Mission EgalitéS -1- mai 2006. Reine Prat. reine.prat@culture.gouv.fr Mcc Dmdts 53, rue Saint-Dominique 75 007 Paris 01 40 15 38 13



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Transcription:

Mission EgalitéS Pour une plus grande et une meilleure visibilité des diverses composantes de la population française dans le secteur du spectacle vivant -1- Pour l'égal accès des femmes et des hommes aux postes de responsabilité, aux lieux de décision, à la maîtrise de la représentation mai 2006 Reine Prat reine.prat@culture.gouv.fr Mcc Dmdts 53, rue Saint-Dominique 75 007 Paris 01 40 15 38 13 Reine Prat mission pour l'égalité et contre les exclusions rapport d'étape n 1 1

Préambule p. 4 Pour l'égal accès des femmes et des hommes... p. 6 Une méthode inspirée de la Charte de l'égalité... p. 7... appliquée au spectacle vivant p. 8 Un double constat : une situation fortement inégalitaire... p. 9... qui induit un fonctionnement homosocial préjudiciable à la vitalité du secteur p. 11 «L'autre absolue», une construction culturelle p. 12 Objectifs p. 14 Une responsabilité particulière aux arts du spectacle? p. 15 Questions de représentation p. 16 Des systèmes de filtres p. 18 qui laissent les talents en jachère et les viviers improductifs qui s'exercent aussi, plus ponctuellement, à l'encontre des garçons Une responsabilité collective p. 20 L'histoire du vote de la loi sur la parité est éclairante p. 21 Reine Prat mission pour l'égalité et contre les exclusions rapport d'étape n 1 2

Les freins à l'égalité préjugés, idées reçues et pratiques discriminatoires et comment en sortir p. 22 L'accès aux postes de direction p. 23 Rares sont les candidates Des réticences difficiles à formuler Quand les craintes s'expriment Quand il s'agit d'artistes... Et les interprètes... «Sois belle et tais-toi»? p. 27 Comédienne ET metteuse en scène? La musicienne, le paravent, l'orchestre et l'hôpital La danseuse et le Colosse Des quotas... d'élimination Questions de genres : interroger la convention... Préconisations p. 30 Fixer des objectifs quantifiés de progression Adopter des mesures simples, d'application immédiate Partager ces objectifs Elargissement du chantier «égalités» à de nouvelles problématiques p. 35 Réactions, participations, initiatives p. 36 Partenaires p. 36 Annexes Des chiffres p. 37 Environnement juridique p. 48 Bibliographie p. 51 Citations p. 54 Reine Prat mission pour l'égalité et contre les exclusions rapport d'étape n 1 3

Dans un article paru au printemps 2005, le ministre de la culture et de la communication évoquait la nécessité du «dialogue, avec les professionnels du spectacle comme avec les collectivités territoriales, [...] pour aller vers une plus grande transparence et une plus grande ouverture, afin d'enrichir les liens des institutions [du spectacle vivant] avec la société», il rappelait son engagement en faveur de «la diversité culturelle» et s'étonnait en particulier de la faible présence des femmes aux postes de responsabilité : «Est-il par exemple normal que sur les trente-huit directeurs de centres dramatiques nationaux et régionaux, on ne compte que trois femmes?» Renaud Donnedieu de Vabres, Ma politique pour le spectacle vivant, in La Lettre du spectacle, 1 er avril 2005. C'est dans ce contexte que la direction de la musique, de la danse, du théâtre et des spectacles a engagé, au printemps 2005, une mission d'analyse et de propositions visant «à assurer, dans [ses] domaines d'intervention, une plus grande et une meilleure visibilité des diverses composantes de la population française, notamment des femmes. La nécessité d'une représentation plus juste de cette diversité est en effet perceptible aujourd'hui.» Jérôme Bouët, directeur de la musique, de la danse, du théâtre et des spectacles, note du 29 mars 2005. Que le spectacle vivant s'enrichisse, dans son organisation comme dans les représentations qu'il propose, de toutes les différences qui composent la société française, c'est l'objet d'un chantier auquel sont invités à s'associer tous les acteurs et partenaires du secteur. «Nous vivons dans un petit monde, construit selon des lois artificielles, et qui ne correspond en rien à la population à qui nous sommes censés nous adresser. Et d'ailleurs nous ne nous adressons pas à elle. Peu à peu, le public aussi s'est calibré : le niveau social, la couleur de la peau, l'absence de handicap. Le fait de refuser de faire entrer la féminité, les couches populaires, les cultures autres que françaises, la maladie, la fragilité physique et psychique dans le monde de ceux qui font et décident du théâtre me paraît le condamner à l'ennui.» Claire Lasne, directrice du centre dramatique régional de Poitou- Charentes, lettre du 14 décembre 2005. Dans ce premier document, nous n'aborderons qu'un seul aspect de la question, celui de l'égalité des hommes et des femmes. D'autres travaux suivront qui s'attacheront plus spécifiquement à mettre en lumière les autres types de discrimination à l'oeuvre dans notre secteur (consciemment ou non) et envisageront les moyens de les réduire. Reine Prat mission pour l'égalité et contre les exclusions rapport d'étape n 1 4

