Le jeu des émotions, ou émotion, quand tu nous guides malgré nous. Notre éducation nous a appris à nous méfier des émotions, considérées comme mauvaises conseillères et susceptibles de nous faire perdre le contrôle de nous-mêmes, comme la colère par exemple. Pourtant, les émotions sont une partie de nous-mêmes et elles nous veulent du bien : la peur permet d éviter le danger immédiat et notre espèce a pu survivre grâce à cette émotion primaire. Et si les émotions nous veulent du bien, elles nous parlent aussi de nousmêmes : si nous ressentons des émotions, c est qu il se passe quelque chose au fond de nousmêmes, information qui peut être capitale (la peur) ou nous donner un avantage (l intelligence émotionnelle) pour mieux nous intégrer dans notre milieu social. La vision stoïcienne des émotions a perduré jusqu au XXème siècle : trop ardentes et trop imprévisibles pour être utiles à l intelligence, elles ont toujours été considérées comme caractéristiques des aspects faibles et inférieurs de l homme et associées aux femmes (désolé, mesdemoiselles ) Dans les années 1990, Antonio Damasio a montré qu émotion et raison sont inséparables. Peu à peu a émergé un modèle de l intelligence émotionnelle articulé autour de quatre compétences : La capacité à percevoir les émotions ; La capacité à utiliser les émotions pour faciliter le raisonnement ; La capacité à comprendre le langage des émotions ; La capacité à gérer les émotions, les siennes et celles des autres. La capacité à percevoir les émotions repose sur l identification des émotions exprimées ; elle est partagée par toutes les cultures, mais si elle est commune à tous les hommes, elle varie bien entendu d un individu à l autre. L utilisation des émotions est la capacité à tirer profit des informations émotionnelles pour faciliter d autres activités cognitives. Par exemple, être de bonne humeur facilite les activités créatives. La compréhension des émotions est la capacité à savoir tirer des informations des relations entre émotions et des transitions d une émotion à l autre, mais aussi à savoir décrire précisément ses émotions. Ainsi, on a pu montrer que la capacité à percevoir ses états émotionnels influe sur le bien être. Des expériences ont d autre part mis en évidence que la perception des émotions positives (bonheur, joie, enthousiasme, amusement) n a pas d effet sur les stratégies de régulation émotionnelle, mais par contre les individus capables de détecter leurs émotions négatives déclenchent des stratégies pour les gérer (conclusion : un individu ne va pas essayer de modifier son état émotionnel positif, par contre il va vouloir transformer son état négatif en positif, du moins pour un individu «normalement constitué»). La capacité de gérer ses émotions ainsi que celle des autres peut permettre d exploiter des émotions négatives comme par exemple de se donner la possibilité de maîtriser sa mauvaise humeur. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue qu il peut y avoir un coût psychologique important pour la répression des émotions (les névroses en sont la preuve).
Le corps a sa propre logique en matière d émotions. Ainsi, les émotions ont des conséquences physiques (accélération du cœur, rougeur, sudation, tension nerveuse..), mais les sensations associées aux émotions influent aussi les émotions (la peur peut engendrer la panique). Pour expliquer cette interaction, deux théories ont été avancées : la position dite des périphéristes qui posent que ce que nous éprouvons l éprouvé d une émotion est la perception en retour via le système nerveux périphérique d un bouleversement affectif et moteur déclenché par une situation menaçante, et la position des centralistes pour lesquels l ensemble des sensations corporelles ne sont ni nécessaires ni suffisantes pour éprouver des émotions qui se constituent dans le système nerveux central et non périphérique. Pour les centralistes, les réponses périphériques associées aux émotions ne sont pas suffisamment spécifiques pour rendre compte de la diversité des émotions. Au-delà (ou en deçà) de cette querelle de théoriciens, il existe bien une relation entre excitation affective et activation du système nerveux autonome, ce que montrent les recherches basées sur l imagerie cérébrale qui a mis en évidence l activation des mêmes zones cérébrales pour l interoception (le sens interne du corps) et les émotions. Toutefois, le corps qui ressent dans les expériences subjectives comme les expériences émotionnelles, est un corps virtuel : ce n est pas un ensemble de nerfs, de neurones, c est un monde intérieur. La vie affective est ainsi organisée autour d une forme fondamentale de conscience de soi, au centre de l appareil cognitif et sensorimoteur. Cette conscience de soi est ainsi une réalité subjective incarnée : elle structure la connaissance qu on a de soi, et l intégrité de cette image est intimement liée au bien-être et à l estime de soi. Dans nos relations à l Autre, les émotions ont une importance fondamentale dans la formation des premières impressions. Nous mettons inconsciemment en relation des comportements, l apparence physique, des traits du visage avec des traits de personnalité ou des catégories sociales. Certaines de ces impressions se forment à notre insu, et c est le cas en particulier des premières impressions qui peuvent être issues de l activation de stéréotypes d attitude implicites à l égard de certaines populations ou groupes socioculturels, avec souvent un impact fort sur nos comportements. Et ceci parfois en un laps de temps très court : il nous faut environ un dixième de secondes pour juger du caractère sympathique, agressif, digne de confiance, mais aussi compétent ou attractif d un visage de plus, la qualité émotionnelle de la première rencontre avec une personne va influencer notablement ces premières impressions. La bascule entre le «je t aime» et le «je ne t aime pas» lors d un premier contact est très rapide (quelques dixièmes de secondes) et peut influencer durablement les relations que nous entretenons avec cette personne. Ces mécanismes de formation de ces impressions sont fortement influencés par les émotions : le jugement que nous posons est lié à un phénomène de surgénéralisation de traits physiques liés aux émotions des visages. Et heureusement ou plutôt malheureusement par leurs conséquences sociales, ces jugements sont souvent incorrects.
