Cursus conduisant à la maturité gymnasiale



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Transcription:

Cursus conduisant à la maturité gymnasiale Mise à jour du rapport de décembre 2003 Sur mandat de l Association valaisanne des professeurs de l enseignement secondaire. Février 2006.

SOMMAIRE 1. Douze ou treize ans, le contexte 1.1. Cursus à douze ans: une tendance climatique 3 1.2 Un exemple d orientation médiatique 4 1.3 L harmonisation et le secondaire II 4 2. Douze ou treize ans, l état des lieux en Suisse 2.1 Synthèse nationale 5-8 2.2 Suisse romande: pression sur les treize ans 8 3. Douze ou treize ans, par l exemple 3.1 Les Grisons à contre courant 8 3.2 Soleure: menace sur les sept ans de gymnase 9 4. Douze ou treize ans: l enjeu pédagogique 4.1 Indicateurs statistiques 9-10 4.2 La maturité gymnasiale en perte de vitesse? 11-12 5. Bologne, état des lieux 5.1 Universités: la Suisse bon élève 13 5.2 La contestation s essouffle 14-15 5.3 HES: le grand chamboulement 15-17 6. Synthèse 18 7. Annexes 19 2

1. DOUZE OU TREIZE ANS, LE CONTEXTE 1.1 Le cursus à douze ans: une «tendance climatique» Nous le disions dans le rapport 2003. L introduction d un cursus uniformisé à douze ans vers la maturité gymnasiale ne semblait être qu une question de temps en Suisse. Trois ans plus tard, cette prévision se confirme. Argovie, seul survivant suisse alémanique d une formation gymnasiale à treize ans, pourrait rejoindre la cohorte dominante dès 2010. Notons que plusieurs cantons d outre- Sarine continuent de proposer un cursus lent à treize ans. On y rejoint les études de maturité après six ans de primaire et trois de secondaire I (6-3-4). Il demeure largement minoritaire. 1 Le «village gaulois» se réduirait donc à quatre habitants: Genève, Fribourg, le Tessin et le Valais. La filière à douze ans est menacée dans tous ces cantons, dans une moindre mesure au Tessin. Nous y revenons plus loin dans ce rapport. Raccourcir, pourquoi? Pas pour la qualité de la formation. Aucune étude n établit les avantages et les désavantages respectifs d un cursus à treize ou à douze ans. Le moteur principal de cette tendance était économique. Il le reste. Les cantons insistent sur l obligation d assainir les finances publiques. Quant aux patrons, ils veulent rajeunir l âge d entrée sur le marché du travail. Leurs arguments: mettre sur le même plan les étudiants suisses et étrangers. 2 Pour le reste, nous retrouvons notre «tendance climatique.» 3 Son analyse est délicate. Elle tient à la fois des modes, des effets d entraînement, de l harmonisation nationale et européenne, sans qu on sache vraiment si cette harmonisation est utile ou non. «Je ne crois pas à l argument de l harmonisation internationale. Ce sont les étudiants qui décident, pas la durée des cursus», commente le président de la Conférence des gymnases suisses Arno Noger. Or les étudiants paraissent de moins en moins pressés. Que ce soit à la fin de la scolarité obligatoire, entre la maturité et l université ou les Hautes Écoles Spécialisées, ils sont de plus en plus nombreux à utiliser une solution transitoire: dixième année, stage linguistique, année sabbatique, service militaire concentré sur un an en fin de gymnase. (Voir à ce sujet le point 4.1.2 du présent rapport et la page 6 du rapport «Scolarité obligatoire, état des lieux en Suisse romande»). La maturité bouclée en douze ans devient une évidence... sans évidences. Certains media appuient cette tendance. Nous vous proposons un exemple ci- 1 En moyenne, 25% des élèves suivent cette voie lente. On constate de fortes différences entre cantons. De 5-10% à Berne, la proportion atteint 50% à Zurich et à Zoug. Source: «Institut für Bildungsmanagement und Bildungsökonomie», juillet 2004. 2 «Les étudiants suisses étaient désavantagés par rapport aux étudiants étrangers. (...) Avec Bologne, ils auront davantage de temps pour planifier leur vie professionnelle et privée.» economiesuisse, «La réforme de Bologne et l économie,» 2 novembre 2004. 3 L expression est de Jean-François Steiert, président des secrétaires généraux de la Conférence intercantonale de l instruction publique de la Suisse et du Tessin. Lui-même avait voté pour le maintien d un cursus à treize ans au Grand Conseil de Fribourg. 3

