Krebs et al., 1999). Dans une synthèse récente, Robinson et Sutherland (2002) ont montré que depuis les années 1950 le nombre d exploitations agricoles a chuté de 65 % mais que la productivité a été multipliée par quatre sur la même période. La spécialisation de l agriculture s est traduite par l agrandissement des parcelles, une diminution des habitats stables (bois, landes, prairies permanentes) avec notamment une perte de 50 % du linéaire de haies. Cette évolution de l agriculture s est aussi traduite par une forte augmentation d utilisation d intrants (pesticides, fertilisants) en liaison avec l évolution des techniques de gestion des bords de champs et pour améliorer la production agricole (McLaughlin et Mineau, 1995 ; Stoate et al., 2001). Dans l Ouest de la France, de nombreuses régions de bocage ont subi ces mutations agricoles qui ne sont pas sans répercussions sur la faune et la flore. Robinson et Sutherland (2002) font état d une perte de diversité et d un déclin général des espèces animales et végétales présentes au sein de ces paysages. Nous sommes encore loin d évaluer parfaitement la vraie nature des changements qui s opèrent au sein des communautés végétales et animales et d apprécier pleinement les enjeux qui pèsent aujourd hui sur la biodiversité de ces agrosystèmes et leurs conséquences écologiques (en terme de fonctionnement de ces écosystèmes). Depuis une dizaine d années, nous avons développé dans notre équipe de recherche des travaux traitant des relations entre dynamique des bocages et biodiversité en Bretagne (Burel et Baudry, 1995 ; Burel et al., 1998, 2004 ; Millan De La Pena, 2003 ; Ouin, 2002). Ces travaux sont menés à diverses échelles de perception : au niveau inter sites le long de gradients d intensification de l agriculture et au niveau intra sites à l échelle des habitats

des structures et des fonctions évolutives 15 permanents, de leur environnement et des pratiques d entretien qui s y déroulent. Cet article présente quelques résultats obtenus sur deux modèles biologiques particulièrement étudiés dans notre équipe : les carabes (Insectes Coléoptères) et les petits mammifères (Rongeurs et Insectivores). Trajectoires de l agriculture et caractéristiques des bocages Nous avons mené des travaux le long de gradients écologiques englobant des unités paysagères de bocage contrastées du point de vue des développements de l agriculture qui s y sont déroulés. De même, à l échelle intra site, des échantillonnages ont été menés à l échelle des réseaux de bords de champs englobant une diversité d habitats linéaires permanents (talus plantés ou non). Les caractéristiques d occupation du sol d une douzaine d unités paysagères bocagères de l ouest de la France (Côtes-d Armor et Ille-et-Vilaine) ont été décrites sur la base de photos aériennes et de contrôles terrain. Ces données stockées dans des bases de SIG nous ont permis d extraire un certain nombre de variables descriptives pour caractériser ces unités. Les unités paysagères étudiées englobent une grande diversité de structures allant de sites bocagers anciens très peu modifiés avec des réseaux de haies denses et une proportion importante de prairies naturelles jusqu à des sites plus ouverts à dominante céréalière diversifiée ou spécialisée dans la production de maïs. L analyse de ces données (fig. 1) nous permet de reconnaître deux gradients principaux caractérisant les trajectoires de l agriculture en Bretagne. Le premier axe factoriel de l AFC (55.12 % de la variance) oppose les 2 Figure 1 : Diversité des structures bocagères. AFC réalisée sur 12 unités bocagères (Côtes-d Armor, Ille-et-Vilaine). Les différentes unités sont différenciées sur la base de 5 variables descriptives extraites à partir de cartes numérisées (SIG).

