La conditionnalité de la Banque Mondiale et du FMI : une injustice pour le développement



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Transcription:

La conditionnalité de la Banque Mondiale et du FMI : une injustice pour le développement Rapport d Eurodad Décembre 2006 Version originale publiée en anglais en juin 2006 Traduction : Maëlle Duquesne Avec le soutien financier de l Organisation internationale de la francophonie et de la plate-forme Dette & Développement Dette & Développement Plate-forme d'information et d'action sur la dette des pays du Sud

Note sur ce rapport Le présent rapport passe en revue les conditions imposées par la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International (FMI) aux pays pauvres qui leur empruntent des fonds à des fins de développement. Il est basé sur une étude documentaire réalisée par Eurodad sur le contenu des contrats de financement du développement antérieurs et en cours (jusqu en février 2006) conclus par la Banque Mondiale et le FMI avec une sélection de vingt pays pauvres de toutes les régions du monde. Ce rapport est produit par Eurodad et a été partiellement financé avec l aide d Oxfam International. Il a été élaboré et rédigé par Hetty Kovach et Yasmina Lansman. Eurodad Eurodad (Réseau Européen sur la Dette et le Développement) est un réseau de 50 organisations non-gouvernementales de 15 pays européens qui collaborent sur des questions relatives à la dette, au financement du développement et à la réduction de la pauvreté. Le réseau Eurodad propose une plateforme d accès à des analyses thématiques variées, facilite la recherche d informations et la confrontation d idées, et aide à l élaboration de campagnes de plaidoyer collectives. Les objectifs d Eurodad sont les suivants : Faire pression pour que les politiques de développement soutiennent des stratégies de développement durable en faveur des pauvres, élaborées de façon démocratique. Renforcer les capacités des populations du Sud à définir elles-mêmes leur voie vers le développement et l éradication de la pauvreté. Chercher une solution viable et durable à la crise de la dette, promouvoir un financement du développement approprié et un système financier international stable qui mène au développement. Pour plus d informations et pour consulter les derniers rapports publiés : www.eurodad.org Eurodad compte trois membres français : Le CCFD (Comité catholique contre la faim et pour le développement), www.ccfd.asso.fr Oxfam France Agir ici, www.oxfamfrance.org La plate-forme Dette & Développement, www.dette2000.org Eurodad et l Actualité Abonnez-vous gratuitement à nos lettres d information sur la dette et sur l aide. Infodette, disponible en français avec le soutien de la plate-forme Dette & Développement, et Aid-Watch (uniquement en anglais) vous fournissent une information à chaud ainsi qu une analyse des questions de financement du développement, de dette et d aide. Nous diffusons aussi bien des dossiers d actualités que des campagnes, des événements, des alertes sur des actions à suivre et bien d autres sujets encore. Chaque article inclut des liens vers les personnes à contacter et vers des documents d intérêt. Nos lettres d informations paraissent une fois par semaine environ. Suivez l actualité! Abonnez-vous : www.eurodad.org Ce rapport est produit par Eurodad, mais l analyse présentée ne reflète pas nécessairement le point de vue toutes les organisations membres d EURODAD. La conditionnalité de la Banque Mondiale et du FMI : une injustice pour le développement, Eurodad. Juin 2006. 2

SOMMAIRE RESUME ANALYTIQUE...5 METHODOLOGIE DE LA RECHERCHE...7 LA CONDITIONNALITE DE LA BANQUE MONDIALE...11 LA CONDITIONNALITE DU FMI...21 LA CONDITIONNALITE DE LA BANQUE MONDIALE ET DU FMI...27 REPENSER LA CONDITIONNALITE DE LA BANQUE MONDIALE ET DU FMI...29 ANNEXE 1 : Pays et Prêts de la Banque Mondiale et du FMI ayant été évalués...30 ANNEXE 2 : Classification de la Conditionnalité du FMI et de la Banque Mondiale...31 NOTES...35 La conditionnalité de la Banque Mondiale et du FMI : une injustice pour le développement, Eurodad. Juin 2006. 3

La conditionnalité de la Banque Mondiale et du FMI : une injustice pour le développement, Eurodad. Juin 2006. 4