dessous. Ici encore, l interprétation et la conjecture prennent le pas sur les données objectives. 1.2 Un exemple d orientation médiatique 9 février 2006. L Hebdo publie un papier intitulé: «Maturité: Objectif 18 ans.» Le titre est déjà révélateur. Il nous emmène dans une remarquable illustration d article orienté, volontairement ou non. Selon les journalistes, seuls quelques cantons ruraux comme celui des Grisons conservent un système à treize ans en Suisse alémanique. Faux. Seul le canton d Argovie le propose encore, peut-être pas pour longtemps. Et il n est pas évident qu on puisse le cataloguer dans les cantons ruraux. Dans les Grisons, le cursus gymnasial standard dure douze ans. Le canton étudie même son rallongement à treize ans! Le magazine prête la phrase suivante à Jean-François Steiert: «Les cantons alémaniques qui ont une scolarité sur treize ans ont aussi le plus mauvais taux de réussite du pays.» Faux encore. Le président des secrétaires généraux de la CDIP a simplement constaté qu on ne pouvait établir un lien de cause à effet entre la réussite universitaire et la durée du cursus gymnasial, faute d études sur le sujet. Il ne s agit pas de jeter la pierre aux journalistes. La rédaction de L Hebdo comme celle d autres journaux a subi des réductions de personnel. Les journalistes ont très peu de temps pour rédiger leurs articles, et presque plus pour vérifier leurs informations. Ce paragraphe veut simplement montrer comment un ou des media suivent le vent dominant, peut-être sans en avoir vraiment conscience. 1.3 L harmonisation et le secondaire II Ici aussi, la réalité s accommode de la fiction, selon les goûts de chacun. Si le cursus à douze ans ne s impose pas, alors la Confédération l imposera, entendon. Ce n est qu une hypothèse. Stricto sensu, tous les projets d harmonisation (HarmoS, articles constitutionnels, Espace romand de la formation) concernent uniquement l école obligatoire. Aucune disposition contraignante n existe et n est prévue pour le secondaire II. Il n est pas impossible que l harmonisation de l école obligatoire déteigne sur les écoles supérieures et sur le tertiaire. C est même probable, et d ailleurs prévu dans le cadre du «Paysage suisse des Hautes écoles» en ce qui concerne la formation tertiaire. Mais cette unification ne repose pour l instant sur aucune base légale. Et le «Paysage suisse des Hautes écoles» est encore loin d être dessiné. 4

2. DOUZE OU TREIZE ANS, L ETAT DES LIEUX EN SUISSE 2.1 Synthèse nationale 2.1.1 Durée totale du cursus conduisant à la maturité gymnasiale 4 1993 2003 2006 13 ans 14 cantons 5 cantons 5 cantons* 12 ans 7 20 20** 12 ans1/2 5 1 1 *4 cantons si Argovie passe à 12 ans. ** 21 cantons si Argovie passe à 12 ans. La disparition pure et simple du cursus à treize ans à moyen terme ne relève pas du scénario de fiction. L argument principal du raccourcissement reste économique, mais les réformes du secondaire I et du degré primaire lui donnent un utile prétexte. Or, tous les cantons devront s adapter à l harmonisation nationale de l école obligatoire. Argovie compte ainsi ramener la durée des études à douze ans. Le projet conduit par le Département cantonal de la formation («BKS, Bildung, Kultur und Sport») s inscrit, sans surprise, dans le cadre de l harmonisation de l école obligatoire. Le système actuel est un Sonderfall en Suisse alémanique: cinq ans de primaire, quatre de secondaire I, quatre ans de gymnase. Le Gouvernement veut «favoriser la mobilité des familles.» Il souhaite aussi éviter le tourisme des lycéens qui gagneraient les cantons voisins pour y obtenir une maturité en douze ans. On se dirigerait donc vers une structure plus classique. Le projet sera présenté au Parlement au milieu de l année 2007, puis soumis à votation populaire. L introduction de la réforme est prévue pour l année scolaire 2010/2011. A Genève et en Valais, les refontes de l école obligatoire entraîneront certainement le gymnase dans leur sillage. Le cursus à douze ans est à nouveau sur la table du Parlement fribourgeois. On y évoque un double argument déjà maintes fois entendu: nécessité financière et harmonisation. 4 Données compilées par les auteurs du rapport, année scolaire 2005-2006. 5

Au Tessin enfin, les treize ans d études qui conduisent à la maturité ne devraient pas être remis en cause à court terme. 5 Mais la question de l harmonisation de l école obligatoire se pose aussi au Sud des Alpes. Avec trois ans d école enfantine, cinq ans d école primaire et quatre ans au secondaire I, le canton est très loin du standard national souhaité par HarmoS. Il est aussi un des seuls à offrir une école secondaire totalement intégrée. Le gymnase en quatre ans est profondément lié à cette vision hétérogène de l école. «Nous tentons de donner une chance à chacun, et nous y arrivons. Un raccourcissement du gymnase remettrait en cause toute l école obligatoire», commente le chef du secondaire II au Département de l instruction publique tessinois Renato Vago. A l inverse, l harmonisation de l école obligatoire pourrait chambouler la durée du «liceo» tessinois. Seuls les Grisons font contraste dans le tableau, avec leur projet de rallonger la durée des études. Nous y revenons ci-dessous. 2.1.2 Résumé des principaux cursus 6-6 (LZG) Grisons, Glaris, Zoug, Uri, Nidwald, Lucerne, Obwald, Appenzell AI, Appenzell AR, Zurich. Les six ans de gymnase sont en principe entièrement sous le contrôle du secondaire II. 6-2-4 (KZG) Thurgovie, Schwyz, Nidwald, Bern, Schaffhouse, Saint-Gall, Appenzell AI, Appenzell AR, Zurich, Grisons, Zoug, Soleure. 6-3-3 Glaris, Jura, Neuchâtel, Vaud, Obwald, Lucerne, Berne 6-3-4 Fribourg, Genève 6-2-5 Valais 5-7 Soleure. Les sept ans de cursus sont entièrement sous le contrôle du gymnase. 5 «Ce n est pas dans l intention du Gouvernement actuel de raccourcir la durée du cursus gymnasial. Mais si on suit HarmoS, c est tout le système scolaire tessinois qui saute.» Renato Vago, chef du Secondaire II au Département de l Education, de la culture et du sport du canton du Tessin. 6