Les émotions peuvent être positives ou négatives, et être classées en émotions de base (primaires) et émotions secondaires Emotions de base, sont des émotions directes, partagées par l ensemble de l humanité, et en général directement compréhensibles au-delà des cultures par leurs manifestations chez l individu qui la ressent : Peur, Colère, Joie, Tristesse, Dégoût (et éventuellement Surprise, Intérêt, Acceptation, Mépris, Honte). Je propose de retenir Peur, Colère, Surprise, Joie, Tristesse et Dégoût. Emotions secondaires sont par contre liées au développement du langage et des processus cognitifs et difficilement lisibles au travers des cultures. La question de leur universalité reste posée. Les émotions de base nous ont été léguées par l évolution et fournissent des programmes d action qui permettent de faire face à des exigences vitales. Elles ont un caractère automatique et involontaire, un déclenchement rapide, une durée limitée et une spontanéité. A la question Question : les émotions de base sont-elles universelles? on peut répondre qu il semble que les émotion négatives soient reconnues quelle que soit la culture de l individu alors que les émotions positives dépendent fortement de l imprégnation culturelle. L Eventail des émotions partagées par les humains sur toute la planète sont joie, tristesse, peur, colère et surprise. La perception subjective de l émotion et ses manifestations corporelles sont liées. La concrétisation des affects (émotions) dépend de filtres cognitifs, filtres qui s élaborent au fil de nos expériences, des cultures et des milieux qui nous imprègnent. Nous imitons involontairement les expressions du visage d autrui, ce qui nous permet d en reconstituer l état affectif associé. Cette imitation est un mécanisme automatique qui nous permet d améliorer la compréhension de l état émotionnel d autrui. Le dialogue entre la perception d une émotion, son expérience et son interprétation, forme la base de notre compréhension des émotions d autrui, et par là-même de notre capacité à faire preuve d empathie. Nous imitons spontanément l expression faciale de membres de notre groupe social ou de notre culture. L expérience montre que le contact oculaire facilite l imitation, ce qui explique que nous imitons plus difficilement les expressions des membres d autres cultures. Les émotions peuvent pallier certaines formes de rationalité et en ce sens elles peuvent être considérées comme rationnelles. Elles peuvent ainsi utilement aider à prendre des décisions aux limites de la rationalité, lorsque la logique devient inopérante parce que par exemple les informations sont limitées (cas de l âne de Buridan par exemple), ou que le problème est complexe. Une classe de théories de l émotion les théories de l évaluation cognitive qui s intéresse aux mécanismes cognitifs à l origine de l émotion montre que seuls les événements pertinents pour les objectifs, les besoins ou les valeurs d un individu sont
susceptibles de déclencher une émotion dans une situation donnée : l émotion nous dit qu il se passe quelque chose au plus profond de nous-mêmes, que la situation nous touche d une manière intime. L émotion est considérée par certains chercheurs comme un épisode coordonné de changements corporels et psychiques axé sur cinq composantes : L évaluation cognitive ci-dessus ; L expression motrice, caractérisée par des modifications musculaires, notamment sur le visage. Elle permet une communication non verbale ; Une réaction du système nerveux périphérique, par exemple l accélération du rythme cardiaque qui prépare l individu à une réaction ; La tendance à l action qui permet d influer sur l environnement ; Un sentiment subjectif, seule composante accessible à la conscience, qui permet notamment la verbalisation de l émotion. Les émotions jouent ainsi un rôle sur les processus cognitifs clé et ont une influence notable sur la prise de décision et le sentiment moral. L empathie, définie comme la capacité à se mettre à la place d un autre pour comprendre ses sentiments, est liée aux émotions et aux processus d imitation qui l accompagnent. Elle est fondamentale pour les interactions sociales : elle permet de comprendre et partager les états émotionnels et motive de nombreux comportements sociaux. Mais contrairement à ce que l on peut penser de prime abord, elle n est pas l apanage de l homme. Elle apparaît comme le fondement motivationnel pour les