Comme le soulignent les chefs d'entreprise interrogés par Yamina Benguigui dans son film Les Défricheurs, sorti en salle en janvier 2006, le conformisme des systèmes de recrutement, figés dans l'auto-reproduction, maintient l'entreprise dans une disharmonie et une disjonction d'avec le corps social de la nation qui entravent sa compétitivité et la menacent de sclérose. L'adoption, le 22 octobre 2004, par une quarantaine d'entreprises, de la Charte de la diversité entend favoriser des transformations jugées vitales. «La Charte de la diversité dans l'entreprise repose sur une idée simple. Nos entreprises ont intérêt à refléter la diversité de la société dans laquelle elles sont implantées. De la même façon que la mixité hommes/femmes au travail est, de fait, un facteur de dynamisme social et un stimulateur de performances, la diversité relève non pas de la compassion mais bien de l'intérêt économique et social de l'entreprise.» La difficulté de se renouveler et de s'ouvrir à la diversité constitutive du corps social de la nation, s'observe de la même manière dans les entreprises et les réseaux de notre secteur. En prendre conscience suppose de décrire un certain nombre de phénomènes et de problématiques généralement passées sous silence, de dire ce que l'on a coutume de taire. C'est à quoi nous nous attachons dans ce texte. Il s'agit ensuite d'adopter une démarche volontariste et collective en faveur de l'égalité dans tous les domaines et à tous les niveaux de responsabilité. Dans notre secteur, il y va non seulement de l'intérêt économique et social mais aussi du contenu artistique, de sa diversité, partant, de son rayonnement. Une telle démarche demande d'abord un effort d'imagination. Reine Prat mission pour l'égalité et contre les exclusions rapport d'étape n 1 5

Pour l'égal accès des femmes et des hommes aux postes de responsabilité, aux lieux de décision, à la maîtrise de la représentation «Les actions positives [...] sont destinées à corriger et à surmonter les discriminations dont les femmes sont l'objet. Elles traduisent la nécessité d'une dimension volontariste pour accroître le nombre de femmes dans les emplois supérieurs. Ces actions positives sont légitimes et fondées en droit.» Anicet Le Pors et Françoise Milewski, Vouloir l'égalité, troisième rapport du comité de pilotage pour l'égal accès des femmes et des hommes aux emplois supérieurs des fonctions publiques, Documentation française, 2005. C'est à l'invention et à la mise en oeuvre d'actions positives qu'invite le présent document. Il dresse un premier état des lieux, formule des pistes de réflexion, propose des méthodes d'action et suggère quelques mesures concrètes immédiatement applicables. Ces données et propositions ont été élaborées à partir de chiffres fournis par les directions régionales des affaires culturelles et par les centres de ressources du spectacle vivant, à partir d'entretiens individuels, de groupes de réflexion informels, de rencontres institutionnelles. Elles se sont enrichies de la lecture d'ouvrages de référence et de documents d'actualité. Reine Prat mission pour l'égalité et contre les exclusions rapport d'étape n 1 6