6-6: C est le Langzeitgymnasium (LZG). Héritier d une longue tradition, il se retrouve néanmoins menacé à Nidwald, aux Grisons, à Soleure, Uri, Lucerne, Zoug et Zurich. Deux raisons à cela. D abord, il coûte cher aux cantons. Faute de trouver comme à St-Gall une clé de répartition financière (les communes qui envoient des élèves au LZG passent à la caisse), il paraît condamné. Ensuite, les réformes menées au secondaire I vont dans le sens d une meilleure intégration. Or le LZG est considéré comme une filière élitiste. Ses élèves vivent séparés des autres, et le suivent parfois dans établissements distincts. 6-2-4: C est le Kurzzeitgymnasium (KZG). Dans le cadre des processus d harmonisation, il devient la règle en Suisse alémanique. Avant tout pour des raisons économiques. Son coût est en effet moins élevé. Dans les Grisons, une étude financière sur l impact de l introduction du KZG conclut à une économie annuelle de 8.2 millions de francs pour le canton. Le tableau est différent pour les communes, qui verraient leurs charges augmenter de 5.8 à 6.3 millions. Si on considère la charge publique totale, le KZG demeure avantageux, puisqu il permettrait d économiser de 1.9 à 2.4 millions par an. Autre exemple de la pression sur le Langzeitgymnasium: Lucerne propose d introduire un système coopératif à niveaux au secondaire I. Le KZG y serait mieux adapté. Mais le canton hésite à faire le pas de la suppression immédiate du LZG, politiquement dangereuse. Par contre, il privilégie ouvertement le Kurzzeitgymnasium, de sorte qu il devienne à court terme la filière standard vers la maturité. 2.2 Suisse romande: pression sur les treize ans... A Fribourg, les parlementaires se sont prononcés au début 2004 sur la durée des études gymnasiales. Pour quatre voix seulement (51 contre 47), le Grand Conseil a choisi de maintenir le cursus à treize ans. Les députés ont suivi la représentante du Gouvernement Isabelle Chassot. Une large consultation avait fait ressortir qu une forte majorité des enseignants et des parents tenait à un cursus de treize ans. Raisons invoquées: la qualité de vie des écoliers et les craintes de redoublement. La Conseillère d État souhaitait également étudier les évaluations effectuées au Gymnase Cantonal de la Broye, qui propose un cursus en douze ans aux élèves vaudois et fribourgeois. Cette étude ne sera disponible qu à la prochaine rentrée scolaire. 6 La très faible majorité favorable au statu quo a encouragé les partisans du raccourcissement à revenir à la charge. Plusieurs interventions parlementaires vont dans ce sens. Genève vit dans un tourbillon de débats scolaires. La question des notes, le cycle d orientation font l objet d incessantes pressions et sont devenus des enjeux politiques. Le gymnase n y échappe pas. Les libéraux ont annoncé leur intention de présenter un projet de raccourcissement à douze ans du cursus 6 Selon Yves Maire, directeur du Gymnase intercantonal de la Broye. Les évaluations sont en cours. 7

gymnasial. Selon le chef du groupe libéral au Parlement Pierre Weiss, il permettrait d économiser entre 25 et 40 millions de francs. En Valais court un projet de réforme du Cycle d orientation. Comme nous l avons souligné plus haut, ce type de rénovation entraîne souvent une remise en question du lycée et de sa durée. Le chef du Département de l Éducation Claude Roch ne fait pas mystère d éventuels changements dans ce domaine. Pour le Valais cependant, au contraire de Genève, l argument du sauvetage des finances publiques fonctionne mal. Les comptes de l État sont dans le noir depuis plusieurs années. Le budget 2006 dégage un excédent de recettes de dix millions de francs. Et rien ne laisse présumer une détérioration des finances publiques à court terme. 3. DOUZE OU TREIZE ANS: PAR L EXEMPLE 1.4 Les Grisons vont à contre-courant Quand tous se dirigent vers une maturité gymnasiale à dix-huit ans, les Grisons font le chemin inverse. Dans le cadre d une réforme globale de la scolarité obligatoire, dont la mise en œuvre est prévue en 2008, le canton recommande d augmenter la durée du cursus de douze à treize ans. Dans le détail, cela donnerait un modèle en 6-2-5: six ans d école primaire, deux ans de secondaire I, et cinq ans de gymnase au secondaire II. L ensemble de la réforme fait l objet d une large procédure d information et de consultation depuis le début de l année 2006. Pourquoi ramer à contre-courant? Trois raisons majeures sont invoquées. Les deux premières sont très intéressantes dans le cadre de ce rapport. Primo, les Grisons ont l expérience de durées différentes dans le cursus gymnasial. Ils le proposaient d abord en treize ans. Ils sont revenus à douze dans le cadre de la réforme fédérale de la maturité. Or, le bilan de cette expérience n est pas bon. «Toutes les réactions que nous avons recueillies dans les écoles étaient négatives», explique le Dr Hermann Laim, secrétaire du Département de l Éducation au canton. En résumé, les enseignants ont estimé qu ils ne pouvaient pas offrir la même qualité de formation avec un an de moins. La question de la maturité psychologique des élèves a également pesé dans le débat. On a remarqué que de plus en plus d élèves s offraient une année intermédiaire (Zwischenjahr) avant d entrer à l université. La tendance est d ailleurs de plus en plus sensible au niveau national (voir chapitre 4.1.2). Pourquoi raccourcir un cursus que l élève rallonge de lui-même? L argument d une entrée plus rapide sur le marché du travail invoqué par les milieux économiques tomberait ainsi sans que personne ne le pousse. Le troisième avantage d un cursus en cinq ans tient dans une raison plus pragmatique: il représente une bonne solution de compromis. De fait, le projet 8