RESUME ANALYTIQUE Le présent rapport passe en revue les conditions imposées par la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International (FMI) aux pays pauvres qui leur empruntent des fonds à des fins de développement. Il est basé sur une nouvelle étude réalisée par Eurodad sur les politiques de prêt de la Banque Mondiale et du FMI dans vingt pays pauvres. Le rapport révèle que les pays pauvres sont aujourd hui encore contraints d accepter un nombre inacceptable et croissant de conditions s ils veulent accéder aux fonds de développement de la Banque Mondiale et du FMI. En moyenne, les pays pauvres sont soumis à rien moins que 67 conditions pour obtenir un prêt de la Banque Mondiale. Certains pays ont même dû accepter un nombre bien plus élevé de conditions : l Ouganda, par exemple, où 23% des enfants de moins de 5 ans souffrent de malnutrition, s est vu imposer le nombre incroyable de 197 conditions dans le cadre du financement que lui a accordé la Banque Mondiale en 2005. 1 La prolifération des conditions du FMI et de la Banque Mondiale, qui fait subir un très lourd fardeau administratif à des gouvernements de pays en développement déjà exsangues, impose très souvent aux pays pauvres de réaliser des réformes largement controversées de leurs politiques économiques, comme la libéralisation du commerce et la privatisation de services fondamentaux. Ces réformes nient très fréquemment la volonté des pays en développement, qui est pourtant une condition sine qua non à la réussite du développement. En privant les populations pauvres de l accès à des services vitaux, elles peuvent en outre avoir des conséquences néfastes et accroître le niveau de pauvreté plutôt que de le réduire. Le gouvernement norvégien et le gouvernement britannique ont reconnu cet impact négatif, et ont formellement refusé de conditionner leur aide au développement à des réformes de privatisation et de libéralisation du commerce. L année dernière, les dirigeants du G8 ont également souligné l importance du droit souverain des gouvernements à déterminer eux-mêmes leurs politiques économiques nationales, reconnaissant par là même que les fonds de développement ne devaient pas dépendre de l application de telles réformes. Notre étude révèle que sur les 20 pays pauvres évalués, 18 ont vu les fonds de développement que leur accordaient la Banque Mondiale et le FMI être soumis à des conditions relatives à des privatisations. Et le nombre de conditions «globales» relatives à des privatisations imposées par la Banque Mondiale et le FMI aux pays en développement a augmenté entre 2002 et 2006. Pour de nombreux pays, les conditions de privatisation représentent une part substantielle de l ensemble des conditions de la Banque Mondiale et du FMI. Elles représentent par exemple presque un tiers (18 sur 53) des conditions fixées au Bengladesh par la Banque Mondiale pour l octroi de son Deuxième Crédit de Soutien au Développement en 2005. Le Bengladesh, où plus de 50% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, 2 se voit en effet imposer des conditions directes de privatisation du secteur bancaire, de l électricité et des télécommunications, ainsi que des réformes additionnelles du secteur gazier et pétrolier visant à favoriser l investissement du secteur privé. Notre étude fait également apparaître que le FMI et la Banque Mondiale imposent souvent les mêmes conditions de privatisation à un pays. Les documents de crédit en cours d un quart (5 sur 20) des pays que nous avons analysés montrent la même condition de privatisation fixée par les deux institutions. Une telle «conditionnalité croisée» met une pression énorme sur les pays en développement s ils veulent satisfaire à la condition de réforme et ne pas risquer de perdre de multiples sources de financement. Elle révèle en outre l inexistence préoccupante d une division des rôles et des responsabilités entre les deux institutions. La conditionnalité de la Banque Mondiale et du FMI : une injustice pour le développement, Eurodad. Juin 2006. 5

Il est urgent d entamer une réforme radicale de la conditionnalité du FMI et de la Banque Mondiale. Les deux institutions doivent repenser intégralement leur approche actuelle de la conditionnalité liée au financement du développement. Leurs dernières tentatives de «rationalisation» de la conditionnalité du financement du développement ont échoué. 3 Les directives institutionnelles demandant de réduire le nombre et l étendue des conditions imposées ne sont pas suivies à la règle, et ne sont pas suffisantes pour protéger les pays en développement de l impact négatif d une conditionnalité onéreuse. La Banque Mondiale et le FMI ont tous deux approuvé de nouvelles directives incitant leur personnel à limiter les conditions jugées critiques. Pourtant, les deux institutions continuent d imposer des conditions spécifiques et contraignantes aux pays bénéficiaires, et les directives pour leur personnel restent vagues et facultatives. De plus, elles ne s appliquent pas à toutes les conditions. A l avenir, les conditions liées au financement du développement ne devraient s appliquer qu aux questions fiduciaires vitales. Les conditions de politiques fiduciaires doivent permettre plus de transparence et une meilleure accessibilité des processus budgétaires et de la gestion des finances publiques pour les citoyens ordinaires, afin que ces derniers puissent demander des comptes à leur gouvernement. Et, enfin, toutes les conditions imposant des réformes économiques sujettes à controverse, comme la libéralisation du commerce et la privatisation, doivent être supprimées. Si la réforme n est pas entreprise rapidement, la conditionnalité de la Banque Mondiale et du FMI va continuer d entraver plutôt que de développer les capacités des pays pauvres à éradiquer la pauvreté et à atteindre les Objectifs de Développement du Millénaire fixés par la communauté internationale. La Banque Mondiale et le FMI doivent : Réduire de façon radicale le nombre de conditions, obligatoires ou non, attachées à leurs prêts. La Banque Mondiale, en particulier, doit mettre fin à sa tendance à vouloir microgérer les réformes dans les pays pauvres. Immédiatement arrêter d imposer des conditions économiques controversées poussant à des réformes de privatisation et de libéralisation du commerce, même si celles-ci font déjà partie de programmes nationaux de réduction de la pauvreté. Garantir que toutes leurs conditions concernent exclusivement des questions fiduciaires fondamentales visant à aider les citoyens des pays pauvres à responsabiliser leurs gouvernements, plutôt qu à responsabiliser les pays pauvres envers la Banque et le Fonds. Mettre fin à toute forme de «conditionnalité croisée». La conditionnalité de la Banque Mondiale et du FMI : une injustice pour le développement, Eurodad. Juin 2006. 6

