Photographie et patrimoine Portrait de patrimoine Michel Eisenlohr, auteur photographe Invité par l association Métiers et Territoire et la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC PACA), j ai été très heureux de pouvoir participer aux discussions de cette journée d étude consacrée à la photographie et au patrimoine. Ma contribution est celle d un photographe qui, au fil de ses reportages personnels et des commandes auxquels il répond, porte son regard d artiste sur un sujet aux multiples facettes, ancré aussi bien dans le temps que dans l espace. Un regard qui lui est propre et qu il espère faire partager au public pour une redécouverte de ces lieux. Auteur photographe depuis plus de quinze ans, de formation littéraire, j ai abordé la photographie par le biais des voyages et par la rencontre avec d autres cultures, d autres paysages. La photographie est donc pour moi une forme de récit, de carnet de route et une manière de donner à voir le monde qui nous entoure. Les objets de patrimoine sont devenus au fil de mes travaux des sujets récurrents, même si le déclencheur de ces reportages ou leur parti pris artistique peuvent être très variés. En effet, ces reportages peuvent être le fruit soit de propositions spontanées, soit de commandes institutionnelles (collectivités, Centre des Monuments nationaux Direction régionale des Affaires culturelles, associations culturelles). En fonction de ces éléments, la démarche, les contraintes, l approche est bien évidemment différente. L un de mes premiers «portrait de patrimoine» a été consacré en 2005 au Palais Longchamp à Marseille. Pour moi, il s agissait de rendre hommage à mes souvenirs d enfance, à ma ville de jeunesse. Pour avoir accès à ce lieu, j ai contacté les personnes référentes à la mission du Grand Longchamp et dans les musées, qui m ont permis d accéder aux espaces cachés, à l envers du décor, et ce à des heures particulières et durant plusieurs saisons. Cette première expérience m a permis de travailler au cœur d un lieu, en devenant un visiteur privilégié et d avoir une relation intime avec le bâtiment photographié. L utilisation de l argentique et du numérique permettait d avoir différentes distances ; le choix du noir et blanc de jouer sur les N 37 Juillet 2017 Lettre d information Patrimoines en Paca DRAC / MET 1
contrastes et les effets de la lumière. Mais comment «faire voir» un reportage lorsqu il ne fait pas l objet d une commande? L enjeu est bien de trouver alors le bon moment, la belle rencontre qui permettra au travail de voir le jour. Il a ainsi fallu attendre 2012 et l organisation du Forum mondial de l Eau à Marseille pour présenter ce travail au sein du Muséum d Histoire naturelle, accompagné d un texte de Rudy Ricciotti. Autre projet resté bien des années dans mes boites de négatifs : le reportage «Images de Syrie». Invité au festival de la photographie d Alep en 2002, je fis le choix de m y rendre par la route, comme ont pu le faire certains écrivains pour leur Voyage en Orient. Alep, les villages antiques, Apamée, le Krack des Chevalier, Palmyre, Damas Ce reportage prend aujourd hui une dimension toute particulière en fonction de l actualité. Cet exemple démontre que la photographie de patrimoine n est jamais anecdotique, qu elle acquiert - même si ce n était pas le but premier recherché - une valeur d archive à celle de production artistique. Quinze ans après, ce travail est enfin présenté cette année à Saint Rémy de Provence sur le site archéologique de Glanum et à l Hôtel de Sade, gérés par le Centre des Monuments nationaux, sous la forme d un dialogue entre des patrimoines. N 37 Juillet 2017 Lettre d information Patrimoines en Paca DRAC / MET 2
Cathédrale La Major Michel Eisenlohr A côté de ces reportages spontanés, certains travaux répondent à une commande précise. Ce fut notamment le cas en 2013 pour la société EDF, dans le cadre de la mise en lumière du Palais Longchamp et de la cathédrale La Major à Marseille. Parmi les difficultés de l opération : des délais serrés, des contraintes techniques d éclairages et l obligation de concilier la volonté du commanditaire en termes de communication et garder une approche spontanée du monument, une forme de poésie que l on peut précisément révéler en nocturne. Cathédrale La Major Michel Eisenlohr Ce même type de démarche fut renouvelé avec «Paris my dream» pour le Centre des Monuments nationaux. Commande précise et assez complexe que de photographier 16 monuments patrimoniaux ou contemporains de Paris en nocturne, et destinée à être présentée au French May 2015 à Hong-Kong. N 37 Juillet 2017 Lettre d information Patrimoines en Paca DRAC / MET 3
Paris my dream Michel Eisenlohr La mise en œuvre de certains reportages suit au contraire un processus au long cours. Réalisés sur plusieurs mois, voire plusieurs années, ces reportages permettent d aborder l objet patrimoine avec plus de sérénité et de l inscrire lui-même dans le temps et dans l espace. Ceci a été le cas pour le reportage «Gardiens des cimes» initié en 2015-2016 avec l ADTRB Pays de la Roya et Bevera (Alpes-Maritimes) et qui se poursuit en 2017-2018 pour la Communauté de communes Ubaye Serre-Ponçon (Alpes de Haute Provence). Les phases préparatoires de discussion, de prise de contacts avec les acteurs de terrain, la lecture de cartes ou de récits permettent une appropriation des lieux. Les séjours sur place, de jour comme de nuit, à capter la lumière du soleil ou de la lune, sont une tentative pour apprivoiser le monument. Il s agit en quelque sorte de présenter le patrimoine à la fois dans son macrocosme, l environnement avec lequel il interagit, comme dans son microcosme, par l histoire intime des hommes qui l ont habité. Je cherche ainsi une forme d empathie avec l histoire qui a eu lieu, à capter les traces de la petite histoire dans la Grande Histoire. N 37 Juillet 2017 Lettre d information Patrimoines en Paca DRAC / MET 4
Ce rapport au territoire est tout aussi important lorsqu il s agit de patrimoine urbain. Dans le cas d «Enclaves urbaines, Hong-Kong», l envie et l idée sont nées d un séjour personnel, et dont le propos s est construit au fur et à mesure. Suivant d abord une démarche très spontanée, par des déambulations sans sujet précis, juste guidé par les contrastes de la ville, ce reportage s est ensuite structuré par l analyse des premières photos et les échanges avec des urbanistes, chercheurs, architectes : rendre compte de zones de ruptures dans la ville, montrer l intime au milieu du gigantisme, témoigner comment le patrimoine, la nature, résistent face au monde moderne. Ce travail mené sur plusieurs années est soutenu par le Consulat de France à Hong-Kong et a rejoint les préoccupations scientifiques de l Université de Hong- Kong. Ainsi, une exposition sera présentée au musée de la photographie F22 en décembre 2017, accompagnée d un colloque sur ce phénomène historique et urbain. Enclaves urbaines, Hong-Kong Michel Eisenlohr Enclaves urbaines, Hong-Kong Michel Eisenlohr La diversité de ces portraits, de ces démarches, illustre bien tout ce que peut apporter la photographie sur l objet patrimoine, une documentation, un instantané de son état, et surtout un point de vue personnel qui peut, peut-être, donner encore davantage à voir et à imaginer. N 37 Juillet 2017 Lettre d information Patrimoines en Paca DRAC / MET 5