Une méthode inspirée de la Charte de l'égalité... La Charte de l'égalité est un document contractuel élaboré à l'initiative du ministère de la parité et de l égalité professionnelle. Cosigné par le ministère de la culture et de la communication parmi une centaine de partenaires (ministères, collectivités territoriales, chambres consulaires, partenaires sociaux et associations), il a été remis officiellement au Premier ministre le 8 mars 2004. Il fait l objet à chaque date anniversaire d un bilan prospectif qui permet de le mettre à jour et de proposer de nouvelles actions. La Charte de l égalité s appuie sur des textes préalablement adoptés au niveau européen (Traité d Amsterdam en 1997, article 3 : «La Communauté cherche à éliminer les inégalités et à promouvoir l égalité entre les hommes et les femmes dans toutes ses activités" et Charte des droits fondamentaux en 2000, article 23 : «L égalité entre les femmes et les hommes doit être assurée dans tous les domaines».) Elle propose une double démarche : - une «démarche intégrée» (gender mainstreaming) qui consiste à généraliser la préoccupation de l égalité entre les femmes et les hommes dans l ensemble des politiques et des actions des pouvoirs publics et donc d analyser, avant toute prise de décision, les retombées possibles sur les situations respectives des unes et des autres - l adoption de mesures spécifiques en faveur des femmes visant à corriger les inégalités constatées. La mise en œuvre de la «démarche intégrée» est conçue en quatre phases comprenant : - le diagnostic (statistiques, études etc.), - la sensibilisation des acteurs et la constitution de réseaux de partenaires, - l intégration d actions concrètes de promotion de l égalité dans l ensemble des politiques accompagnées d objectifs quantifiés de progression, - l évaluation des politiques. Reine Prat mission pour l'égalité et contre les exclusions rapport d'étape n 1 7

... appliquée au spectacle vivant «Longtemps le silence a pesé sur la plupart des oeuvres de femmes parce que la création ne pouvait aller de pair avec la place réservée aux femmes dans la société. Et la situation a aujourd'hui moins changé dans ce domaine que dans beaucoup d'autres.» Charte de l'égalité, www.droits-femmes.gouv.fr Prendre acte de ce retard, stigmatisé par les signataires de la Charte de l'égalité, est une première nécessité. Généraliser la préoccupation de l'égalité à l'ensemble du secteur amène à considérer : toutes les disciplines artistiques du spectacle vivant : musique, danse, art dramatique, théâtre de marionnettes, arts de la piste, arts de la rue, art du conte... tous les types de structures : production, diffusion, enseignement, centres de ressources tous les secteurs d'activités : artistique, technique, administratif tous les niveaux de responsabilités l'organisation du secteur aussi bien que les représentations qu'il propose. Reine Prat mission pour l'égalité et contre les exclusions rapport d'étape n 1 8

Un double constat une situation fortement inégalitaire... Dans cet ensemble, la situation des femmes et des hommes est fortement inégalitaire. Qui dirige les institutions? Ce sont des hommes qui dirigent : 92% des théâtres consacrés à la création dramatique. 89% des institutions musicales. 86% des établissements d'enseignement. 78% des établissements à vocation pluridisciplinaires. 71% des centres de ressources. 59% des centres chorégraphiques nationaux. Qui a la maîtrise de la représentation? 97% des musiques que nous entendons dans nos institutions ont été composées par des hommes. 94% des orchestres programmés sont dirigés par des hommes. 85% des textes que nous entendons ont été écrits par des hommes. 78% des spectacles que nous voyons ont été mis en scène par des hommes. 57% ont été chorégraphiés par un homme. Qui dispose des moyens financiers? En 2003, la moyenne des subventions attribuées aux scènes nationales par l ensemble de leurs partenaires était de 2.096.319. Quand elles étaient dirigées par un homme, cette moyenne s élevait à 2.347.488. Quand elles étaient dirigées par une femme, la moyenne des subventions perçues était de 1.764.349. Reine Prat mission pour l'égalité et contre les exclusions rapport d'étape n 1 9

