Gérer la hausse du pétrole dans les pays en développement

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Transcription:

Bulletin du FMI MARCHÉ DE L ÉNERGIE Gérer la hausse du pétrole dans les pays en développement Amine Mati Département des finances publiques du FMI 20 mars 2008 La flambée du pétrole a durement frappé les pays en développement et émergents La plupart des pays ne répercutent pas intégralement la hausse sur les consommateurs Il est possible d atténuer les effets de la répercussion des hausses de prix sur les pauvres grâce à des transferts soigneusement ciblés En 2007, moins de la moitié d un échantillon de 42 pays en développement et émergents ont intégralement répercuté la flambée des cours mondiaux du pétrole sur les consommateurs. Selon une étude du FMI, ce résultat tranche avec celui de 2006, année durant laquelle les trois quarts des pays avaient laissé augmenter leurs prix de détail intérieurs. La répercussion de la hausse des prix sur les consommateurs est nettement plus faible chez les exportateurs nets de pétrole que chez les importateurs, ce qui s explique principalement par le contrôle des prix intérieurs des combustibles et le faible niveau des taxes sur ces mêmes produits. Lorsque le prix mondial du baril de pétrole a dépassé 100 dollars en 2007, les pays ont réagi en augmentant tant leurs subventions explicites sur les combustibles (portées à 1½ % du PIB) que leurs subventions implicites (portées à 4 % du PIB). Ces chiffres proviennent d une enquête effectuée auprès des économistes du FMI chargés de travailler sur les pays en développement et les pays émergents. Dans le même temps, les pays en développement ont dû faire face à une hausse rapide des prix des produits alimentaires. Le surcoût engendré par les mesures prises pour amortir les effets de cette hausse sur les prix intérieurs n a pas été très important jusqu ici, mais il pourrait croître sensiblement si les prix alimentaires continuaient de monter. Les pays qui empêchent le marché de répercuter pleinement le renchérissement du pétrole sur les consommateurs risquent de subir un coût budgétaire élevé (sous la forme d une hausse des subventions généralisées et d un manque à gagner en recettes pétrolières). Il est possible d atténuer les effets de la hausse des prix du pétrole sur les pauvres, tout en préservant la viabilité des finances publiques, en mettant en place des dispositifs de protection bien ciblés.

2 L ampleur du problème La hausse des prix n ayant été que partiellement répercutée en 2007 la répercussion étant définie comme le ratio de la variation absolue du prix de détail des combustibles depuis décembre 2003 et du prix en monnaie nationale des importations de combustibles correspondants était manifeste dans tous les types de combustibles : Essence. Sur les 42 pays de l échantillon, seulement 18 avaient répercuté intégralement ou plus qu intégralement la hausse des prix à l importation vers la fin de 2007, le taux médian de répercussion étant de 0,9. Par comparaison, les trois quarts des pays avaient pleinement répercuté la hausse des cours internationaux du pétrole à la fin de 2006. En 2007, le taux moyen de répercussion était de 0,4. L analyse des données conduit aux conclusions suivantes : Le taux médian de répercussion était plus élevé dans les pays importateurs nets de pétrole (1,15 en 2007) que dans les pays exportateurs nets (0,58 en 2007). Les économies de la région Asie Pacifique ont enregistré certains des taux de répercussion les plus élevés en 2005 06 : certains pays (comme l Indonésie) qui avaient longtemps gelé leurs prix à la consommation les ont ensuite sensiblement relevés pour freiner la croissance des subventions aux combustibles. Les prix sont restés inchangés en Indonésie depuis cette époque, d où un taux moyen de répercussion de 0,7 en 2007. Le taux de répercussion le plus élevé a été enregistré en Turquie, pays doté d un régime des prix libéralisé, où l augmentation des impôts indirects sur la consommation a amplifié la répercussion. Le taux moyen de répercussion enregistré à la fin de 2007 (0,7) était nettement inférieur à la moyenne du Groupe des sept pays les plus industrialisés (1,23). Gazole. Sur les 37 pays pour lesquels on dispose de données, 17 ont intégralement répercuté le renchérissement du gazole en 2007. La répercussion des hausses de prix était substantielle dans quelques pays (tels que l Indonésie) qui ont libéralisé le marché national de certains combustibles. Le taux de répercussion le plus bas a été relevé dans des pays producteurs de pétrole tels que la Bolivie, l Égypte et le Mexique. Kérosène. Bien que le taux médian de répercussion des prix de détail du kérosène dans les 42 pays de l échantillon soit de 0,85, seulement 11 de ces pays avaient pleinement répercuté les coûts en novembre 2007. Le faible niveau de répercussion est peut-être dû à la part importante du kérosène dans la consommation des ménages pauvres. En Inde, par exemple, le prix du kérosène est gelé depuis 2003, alors que les prix d autres combustibles ont été relevés. Les différences existant d un pays à l autre quant aux prix de détail des combustibles se sont accentuées depuis 2003 en raison de la variation des taux de répercussion (voir tableau). À la fin de 2007, les prix de détail du gaz allaient de 2,25 dollars le litre en Turquie à 0,23 dollar en Égypte. Les prix de détail sont plus bas dans les pays exportateurs de pétrole que dans les pays importateurs, ce qui est conforme aux données sur la répercussion des hausses.