METHODOLOGIE DE LA RECHERCHE Ce rapport est basé sur une étude documentaire réalisée par Eurodad sur le contenu des contrats de financement du développement antérieurs et en cours (jusqu à février 2006) conclus par la Banque Mondiale et le FMI avec une sélection de vingt pays pauvres de toutes les régions du monde. Pourquoi nous intéresser d abord à la conditionnalité de la Banque Mondiale et du FMI? La conditionnalité de la Banque Mondiale et du FMI est plus importante aujourd hui qu elle n a été auparavant. Au cours des trois prochaines années, la Banque Mondiale, par le biais de son organe concessionnel, l Association Internationale de Développement (AID), mettra la somme de 33 milliards de dollars US à disposition des pays pauvres. Le FMI a fourni 18,7 milliards de USD aux pays pauvres au titre de son mécanisme de prêt aux pays à faible revenu, la Facilité pour la Réduction de la Pauvreté et pour la Croissance (FRPC). 4 Bien que pour les prochaines années le FMI prévoie une baisse des montants de financement accordés aux pays pauvres, il conservera son rôle clé et continuera de déterminer les possibilités d accès des pays pauvres aux fonds de développement des autres donateurs/créanciers dans les années à venir, 5 pour la simple raison que tous les donateurs/créanciers officiels (bilatéraux et multilatéraux) lient les aides au développement et les allègements de dette qu ils accordent à la présence d un programme du FMI. Le rôle de «filtre» du FMI rend les conditions que ce dernier attache à ses programmes extrêmement puissantes. Si un pays pauvre ne remplit pas les conditions de prêt imposées par le FMI, non seulement il doit renoncer aux fonds de développement du FMI, mais perd à coup sûr toutes les autres sources de financements de donateurs, dont il a pourtant bien besoin. Il est également très vraisemblable qu une grande partie des aides et de l allègement de dette nouvellement accordés par les dirigeants politiques de la planète au cours du Sommet du G8 l an passé sera remise par le biais de ces deux institutions. Quels pays avons-nous évalués et pourquoi? Actuellement, 81 pays dont le revenu annuel par habitant est inférieur à 965 dollars US sont éligibles aux financements hautement concessionnels de la Banque Mondiale et aux financements du développement du FMI 6. Ce sont les 81 pays les plus pauvres du monde en terme de revenu ; les citoyens y vivent avec moins de 3 dollars par jour en moyenne. Nous avons étudié un quart de ces pays. Pour sélectionner les vingt pays qui feraient l objet de son étude, Eurodad a eu recours aux critères suivants : que le pays ait contracté plus d un prêt d ajustement auprès de l Association Internationale de Développement de la Banque Mondiale, et plus d une Facilité pour la Réduction de la Pauvreté et la Croissance (FRPC) auprès du FMI, ou un prêt de développement équivalent au cours des cinq dernières années ; que le pays ait produit au moins un document de stratégie nationale pour la réduction de la pauvreté depuis les cinq dernières années, et ; que le pays ait été jugé comme étant en phase de post-stabilisation. La conditionnalité de la Banque Mondiale et du FMI : une injustice pour le développement, Eurodad. Juin 2006. 7

La liste a ensuite été affinée sur un critère de diversité géographique (14 pays africains, 4 pays asiatiques, 4 pays latino-américains et 2 pays d Asie centrale), la priorité ayant été donnée aux pays classés Pays Pauvres Très Endettés. Tous les pays évalués (voir tableau Numéro Un) affichent un Indice de Développement Humain (IDH) très faible. Cet indice ne prend pas seulement le revenu du pays en compte, mais également le taux de mortalité infantile et le niveau d alphabétisation des adultes. Cinq de ces pays affichent les revenus et les taux de scolarisation et de santé les plus bas du monde. Tous ont un besoin urgent de fonds de développement qui les aident à éradiquer la pauvreté. La liste complète des pays, des prêts évalués et des classements du RNB et de l IDH de chaque pays figure en Annexe 1. Quel genre de prêts avons-nous étudié? Banque Mondiale Cette étude passe en revue les conditions contenues dans les «Crédits à l Appui de la Réduction de la Pauvreté» actuels et passés, accordés par la Banque Mondiale à seize des pays évalués. Ces prêts sont contractés sur une base annuelle. Pour les quatre autres pays, l étude a pris en compte d autres types de prêts d ajustement de la Banque Mondiale, tels que les Crédits d Appui au Développement ou les Crédits pour la Croissance et la Gestion Economique. Ces prêts sont également annuels. Une liste complète de tous les prêts d ajustement de la Banque Mondiale que nous avons étudiés est disponible en annexe, à la fin du rapport. FMI Pour la majorité des pays, nous avons étudié les conditions découlant des Facilités pour la Réduction de la Pauvreté et la Croissance du FMI. Cependant, dans le cas de la Bolivie, qui ne bénéficie pas de FRPC, nous avons examiné le prêt que lui a accordé le FMI dans le cadre d un «accord de confirmation». Les prêts contractés au titre de la FRPC s étalent sur trois ans. Pour déterminer le fardeau annuel que représente la conditionnalité et pouvoir le mettre en parallèle avec celui de la Banque Mondiale et les comparer sur la durée, nous avons procédé à une analyse des conditions imposées dans un prêt accordé au titre de la FRPC, en examinant et comparant les revues de FRPC. Les revues évaluent les progrès de chaque pays au regard des différentes conditions imposées, et sont souvent l occasion d en imposer de nouvelles ou de modifier les anciennes et ce, régulièrement, tout au long du cycle du prêt accordé au titre de la FRPC. Il y a quelques exceptions : dans le cas du Bénin et de la Tanzanie, nous avons comparé les conditions sur deux prêts FRPC différents, car ces pays ont tous deux achevé d anciennes FRPC (prêts de trois ans) et en ont entamé de nouvelles. Quelles conditions avons-nous analysées? A la base, la conditionnalité se réfère aux engagements mentionnés dans un contrat de prêt ou de don auxquels les pays en développement doivent se plier s ils veulent recevoir tout ou partie du financement. Nous avons considéré les «mesures préalables» et les «repères» de la La conditionnalité de la Banque Mondiale et du FMI : une injustice pour le développement, Eurodad. Juin 2006. 8