Qui participe à la prise de décision? ChacunE * aura pu observer que les jurys et conseils d'administration auxquels nous sommes appelées à participer sont rarement égalitaires. En outre la présence éventuelle de femmes dans de telles instances s'explique souvent par le fait qu'elles représentent LE titulaire de la fonction. A titre d'exemple, la composition des comités d'experts auprès des Drac fait apparaître les chiffres suivants : danse : sur les 99 experts réunis dans six commissions consultatives interrégionales d'aide à la création chorégraphique, 52 sont des femmes, soit 52,5% théâtre et spectacles : sur un échantillon de sept comités d'experts régionaux d'aide aux compagnies dramatiques, la situation est assez hétéroclite : la composition des comités d'ile-de-france et de Picardie est remarquablement proche de la parité (16 femmes et 17 hommes pour l'une ; 5 femmes et 6 hommes pour l'autre) ; dans les autres régions la part des femmes oscille entre 25% et 40% ; à l'exception de la région Pays de Loire où on ne compte que 3 femmes pour 18 hommes. Sur ces sept régions, les hommes représentent 66% des experts consultés. musique : les contrastes sont plus marqués, avec deux régions (Centre et Nord-Pas-de-Calais) qui affichent une remarquable parité ; trois régions où les femmes représentent près du tiers des effectifs ; six régions où la présence d'une ou deux femmes situe leur pourcentage entre 10 et 20% ; tandis que cinq régions ne comptent aucune femme parmi les membres de leur comité. Dans l'ensemble, les hommes occupent 82,5% des postes. On observe toutefois une certaine évolution des moeurs en la matière puisqu'il n'est pas rare aujourd'hui que des hommes s'avisant soudain de l'absence de femmes dans le jury qu'ils président le déplorent auprès des candidates interrogées. L'idée viendra bientôt de le déplorer également auprès des candidats. «Les commissions ou comités composés presque exclusivement d'hommes font davantage que jadis l'objet de critiques (émanant souvent du groupe concerné lui-même), et la présence des femmes à parité, quand elle se produit, est saluée avec satisfaction.» Joan W. Scott, Parité! L'universel et la différence des sexes, Albin Michel, 2005. * Lire «chacun et/ou chacune» : conformément à une suggestion des codes de rédaction non sexiste, la graphie E a été adoptée dans ce texte, de préférence à (e) ou -e-, pour indiquer que le mot se lit à la fois au masculin ET au féminin. Reine Prat mission pour l'égalité et contre les exclusions rapport d'étape n 1 10

... qui induit un fonctionnement homosocial préjudiciable à la vitalité du secteur Les inégalités constatées ont pour corollaire une organisation homosociale du secteur qui favorise des comportements mimétiques, symptomatiques d'un entresoi où se désapprend l'écoute de l'autre, de toute possible différence ou divergence. De telles situations de non mixité, inhérentes à l'organisation actuelle (réunions de directeurs, de représentants d'organisations, des membres d'un conseil d'administration ou d'un jury, d'une équipe technique ou d'une équipe de relations publiques) ont pour conséquence de constituer l'autre (qu'on ne rencontre que rarement en situation de travail égalitaire, qu'on ne connaît généralement que comme subordonnée ou supérieure hiérarchique) en autre absolue. CetTE autre absolue on a du mal à l'imaginer prendre place à ses côtés, à la table de travail ou de négociation, mais on a aussi du mal à s'imaginer prendre place à ses côtés, en relation d'égale à égal : comment s'y prendre avec cette «autre absolue»? comment prendre la parole en sa présence? D'où il résulte par exemple que les motivations d'un jeune garçon pour s'inscrire et se maintenir dans un cours de danse devront être phénoménales, de même que celles d'une jeune fille pour envisager une carrière de corniste ou de machiniste. L'un et l'autre se trouveront nécessairement confrontées de la part du groupe homogène auquel ils prétendent adhérer soit à des situations d'isolement et d'exclusion, soit à l'injonction d'incarner la figure d'exception situation certainement plus gratifiante mais pas forcément plus confortable. L'habitude de «l'entre-soi» explique aussi la réticence à nommer une femme, si compétente soit-elle, à la tête d'un établissement où on a toujours vu un homme : ne faudra-t-il pas se comporter d'une manière particulière avec une interlocutrice alors qu'on a toujours eu un interlocuteur? Voilà une difficulté qu'on préférera éviter. Conscientes de ce phénomène, des femmes renoncent encore trop souvent à poser leur candidature. Reine Prat mission pour l'égalité et contre les exclusions rapport d'étape n 1 11