de réforme grisonnais ferait le deuil du Langzeitgymnasium. Politiquement et financièrement, rajouter une année au gymnase aide à faire avaler la pilule. Globalement, ce modèle permettrait au canton d épargner de 0.6 à 0.9 million par an. Les communes devraient par contre rallonger de 0.8 à 3 millions de francs. Le Gouvernement soutient cette variante. Pour lui, elle renforce le secondaire I 7, où on prévoit d introduire un modèle coopératif. 1.5 Soleure: menace sur les sept ans de gymnase Voilà une autre île en Suisse alémanique! Dans quatre écoles du canton, le Langzeitgymnasium dure sept ans, entièrement sous le contrôle du gymnase. On y entre après la cinquième année primaire. Cette voie sélective a du succès: 60% des élèves la suivent. Elle a aussi des tares. Elle coûte cher. Et elle est complètement séparée du secondaire I. Or la Volkschule soleuroise, comme bien d autres, fait l objet d une réforme pour simplifier les cursus et augmenter la perméabilité entre les filières. Le projet vise à supprimer le LZG de sept ans, et à créer un cursus gymnasial classique en 6-2-4, avec six ans de primaire, deux ans de pré-gymnasiale au secondaire I, et quatre ans de gymnase. La réforme soleuroise se heurte à de très vives oppositions. Au final, le peuple pourrait trancher. 4. DOUZE OU TREIZE ANS, L ENJEU PEDAGOGIQUE 4.1 Indicateurs statistiques. 4.1.1 Taux de réussite universitaire: faute d accès aux chiffres, faute surtout de pouvoir corréler la durée du cursus gymnasial avec le taux de réussite universitaire, nous renonçons à la mise à jour de ce chapitre. Les informations du rapport 2003 demeurent valables. 4.1.2 Taux de passage global maturité gymnasiale Hautes Écoles universitaires Passage immédiat Passage 1 an après Passage 2 ans après Passage global Année maturité 1980 50.8% 22.1% 8.1% 81.1% Année maturité 2000 53.7% 21.6% 4.2% 79.5% Année maturité 2003 46.4% *** *** 46.4% Cet indicateur montre le pourcentage total de personnes ayant obtenu une maturité gymnasiale et commencé des études universitaires la même année ou une, deux voire plusieurs années après l obtention de la maturité. 7 «Indépendamment du choix des filières, les élèves les plus performants pourront fréquenter le Gymnase.» Kernprogram Bündner Schule 2010, novembre 2005. 9

On note une baisse du nombre d étudiants qui entrent directement à l université après avoir obtenu une maturité. Ils étaient près de 54% en 2000. Ils ne sont plus que 46.4% en 2003. Le phénomène est plus perceptible en Suisse alémanique. Dans le canton de Saint-Gall par exemple, sept bacheliers sur dix s accordent une année transitoire ou plus avant d entrer à l université. Au Tessin, on constate une situation inverse. Les étudiants tessinois, qui suivent pourtant un cursus gymnasial de treize ans, terminent leurs études universitaires plus rapidement que la moyenne suisse! Explication: beaucoup d entre eux fréquentent l université dans d autres cantons ou à l étranger. Ils veulent boucler leurs études le plus vite possible. 4.1.3 Taux de maturités gymnasiales par canton 1990 2002 2004 Valais 13.8% 20.5% 18.3% Fribourg 13.4% 20.4% 22.9% Vaud 16.6% 23.6% 23.2% Neuchâtel 17.8% 33.4% 23.7% Jura 13.2% 21.2% 23.2% Genève 26% 31.8% 29.8% Argovie 10.5% 16.8% 18.7% Tessin 21% 28.1% 28.4% Suisse 13.3% 19.3% 18.6% Ce taux indique le pourcentage de la population résidente permanente de 19 ans qui a obtenu un certificat de maturité gymnasiale. Nous avons rajouté les cantons du Tessin et d Argovie, qui proposent tous deux un cursus à treize ans. Certaines valeurs présentent des différences avec celles indiquées dans le précédent rapport. Elles sont dues à des corrections statistiques. 4.1.4 Taux de diplômes des Hautes Écoles universitaires par canton 1990 2002 2004 Valais 6.5% 11.3% 12.2% Fribourg 6.5% 10.4% 12.8% Vaud 7.8% 12% 11.9% Neuchâtel 9.1% 13.4% 13.6% Jura 6.1% 12.1% 13.1% Genève 13.4% 15.4% 16,5%% Argovie 5.1% 8% 11.7% Tessin 8.1% 14.2% 16% Suisse 7.3% 10.2% 11.9% 10

