Propagande et arts totalitaires en URSS (auteur: J.-B. DE SALES) Comment le nouveau régime soviétique va-t-il mettre en scène son message politique? Quelles sont les originalités de cet art soviétique au service de la propagande? Un art pour les masses et au service du pouvoir Tableaux de la série Lénine du peintre russe Vladimir Serov (huile sur toile), c est le réalisme soviétique. Ci-contre à gauche, Lénine annonce le décret sur la terre au Congrès des Soviets (1947) Ci-dessus, Lénine s adressant au second congrès des soviets Commencée avec Lénine, la propagande reprend les techniques utilisées pendant la Grande Guerre: les messages sont simples, les idées doivent atteindre le simple citoyen soviétique qui sait à peine lire ou écrire. Par exemple dans les affiches de propagande bolcheviques, l utilisation de deux ou trois couleurs où le rouge domine doit montrer le caractère nouveau et révolutionnaire du régime dirigé par Lénine. Le message est souvent caricatural renvoyant à la lutte entre le bien et le mal. L autre caractère de cette propagande trouve son expression dans un art officiel qui commence à se mettre en place au début des années 20. Il s agit de mettre en scène le peuple révolté qui écoute et suit Lénine. Le chef devient un guide qu il faut écouter pour construire un nouvel ordre social abolissant la tyrannie des Tsars. 1
Photographie de Boris Ignatovitch, Construction d une route à Moscou, 1930. Artiste de l avant-garde russe, il construit ses œuvres en cherchant à saisir le quotidien dans un style réaliste (il s inspire de l hyper réalisme allemand des années 20). Pour en savoir plus : http://www.arte.tv/fr/icones-del_e2_80_99avant-garderusse/1467360.html Avec Staline, les artistes sont entièrement mis au service du régime, ils doivent être syndiqués et être membre du parti communiste. On utilise de nouveaux supports comme le cinéma (voir Eisenstein), la radio, la photo ou la sculpture. Les techniques sont plus abouties et la propagande soviétique veut montrer le visage d un pays où les gens trouvent le bonheur dans le travail. Il s agit de mettre en scène les travailleurs qui construisent un pays neuf tournée vers le progrès et la modernité. L homme et la technique forment un tout qui fait avancer le pays. Dans ce contexte, la représentation de l utilisation des machines, encore peu répandue dans les années 1920 et 1930, revêt une signification particulière : les machines sont présentées comme des emblèmes de la force et du progrès communiste. L ouvrier et la kolkhozienne, statue de Véra Mukhina réalisée pour l exposition universelle de Paris en 1937. 2
Le cinéma d Eisenstein En 1919, le cinéma est nationalisé par Lénine car il doit instruire les masses et les rallier à l idéologie communiste. Sergueï Mikhailovitch Eisenstein (1898-1948) met son talent de réalisateur au service du régime. Ses quatre films muets sont tous consacrés à la gloire du régime communiste. La grève (1924) et le Cuirassé Potemkine (1925) racontent les luttes contre le pouvoir tsariste. Octobre (1927) est une reconstitution de la révolution de 1917 et La Ligne générale (1929) exalte la mise en œuvre de la politique agricole de Staline. En 1946, la seconde partie de son film Ivan le Terrible qui montre un tyran, est interdite par Staline (alors que Staline avait beaucoup aimé la première partie de ce film et datant de 1944). 3
Propagande et art totalitaire: Staline et la jeunesse Dossier pour l histoire des arts Boris Ignatovich: jeunes dans le nouveau Moscou (1936) Dans cette photographie, l artiste montre le visage rayonnant de la jeunesse soviétique, une jeunesse optimiste qui croit dans le futur d une société communiste et égalitaire La jeune femme est au premier plan, elle porte les cheveux courts, le jeune homme est en retrait et montre de la timidité, c est le symbole de l égalité homme/femme en URSS). La beauté des visages et des corps se combinent ici avec la simplicité. Le décor est épuré et ne vient pas perturber les personnages, la verticalité du bâtiment en verre et sa sobriété rappelle celle du personnage masculin (on voit derrière un bâtiment de style art déco qui semble être une piscine). Il se dégage de la photo une étonnante modernité. Déjà sous Lénine, la propagande officielle utilisait l image des enfants pour montrer un Lénine tendre et attentionné envers les plus jeunes. Cette image a été popularisée dans les écoles soviétiques par la figure du bon oncle Lénine. En présentant Vladimir Ilitch dit Lénine sous les traits rassurants du bon oncle Lénine, la propagande détourne au profit des dirigeants soviétiques, en l'occurrence Staline, la vieille imagerie officielle, si familière aux Russes, du tsar " petit père des peuples ". Si Lénine peut incarner à son tour cette image chère aux populations, à plus forte raison Staline, qui s'est autoproclamé " meilleur disciple " de Vladimir Ilitch, le peut aussi. Il ne va d'ailleurs pas s'en priver. On connaît la photographie officielle, reprise, en France, à la Une de La Vie ouvrière, le journal de la CGT, le lendemain de sa mort, en 1953. On y voit Staline serrant dans ses bras une adorable petite Bouriate qui tient un bouquet de fleurs plus gros qu'elle. Cette image a fait le tour du monde, symbolisant l'amour de Staline pour les enfants, et pour leurs parents. 4
Pourtant, c'est cette image-là comme d'autres du même genre qui ont servi la propagande stalinienne, découlent toutes de l'image dont on a voulu doter Lénine. Or la légende d'oncle Lénine se heurte à une difficulté majeure : il est impossible de trouver la moindre photographie de Vladimir Ilitch avec un enfant... Vasilii Svarog, Staline rencontre des enfants dans le parc Gorky, 1931 Affiche de propagande de 1936 pour le Komsomol (mouvement des jeunesses communistes, en fait un mouvement obligatoire pour la jeunesse en URSS), «Merci cher Staline pour notre enfance heureuse.» L utilisation des enfants dans l imagerie de propagande des régimes totalitaire sera promise à un beau succès tout au long du XXe siècle! 5