«L'autre absolue», une construction culturelle La description qui précède, pour caricaturale qu'elle soit, aura sans doute le mérite d'éclairer chacune sur des situations auxquelles nous sommes habituellement confrontées sans en percevoir jamais l'étrangeté. Il suffit pourtant de s'en aviser une fois pour être surprise toujours que nos sociétés occidentales, dites modernes, fonctionnent encore selon un système de séparation des sexes que l'on se plaît à imaginer réservé à d'autres cultures. Cette description demande toutefois à être nuancée : il ne s'agit pas ici d'adopter une position essentialiste ni d'entériner l'idée de différences entre les hommes et les femmes supposées apporter, dans le cadre de la mixité, une complémentarité de points de vue, de sensibilités, de méthodes, d'intérêts etc. Car c'est justement cette idée de différences de nature prétendument ancrées dans un substrat biologique, qui fonde les inégalités constatées, et permet de perpétuer un système d'empêchements et d'interdictions que rien ne justifie et qui s'exerce principalement à l'encontre des femmes (voir ci-après : Les Freins à l'égalité). «Le sexisme est un essentialisme : comme le racisme d'ethnie ou de classe, il vise à imputer des différences sociales historiquement instituées à une nature biologique fonctionnant comme une essence d'où se déduisent implacablement tous les actes de l'existence.» Pierre Bourdieu, La Domination masculine, Actes de la recherche en sciences sociales, n 84, 1990. Reine Prat mission pour l'égalité et contre les exclusions rapport d'étape n 1 12

Il me paraît tout à fait possible de se dire féministe tout en affirmant qu'il n'existe pas une «nature» ou une «essence» de la femme. Selon moi, les termes de «femme» et d' «homme» restent des catégories politiques importantes. Nous les utilisons comme des expressions instables, toujours en cours d'élaboration, tout en continuant à les employer pour dénoncer les inégalités et se battre pour leur abolition.» Judith Butler, citée dans Le Monde 2, rubrique Le Grand portrait, samedi 18 mars 2006. Si des femmes sont en effet susceptibles d'introduire des approches diversifiées en termes d'exercice du pouvoir, d'organisation du travail, de gestion du temps, de rapport au politique, aux publics, ou à la création, ce n'est pas en vertu d'une introuvable nature féminine, mais parce qu'un faisceau complexe de contraintes et de possibles les met en situation d'inventer des postures dont la première qualité est sans doute d'être partageables, tous sexes confondus. Et si la mixité est souhaitable c'est parce qu'elle transforme les comportements du groupe entier et de chacune dans le groupe, qu'elle brise la propension au mimétisme, que chacune peut alors éventuellement se retrouver dans le comportement de l'autre, ou s'en démarquer, qu'elle ou il soit ou non d'un même sexe. Reine Prat mission pour l'égalité et contre les exclusions rapport d'étape n 1 13

Objectifs Modifier ces situations fortement inégalitaires relève donc de plusieurs objectifs : - un objectif de justice et d égalité sociales : permettre un égal accès aux moyens de production, aux fonctions de direction et aux postes de responsabilité et veiller à l égalité de rémunération dans ces fonctions, - un objectif de mixité : veiller à instaurer la mixité au niveau des réseaux (direction d établissements par réseaux, composition des jurys, commissions etc.) mais aussi au sein des établissements par catégories de personnel (équipes artistiques, techniques, administratives) et... dans les choix de programmation, invitations en résidence etc. - un objectif de modernisation et de démocratisation du secteur du spectacle vivant : dans son organisation interne et dans son rapport aux publics, objectif induit par la réalisation des deux précédents, - un objectif d enrichissement de la création : la modélisation de la reconnaissance médiatique et administrative, avec les moyens financiers y afférant, induit une uniformisation de la création artistique à laquelle on ne prend pas garde et qu'on ne songe pas à remettre en cause. Elle s'ancre dans une conception de l'artiste Créateur que nous devons au 19ème siècle et qui reste active aujourd'hui dans les comportements si ce n'est dans les théories. «On pensait qu'un grand artiste avait du génie dès sa naissance, que celui-ci triomphait de tous les obstacles circonstanciels et se manifestait par des chefs-d'oeuvre d'une beauté transcendantale.» Anne Higonnet, Femmes et images in Histoire des femmes en Occident, t.4, Le XIXème siècle, Plon 1991. Reine Prat mission pour l'égalité et contre les exclusions rapport d'étape n 1 14

