2 FEVRIER 2006 D.04.0020.N/1 Cour de cassation de Belgique Arrêt N D.04.0020.N L. A., Me Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation, contre 1. CONSEIL NATIONAL DE L ORDRE DES PHARMACIENS 2. B. W., 3. A. D. M. J., Me Antoine De Bruyn, avocat à la Cour de cassation.
2 FEVRIER 2006 D.04.0020.N/2 I. La procédure de la Cour Le pourvoi en cassation est dirigé contre la décision rendue le 21 octobre 2004 par le conseil d appel d expression néerlandaise de l Ordre des pharmaciens. La demanderesse présente un moyen dans sa requête. Le conseiller Greta Bourgeois a fait rapport. L avocat général Guy Dubrulle a conclu. II. Le moyen de cassation Dispositions légales violées Articles 1 er et 2, 1 er et 2, de la loi du 5 août 1991 sur la protection de la concurrence économique, tant dans sa version antérieure que postérieure à la coordination par l arrêté royal du 1 er juillet 1999. Décisions et motifs critiqués La décision attaquée déclare établie la prévention à savoir avoir porté atteinte à l honneur et à la dignité de la profession en ne respectant pas les horaires de garde, et inflige, par ce motif, à la demanderesse une peine disciplinaire de réprimande sur la base des motifs suivants : «Il est reproché à la demanderesse d avoir ouvert son officine un samedi après-midi, soit le jour de fermeture habituel comme le prévoit l association locale des pharmaciens, de Kempense Apothekersvereniging. La circonstance que la demanderesse n était pas membre de cette association mais bien de l association Koninklijke Apothekersvereniging van Antwerpen n influence pas le caractère obligatoire de la réglementation : l officine de la demanderesse est, en effet, située dans le champ d action de la
2 FEVRIER 2006 D.04.0020.N/3 Kempense Apothekersvereniging et la décision de cette association lui a été communiquée régulièrement. La fixation des heures d ouverture et de fermeture et l instauration d un système de garde constituent un ensemble indivisible de mesures qui sont inspirées exclusivement par le souci d assurer la continuité du service c est-àdire la délivrance correcte de médicaments ; cela est utile à la santé publique et ne vise pas à avantager les intérêts matériels de certains pharmaciens ou l instauration ou le maintien d un quelconque régime économique. Cette réglementation ne viole, dès lors, pas l article 2 de la loi du 5 août 1991. En maintenant systématiquement l ouverture de son officine en-dehors des heures d ouverture habituelles, la demanderesse a mis en péril le bon fonctionnement du service et a ainsi agi en violation de l honneur et de la dignité de la profession. Il convient donc d appliquer une peine disciplinaire. La demanderesse indique que différents médecins de la région ont encore des consultations le samedi matin et qu ils lui auraient demandé d ouvrir son officine le samedi matin afin de permettre à leurs patients de se procurer les médicaments prescrits sans devoir se rendre chez le pharmacien de garde ; elle fait aussi état de son passé judiciaire vierge et du fait que les officines de garde sont parfois assez éloignées. Ces éléments ne peuvent justifier l infraction commise dès lors que la demanderesse ouvre «systématiquement» son officine chaque samedi aprèsmidi et pas seulement lorsque cela s avère nécessaire en raison d une circonstance particulière. Ces circonstances peuvent être prises en considération lors de la détermination de la mesure de la peine. Une réprimande semble appropriée en l espèce». Griefs En vertu de l article 1 er de la loi du 5 août 1991, pour l application de la présente loi il faut entendre par entreprise toute personne physique ou morale poursuivant de manière durable un but économique.