bocages et biodiversité. évolution des assemblages d espèces sites bocagers traditionnels où les bois et la prairie occupent une part importante de l espace à des unités dominées par les cultures diversifiées et le maïs. On peut associer ce premier axe à un gradient d intensification de l agriculture et d ouverture du paysage. Le second axe factoriel oppose le maïs à tous les autres descripteurs et notamment la présence de haies et des autres types de cultures. Ce second axe peut être perçu comme un gradient d homogénéisation du paysage par le développement du maïs qui accentue l ouverture du paysage. Ces deux gradients peuvent être mis en relation avec les deux principaux types d exploitations agricoles en Bretagne (production laitière et élevage industriel). Carabes et petits mammifères : des réponses différenciées en fonction de la qualité des habitats et du contexte paysager Soixante-treize espèces de carabes ont été rencontrées sur l ensemble des unités bocagères étudiées mais entre trente et quarante espèces sont observées au niveau de chacune des unités paysagères, avec une dizaine d espèces dominant la communauté. Nos résultats montrent que ce groupe des carabes ne présente pas de déclin général de l abondance, de la richesse ou de la diversité en réponse aux variations d occupation des sols dans le bocage. Les évolutions de l agriculture se traduisent, en fait, par des remaniements de cette communauté qui touchent sélectivement certaines espèces sur la base de leurs traits de vie (fig. 2 page suivante). Ainsi on constate que l ouverture du paysage favorise l abondance des petites espèces, ailées et souvent banales (fig. 2A), au détriment des grandes, marcheuses et spécialistes d habitats forestiers. C est pour cette raison que l abondance totale des carabes est plus forte quand le maïs est dominant (fig. 2B) car les petites espèces présentent généralement des densités de population plus fortes que les grandes espèces. Ces réponses observées le long d un gradient paysager sont confirmées par des expérimentations menées à l échelle des haies où les différents modes d entretien (fauche, traitements chimiques) induisent un départ des grandes espèces et une colonisation des petites espèces. Cette colonisation par les petites espèces est plus ou moins rapide selon les pratiques agricoles mises en œuvre (fig. 2C). La communauté de petits mammifères (d une part les insectivores soricidés, c est-à-dire les musaraignes et d autre part les rongeurs muridés comme le mulot ou les différentes espèces de campagnols) est beaucoup plus restreinte puisqu elle n englobe que dix espèces. Cette communauté reste inchangée dans sa composition spécifique avec l intensification du bocage. En effet, toutes les espèces sont susceptibles d être rencontrées dans les différentes unités étudiées. On constate néanmoins des remaniements importants dans la fréquence relative des différentes espèces selon le contexte environnemental (fig. 3A). Le développement des cultures au détriment des prairies et des réseaux de haies se traduit par une baisse de fréquence des espèces rares (ex. : le Rat des moissons, Micromys minutus) et une augmentation des espèces les plus communes (ex. : la Musaraigne musette, Crocidura russula). Certaines espèces trouvent leur optimum dans les stades intermédiaires d intensification de l agriculture comme le Mulot sylvestre (Apodemus sylvaticus). alain butet, françoise burel, nadia michel, yannick delettre 3

des structures et des fonctions évolutives 15 Les espèces communes les plus favorisées par le développement de l agriculture sont des espèces capables d exploiter temporairement la matrice agricole, contrairement aux espèces plus liées aux réseaux d habitats permanents. L intensification de l agriculture dans le bocage tend donc vers la banalisation de cette communauté du fait L ouverture du bocage favorise l abondance des petites espèces de carabes au détriment des grandes. (A) Abondance des petites espèces de carabes sur les sites L abondance totale des carabes est plus forte quand le maïs est dominant et plus faible quand les cultures sont diversifiées. (B) Abondance totale des carabes sur les sites Les pratiques d entretien au niveau local déterminent une colonisation plus ou moins rapide des petites espèces de carabes après déclin des grandes espèces. (C) Colonisation des petites espèces de carabes après traitement 4 Figure 2 : Quelques aspects de la réponse de la communauté de carabes aux changements d usage des terres et aux pratiques d entretien des haies dans les paysages de bocages Pour la figure A et B se reporter aux gradients écologiques définis à la figure 1.

