Carcinome in situ : ce qui a changé Qui reprendre chirurgicalement? Who needs surgical reexcision? Mots-clés : Carcinome canalaire in situ - Marges d exérèse - Recoupes chirurgicales - Chirurgie conservatrice - Radiothérapie - Rechutes locales. Keywords: Ductal carcinoma in situ - Surgical margins - Cavity margins - Surgical conservative treatment - Radiotherapy - Local recurrences. C. Tunon de Lara*, F. Valentin**, G. Mac Grogan***, H. Laharie-Mineur**** Les carcinomes canalaires in situ (CCIS) représentent 15 à 20 % des cancers du sein en dépistage organisé. Il s agit le plus souvent de lésions infracliniques, sous forme de microcalcifications dans 80 % des cas. Le traitement chirurgical standard repose sur l association d une chirurgie conservatrice en berges saines et d une irradiation de 50 Gy sur la glande mammaire. Il aura fallu au préalable exclure les indications de mastectomies totales : en cas de lésions étendues, multifocales, ne permettant pas un résultat esthétique de bonne qualité, ou selon le souhait de la patiente [1]. De nombreuses études, essais randomisés [2, 3] et analyses rétrospectives [4-7], ont montré l importance de l exérèse chirurgicale complète, qui est le facteur de risque de rechute locale le plus important. La radiothérapie diminue le risque de rechute locale, surtout sur un mode infiltrant, mais ne rattrape pas une chirurgie non optimale. Ce qui a changé La prise en charge thérapeutique des lésions infracliniques est paradoxalement la plus complexe. Elle s adresse à des patientes asymptomatiques ; la prise en charge chirur- * Institut Bergonié, département de chirurgie, Bordeaux. ** Institut Bergonié, département d imagerie médicale-sénologie, Bordeaux. *** Institut Bergonié, département d anatomopathologie, Bordeaux. **** Institut Bergonié, département de radiothérapie, Bordeaux. 182
Qui reprendre chirurgicalement? gicale se fait souvent en plusieurs temps et les propositions thérapeutiques peuvent évoluer au fils des interventions. Cependant, la difficulté réside à la fois sur la réalisation du geste chirurgical et sur l analyse anatomopathologique de la pièce opératoire, pour obtenir une exérèse in sano, avec des marges de sécurité suffisantes. En effet, le plus souvent, le chirurgien opère une lésion non palpable, repérée par le radiologue et analysée essentiellement en microscopie par le pathologiste. D autre part, la prise en charge des CCIS se standardise (SOR CCIS 2004) et s améliore grâce à une approche multidisciplinaire (radiologue, chirurgien, pathologiste). L entente entre radiologue et chirurgien est capitale pour : décider de la réalisation d une macrobiopsie assistée par aspiration permettant de préparer un geste chirurgical adapté et optimal (RCP radiochirurgicale) ; décider de la réalisation ou non d un traitement chirurgical conservateur (RCP radiochirurgicale) en précisant autant que faire se peut l extension locale en imagerie ; un repérage préopératoire situé à moins de 10 mm de la lésion qui rend le geste opératoire plus aisé et diminue les risques d exérèse incomplète ; interpréter la radiographie de la pièce opératoire afin d evaluer le caractère complet de l image enlevée. L entente entre le chirurgien et le pathologiste est elle aussi primordiale, car l analyse de la pièce sera facilitée si : l exérèse est monobloc, la pièce est orientée, les recoupes, quand elles sont réalisées, sont orientées. Ces recommandations sont retrouvées dans les SOR CCIS publiés en 2004 [1]. L examen extemporané des pièces opératoires n est pas recommandé par les SOR sauf si l examen de la pièce retrouve une lésion macroscopiquement suspecte de plus de 10 mm. Chagpar et al. [8] montrent dans leur étude que l examen macroscopique des berges d exérèse de la tumorectomie confronté à la recherche de microcalcifications sur la radiographie de la pièce opératoire diminue le nombre de réexcisions. Camp et al. [9], analysant une série de 220 patientes dont 47 CCIS, constatent une diminution du taux de reprises chirurgicales mais observent des taux de rechutes locales qui laissent pour le moins perplexe (15,6 %) [tableau]. L examen des dossiers en RCP a considérablement modifié la prise en charge thérapeutique des patientes grâce à la multidisciplinarité qui inclut ici le radiothérapeute. Tableau. Apport de l examen extemporané des recoupes chirurgicales (RL = rechute locale). Extemporané des recoupes Prise en charge classique Reprise chirurgicale 5,8 % (11/189) 33,3 % (26 /78) RL si infiltrant 1,9 % 3,1 % RL si in situ 15,6 % 6,6 % 183