Banque Mondiale comme des conditions, car ils font partie des contrats d accord de prêts de développement convenus avec les pays. Quant au FMI, il impose deux types de conditions de principe à ses prêts aux pays pauvres : des conditions quantitatives et des conditions structurelles. Les conditions quantitatives imposent un certain nombre d objectifs macroéconomiques aux gouvernements des pays pauvres, comme par exemple les niveaux autorisés de déficit fiscal ou d emprunts de l Etat. Les conditions structurelles, de leur côté, entraînent des réformes des politiques institutionnelles et législatives des pays. Elles recouvrent, par exemple, la réforme du commerce, la libéralisation des tarifs et les privatisations. Le présent rapport se concentre uniquement sur les conditions structurelles imposées par le FMI. Il est donc important de noter que les informations que nous donnons ne concernent pas l ensemble des conditions imposées par le FMI aux pays en développement, et ne couvrent pas non plus l intégralité des impacts des conditions du FMI dans les pays à faible revenu. Par exemple, le Programme de Développement des Nations Unies et de nombreux groupes de la société civile ont opposé de vives critiques aux conditions quantitatives du Fonds et au fait que les objectifs macroéconomiques qu elles exigent soient excessivement serrés, ce qui peut freiner la croissance des pays en développement et empêcher ces derniers d investir dans des infrastructures de santé et d éducation qui leur sont pourtant indispensables. 7 Notre étude englobe aussi bien les conditions structurelles contraignantes que les conditions structurelles non déterminantes pour le décaissement du prêt. Concernant les conditions structurelles contraignantes, nous avons pris en compte les «mesures structurelles préalables» du FMI (des politiques qui doivent être mises en œuvre avant le décaissement du prêt), ainsi que les «critères structurels de réalisation» (l évaluation d une FRPC doit montrer que ces conditions sont respectées pour que le crédit puisse continuer à être décaissé). Pour les conditions non déterminantes, nous avons retenu les «repères structurels» du FMI (des réformes politiques dont le non respect n entraînera pas l interruption du financement). Enfin, lorsqu une seule condition de la Banque Mondiale ou du FMI contient plusieurs mesures de réformes différentes, Eurodad a choisi de considérer chaque mesure comme une condition séparée. Par exemple, dans le cadre de son Quatrième Crédit à l Appui de la Réduction de la Pauvreté accordé en 2004, le Burkina Faso s est vu imposer la «seule condition» suivante : «Mise en oeuvre satisfaisante des mesures spécifiées dans l Evaluation Environnementale (EE) pour le Crédit à l Appui de la Réduction de la Pauvreté 3, à savoir : 1) financement budgétaire 2004 suffisant pour mettre en œuvre les mesures clés du projet de renforcement des capacités 2) développement de directives sectorielles pour les EE 3) remplacement des points focaux des EE par des cellules 4) contrôle accru de l utilisation des crédits de l AID dans le cadre du PGE» Eurodad considère que cela représente quatre conditions distinctes, du fait que le gouvernement a eu à entreprendre plusieurs mesures de réformes différentes. La conditionnalité de la Banque Mondiale et du FMI : une injustice pour le développement, Eurodad. Juin 2006. 9

La conditionnalité de la Banque Mondiale et du FMI : une injustice pour le développement, Eurodad. Juin 2006. 10

LA CONDITIONNALITE DE LA BANQUE MONDIALE Trop de conditions Les analyses d Eurodad révèlent que sur les 20 pays à faible revenu étudiés, 14 doivent remplir plus de cinquante conditions liées à chacun des prêts que leur accorde actuellement la Banque Mondiale, et 3 doivent en assumer plus de 100. Sur les vingt pays, l Ouganda, où 23% des enfants de moins de 5 ans souffrent de malnutrition, 8 est celui qui subit le nombre le plus élevé de conditions, avec 197 conditions attachées aux prêts accordés par la Banque Mondiale en 2005. 9 Le gouvernement ougandais s est en effet vu imposer 87 conditions sociales et environnementales, 72 conditions de réformes du secteur public et 35 conditions de réformes financières et économiques. A Tableau 1 : Nombre de conditions liées aux prêts en cours de la Banque Mondiale aux pays pauvres PAYS DOCUMENT D APPUI DE LA BANQUE MONDIALE ANNEE DU PRET NOMBRE DE CONDITIONS Ouganda 5 ème Crédit à l Appui de la Réduction de la Pauvreté 2005 197 (PRSC) Nicaragua 10 1 er Crédit à l Appui de la Réduction de la Pauvreté 2003 107 Rwanda 2 ème Subvention de Soutien à la Réduction de la 2005 103 Pauvreté Sénégal 1 er Crédit à l Appui de la Réduction de la Pauvreté 2005 77 Tanzanie 3 ème Crédit à l Appui de la Réduction de la Pauvreté 2005 72 Honduras Crédit à l Appui de la Réduction de la Pauvreté 2005 72 Ethiopie 2 ème Crédit à l Appui de la Réduction de la Pauvreté 2005 67 Bénin 2 ème Crédit à l Appui de la Réduction de la Pauvreté 2005 60 Mozambique 2 ème Crédit à l Appui de la Réduction de la Pauvreté 2005 59 Madagascar 2 ème Opération d Appui à la Stratégie de Lutte contre la 2005 57 Pauvreté Niger Programme d Appui aux Réformes Budgétaires 2005 54 Burkina 5 ème Opération d Appui à la Stratégie de Lutte contre la 2005 54 Faso Pauvreté Bengladesh Crédit d Appui au Développement III 2005 53 Ghana 3 ème Crédit à l Appui de la Réduction de la Pauvreté 2005 52 Mali Crédit de Gestion des Finances Publiques 2005 50 Zambie Crédit pour la Croissance et la Gestion Economique 2005 46 Géorgie 1 ère Opération d Appui à la Stratégie de Lutte contre la 2005 42 Pauvreté Arménie 2 ème Crédit à l Appui de la Réduction de la Pauvreté 2005 39 Vietnam 4 ème Opération d Appui à la Stratégie de Lutte contre la 2005 38 Pauvreté Bolivie Prêt Programmatique d Appui à la Réforme du Secteur Social 2005 33 A La Banque Mondiale justifie le nombre de conditions imposées à l Ouganda par le fait que l ensemble de la matrice de mesure du DSRP était lié au document de crédit, et a fait savoir qu elle ne suivrait pas tous les repères. Du fait que la Banque n ait pas précisé quels repères elle mesurerait, la transparence du processus s en trouve affectée. Pour cette raison, Eurodad a choisi de comptabiliser toutes les conditions incluses dans le PRSC5 de 2005. La conditionnalité de la Banque Mondiale et du FMI : une injustice pour le développement, Eurodad. Juin 2006. 11