Une responsabilité particulière aux arts du spectacle? Certes, les réalités décrites ici ne sont pas spécifiques au monde du spectacle et il peut paraître illusoire d'imaginer que ce secteur de la vie publique puisse évoluer de manière autonome alors que l'ensemble de la société reste profondément inégalitaire. Mais, d'une part on observe que d'autres secteurs se sont engagés plus tôt et de manière plus volontariste dans des politiques incitatives visant à instaurer l'égalité entre les femmes et les hommes. Ainsi le ministère de la défense peut s'enorgueillir que les femmes représentent aujourd'hui 27% des officiers recrutées au concours externe, et la progression devrait se poursuivre, résultats assez inattendus si on adopte un point de vue différentialiste : la direction d'un corps d'armée requerrait-elle des qualités plus féminines que la direction d'un orchestre (qui n'est confiée à une femme que dans 6% des concerts programmés dans nos institutions)? D'autre part il faut considérer l'effet d'entraînement qu'aurait sur l'ensemble de la société une plus juste répartition des rôles et des responsabilités dans un secteur dont la fonction est de solliciter et de nourrir les imaginaires : arts de la représentation, les arts du spectacle apportent une contribution non négligeable au maintien du «système de dénigrement et de dévalorisation du féminin [...]». Il pourrait en être autrement : la création artistique a toujours oscillé entre un réalisme social, dont la force de dénonciation trouve ses limites dans le renforcement du consensus et le maintien du statu quo, et l'ouverture sur des imaginaires qui permettent d'entrevoir d'autres possibles, offrent la vision de mondes en mouvement, participent de l'invention d'autres rapports au monde ; cette dernière tendance, généralement minoritaire, est régulièrement évacuée de toute reconnaissance officielle et médiatique, reléguée par l'histoire des arts au rayon des utopies et idéalismes privés d'avenir. Il n'y a pourtant pas là de fatalité. Questionner ainsi l'objectivité du jugement artistique c'est commencer à se demander ce que nous racontent les spectacles auxquels nous assistons et, par exemple, quelles représentations ils nous proposent des hommes, des femmes et de leurs échanges. Reine Prat mission pour l'égalité et contre les exclusions rapport d'étape n 1 15

Questions de représentation Si la création chorégraphique, dès le début du 20ème siècle, a pu rompre radicalement avec un modèle de fémininité créé et imposé par le ballet romantique et permis que des femmes, danseuses et chorégraphes, prennent en charge leur propre représentation, c'est, dit-on, que la danse est un art mineur. Des raisons similaires sont invoquées pour expliquer que des femmes parviennent aujourd'hui à s'immiscer à la direction d'orchestres de musique baroque ou contemporaine tandis que «le grand répertoire» (de Beethoven à Brukner) est le domaine réservé de la virilité paternelle et guerrière. [...] Il n'est pas encore né, le concert du Nouvel An à Vienne sous la direction d'une femme...» Marie-Aude Roux, Le Monde, 23-24 octobre 2005. Pourtant les citadelles ne sont pas toujours imprenables. En témoigne l'ouverture inattendue des orchestres classiques aux musiciennes interprètes à partir du moment où on a eu recours, pour éviter les passe-droits dans les concours de recrutement, à l'usage du paravent. Une étude réalisée aux Etats-Unis montre qu'aujourd'hui encore «lorsque ce paravent est présent, la chance des musiciennes d'intégrer un orchestre [...] augmente sensiblement». Cette pratique fait, du coup, l'objet d'une «polémique récurrente». Hyacinthe Ravet, Féminin et Masculin en musique, in L'Accès des femmes à l'expression musicale, L'Harmattan, 2005. L'orchestre philharmonique de Vienne a tranché dès l'origine cette question de représentation en excluant de ses rangs les femmes et les «personnes de couleur» et se tient à cette position, malgré un vote de 1997 visant à rendre possible le recrutement de musiciennes : jusqu'ici, seules des harpistes ont été admises à jouer avec l'orchestre comme artistes associées et non comme membres permanentes. «It has been their beelief that they have a special aesthetic unity as an allmale ensemble, and that people of color would destroy their image of Austrian authenticity.» Lettre de la Présidente de l'alliance internationale des femmes musiciennes, http://multitudes.samizdat.net, juin 2005 Quant à l'art dramatique, on peut constater assez aisément que la maîtrise de la représentation continue d'échapper largement aux femmes, en tant qu'auteurs ou Reine Prat mission pour l'égalité et contre les exclusions rapport d'étape n 1 16