2 FEVRIER 2006 D.04.0020.N/4 En vertu de l article 2 de cette même loi, sont interdites toutes décisions d associations d entreprises qui ont pour objet ou pour effet d empêcher, de restreindre ou de fausser de manière sensible la concurrence sur le marché belge ou dans une partie substantielle de celui-ci. Même s ils ne sont pas commerçants au sens de l article 1 er du Code de commerce et même s ils occupent une fonction sociale, les pharmaciens exercent une activité visant l échange de biens ou de services. Ils poursuivent de manière durable un but économique et sont, dès lors, des entreprises au sens de l article 1 er de la loi du 5 août 1991. L Ordre des pharmaciens est une union professionnelle à laquelle tous ceux qui exercent la profession doivent être légalement inscrits. Les autorités ont confié certaines tâches à l Ordre notamment celle de veiller au respect de la déontologie et au maintien de l honneur, de la discrétion, de la probité et de la dignité de ses membres. L Ordre ne poursuit pas ainsi un but économique mais remplit une tâche légale pour laquelle il s est d ailleurs vu accorder une compétence réglementaire par ces autorités. Cela n empêche toutefois pas qu il constitue une association d entreprises au sens de l article 2, 1 er, de la loi du 5 août 1991 dont les décisions, dans la mesure où elles ont pour objet ou pour effet de porter atteinte à la concurrence, doivent être examinées par les organes disciplinaires de l Ordre eu égard aux exigences de la loi du 5 août 1991. Une décision d un organe de l Ordre qui impose à un ou plusieurs de ses membres des limitations de la concurrence qui ne sont pas nécessaires au maintien des règles fondamentales de la profession et qui en réalité tend à avantager certains intérêts matériels des pharmaciens ou à instaurer ou à maintenir un régime économique, peut constituer une décision d une association d entreprises dont la nullité peut être constatée d office par le conseil d appel. Un système de services de gardes dont dépend un régime de vacances peut être utile ou nécessaire pour assurer l octroi régulier et normal des soins de santé.
2 FEVRIER 2006 D.04.0020.N/5 Une telle réglementation doit toutefois répondre aux exigences de la libre concurrence et peut notamment être maintenue si elle répond aux besoins impératifs d un octroi régulier et normal des soins de santé. Qu il s ensuit que le conseil d appel doit à chaque fois examiner si le système des services de gardes dont le non-respect constitue le fondement des poursuites disciplinaires, répond aux besoins impératifs d un octroi régulier et normal des soins de santé. En l espèce, la réglementation des services de garde dont la violation est invoquée ne prévoyait pas seulement un service de garde mais imposait aussi des heures d ouverture et de fermeture pour tous les pharmaciens de la région. Une réglementation des services de garde ne répond toutefois qu aux besoins impératifs d un octroi régulier et normal des soins de santé dans la mesure où elle prescrit que l on est de garde certains jours au cours de certaines heures, c est-à-dire dans la mesure où elle garantit la continuité de l octroi régulier et normal des soins de santé, à savoir la délivrance de médicaments. En ce sens, peut être considéré comme un manquement déontologique, le fait de ne pas ouvrir une officine comme en l espèce ne pas ouvrir une officine au cours des heures de garde. Au contraire, ne répond pas aux besoins impératifs d un octroi régulier et normal des soins de santé, l interdiction d ouvrir son officine en-dehors des heures d ouverture fixées, telle, en l espèce, l interdiction d ouvrir l officine le samedi après-midi. Une telle obligation de fermeture le samedi après-midi limite la concurrence et la liberté d entreprise sans que cela soit utile ou nécessaire pour garantir un octroi régulier et normal des soins de santé et comprend, dès lors, une limitation de la concurrence qui tend uniquement à avantager les intérêts matériels de certains pharmaciens ou à instaurer ou à maintenir un régime économique et viole, dès lors, les articles 1 er et 2 de la loi du 5 août 1991. En l espèce, la demanderesse a simplement usé de son droit d exercer librement sa profession en fermant son officine le mercredi après-midi et en l ouvrant le samedi après-midi de 13 heures 30 à 17 heures et ce, à la demande des médecins des environs qui ont des consultations à ce moment-là et qui