Cet indicateur met en relation le nombre de diplômes universitaires d une année donnée avec la population résidente permanente âgée de 27 ans. On note également quelques corrections statistiques dans le tableau 2002. 4.2 La maturité gymnasiale en perte de vitesse? Un étudiant suisse sur quatre ne termine pas sa formation universitaire. 8 Et un sur cinq change de filières en cours d étude. Ce constat fait le socle d une affirmation: la qualité des diplômes de maturité a diminué. De plus en plus de voix relaient cette inquiétude. Et pas n importe lesquelles: «Le niveau de la maturité a baissé sans que l on s en rende compte.» déclare le secrétaire d État à l éducation et à la recherche Charles Kleiber 9. «Les étudiants ne sont pas suffisamment préparés aux hautes écoles», lance de son côté l ex-conseiller d État zurichois Ernst Buschor, président de la Fédération des anciens de la Société des Étudiants suisses. Diminution de la qualité de la formation gymnasiale, vraiment? En réalité, personne ne sait. Les données de base sont insuffisantes. Les taux cantonaux de réussite universitaires, qui permettraient une comparaison, sont confidentiels. Et encore, ils ne permettraient pas à eux seuls d établir formellement une hausse ou une baisse de qualité de la maturité. Trois démarches différentes pourraient nous en apprendre davantage. Commençons par «Le passage aux études supérieures», second volet du rapport réalisé sur mandat de la Conférence des directeurs des gymnases suisses. Basé sur une large investigation, il fera le point sur la transition gymnase-université vue par les étudiants. Ce deuxième épisode inclura les avis des élèves qui ont vécu leur gymnase sous le régime des nouvelles maturités. Problème: puisqu elle se base sur le vécu estudiantin, l étude sera forcément subjective. Sa publication est prévue à l automne 2006. L enquête EVAMAR 2, elle, vise précisément à évaluer les compétences des élèves à la fin de la formation gymnasiale. Mais pour des raisons de contraintes financières, elle ne tiendra pas compte de toutes les branches enseignées. Les résultats de l enquête devraient être publiés en 2007. Enfin, une commission mixte formée des cantons et de la Confédération cherche à en savoir davantage sur la prétendue baisse de qualité de la maturité. La probable révision totale de l ordonnance fédérale sur la maturité 10, prévue en 2008-2010, est jugée trop lointaine. On veut régler les problèmes les plus urgents sans attendre. Le groupe de travail devrait rendre son rapport avant les vacances d été 2006. Une décision du Conseil Fédéral est attendue avant la fin de l année. 8 Source: OFS 9 Le Temps, 10 février 2006. 10 ORM, 15 février 1995. 11

L affirmation d une baisse de niveau du diplôme gymnasial est très contestée par certains professionnels de la formation eux-mêmes. Selon eux, elle devrait surtout à l hypothèse et peu à la démonstration fondée sur des données objectives. Quant à savoir pourquoi cette qualité aurait baissé, c est le vide. D aucuns, dont Charles Kleiber, mettent en avant l introduction de la nouvelle maturité, avec sa pléthore d options. D autres pointent du doigt le raccourcissement de la durée des études. Comme le président de la Conférence des gymnases suisses Arno Noger: «Si baisse de qualité il y a, elle doit beaucoup plus au raccourcissement du cursus gymnasial qu aux nouvelles maturités.» D autres voix rejoignent la sienne. Notamment celle du chef de l Education au Secrétariat d État à l éducation et à la recherche Ernst Flammer: «Je pencherais plutôt vers la diminution du cursus à douze ans pour expliquer une baisse de niveau des maturités.» Ou celle encore du chef du secondaire II au Département de l instruction publique tessinois Renato Vago. Ce courant d opinion reste peu relayé sur la place publique. Quoiqu il en soit, fondée ou pas, l affirmation fait des petits. Sur sa base, on évoque l introduction d examens d entrée dans les universités. On parle de numerus clausus. Ici au moins, on trouve un écho dans la réalité. Le numerus clausus est déjà pratiqué aux Grisons et dans les cantons de Glaris et St-Gall. Pas à l entrée à l université, mais aux portes du gymnase! A Glaris, il fait tomber son couperet au niveau pré-gymnasial, soit en septième et en huitième année. Les plus mauvais élèves sont éliminés, même s ils ont réussi l examen d entrée. Un recours au Tribunal cantonal n a pas abouti. La raison première de cet entonnoir tient en un mot: économie. Glaris économise 200'000.- par an en réduisant le nombre de classes de pré-gymnasiales de trois à deux. Quant aux Grisons, en diminuant au total de 10% le nombre d élèves au gymnase, pré-gymnase, dans les écoles de maturité professionnelles et les écoles de commerce, il estime son épargne à environ onze millions de francs de 2003 à 2008. Dans ce dernier canton, la situation est un peu particulière. Le numerus clausus, introduit dans le cadre d un paquet de mesures d économies budgétaires, est transitoire (2004-2007). Il fait partie d un paquet de compromis négocié dans le cadre de la réforme du cursus gymnasial. Il devrait être aboli dès l aboutissement de la réforme, si celle-ci va dans le sens prévu par le Gouvernement. Elle provoquerait en effet la suppression du coûteux LZG (voir chapitre 3.2). A moins que le peuple n enterre le numerus clausus plus tôt. Une initiative populaire a abouti en juin 2005. A Saint-Gall, où la culture de la sélection est quasiment institutionnelle, le numerus clausus au gymnase est pratiqué en silence depuis une dizaine d années. 12