bocages et biodiversité. évolution des assemblages d espèces de la raréfaction grandissante des espèces présentant une plus grande valeur patrimoniale. Au niveau intra site, les différentes espèces montrent une répartition différente selon la qualité des habitats de bords de champ. Ainsi la communauté traduit un passage progressif du talus herbeux à la haie dense (fig. 3B). Les haies denses sont Exemple d évolution de la fréquence de 3 espèces de petits mammifères suivant un gradient d intensification du bocage (12 sites) (A) L intensification du bocage conduit à une banalisation du peuplement de petits mammifères. Les espèces rares déclinent alors que les plus communes voient leur fréquence augmenter. alain butet, françoise burel, nadia michel, yannick delettre Biomasse et diversité de la communauté de petits mammifères dans 27 habitats classés selon un gradient de développement de la strate boisée. (B) La communauté de petits mammifères traduit le passage progressif du talus herbeux à la haie dense. Les haies denses produisent de la biomasse au détriment de la diversité de la communauté. (C) (a) : largeur moyenne des haies du réseau bocager. (b) : densité du réseau bocager (m/ha). La baisse de l abondance liée à la fragmentation des réseaux de haies ne montre pas de relation avec les abondances locales dans ces mêmes réseaux. Comparaisons des biomasses locales et paysagères de petits mammifères dans trois réseaux bocagers contrastés. Figure 3 : Quelques aspects de la réponse de la communauté de petits mammifères aux changements d usage des terres et à la qualité des réseaux de haies dans les paysages de bocages. Pour la figure A se reporter aux gradients écologiques définis à la figure 1. 5

des structures et des fonctions évolutives 15 dominées par deux espèces de rongeurs, le mulot sylvestre et le campagnol roussâtre alors que les talus herbeux sont favorables aux campagnols du genre Microtus (M. subterraneus, M. agrestis). Les musaraignes sont assez indifférentes à ce gradient et montrent une répartition beaucoup plus équitable sur ce gradient d habitats. On constate que la diversité de la communauté se réduit dans les haies denses (fig. 3B) du fait de la dominance des rongeurs à caractère forestier (mulots, campagnols roussâtres) ou de l espèce de musaraigne la plus commune (Musaraigne musette). En revanche ces deux espèces peuvent être abondantes. Ainsi les haies produisent de la biomasse au détriment de la diversité (fig. 3B). Un réseau d habitats linéaire hétérogène est donc favorable à l expression de toutes les espèces de cette communauté. Nous avons enfin constaté que la largeur des talus semble influencer fortement les densités de population au niveau local. Nous constatons par exemple que des digues plantées en zone d agriculture intensive (polders de la baie du Mont-Saint- Michel) peuvent abriter des densités de petits mammifères plus importantes que certains talus du bocage (fig. 3C, biomasse locale). Inversement la fragmentation des réseaux de haies avec les développements de l agriculture se traduit par une baisse importante de la biomasse de cette communauté à l échelle du paysage (fig. 3C, biomasse à l hectare). Conclusions 6 Beaucoup de travaux supportent l idée que les développements de l agriculture sont néfastes à la diversité des communautés (Huston, 1995). En fait, les réponses sont très variables selon les taxons considérés (Burel et al., 1998). Les résultats obtenus sur la réponse de ces deux communautés animales montrent que les évolutions du bocage n induisent pas nécessairement une perte de diversité. De plus, il apparaît que la richesse spécifique n est pas nécessairement une mesure pertinente des changements qui s opèrent au sein de ces communautés en liaison aux évolutions de l agriculture dans le bocage. Concernant les carabes, le passage progressif de communautés où les espèces forestières sont bien représentées vers des communautés dominées par les petites espèces adaptées à des niveaux importants de perturbation est le résultat combiné de la régression des habitats boisés et des changements des pratiques de gestion des haies. Les espèces évoluant en milieu stable ont en moyenne des tailles corporelles plus grandes alors que les espèces s adaptant dans les environnements instables ont des capacités de dispersion importantes (Den Boer, 1969). La réponse des petits mammifères montre que la communauté évolue dans le sens d un déclin des espèces spécialistes peu communes alors que les espèces dites généralistes et relativement communes voient leur fréquence augmenter (Millan De La Pena et al., 2003). Cette sélection des espèces généralistes avec l intensification de l agriculture est souvent signalée dans les travaux récents dans ce domaine (Robinson et Sutherland, 2002). Le mulot sylvestre Apodemus sylvaticus, très commun dans les paysages agricoles est une des espèces dont les effectifs semblent d une grande stabilité face aux évolutions