comportements altruistes et la morale naturelle (qui peut être résumée dans l adage «ne fais pas à autrui ce que tu n aimerais pas que l on te fasse»). Elle repose sur une simulation mentale de la subjectivité d autrui parce que nous possédons une capacité innée qui nous permet de ressentir que les autres sont «comme moi» et que nous acquérons la capacité à se mettre à leur place. Deux composantes son présentes dans l empathie, composantes dont dispose le nouveau-né humain dès sa naissance : La résonance affective : c est une capacité automatique, difficilement contrôlable, d imiter les postures et expressions émotionnelles de nos interlocuteurs ; La flexibilité mentale qui nous permet de faire la distinction entre nos propres émotions et celles générées par autrui. Le concept d empathie est du à Théodore Lipps (1851-1914) qui a posé que l organisation du système nerveux des vertébrés transforme l activité sensorielle (les perceptions) en activité motrice, dans certains cas. Cette hypothèse a été vérifiée : la perception des conséquences d une action exécutée par autrui active dans le cerveau de l observateur une représentation similaire à celle qu il aurait formée s il avait eu lui-même l intention d exécuter l action. Ce mécanisme est au fondement des processus d imitation liés au monde de l émotion. Ces représentations partagées naissent des interactions sociales et reposent sur un codage commun à la perception et à l action, et sur l hypothèse selon laquelle la représentation mentale d une action ou d une situation est commune à plusieurs individus, ce qui explique pourquoi ce qui affecte autrui est susceptible de m affecter. Toutefois, l empathie ne suppose
pas obligatoirement une résonance émotionnelle : la compréhension de la situation d autrui, ou la simple représentation de ce que ressent autrui peut suffire, sans qu il soit nécessaire d avoir vécu même épreuve. Le langage a décuplé les avantages que procure l empathie : il nous permet de partager efficacement nos émotions avec les autres, car il agit à distance (spatiale et temporelle) et véhicule les émotions par son contenu sémantique. C est aussi un puissant moyen de réguler nos propres émotions et de celles des autres. Il faut noter que la représentation partagée des émotions fonctionne d une manière réversible : elle s applique non seulement à l expression des émotions, mais aussi à leur reconnaissance. C est l une des clé de l intelligence émotionnelle. Pour un individu, adopter la perspective d autrui est une forme de simulation mentale qui met en jeu ses propres représentations, nées des interactions avec son environnement physique et social. Dans cette situation, l individu imagine quelles seraient ses émotions et ses réactions s il était dans la situation de l autre personne. En parallèle, un ajustement va s opérer puisqu il simule la perspective d autrui et non la sienne : il n y a pas mélange entre les perspectives, ce qui évite les confusions de personnalité Intuitivement, les notions d agent et d intentionnalité sont cruciales pour les normes sociales : la justice ne s y trompe pas, puisqu elle met ces notions au cœur de la problématique de la détermination de la culpabilité. A partir de ce constat, on a pu proposer une typologie de familles d émotions morales : Les émotions de condamnation d autrui (la colère et le mépris) ; Les émotions autoconscientes (honte, culpabilité). Ces émotions favorisent la prohibition des transgressions sociales. Par exemple, la culpabilité et la honte font comprendre à autrui que l on a conscience d avoir mal agi et aident ainsi à restaurer les relations sociales (et à tempérer les châtiments ) Ainsi, nous sommes prédisposés à faire instinctivement des évaluations émotionnelles de nos actes et de ceux d autrui et c est ce qui constitue le noyau du sens moral. Deux processus mentaux interviennent automatiquement lors d un jugement moral : une représentation mentale des actions et une évaluation affective. On se représente ainsi mentalement une action observée et le cerveau apporte évaluation qui engendre l émotion. Le système des émotions est bien impliqué dans la distinction et l évaluation du bien et du mal. Ainsi, par exemple, la culpabilité est une émotion fortement déplaisante qui favorise l interruption des agissements immoraux : elle est induite par une évaluation de soi négative et l attente d une punition pour réparer le tort causé à autrui.