metteuses en scène, et que le nombre de rôles de femmes reste inférieur, y compris dans le répertoire contemporain, au nombre de rôles d'hommes. Au delà des chiffres, une étude comparée, qualitative, de la nature des rôles ainsi que de l'interprétation qui en est faite sur nos scènes sera nécessaire pour répondre aux questions suivantes : «L'actrice ne fit-elle que renforcer les stéréotypes féminins et confirmer par sa soumission la ségrégation des sexes, tout en profitant habilement de sa position, ou bien eut-elle une action positive sur la construction culturelle d'une identité féminine?» Aurore Evain, L'Apparition des actrices professionnelles en Europe, L'Harmattan, 2001. Qu'en est-il aujourd'hui? Quels rôles de femmes sont suffisamment complexes pour échapper aux stéréotypes : maman ou putain, muse ou sorcière? Et surtout... victime. Ah! la victime! De combien de grands rôles féminins serait privé le répertoire et les actrices sans cette figure emblématique de l'idéal féminin? Les auteurs et metteurs en scène, toujours prêts à dénoncer les malheurs de leurs héroïnes, sont plus rarement capables de les rêver triomphantes. Combien de rôles féminins sont caractérisés de manière autonome, autrement que par leur rapport à un rôle masculin (femme, fille, mère ou maîtresse de...)? Comment se répartissent les grands rôles, ceux qui portent la pièce, entre les personnages féminins et masculins? Les personnages «neutres», qui ont fait leur apparition dans le théâtre du 20ème siècle, sont-ils distribués équitablement entre comédiennes et comédiens? La comparaison de l'âge des unes et des autres constitue sans doute un indice intéressant sur la nature des rôles : 25% des comédiennes ont moins de 30 ans contre 17% des comédiens seulement. L'examen des périodes de chômage dans une carrière de comédienne éclairera aussi la question. Le même type d'exploration sur la distribution des rôles devra être mené dans le domaine de la danse. «Les corps féminins dépourvus d'attraits pour les hommes étaient bien difficiles à représenter. Les vieilles apparaissent rarement dans l'imagerie du 19ème siècle, sauf dans les caricatures, sous forme de stéréotypes édulcorés ou encore comme portrait de «la mère de l'artiste». Anne Higonnet, Femmes et images Apparences, loisirs, subsistance, in Histoire des femmes en Occident, t.4, Le XIXème siècle, dir. Geneviève Fraisse et Michelle Perrot, Plon 1991. Reine Prat mission pour l'égalité et contre les exclusions rapport d'étape n 1 17

Des systèmes de filtres qui laissent les talents en jachère et les viviers improductifs... En voici un exemple. Si l'on rapporte le nombre de directeurs et directrices de compagnies dramatiques subventionnées par le Mcc au nombre de directeurs et directrices de centres dramatiques ou théâtres nationaux, on se rend compte que : 5,7% des directeurs de compagnies dramatiques peuvent espérer diriger un jour un centre dramatique ou un théâtre national. 0,9% des directrices de compagnies dramatiques peuvent imaginer la même reconnaissance de leur travail et les mêmes moyens de le développer. De l'initiation artistique à l'insertion professionnelle puis à la prise de responsabilités, à chaque palier, différents filtres permettent d'éliminer les femmes, toujours plus nombreuses à la base de la pyramide. Ainsi par exemple, «les femmes sont plus nombreuses que les hommes à s investir dans les activités artistiques en amateur [...] : 52% de femmes et 42% d hommes en ont pratiqué une au cours de leur vie. [...] Cette suprématie se retrouve dans tous les milieux sociaux [...] et à tous les âges de la vie.» On l explique par une plus grande disponibilité des unes que des autres et une meilleure organisation de leur temps. Mais on explique par leur manque de temps et de disponibilité leur absence aux postes de responsabilité des associations et fédérations! Les seuils d'élimination apparaissent de manière très visible si l'on examine le secteur de l'enseignement spécialisé (musique, danse et art dramatique) : Les garçons représentent 38% des élèves de l'enseignement initial (Emma, Enm, Cnr) mais 50% des étudiants des conservatoires nationaux supérieurs. Les hommes constituent 49% du corps enseignant des Emma, Enm et Cnr mais on en trouve 86% à la direction d un de ces établissements et 100% à la direction des quatre principaux établissements d enseignement supérieur. Reine Prat mission pour l'égalité et contre les exclusions rapport d'étape n 1 18