bocages et biodiversité. évolution des assemblages d espèces de l agriculture (Harris et al., 1995). Ces tendances sont notamment confirmées par des études à long terme sur le régime alimentaire de la chouette Effraie (Love et al., 2000). On sait que certaines espèces de campagnols (Microtus arvalis) deviennent instables dans les paysages agricoles très ouverts à dominante prairiale (Delattre et al., 1992). Dans ce cas, la disparition des haies semble agir de deux manières : modifications de la compétition interspécifique et disparition des prédateurs généralistes (Turchin et Hanski, 1997, Korpimäki et Norrdahl, 1998). Il n y a donc pas de réponse unique des communautés animales aux évolutions de l agriculture dans les bocages. L intensification du bocage conduit souvent à une banalisation des peuplements et à une sélection des espèces adaptées aux perturbations affectant les espaces cultivés comme les habitats de bordure. La diversité des habitats permanents semble importante pour un bon compromis entre diversité et abondance des espèces. La fragmentation des réseaux de haies peut conduire à des déclins importants de l abondance globale des espèces à l échelle des paysages. Ces évolutions peuvent avoir des conséquences notables sur l architecture et la stabilité des réseaux trophiques (chaînes alimentaires). La compréhension de ces interactions complexes reste un défi et demeure encore peu documentée. alain butet, françoise burel, nadia michel, yannick delettre Bibliographie Burel F., Baudry J., 1995, «Species biodiversity in changing agricultural landscapes ; A case study in the Pays d Auge, France», Agriculture, Ecosystems and Environment, 55 : 193-200. Burel F., Baudry J., Butet A. et al., 1998, «Comparative biodiversity along a gradient of agricultural landscapes», Acta Oecologica, 19 : 47-60. Burel F., Butet A., Delettre Y. R., Millan De La Pena N., 2004, «Differential response of selected taxa to landscape context and agricultural intensification», Landscape and Urban Planning, 67 : 195-204. Delattre P., Giraudoux P., Baudry J. et al., 1992, «Land use patterns and types of common vole (Microtus arvalis) population kinetics», Agriculture, Ecosystems and Environment, 39 : 153-169. Den Boer P. J., 1969, «On the significance of dispersal power for populations of Carabid beetles», Oecologia, 4 : 1-28. Harris S., Morris P., Wray S. and Yalden D., 1995, A review of British Mammals : Population estimates and Conservation Status of British Mammals other than Cetaceans, Joint Nature Conservation Committee, Peterborough, UK. Huston M. A., 1995, Biological diversity: the coexistence of species on changing landscapes, Cambridge, Cambridge University Press. Korpimäki E. & Norrdahl K., 1998, «Experimental reduction of predators reverses the crash phase of small-rodent cycles», Ecology, 79 : 2448-2455. Krebs J. R., Wilson J. D., Bradbury R. B. and Siriwardena G. M., 1999, «The second silent spring», Nature, 400 : 611-612. Love R. A., Webbon C., Glue D. E. and Harris S., 2000, «Changes in the food of british Barn Owls (Tyto alba) between 1974 and 1997», Mammal Review, 30 : 107 129. 7

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