C. Tunon de Lara, F. Valentin, G. Mac Grogan, H. Laharie-Mineur Qui reprendre chirurgicalement? Le but de la reprise chirurgicale est d obtenir une exérèse complète lorsque l histologie de la pièce opératoire initiale montre une ou des berges non saines, afin d optimiser la radiothérapie adjuvante et diminuer le risque de rechute locale, surtout sur son mode infiltrant. Les patientes sont considérées en berges non saines si une ou plusieurs recoupes chirurgicales présentent des lésions de CCIS situées à moins de 3 mm de la face encrée de la recoupe [1, 10]. Une reprise chirurgicale sera indiquée sachant que le risque de faux négatifs existe dans environ 50 % des cas [10] en cas d infiltration de l encre dans une pièce fragmentée, fragmentation aggravée par le caractère graisseux de la glande mammaire et la radiographie de la pièce en compression, rétraction de la pièce sous l effet de la fixation. Lorsque plusieurs recoupes sont positives, le risque de multifocalité est augmenté [10-12]. Il est impératif de prévenir la patiente du risque de mastectomie complémentaire avec toujours une possibilité de reconstruction mammaire immédiate. Problèmes chirurgicaux associés Dans tous les cas, le chirurgien peut alors être confronté à des difficultés techniques dues soit à la petite taille du sein, rendant la chirurgie inesthétique, soit à la situation dans le sein (quadrants inférieurs ou supéro-internes). Volume du sein Nous avons pris l habitude de noter sur les observations le poids (kg), la taille (cm) et la taille des bonnets de soutien-gorge (cm/lettre). Ces mensurations sont d une aide précieuse lorsqu en réunion de concertation pluridisciplinaire, une décision de reprise chirurgicale doit être discutée. Lorsque le volume du sein est vraiment limité (bonnet A), et surtout en cas d atteinte multiple des berges, on peut proposer une mastectomie d emblée. La patiente sera informée du risque de séquelles inesthétiques en cas de reprise de la loge de tumorectomie, mais aussi du risque de ne pas retrouver d atteinte carcinomateuse si l option thérapeutique choisie est la mastectomie. Dans tous les cas, une RMI sera systématiquement proposée. En fonction du quadrant Une reprise chirurgicale dans certains quadrants du sein est parfois techniquement plus difficile, en particulier dans les quadrants supéro-interne et inférieurs. La chirurgie oncoplastique permet de réaliser des exérèses plus larges sans entraîner de modification du galbe ou du volume du sein. Ces techniques peuvent être utilisées lors de la première intervention chirurgicale ou lors de la reprise. Elles concernent plutôt 184
Qui reprendre chirurgicalement? les patientes ayant un volume mammaire et/ou une ptose importants. Une symétrisation peut ensuite être proposée, soit d emblée, soit de façon différée si le risque de mastectomie est important. Réexcision positive On ne peut généralement proposer à la patiente que la réalisation d une mastectomie simple sans prélèvement ganglionnaire. Une RMI sera proposée, la technique chirurgicale sera à adapter en fonction de la morphologie et des choix de la patiente. Choix de la patiente Si, dans la plupart des cas, les patientes suivent les conseils de leur médecin, dans de rares cas, on peut être confronté à des réactions irrationnelles diverses. Certaines patientes demandent des mastectomies pour des lésions non-carcinomateuses (hyperplasie épithéliale atypique, par exemple), d autres refusent des mastectomies pour des lésions étendues. Il est important d informer ces patientes de l évolution naturelle de la maladie (risque de RL dans la moitié des cas sur un mode invasif) ou des séquelles d une chirurgie inutile, et de noter ces informations dans le dossier médical. Dans tous les cas, ces dossiers feront l objet d une concertation pluridisciplinaire et un entretien avec un psychologue sera proposé. Conclusion Au final, toute patiente présentant une exérèse limite ou positive doit faire l objet d une reprise chirurgicale. Les marges chirurgicales envahies sont le premier facteur de risque de rechute locale et le seul que l on puisse contrôler. La réalisation de recoupes orientées permet d éviter les reprises chirurgicales et les faux négatifs d exérèse incomplète. L examen extemporané des recoupes chirurgicales n est pas recommandé. La patiente doit être informée des risques de mastectomie si la réexcision est positive. Une proposition de RMI sera toujours associée à l indication de la mastectomie. Réferences bibliographiques [1] Cutuli B, Fourquet A, Luporsi E et al. Standards, Options and Recommendations for the management of ductal carcinoma in situ of the breast (DCIS): update 2004. Bull Cancer 2005;92(2):155-68. [2] Bijker N, Peterse JL, Duchateau L et al. Risk factors for recurrence and metastasis after breastconserving therapy for ductal carcinoma-in-situ: analysis of European Organization for Research and Treatment of Cancer Trial 10853. J Clin Oncol 2001;19(8):2263-71. 185
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