et ça ne s améliore pas Non seulement il y a trop de conditions, mais en plus, loin de diminuer, leur nombre ne cesse d augmenter. Les conditions attachées aux prêts antérieurs et en cours de la Banque Mondiale aux vingt pays que nous avons sélectionnés ont augmenté de 48 à 67 conditions par prêt en moyenne entre 2002 et 2005. Tableau 2 : Nombre moyen de conditions imposées dans les prêts antérieurs et en cours de la Banque Mondiale aux Pays à Faible Revenu Nombre moyen de conditions par prêt Nombre moyen de conditions totales Nombre moyen de conditions contraignantes Nombre moyen de conditions non déterminantes Prêt antérieur de la 48 13 35 BM (2002-2004) Prêt de la BM en cours (2003-2005) 67 15 52 On peut observer à la fois une augmentation du nombre de conditions imposées en mesures préalables (qui doivent être accomplies avant que les fonds ne soient décaissés) et une augmentation du nombre de critères de réalisation (conditions qui doivent être remplies au cours d une période de financement donnée). 11 La Banque Mondiale souligne que l augmentation spectaculaire du nombre de conditions non déterminantes est relativement insignifiante, dans la mesure où le non respect de ce genre de condition n entraîne pas d interruption du financement. Toujours dans la même logique, la Banque Mondiale ne considère pas officiellement les repères et les indicateurs de référence comme des conditions. Ce classement bien pratique pour la Banque Mondiale ne tient cependant absolument pas compte de la perception que les gouvernements bénéficiaires ont de ces conditions non déterminantes, et surtout de la manière dont ils y répondent. Selon une étude menée par la Banque Mondiale l année dernière, 77% des pays en développement bénéficiaires affirmaient que leur pays se devait de respecter tous les repères [conditions non déterminantes] d une matrice de mesures. 12 Même si le non respect de ces conditions n entraîne pas automatiquement de suspension du financement, ces dernières représentent une charge administrative extrêmement lourde pour les pays en développement, qui sont contraints de contrôler et de rendre compte de leurs progrès pour satisfaire aux évaluations de la Banque Mondiale. De plus, notre étude révèle également une augmentation du nombre de conditions contraignantes, qui elles, sont bel et bien susceptibles de priver les pays pauvres de fonds vitaux d appui à leur développement. Ces chiffres contredisent les résultats de l étude menée par la Banque Mondiale l année dernière, qui faisaient apparaître une diminution du nombre de conditions contraignantes imposées aux pays en développement. 13 Parmi les pays analysés par Eurodad, deux présentent des prêts intégralement assortis de ce seul type de conditions : le Vietnam et l Arménie. Le gouvernement vietnamien, qui voit 29% de sa population vivre en dessous du seuil de pauvreté, 14 a dû remplir 41 conditions avant de pouvoir accéder à un centime du don d appui au développement accordé par la Banque Mondiale en 2004. 15 Plus récemment, l Arménie a dû répondre à 39 conditions avant de pouvoir recevoir en 2005 la subvention d appui au développement que la Banque Mondiale lui accordait. 16 Bien que la population pauvre de ces deux pays soit extrêmement nombreuse, et qu elle dépende en La conditionnalité de la Banque Mondiale et du FMI : une injustice pour le développement, Eurodad. Juin 2006. 12

grande partie de l aide extérieure, la Banque Mondiale continue de retenir le décaissement de ses crédits jusqu à ce que les pays aient rempli un nombre incroyablement élevé de conditions. Des conditions inappropriées : La micro-gestion tous azimuts Parce que les conditions qu on leur impose sont parfois totalement inappropriées, les pays pauvres de la planète peuvent se retrouver privés d une aide qui leur est pourtant devenue indispensable. Notre étude fait ressortir que les conditions de micro-gestion sont très fréquentes parmi les conditions de prêt de la Banque Mondiale, révélant par là l incapacité de la Banque à établir des priorités de conditionnalité et à déterminer de façon rationnelle ce qui doit ou non constituer une condition au financement du développement. Par exemple, dans le cadre de la mise en oeuvre d un plan comptable de l Etat en 2005, le gouvernement du Burkina Faso pays dans lequel presque 10% des femmes de 15-24 ans sont séropositives 17 a dû «acquérir un logiciel et former ses agents sur ce nouveau logiciel», avant de pouvoir bénéficier des fonds de développement de la Banque Mondiale. 18 La même année, la République du Mali - où le taux de mortalité infantile est supérieur à 10% - a été contrainte de déménager un de ses bureaux dans un nouvel endroit pour respecter une condition de son prêt stipulant qu elle devait «transférer l Unité d Aménagement du Territoire au Bureau du PDG». 19 Il est plutôt difficile de croire que ce genre de condition soit vitale pour le développement d un pays. Le gouvernement ougandais, quant à lui, a découvert qu il devait «revoir et homologuer ses programmes scolaires sportifs dans les établissements d éducation supérieure», 20 s il voulait avoir accès aux prêts de la Banque Mondiale en 2005. La Banque Mondiale a été forcée d admettre que la conditionnalité représentait un trop lourd fardeau pour les pays en développement, et a donc tenté de rationaliser le nombre de conditions qu elle leur imposait. Ainsi, elle a par exemple inclus le concept de «criticalité» dans ses nouvelles directives de prêts à l appui au développement. Ce concept est destiné à obliger la Banque à n imposer que les conditions qu elle considère comme étant cruciales pour la mise en œuvre et l achèvement d un programme national. 21 La Banque continue néanmoins d imposer des conditions contraignantes aux pays bénéficiaires, et les directives qu elle adresse à son personnel restent vagues et facultatives. En outre, le concept n est actuellement appliqué qu aux conditions contraignantes 22. Des conditions économiques controversées En plus d attacher des conditions inappropriées à ses crédits au développement, la Banque Mondiale continue à faire subir un grand nombre de conditions économiques très controversées aux pays à faible revenu. Nos recherches font apparaître que 20% des conditions imposées par la Banque Mondiale aux pays pauvres sont des conditions relatives à leurs politiques économiques. Plus de la moitié de ces conditions (11%) impliquent des réformes de privatisation ou de libéralisation du commerce, alors que des politiques économiques de ce genre peuvent souvent avoir de lourdes conséquences sur les populations pauvres, dont l accès à des services vitaux se retrouve limité. Ces impacts négatifs ont été reconnus comme tels dans de nombreuses études, et également par la Grande-Bretagne et la Norvège, qui ont toutes deux formellement refusé de lier leur aide au développement à des conditions de privatisation et de libéralisation du commerce. La conditionnalité de la Banque Mondiale et du FMI : une injustice pour le développement, Eurodad. Juin 2006. 13