3 Tarification des combustibles Plus de la moitié des 42 pays de l échantillon exercent un contrôle sur les prix et les ajustent de façon ponctuelle, ce qui explique en partie que la répercussion des hausses ne soit pas intégrale dans ces pays. À l heure actuelle, les prix de détail sont 25 % plus élevés dans les pays dotés d un régime de prix libéralisé que dans ceux qui ajustent les prix de façon ponctuelle. Les faibles taux de répercussion coïncident avec des niveaux élevés de subventions explicites ou implicites aux combustibles domestiques. Les subventions explicites reflètent principalement les montants versés aux sociétés nationales d énergie ou de raffinage pour compenser l écart entre les prix de gros intérieurs et les cours mondiaux des combustibles. Les données relatives aux pays qui pratiquaient ce genre de subventions en 2007 ne sont disponibles que pour 14 pays. Elles vont de 0,1 % du PIB (Liban) à 9,3 % du PIB (Yémen), la moyenne étant de 1,5 %. Il n est pas surprenant que les subventions explicites les plus élevées se retrouvent dans les pays où le taux de répercussion est le plus faible.

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5 Les subventions implicites reflètent la vente de combustibles sur le marché intérieur à des prix inférieurs aux prix d exportation sans qu aucune compensation ne soit explicitement inscrite au budget. Selon les données de 2007, disponibles pour cinq pays seulement, les subventions allaient de 0,14 % du PIB (Pérou) à 13,4 % du PIB (Azerbaïdjan). Les subventions implicites se montent aujourd hui en moyenne à 4,2 % du PIB. Les systèmes de fixation des prix du pétrole déterminent dans une grande mesure l ampleur de la répercussion des hausses de prix. Les mécanismes libéralisés et automatiques de tarification des combustibles coïncident avec les prix de combustibles au détail et les taux de répercussion les plus élevés. En 2007, les prix moyens des combustibles au détail étaient environ 25 % plus élevés dans les pays dotés de mécanismes déréglementés que dans ceux qui procédaient à des ajustements de prix ponctuels. Les importateurs de pétrole ont plus de chances d être dotés d un régime des prix libéralisé que les exportateurs, qui fournissent généralement des produits pétroliers à bas prix à leur population. Taxes sur les combustibles Les recettes fiscales tirées du pétrole représentent une importante source de recettes pour de nombreux pays. À la suite de la hausse des cours mondiaux, certains pays notamment les importateurs de pétrole ont sensiblement modifié leur régime fiscal. Tandis que les recettes globales des pays importateurs de pétrole sont tombées à 1,8 % du PIB en 2007 (contre environ 2 % en 2003), les réactions à la hausse des cours mondiaux ont été très diverses. Certains pays ont relevé leurs droits de douane ou d accise pour atténuer les pressions budgétaires ou financer l accroissement des dépenses sociales; d autres se sont efforcés de freiner la hausse des prix intérieurs en réduisant leurs droits d accise et en ajustant leurs taxes d importation. Le recouvrement moyen de l impôt en pourcentage des prix de détail est tombé de 37 % en 2003 à 31 % en 2007 : les pays se sont efforcés de limiter la hausse des prix intérieurs en abaissant leurs droits d accise (Liban, Mexique, Pérou) et d importation (Philippines, Ukraine). Flambée des prix alimentaires Depuis la fin 2006, l augmentation des prix du pétrole s est accompagnée d une flambée des cours mondiaux des produits alimentaires, en hausse d environ 20 % en moyenne depuis la fin septembre 2006. Le renchérissement du maïs, de l huile de palme et du blé a été particulièrement marqué. Contrairement à ce qui s est passé durant les périodes précédentes, les augmentations étaient dues non pas à l insuffisance de l offre, mais à l accroissement continu de la demande en Chine et en Inde, ainsi qu à l utilisation de biocarburants comme source d énergie renouvelable (c est le cas notamment du maïs, utilisé pour produire l éthanol).

6 Que faire? Les pays devraient répercuter la hausse des cours mondiaux du pétrole pour des raisons d efficacité économique et pour éviter des coûts budgétaires excessifs. Une telle démarche exige de surmonter des obstacles politiques, mais elle est essentielle car les importateurs de pétrole sont confrontés à des besoins de financement accrus en raison de la détérioration des termes de l échange. Une répercussion accrue des hausses de prix nécessite aussi le renforcement des dispositifs de protection, surtout dans le contexte du renchérissement des produits alimentaires. Si vous souhaitez réagir à cet article, écrivez à imfsurvey@imf.org Traduction d un article paru dans IMF Survey magazine : www.imf.org/imfsurvey