5. BOLOGNE, ETAT DES LIEUX 5.1 Universités : La Suisse bon élève En 2005, les universités suisses sont entrées de plain-pied dans la réforme de Bologne. Hormis les études de médecine, qui passeront le cap en 2006-2007, une très large majorité des facultés a adapté son cursus au bachelor-master. 24'000 étudiants 11 (soit 75% des nouveaux arrivants) ont commencé leurs études au niveau bachelor. Quant aux diplômes, les HEU ont délivré 1057 titres de bachelor en 2004, le plus souvent à des étudiants en sciences économiques et en droit, des facultés qui ont basculé très vite vers Bologne. En 2008, selon les prévisions de l Office fédéral de la statistique, on devrait compter 8'000 bachelors délivrés, soit environ 70% des premiers diplômes. Le nombre de masters passerait de 900 en 2005 à environ 6000 en 2008. La Suisse roule vite sur l autoroute de Bologne. Elle devrait avoir appliqué la Déclaration bien avant la date butoir de 2010. Voilà pourquoi, en comparaison internationale, elle est reconnue comme un bon élève. Plus de la moitié des quarante-cinq pays participants se sont convertis au nouveau système et ont entamé son application. Prochaine étape de la réforme: le Cadre Européen de Qualification. Il vise à harmoniser les systèmes de crédit et la valeur des diplômes, qui varient encore beaucoup dans les pays signataires. Cette harmonisation est une priorité des responsables européens avant la prochaine rencontre des ministres de l enseignement, en 2007 à Londres. L avancement de la réforme de Bologne dans quelques pays européens 12 Suisse Allemagne Le processus de Bologne est entré en vigueur à large échelle en 2005. En 2006, la totalité des nouveaux entrants entameront leurs études dans le nouveau système. L Allemagne roule à Bologne. 80 à 100% des étudiants sont impliqués dans le système bachelor-master. France En 2005, Bologne s applique à large échelle. Il concerne 50 à 80% des étudiants. 11 13'500 dans les universités, 10'500 dans les HES. 12 Source: «Bologna Process Stocktaking», mai 2005. 13

Italie Espagne Finlande Comme en France, 50 à 80% des étudiants sont réglés à l horloge de Bologne. L Italie a par contre du retard dans la mise en place des systèmes d assurance qualité. La progression est plus lente. Moins d un quart des étudiants est engagé dans le nouveau système à deux cycles. Tout est en place du point de vue structurel. Mais moins d un quart des étudiants ont débuté le bachelor en 2005. 5.2 La contestation s essouffle En 2003, le processus de Bologne avait fait l objet de vives critiques. Non seulement des milieux étudiants, mais aussi de la part de recteurs d universités et de professeurs. Les premiers lui reprochaient d être trop axé sur les besoins de l économie et la rentabilité: plus court et plus scolaire, le bachelor pourrait aboutir à des emplois moins bien payés et plus fragiles. Quant à une des vocations essentielles de l esprit universitaire, la formation à l esprit critique, on craignait qu elle ne soit sacrifiée à une logique purement instrumentale. Trois ans plus tard, la fronde paraît s être diluée, que ce soit chez les enseignants et les étudiants. Le même phénomène est observé en Allemagne. Un professeur universitaire de Munich déplore que les universitaires ne résistent pas un peu plus à une réforme qu il assimile à un «diktat arrogant des politiques.» La «marche forcée» vers Bologne, comme le dit lui-même le secrétaire d État à l éducation et à la recherche Charles Kleiber, paraît inéluctable. Le président du Conseil de l Université de Lausanne Samuel Bendahan a beau affirmer que la réforme de Bologne «a été imposée au mépris de la démocratie» 13, c est déjà du passé. Le train est en route. Il ne s arrêtera pas. Les organisations estudiantines le reconnaissent avec une certaine résignation: «Il faut faire avec,» estime Lea Brunner, qui a conduit la délégation de l Union des étudiantes de Suisse (UNES) lors de la conférence de Bergen, les 19 et 20 mai 2005. Les associations estudiantines se concentrent désormais sur les aménagements de Bologne, Et surtout sur les conditions d octroi des bourses. Les étudiants qui travaillent ne sont pas l exception, mais la règle, selon une enquête de l Office fédéral de la statistique. 14 Ils sont huit sur dix à se payer partiellement leurs études par une activité rémunérée. Ils n ont pas le choix. Aujourd hui, les petits boulots couvrent 40% de leur budget, contre 17% seulement en 1973. Or le bachelor, très condensé, exige des études à plein temps. En parallèle, le nombre d étudiants qui reçoivent une bourse a passé d un quart à un huitième en 13 L Hebdo, février 2005. 14 «Situation sociale des étudiant-e-s 2005.» 14