L année dernière, les dirigeants du G8 ont également souligné l importance du droit souverain de chaque Etat à déterminer lui-même ses politiques économiques nationales. Les décisions économiques d un pays qu il soit développé ou en développement, telles que la privatisation de services essentiels ou la suppression des barrières douanières, doivent être prises par les gouvernements eux-mêmes, et non pas être le résultat de promesses de financements externes. Répartition des Conditions Economiques de la Banque Mondiale Autres Conditions relatives au Commerce, 10% Conditions relatives à la Libéralisation du Commerce, 3% Conditions relatives à des Réformes de Privatisation, 39% Développement du Secteur Privé et du Secteur Financier, 49% Privatisations : vendez tout 15 des 20 pays pauvres analysés par Eurodad doivent respecter des conditions relatives à des privatisations avant d obtenir leurs prêts de la Banque Mondiale. Notre étude montre également que le nombre total de conditions relatives à des privatisations est en augmentation et non en baisse : pour les 20 pays évalués, il est passé en moyenne de 4 à 5 conditions par prêt entre 2002 et 2005. Pour certains pays, les conditions de privatisation représentent une part conséquente de l ensemble des conditions qui leur sont imposées. Par exemple, presque un tiers des conditions imposées au Bengladesh en 2005 dans le cadre de son Deuxième Crédit d Appui au Développement étaient des conditions relatives à des réformes de privatisation (18 sur 53). Le Bengladesh, où plus de 50% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, 23 doit impérativement respecter des conditions exigeant la privatisation de son système bancaire et des secteurs de l électricité et des télécommunications, ainsi que des réformes supplémentaires des secteurs gazier et pétrolier, destinées à faciliter les investissements du secteur privé. Presque un quart des conditions attachées aux prêts de développement de la Banque Mondiale à l Arménie en 2005 relevaient du domaine de la privatisation (9 sur 39). 24 D autres pays, comme le Honduras ou le Nicaragua, ont également été soumis à un grand nombre de conditions de privatisation : une condition sur sept imposées au Honduras (11 sur 72) en 2004 exigeait une réforme de privatisation, et environ une sur dix pour le Nicaragua (10 sur 107) en 2003. La conditionnalité de la Banque Mondiale et du FMI : une injustice pour le développement, Eurodad. Juin 2006. 14

Conditions relatives à des privatisations dans les prêts en cours de la Banque Mondiale 18 16 14 12 10 8 6 4 2 0 Arménie Bengladesh Bénin Bolivie Burkina Faso Ethiopie Géorgie Ghana Honduras Madagascar Mali Mozambique Nicaragua Niger Rwanda Sénégal Tanzanie Ouganda Vietnam Zambie Agriculture Système Bancaire Autres réformes des entreprises d'etat Réformes relatives à des privatisations Energie Eau Notre étude fait ressortir que malgré une légère diminution du nombre de conditions exigeant directement des privatisations entre les prêts antérieurs et les prêts en cours de la Banque Mondiale, 25 le nombre de conditions imposant des réformes visant à faciliter les privatisations les réformes réglementaires, la restructuration de certains secteurs et la réforme des grandes entreprises est lui en forte augmentation. Ce nombre a en effet presque doublé entre les prêts antérieurs et les prêts actuels de la Banque Mondiale aux 20 pays examinés. Par exemple, l Arménie subit 9 conditions relatives à des privatisations, alors que son Deuxième Crédit à l Appui de la Réduction de la Pauvreté ne contient aucune condition de privatisation directe. Ces conditions lui imposent aussi bien «d entamer des réformes de sa compagnie de chemins de fer (pour en préparer la commercialisation)» que de faire en sorte que le parlement arménien «promulgue une nouvelle loi sur les télécommunications et un cadre réglementaire moderne {visant à} permettre l autorisation de fournisseurs de services supplémentaires». Dans son évaluation, la Banque Mondiale reconnaît l emploi de ces conditions et l augmentation de leur nombre, qu elle justifie par la nécessité de mettre en place un environnement réglementaire favorable avant d entamer toute privatisation. 26 Les deux types de conditions de privatisation directe et de réformes visant à faciliter les privatisations ont fortement augmenté. Les services publics en première ligne Notre étude révèle que les conditions de privatisation de la Banque Mondiale exigent presque toutes la privatisation des services publics, ce que viennent confirmer les résultats de l évaluation que la Banque Mondiale a elle-même réalisée l année dernière. 27 Le détail montre que le premier service visé par les conditions de privatisation est celui des télécoms (intégrés à la catégorie «Autres réformes des entreprises d Etat» dans le graphique) : 6 pays sur 11 doivent satisfaire cette condition pour bénéficier d un crédit de développement de la Banque Mondiale. La privatisation de l industrie énergétique (électricité, gaz et pétrole) vient en deuxième place. La conditionnalité de la Banque Mondiale et du FMI : une injustice pour le développement, Eurodad. Juin 2006. 15

