Zone muette des représentations sociales et comparaison sociale

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Transcription:

II e Colloque International «Psychologie Sociale de la Communication» Université de Bourgogne (Dijon) 22/23 juin 2007 Zone muette des représentations sociales et comparaison sociale Christian GUIMELLI Florent LHEUREUX Grégory LO MONACO Laboratoire de psychologie sociale Université de Provence (Aix-Marseille 1)

Exprimer des opinions, attitudes et croyances représente un acte social et, en tant que tel, fait l objet d un contrôle de la part des individus Dans le cadre de l étude des représentations sociales (Moscovici, 1976) plusieurs travaux font l hypothèse qu il existe des «zones muettes» au sein de ces représentations (Guimelli et Deschamps, 2000 ; Deschamps et Guimelli, 2004 ; Flament, Guimelli et Abric, 2006 ; Chokier et Moliner, 2006 ; Rateau, 2006)

«Zone muette»? C est «un ensemble de cognitions, qui, tout en étant disponibles, ne seraient pas exprimées par les sujets dans les conditions normales de production» (Guimelli et Deschamps, 2000) Pourquoi? Car «si elles étaient exprimées [ ] elles pourraient mettre en cause des valeurs morales ou des normes valorisées dans le groupe»

«Zone muette»? Concernant un objet «sensible» (ex. : l insécurité, l Islam, les gitans) l expression de croyances contre-normatives ferait en effet l objet d une autocensure. Deux techniques sont utilisées pour mettre en évidence ce phénomène : - la «substitution» (Guimelli et Deschamps, 2000) - la «décontextualisation normative» (Abric, 2003)

La technique de «substitution» est inspirée des travaux de Jellison et Green (1981). Les individus sont amenés à s exprimer comme le ferait un groupe de substitution (ex. : les Français en général). Ce groupe est choisi selon l objet étudié et l appartenance catégorielle des personnes interrogées On peut comparer les réponses obtenues par ce biais aux réponses obtenues lorsque les individus s expriment pour eux-mêmes.

Les croyances contre-normatives sont alors plus exprimées en substitution qu en condition standard d expression (pour soi) Par exemple (Guimelli et Deschamps, 2000) : Les «Gitans» sont «voleurs» (associations verbales) - pour 20% des sujets en condition standard - pour 64% des sujets en substitution

Ce phénomène serait dû au fait qu en ayant la possibilité de s exprimer par substitution les individus sont moins impliqués dans leurs réponses et donc ressentiraient moins la pression normative (Guimelli et Deschamps, 2000) Mais est-ce réellement le cas? Les individus n expriment-ils pas plutôt la représentation qu ils infèrent aux autres? (Abric, 2003)

D autres travaux (Chokier et Moliner, 2006 ; Moliner, Brigaud-Charbonnier et Maarouf, 2006 ; Rateau, 2006) montrent qu en réalité l utilisation de cette technique met les individus en situation de comparaison sociale. Plus précisément, les individus utiliseraient la comparaison avec autrui pour maintenir une image positive en attribuant aux autres les croyances contre-normatives et en s attribuant les croyances pro-normatives («politiquement correctes»)

Toutefois, les travaux de Mussweiler (2003 ; 2001 ; Mussweiler et Strack, 1999) montrent que l ordre d expression des réponses amène les individus à adopter différentes stratégies de comparaison Ordre SOI-AUTRUI phénomène de «contraste» Ordre AUTRUI-SOI phénomène «d assimilation»

Rateau (2006) montre que les réponses obtenues en contexte standard d expression et en contexte de substitution ne sont différentes (contrastées) que lorsque l ordre est SOI-AUTRUI Donc? - l utilisation d une technique de substitution n implique pas (ou pas uniquement) l expression du système de pensée attribué à autrui - il semble y avoir dans l expression de la zone muette d une représentation des phénomènes de comparaison sociale

Objectifs de la présente recherche : - Confirmer l utilité de la technique de substitution - Confirmer l importance de la comparaison sociale dans l expression de la zone muette des représentations sociales

Méthode Population : étudiants volontaires de l Université de Provence Objet : Les MUSULMANS (Flament, Guimelli et Abric, 2006) Procédure : - Pré-tests (n=104) : quatre groupes d individus, un groupe en substitution, un en condition standard, un doit donner la meilleure image de soi et le dernier doit donner la plus mauvaise image.