2 FEVRIER 2006 D.04.0020.N/6 délivrent des ordonnances. Cette argumentation est d autant plus pertinente que les magasins commerciaux sont en principe ouverts le samedi après-midi. En décidant que la fixation des heures d ouverture et de fermeture et l interdiction qui en résulte d ouvrir son officine le samedi après-midi lorsque l on n est pas de garde, ne viole pas l article 2 de la loi du 5 août 1991 et en décidant sur cette base qu en ouvrant systématiquement son officine en-dehors des heures normales d ouverture la demanderesse a agi en violation de l honneur et de la dignité de la profession et en lui infligeant une peine disciplinaire sur cette base, le conseil d appel viole les dispositions légales citées par le moyen. III. La décision de la Cour 1.En vertu de l article 1 er de la loi du 5 août 1991 sur la protection de la concurrence économique, coordonnée par l arrêté royal du 1 er juillet 1999, pour l application de la présente loi il faut entendre par entreprise toute personne physique ou morale poursuivant de manière durable un but économique. En vertu de l article 2, 1 er, de la même loi, sont interdites toutes décisions d associations d entreprises qui ont pour objet ou pour effet d empêcher, de restreindre ou de fausser de manière sensible la concurrence sur le marché belge concerné ou dans une partie substantielle de celui-ci. 2.Même s ils ne sont pas commerçants au sens de l article 1 er du Code de commerce et même s ils occupent une fonction sociale, les pharmaciens exercent une activité visant l échange de biens ou de services. Ils poursuivent de manière durable un but économique et sont, dès lors des entreprises au sens de l article 1 er de la loi du 5 août 1991. 3.L ordre des pharmaciens est une union professionnelle à laquelle tous ceux qui exercent la profession doivent légalement adhérer. Les autorités ont confié certaines tâches à l Ordre des pharmaciens notamment celle de veiller au respect de la déontologie et au maintien de l honneur, de la discrétion, de la probité et de la dignité de ses membres. L Ordre ne poursuit pas ainsi un but économique mais remplit une tâche légale pour
2 FEVRIER 2006 D.04.0020.N/7 laquelle il s est d ailleurs vu accorder une compétence réglementaire par ces autorités. Cela n empêche toutefois pas qu il constitue une association d entreprises au sens de l article 2, 1 er, de la loi du 5 août 1991 dont les décisions, dans la mesure où elles ont pour objet ou pour effet de porter atteinte à la concurrence, doivent être examinées par les organes disciplinaires de l Ordre eu égard aux exigences de la présente loi. 4.Une décision d un organe de l Ordre des pharmaciens qui impose à un ou plusieurs de ses membres des limitations de la concurrence qui ne sont pas nécessaires au maintien des règles fondamentales de la profession et qui en réalité tend à avantager certains intérêts matériels des pharmaciens ou à instaurer ou à maintenir un régime économique, peut constituer une décision d une association d entreprises dont la nullité peur être constatée d office par le conseil d appel. 5.La réglementation d un service de garde qui inclut les jours et les heures d ouverture et de fermeture peut être utile ou nécessaire pour garantir un octroi régulier et normal des soins de santé. Cette réglementation doit répondre aux exigences de la libre concurrence et peut notamment être maintenue si elle répond aux besoins impératifs d un octroi régulier et normal des soins de santé. Le conseil d appel doit ainsi examiner si la réglementation des services de garde dont le non-respect constitue le fondement des poursuites disciplinaires, répond aux besoins impératifs d un octroi régulier et normal des soins de santé. 6.La décision attaquée constate qu il est reproché à la demanderesse d avoir ouvert son officine le samedi après-midi, soit le jour de fermeture habituel, comme prévu par l association locale des pharmaciens, la Kempische Apothekersvereniging. 7.La décision attaquée considère que la fixation des heures d ouverture et de fermeture et l instauration d un service de garde constituent un ensemble indivisible de mesures inspirées exclusivement par le souci d assurer la continuité du service, c est-à-dire la délivrance correcte de médicaments.
2 FEVRIER 2006 D.04.0020.N/8 8.La réglementation du service de garde de la Kempische Apothekersvereniging prive les pharmaciens de la liberté d ouvrir leur officine plus longtemps le samedi. 9.En décidant que cette réglementation de la Kempische Apothekersvereniging ne viole pas l article 2 de la loi du 5 août 1991 et qu en ouvrant systématiquement son officine en-dehors des heures normales d ouverture la demanderesse a mis en péril le bon fonctionnement du service et a ainsi agi en violation de l honneur et de la dignité de la profession, la décision attaquée viole les dispositions légales visées au moyen. 10.Le moyen est fondé. Par ces motifs, La Cour Casse la décision attaquée. Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de la décision cassée. Condamne la défenderesse aux dépens. Renvoie la cause devant le conseil d appel de l Ordre des pharmaciens d expression néerlandaise, siégeant à Bruxelles, autrement composé. Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient les présidents de section Robert Boes et Ernest Waûters, les conseillers Greta Bourgeois, Jean-Pierre Frère et Ghislain Londers, et prononcé en audience publique du deux février deux mille six par le président de section Robert Boes, en présence de l avocat général Guy Dubrulle, avec l assistance du greffier Philippe Van Geem.
2 FEVRIER 2006 D.04.0020.N/9 Traduction établie sous le contrôle du conseiller Didier Batselé et transcrite avec l assistance du greffier Marie-Jeanne Massart. Le greffier, Le conseiller,