La privatisation de l eau vient loin derrière, bien que l Ouganda, dans le cadre de son Cinquième Crédit d Appui à la Réduction de la Pauvreté, doive impérativement mettre en place un réseau privé d alimentation en eau dans tout le pays. Le repli des conditions de privatisation de l eau pourrait bien s expliquer par le fait que la Banque Mondiale soit déjà parvenue à privatiser l eau dans la plupart de ces pays. La Bolivie et le Mali ont tous deux dû se plier à des conditions de privatisation de l eau dans le cadre des crédits que leur a accordé la Banque Mondiale au cours des cinq dernières années. Des conditions qui sapent l appropriation des pays Il est aujourd hui largement reconnu que, pour être efficace, le développement doit être impulsé par chaque pays et selon ses propres politiques, et non pas être imposé de l extérieur. De nombreux documents de la Banque Mondiale admettent cette réalité. Ainsi, les nouvelles directives de bonne pratique de la Banque Mondiale appellent à formuler des conditions qui puissent favoriser l appropriation des pays et soient donc élaborées en fonction des intentions de réformes politiques que chacun d eux manifeste. 28 Notre étude montre cependant que la Banque continue d imposer aux pays pauvres des réformes économiques toujours très controversées, et ce indépendamment du fait que les pays les aient ou non prévues dans leurs stratégies nationales de lutte contre la pauvreté. Par exemple, sur les onze pays concernés par des conditions de privatisation, quatre ne mentionnent aucune politique de privatisation dans leurs stratégies nationales de développement. Tableau 3 : Conditions de privatisation sujettes à controverse imposées par la Banque Mondiale et non mentionnées dans les Stratégies Nationales de Réduction de la Pauvreté PAYS Mozambique Ouganda Zambie Bénin PRËT DE LA BANQUE MONDIALE PRSC2 PRSC5 Crédit pour la Croissance et la Gestion Economique PRSC2 CONDITION DE REFORME POLITIQUE SUJETTE A CONTROVERSE Privatisation de la Banque du Mozambique Privatisation du réseau national d'alimentation en eau Privatisation de la Compagnie Zambienne de Télécommunications Privatisation de l'onab (Office National du Bois) MENTIONNEE DANS LA STRATEGIE NATIONALE? NON NON NON NON Ces résultats ont renforcé ceux de la propre étude menée l année dernière par la Banque Mondiale, qui avaient révélé que 50% des pays bénéficiaires avaient le sentiment que la «Banque Mondiale introduisait des éléments qui n étaient pas prévus dans le programme national» dans les conditions qu elle liait à leurs prêts. 29 Ils viennent également confirmer les La conditionnalité de la Banque Mondiale et du FMI : une injustice pour le développement, Eurodad. Juin 2006. 16

résultats de l étude réalisée l année dernière par la Coalition Dette et Développement sur la conditionnalité de la Banque Mondiale dans les Crédits d Appui à la Réduction de la Pauvreté. L étude en question donnait de nombreux exemples de conditions polémiques de la Banque Mondiale qui ne faisaient aucunement partie des stratégies nationales de réduction de la pauvreté des pays concernés. 30 Tout cela est particulièrement préoccupant quand on sait que les stratégies nationales de réduction de la pauvreté ont toujours été largement influencées par la Banque Mondiale et les autres agences de financement, et reflètent donc rarement les souhaits des gouvernements et des citoyens. L étude menée l an dernier par la Banque Mondiale pour évaluer l opinion des gouvernements bénéficiaires sur la conditionnalité a montré que plus d un tiers d entre eux considéraient que les négociations avec la Banque Mondiale avaient entraîné des modifications importantes dans leur programme politique d origine. 31 Libéralisation forcée du commerce pour les pays pauvres Quatre des vingt pays qu Eurodad a étudiés se voient imposer des conditions de libéralisation du commerce : l Ouganda, le Rwanda, le Bénin et l Arménie. Dans le cadre de son prêt en cours auprès de la Banque Mondiale, l Arménie doit satisfaire une condition contraignante qui exige que ses tarifs s alignent sur les décisions de l Organisation Mondiale du Commerce ; le Bengladesh, de son côté, doit supprimer ses quotas d importations de sucre ; le Rwanda doit rejoindre l Accord Economique d Afrique Orientale, et l Ouganda soumettre un projet de loi de l Organisation Mondiale du Commerce à son parlement. Néanmoins, on observe que les conditions relatives au commerce ne représentent que 3% du total des conditions imposées par la Banque Mondiale aux Pays à Faible Revenu, et les conditions directement liées à la libéralisation du commerce 1% seulement. De son côté, l évaluation de la Banque Mondiale sur la Conditionnalité a relevé que les conditions relatives au commerce concernaient aujourd hui «à peine 2% du nombre total de conditions imposées aux pays à faible revenu». 32 Les conditions de réforme du secteur public La plupart des organisations de la société civile s accordent à dire que la gouvernance a un impact important sur le développement. La question reste de savoir si la Banque Mondiale est l agence idéale pour évaluer et imposer des réformes de gouvernance aux pays en développement, et si la conditionnalité est l instrument le plus adéquat pour traiter une question si importante. Il est bien sûr indispensable de poser certaines conditions fiduciaires élémentaires aux prêts ; mais imposer des réformes plus profondes impliquant des transformations institutionnelles de long terme est on ne peut plus contestable. Le Département du Développement International de l Université de Birmingham, au Royaume-Uni, a récemment réalisé une évaluation du soutien budgétaire général, dans laquelle il souligne que «de l opinion générale, il n est pas nécessaire que la conditionnalité soit spécifiquement liée au soutien budgétaire, ni à aucun autre instrument d aide individuel, mais plutôt qu elle soit abordée dans le cadre du dialogue politique liant le pays à ses donateurs.» Notre étude fait ressortir que la grande majorité des conditions imposées par la Banque Mondiale concernent des politiques de réforme du secteur public : 43% de toutes les conditions de la Banque Mondiale liées à des prêts aux pays pauvres se rapportent à des réformes du La conditionnalité de la Banque Mondiale et du FMI : une injustice pour le développement, Eurodad. Juin 2006. 17