Méthode Procédure : - Expérience (n=105) : Tous les sujets s expriment selon deux Consignes d expression (standard vs. substitution). 1 VI intrasujets VI 1 : Nature normative des croyances (pro vs. contre) 2 VI intersujets VI 2 : Ordre des consignes (STD-SUB vs. SUB-STD) VI 3 : Saillance de la comparaison (forte vs. faible)

Méthode VD = différence entre le score en STD et le score en SUB (échelles à 7 modalités) Si différence positive = accord STD > SUB ex. : pour l item «les Musulmans sont chaleureux» un sujet répondra par exemple : «plutôt d accord» (codé +1) pour luimême et «plutôt en désaccord» (codé 1) en substitution. différence scorestd scoresub = +1 ( 1) = +2 Si différence négative = accord STD < SUB Permet de rendre compte des phénomènes de «contraste» (si différence est forte) et d assimilation (si différence faible)

Hypothèses principales H1 : reproduction des résultats de Rateau (2006) concernant l effet de l ordre («contraste» avec ordre STD-SUB et «assimilation» avec ordre SUB-STD). H2 : modulation de l effet d ordre par la saillance de la comparaison. On s attend à ce que lorsque la comparaison est rendue explicite (forte) l effet de l ordre est plus important (différentiel plus fort) que quand la comparaison n est pas rendue explicite.

Items Zone muette des représentations Résultats pré-tests (échelles à 7 modalités, 7=accord total) Beaucoup de musulmans sont intégristes ou extrémistes Les musulmans pratiquent une religion qui peut conduire au terrorisme La plupart des musulmans ne s intègrent pas à la société Les musulmans autorisent la polygamie Les musulmans méconnaissent le principe d égalité entre les sexes L Indonésie est le plus grand pays musulman Les musulmans ont une religion qui prône le respect Les musulmans se réfèrent au Coran pour pratiquer leur religion Consigne pro-normative Consigne contre-normative Différentiel F(1,58) p< 2,55 4,67-2,12 20,99,0001 3,23 4,77-1,54 8,94,01 3,57 4,73-1,16 7,17,01 4,05 5,10-1,05 4,50,04 4,53 5,27-0,74 3,04,09 3,96 3,83 0,13,05 ns 4,57 3,47 1,1 5,96,02 5,57 4,40 1,17 6,71,02 Les musulmans sont chaleureux 4,76 3,13 1,63 16,34,001 Les musulmans sont victimes de racisme Les musulmans ont le devoir de ne jamais laisser leurs familles dans le besoin Les musulmans peuvent pratiquer leur religion en France 5,37 3,63 1,74 14,69,001 5,35 3,60 1,75 14,89,001 5,93 3,73 2,2 24,51,00001

Résultats expérience Effet F(1;101) p< Ordre 15,33.0002 Nature normative des croyances 139,78.0000 Saillance de la comparaison 0,44 n.s. Ordre*Nature 20,54.0000 Ordre*Saillance 0,01 n.s. Nature*Saillance 0,50 n.s. Ordre*Nature*Saillance 3,37.06

2 1,5 1 0,5 0-0,5-1 -1,5 0,82 0,71 1 2-1,08 1,43 0,56 5 6 3 4 7 8-0,75 Rappel : - différentiel positif = accord STD > SUB -2-2,5-3 -2,12-2,59 - différentiel négatif = accord STD < SUB 1 = Saillance de la comparaison faible ; Items pro normatifs ; Ordre STD-SUB 2 = Saillance de la comparaison faible ; Items pro normatifs ; Ordre SUB-STD 3 = Saillance de la comparaison faible ; Items contre normatifs ; Ordre STD-SUB 4 = Saillance de la comparaison faible ; Items contre normatifs ; Ordre SUB-STD 5 = Saillance de la comparaison forte ; Items pro normatifs ; Ordre STD-SUB 6 = Saillance de la comparaison forte ; Items pro normatifs ; Ordre SUB-STD 7 = Saillance de la comparaison forte ; Items contre normatifs ; Ordre STD-SUB 8 = Saillance de la comparaison forte ; Items contre normatifs ; Ordre SUB-STD

Discussion 1/ Des objectifs atteints. l utilisation de la technique de substitution permet dans une certaine mesure de favoriser le démasquage des croyances contre-normatives. cette technique permet cela en mobilisant la comparaison de soi à autrui

Discussion 2/ Des perspectives prometteuses. Il serait notamment particulièrement intéressant de faire varier l appartenance catégorielle de l autrui servant de comparaison (endo vs. exo groupe ; majoritaire vs. minoritaire ; pro-normative vs. contrenormative etc.) et d étudier les processus de différenciation intergroupes intervenant dans le masquage/démasquage des zones muettes. Mettre au cœur de l étude des phénomènes de masquage l importance de l identité sociale.

II e Colloque International «Psychologie Sociale de la Communication» Université de Bourgogne (Dijon) 22/23 juin 2007 Zone muette des représentations sociales Merci de votre attention et comparaison sociale Christian GUIMELLI Florent LHEUREUX Grégory LO MONACO Laboratoire de psychologie sociale Université de Provence (Aix-Marseille 1)