trente ans. La révision de la Loi fédérale sur les bourses, dans le cadre du paquet RPT, pourrait corriger le tir. Les étudiants redoutent qu elle ne le fasse pas, pour des raisons de «politique financière de bac à sable.» 15 La proposition initiale du Conseil fédéral confirme leur inquiétude. En évitant de fixer des montants minimaux, elle se contente de renvoyer la balle dans le camp des cantons. Conséquence: pour les étudiants, l égalité des chances 16 est menacée. Dans les années septante, 20% des étudiants universitaires avaient des parents sans diplôme. Cette proportion est tombée à moins de 10%. Cette menace sur l égalité des chances est largement admise. Mais pour l heure, le volet social de Bologne s est surtout résumé à des déclarations d intention. Les enseignants universitaires de leur côté plaçaient leurs principales craintes dans deux domaines: l instauration de hautes études au rabais, et les conditions du passage bachelor-master. Des réserves non dénuées de fondement: en Angleterre, quatre étudiants sur cinq stoppent leur cursus universitaire tout de suite après le bachelor. La statistique réjouirait les milieux économiques helvétiques. S appuyant sur la faible proportion de diplômés du tertiaire en Suisse, ils souhaitent précisément que le bachelor soit qualifiant pour le marché du travail, et ne veulent pas d un passage automatique au master. En d autres termes, ils veulent plus de diplômés dans les Hautes Écoles, et des plus jeunes, mais pas trop au niveau du master. Les premiers chiffres nationaux sont plutôt rassurants pour les milieux enseignants. Selon les statistiques 2004, le taux de passage au master atteint 88%. Il frôle même le 100% chez les étudiants en droit et 80% chez les économistes. Sur le fond, le problème de la transition bachelor-master a été résolu. 17 Les directives de la Conférence Universitaire Suisse (CUS) du 4 décembre 2003 prévoient que les titulaires d un bachelor accèdent sans autre condition au master dans la branche d études correspondante. La Conférence des Recteurs des Universités Suisses (CRUS) a fixé ces branches d études donnant accès aux différents masters. 18 Chaque université devrait rattacher un master à une ou plusieurs branches d études. Puis définir lesquelles s ouvriraient sans condition aux titulaires d un bachelor. Selon les choix des universités, on pourrait aboutir à une admission automatique plus ou moins large. La CUS doit se prononcer en avril 2006. 15 Union des étudiant-e-s de Suisse. Communiqué de presse, janvier 2006. 16 Pour en savoir plus sur l égalité des chances à l école obligatoire, au secondaire II et au tertiaire, voir «L égalité des chances dans le système éducatif suisse», Centre suisse de coordination pour la recherche en éducation, 2005. http://www.skbf-csre.ch/information/publikation/tb9_fr.pdf 17 «Cette question est réglée. Reste le problème des masters à plusieurs branches d études. Nous devrions trouver une solution sans difficulté.» Dr Matthias Stauffacher, secrétaire général de la CRUS. 18 «Règlementation de la CRUS pour l établissement des branches d études et l attribution des cursus de bachelor.» Adoptée par l assemblée plénière le 11 novembre 2005. 15

5.3 HES, le grand chamboulement La mise en place du processus de Bologne dans les sept Hautes Écoles Spécialisées de Suisse a démarré en 2004. Sa généralisation progressive a débuté lors du semestre d hiver 2005. D ici 2007, tous les étudiants qui commenceront une HES entreront aussi dans le nouveau système. Les filières du master seront pour leur part mises en place progressivement. Elles devraient être totalement empaquetées en 2008. Les premiers bachelors HES seront délivrés en 2008 (44% du nombre d examens de niveau comparable). Leur nombre grimperait à 11'500, soit le 100%, en 2010. La HES SO a introduit les premiers cursus de bachelor à la rentrée 2005-2006 (39 filières introduites, 140 au niveau national), et une filière master en architecture. En automne 2006, le système sera généralisé à toutes les formations. Contrairement aux universités, le cursus en trois ans du bachelor devrait ici être la règle. Seule une minorité (environ 20% 19 ) devrait prolonger ses études vers le master. Pourquoi? Le master coûte cher, et les cantons financent 60% du coût moyen de la formation dans les HES, contre 30% à la Confédération, et 10% aux étudiants. La HES de Suisse occidentale (HES SO), ce sont: Sept cantons: Berne, Fribourg, Genève, Neuchâtel, Valais, Jura, Vaud. 31 écoles 39 filières 10'000 étudiants (46'600 dans les sept HES publiques suisses*) 6 domaines d enseignement : sciences de l ingénieur, économie et services, design, travail social, santé, musique. *Y compris les élèves HEP, hors universités. Estimation 2005, sources OFS 19 Estimation Office fédéral de la formation professionnelle et de la technologie, et de la CDIP. 16