secteur public. Ces dernières prônent tout un ensemble de politiques : la lutte contre la corruption, la réforme du service public, la gestion des finances publiques, la réforme des systèmes juridique et constitutionnel, et le renforcement des capacités de suivi et d évaluation de la société civile. Les vingt pays analysés par Eurodad se sont tous vus imposer des conditions de réforme du secteur public en parallèle avec leurs prêts actuels auprès de la Banque Mondiale. Les conditions de gestion des finances publiques et de réforme fiscale représentent presque la moitié de l ensemble des conditions de réforme du secteur public. Bien qu en principe, une gestion plus transparente et plus responsable des finances publiques soit indispensable au développement, les groupes de la société civile redoutent que de nombreuses conditions de gestion des finances publiques ne soient en fait des réformes de libéralisation économique déguisées. 33 Répartition des Conditions de Réforme du Secteur Public Imposées par la Banque Mondiale Réformes juridiques et constitutionnelles 8% Suivi et Contrôle des OSC 12% Lutte contre la Corruption 13% Réforme du Service Public 14% Décentralisation 5% Gestion des Finances Publiques 48% Les conditions sociales et environnementales Environ 37% des prêts de la Banque Mondiale contiennent des conditions sociales et environnementales. Ce genre de conditions devrait, en principe, tendre à assurer que l aide au développement ait des retombées positives et bénéfiques sur la réduction de la pauvreté et l environnement. Une analyse détaillée de ces dernières dépasserait le cadre de notre étude. Cependant, un bref examen suffit à révéler une micro-gestion importune des différents secteurs politiques et donc à susciter de nombreuses inquiétudes. Le gouvernement rwandais, par exemple, a reçu la demande de «préparer une stratégie visant à promouvoir de meilleures pratiques d hygiène dans les foyers et dans 184 écoles publiques rurales» - très certainement utile, mais loin des conditions que l on peut s attendre à voir liées à un Crédit national d Appui à la Réduction de la Pauvreté. Le nombre de ces conditions (presque 24 par prêt) amène à penser qu elles ne peuvent toutes être prioritaires et ne seront certainement pas toutes appliquées. La conditionnalité de la Banque Mondiale et du FMI : une injustice pour le développement, Eurodad. Juin 2006. 18

Répartition des Conditions Sociales et Environnementales de la Banque Mondiale 11% Total des Conditions d'education 50% 16% 15% Total des Conditions de Santé Total des Conditions Environnementales Total des Conditions sur l'eau et l'hygiène Publique Total des Conditions de Protection Sociale Total des Conditions Sociales et Environnementales 3% 5% Les bons résultats récompensés par plus de conditions Non seulement les conditions sont trop nombreuses et la plupart d entre elles sont néfastes, mais en plus, il apparaît qu aucune logique ne justifie le choix des pays qui se voient attribuer le plus grand nombre de conditions et de ceux qui en reçoivent le moins. La Banque Mondiale prétend que l aide au développement est attribuée aux pays montrant une «conjoncture favorable au développement». Elle récompense donc les pays qu elle juge comme de bons élèves en leur attribuant les montants d aide les plus élevés. Pour déterminer si un pays bénéficie d une «conjoncture favorable au développement», la Banque Mondiale évalue annuellement le cadre institutionnel et politique de celui-ci, et en déduit s il est propice à la réduction de la pauvreté, s il connaît une croissance durable, et s il a les capacités de gérer efficacement l aide au développement qu il recevra. Pour ce faire, la Banque Mondiale utilise un outil d Evaluation de la Performance Politique et Institutionnelle des Pays (CPIA), qui classe les pays en fonction d un certain nombre de critères donnés. Eurodad, ainsi que divers groupes de la société civile, se montrent très critiques sur certains aspects de la méthode CPIA employée par la Banque Mondiale, et déplorent notamment le fait que les critères selon lesquels cette dernière juge la performance d un pays donnent beaucoup trop d importance aux politiques de libéralisation économique, et qu ils soient appliqués selon une méthode globale qui ne tient pas compte des particularités de chaque pays. Les imperfections de ce système d affectation de l aide mises à part, on s attend à ce que le nombre de conditions imposées à un pays diminue à mesure que le score obtenu à l issue de l évaluation CPIA monte, les pays qui réalisent un score élevé étant supposés appliquer de «bonnes» politiques. C est pourtant le contraire qui se produit : les pays les mieux classés par l évaluation CPIA reçoivent le plus grand nombre de conditions. Cinq des huit pays ayant le plus La conditionnalité de la Banque Mondiale et du FMI : une injustice pour le développement, Eurodad. Juin 2006. 19

grand nombre de conditions font partie du premier quintile du classement CPIA de 2004, et les trois autres sont dans les deuxième et troisième quintiles. Le problème vient-il des critères employés, ou bien des conditions superflues imposées aux pays ayant réalisé un bon score lors de l évaluation? Quelle que soit la réponse, elle exige que la Banque Mondiale révise ses méthodes, et démontre bien que le système de conditionnalité de l institution est profondément défectueux. 34 Tableau 4 : Nombre de Conditions et Classements CPIA de la Banque Mondiale PAYS AYANT LE PLUS GRAND NOMBRE DE CONDITIONS NOMBRE DE CONDITIONS CLASSEMENTS CPIA 2004 35 (5 premiers derniers) Ouganda 197 Premier quintile Nicaragua 107 Premier quintile Rwanda 103 Troisième quintile Sénégal 77 Premier quintile Tanzanie 72 Premier quintile Honduras 72 Premier quintile Ethiopie 67 Deuxième quintile Bénin 60 Troisième quintile La conditionnalité de la Banque Mondiale et du FMI : une injustice pour le développement, Eurodad. Juin 2006. 20