«Depuis dix ans [...], malgré une formation de plus en plus poussée, les inégalités se sont déplacées plus qu'attenuées, au point qu'on a pu parler de la «fausse réussite scolaire des filles» qui n'obtiennent pas sur le marché du travail le bénéfice de leur investissement dans les études.» Michelle Perrot, Les Femmes ou les silences de l'histoire, Flammarion, 1998.... des filtres qui s'exercent aussi à l'encontre des garçons Obtenir une représentation plus équilibrée des filles et des garçons, des femmes et des hommes à chaque niveau et dans chaque discipline, instaurer une plus grande homogénéité d'un niveau à l'autre suppose donc une double démarche. Il ne s'agit pas seulement de réduire les filtres qui éliminent les filles tout au long du parcours mais, à l'inverse, d'encourager l'accès des garçons aux enseignements initiaux et aux pratiques artistiques. Les résultats de l'enquête d'olivier Donnat sur La Féminisation des pratiques culturelles, a tout lieu d'inquiéter par le constat qu'il dresse de la désaffection des hommes sur ce terrain : quel monde fabriquonsnous dont la moitié, bientôt, sera inculte? L'étude de Sylvie Octobre, dont il est rendu compte sous le titre La Fabrique sexuée des goûts culturels dans Développement culturel, n 150, décembre 2005, ne nous rassure pas mais elle nous éclaire : «Qu'est-ce qui peut expliquer que les garçons lisent moins, que les filles soient plus nombreuses à écouter de la musique tous les jours ou encore qu'elles se disent plus attachées à leurs pratiques amateur [...]? Autrement dit, comment fabrique-t-on du «genre» parmi les consommateurs de culture?» Reine Prat mission pour l'égalité et contre les exclusions rapport d'étape n 1 19

Une responsabilité collective La transformation de ce paysage fortement inégalitaire relève d'une responsabilité collective de l'ensemble des acteurs et actrices du spectacle vivant. Responsabilité collective et singulière de chacune puisqu'une telle transformation ne se décrète ni ne s'impose par quelque loi ou circulaire. «J'aurais dû me rappeler que les moeurs font les lois et que les lois ne font pas les moeurs.» George Sand, Lettre à Charles Meure, 31 octobre 1830. La modernisation et la démocratisation du champ du spectacle vivant, la vitalité que devrait lui apporter un meilleur partage en termes de responsabilité et de visibilité, suppose d'abord une prise de conscience de la situation, un accord sur le bien-fondé des changements proposés, une vigilance individuelle à repérer ce qui, dans ses propres comportements et habitudes de pensée, contribue à pérenniser cette situation, et la même attention portée à s'en défaire dans chacun de ses actes et décisions. C'est à chacune, hommes et femmes, à quelque niveau et sur quelque champ que s'exerce sa part de pouvoir et de responsabilité qu'il revient d'intégrer la nécessité de telles transformations : élues et fonctionnaires, dirigeantes d'entreprises, artistes et écrivaines, techniciennes et personnels administratifs, critiques et universitaires, enseignantes, formatrices et formateurs, praticiennes amateurs, spectateurs et spectatrices. Loin de tout angélisme, cet appel à un changement des mentalités et des pratiques se situe dans un contexte juridique et contractuel incitatif (cf. Environnement juridique), et dans une période où l'opinion publique s'y montre favorable. Reine Prat mission pour l'égalité et contre les exclusions rapport d'étape n 1 20