5.3.1 Aussi bien en moins de temps? Comme le nombre d étudiants qui poursuivront au master restera limité, le bachelor devrait être le diplôme standard du tertiaire professionnel en Suisse. Pour les filières sociales et la plupart des filières techniques et économiques, le problème est moindre: elles s étendaient déjà sur trois ans. C est une autre affaire pour celles de la santé (et pour les formations de psychomotricien et d ergothérapeute), qui s étalaient sur quatre ans. Or les HES ont la volonté, et l obligation de mettre sur le marché du personnel qualifié et compétent, d autant plus dans un domaine aussi sensible que celui de la santé. «Pour être cynique, disons que Bologne est accommodé au détriment des qualifications des étudiants», affirmait en 2004 Sylvie Meyer, membre du Conseil consultatif de la HES SO/HES S2. D une façon générale, les enseignants s inquiètent de leurs conditions de travail. 20 Pour mener un vrai bachelor en trois ans, un accompagnement individuel de l élève est indispensable. Le «best practice», une bible de recommandations rédigée par la Conférence suisse des Hautes Écoles Spécialisées, l affirme d ailleurs explicitement. Les enseignants se demandent s ils vont pouvoir tout faire: assurer la formation théorique, pratique, et accompagner, tout cela sans gaspiller un seul des précieux 180 crédits... Quant à l inégalité des chances évoquée dans les universités, elle demeure dans les HES. 180 crédits, soit trois ans d études en moyenne, représentent une charge de travail de 1800 heures par an pour les étudiants. Impossible de prendre un petit boulot pour financer ses études. Les conditions d admission laissent encore planer plusieurs incertitudes, surtout pour les élèves intéressés par une formation dans le domaine social ou celui de la santé. Certains titulaires de CFC et d une maturité professionnelle entrent directement dans les HES. Mais la grande majorité des étudiants des filières santé-social proviennent du cursus scolaire classique. Ils ont en mains une maturité académique, ou un diplôme de culture générale avec option. Or, ils doivent suivre une année préparatoire supplémentaire de formation pratique avant d entrer en première année HES. Autrement dit, l admission actuelle s opère selon deux poids et deux mesures. Autre problème: on ignore encore le programme d études de cette année préparatoire, avec quels moyens financiers elle vivra, et qui va la payer. La voie d accès privilégiée devrait être à l avenir celle des maturités spécialisées. Elles n existent pas encore dans tous les cantons. Globalement, la contestation de l adaptation des HES au processus de Bologne reste faible. Comme dans le secteur universitaire, les plus vitupérateurs ont rentré leurs griffes. Sauf que pour les HES, ils ne les ont jamais vraiment sorties. 20 La question de la formation des enseignants et de son adaptation au processus de Bologne sera détaillée dans un autre rapport. 17

5.3.2 Tous sous le même toit en 2008? Le projet «Paysage des hautes écoles 2008» lancé par la Confédération et les cantons prévoit de créer un espace national qui regrouperait toutes les hautes écoles: universités, HES et écoles polytechniques. Ce paysage reposerait sur une nouvelle loi, dont la mise en place est également prévue en 2008. La mise en consultation de l avant-projet devrait avoir lieu en 2006. Objectif: simplifier le pilotage des hautes écoles, en fusionnant les organes de décision, et en répartissant mieux les tâches entre cantons et Confédération. 18

6. SYNTHESE Depuis 2003, la pression sur le cursus à 13 ans a perduré. Il s est même accentué avec les projets d harmonisation qui touchent le secondaire I. Dans la foulée des réformes qu ils impliquent, la durée et l organisation des études gymnasiales sont remises en question. Tout le système scolaire se retrouve dans le même bateau. Et les critères pédagogiques ne sont pas seuls à le guider, pour peu qu ils l aient jamais été. De plus en plus, la formation est transposée sur les terrains économiques, politiques, médiatiques. Elle devient une carte à jouer dans le grand jeu de la société globale. Sur ce terrain, le cursus à treize ans paraît condamné, à moins d une forte réaction. L exemple des Grisons demeure une étonnante exception, une anicroche à la grande tapisserie. Le canton réussira peut-être le tour de force de concilier des mesures d économie avec l allongement d un an du cursus gymnasial. Il allierait ainsi l argument pédagogique à l argument financier. Le processus de Bologne fait son chemin sans cahots dans les universités et les HES. Lui aussi se veut harmonisateur. Les craintes qu il avait suscitées d études au rabais et d inégalité des chances se sont émoussées. La réforme semble si puissante qu elle en paraît inéluctable. Puisqu il paraît impossible de faire contre, on fait avec, en espérant que les réelles promesses suscitées par Bologne deviennent réalité. Le changement d échelle marque également les universités et les Hautes Écoles. En 2008, si le «Paysage des hautes écoles suisses» devient réalité, le pouvoir décisionnel sera plus centralisé. Et probablement plus politisé, et encore plus marqué par les enjeux économiques. Les milieux patronaux ont été directement associés à l élaboration de l avant-projet de loi. Cette transposition de l école dans la gamme plus abstraite de la politique et de l économie la rend moins compréhensible. Elle échappe de plus en plus à la base: celle des parents, des gens de la rue, des élèves eux-mêmes. Comme dit le Conseiller d État Charles Beer en évoquant l école genevoise, «elle devient illisible.» L harmonisation, justement, la simplifiera et la rendra plus efficace, promet-on. L avenir le dira. 19

7. ANNEXES Taux de passage maturité gymnasiale haute école universitaire selon le sexe, cohortes de maturité de 1980 à 2003. Taux de passage maturité gymnasiale haute école universitaire selon la grande région, cohorte de maturité 2000. Taux de maturités gymnasiales selon le sexe et le canton, de 1980 à 2004. Taux de diplôme HEU au niveau licence/diplôme et bachelor selon le sexe et le canton, de 1980 à 2004. Règlementation de la CRUS pour l établissement des branches d études et l attribution des cursus de Bachelor. Directives pour le renouvellement coordonné de l enseignement des hautes écoles universitaires suisses dans le cadre du processus de Bologne. Ordonnance du DFE concernant l admission aux études dans les hautes écoles spécialisées. Part de la population de diplômé-e-s du tertiaire. Comparaison internationale. Note: Une présentation complète de la réforme du cursus gymnasial dans le canton des Grisons est disponible à l adresse www.kernprogramm.gr.ch 20