LCL Arbaretier Cours N 14 : pensées militaires allemande et russe aux 19 e et 20 e siècles. Dans ce cours nous allons essayer de voir les deux pensées militaires, et ceux qui les ont incarnées, à l est de l Europe. Au-delà de Clausewitz que nous avons déjà étudié, nous allons nous intéresser à ceux qui, en Allemagne et en Russie, ont été les stratèges et parfois aussi stratégistes qui ont le mieux incarné l histoire militaire de leurs pays dans ces deux siècles troublés. 1. La pensée militaire allemande Le grand précurseur de la pensée militaire allemande fut sans nul doute von Berenhorst, dont certains disent, dont Jacques Langendorf 1, qu il fut le véritable inspirateur de Clausewitz, notamment dans l analyse qu il a conduite des campagnes de Frédéric II. Gneisenau et Scharnhorst furent, quant à eux, les réorganisateurs de l armée prussienne après les défaites d Iéna et d Auerstadt en 1806 face à Napoléon. En 1813, ils avaient réorganisé l armée prussienne, notamment en y instaurant la Landwehr, inspirée directement de la levée en masse révolutionnaire française. Ces réorganisateurs de l armée prussienne furent les artisans et fondateurs des états-majors et de la nouvelle armée prussienne, victorieuse à Leipzig en 1813 et à Waterloo en 1815. La Prusse était devenue ainsi au Congrès de Vienne une de deux puissances primordiales avec l Autriche au sein de la confédération germanique. 1 In la Pensée militaire prussienne, Economica, Paris, 2012. 1
Bismarck (1815-1898), le «chancelier de fer», de 1862 à 1890, se servit de l outil militaire prussien pour vaincre les deux ennemis de la Prusse identifiés en Europe, l Autriche, au sein de la Confédération germanique (grande et petite Allemagne) en 1866 et la France en 1870-71, pour fonder l Empire allemand à Versailles en 1871. Autour des collaborateurs efficaces, von Roon et Moltke l Ancien, qui lui permirent de moderniser l armée prussienne en lui faisant utiliser la voie ferrée pour ses concentrations d unités et le télégraphe pour la diffusion des ordres et des comptes rendu. L Auftragstaktik, enseignée au grand état-major de Berlin et à l Académie de Guerre, rendait les commandants de grandes unités autonomes aptes, conseillés par leur état-major, à prendre des décisions à l instant voulu et en fonction de la situation vue sur le terrain. Les opérations de guerre étaient planifiées et leur coordination et leur conduite testées au cours de jeux de guerre (Kriegsspiele) sur carte à tous les niveaux de commandement. La coordination des différentes fonctions opérationnelles était testée également au sein des états-majors au cours d exercices spécifiques et sur le terrain, de manière décentralisée, mais sous le contrôle du chef de la grande unité du niveau supérieur et de son état-major. Par la suite, jusqu à la Première Guerre mondiale, les écrivains et penseurs militaires allemands 2
Extrait de la nation armée (introduction) : 3
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2. La pensée militaire russe. Au 18 e siècle, les Russes, influencés initialement par les nombreux officiers allemands et occidentaux qui servent au sein de l armée impériale rénovée par le Tzar Pierre 1 er dit le Grand (1672-1725) ont leur premier vrai théoricien en la personne du maréchal Souvorov (1730-1800). 6
Souvorov, maréchal russe, connait la double expérience de la guerre contre les Turcs aux marches méridionales et orientales de l Empire, ainsi que la guerre contre les Prussiens pendant la guerre de Sept ans (1756-1763) puis contre la jeune république française. Il est adepte de la manœuvre simple en colonnes et de la charge à la baïonnette «la balle est folle, la baïonnette est sage» et reste très proche de sa troupe. Au cours des guerres de la Révolution française, il se plaignait de l aspect procédurier en Italie de ses alliés autrichiens et de leur trop grande distance à l égard du troupier. Il envisageait que l armée russe devait se spécialiser en fonction du type d ennemi qu elle avait à affronter : européen ou asiatique. Personnalité exceptionnelle, adulé par ses soldats, admirés par les grands capitaines de son temps, ce petit homme (il mesure à peine 1,60 m) n'a jamais subi de défaite de toute sa carrière. Tacticien hors pair, il remporta la plupart de ses batailles avec parfois des effectifs inférieurs en nombre à ceux de ses adversaires, jouant sur l'audace, la rapidité, la mobilité, et surtout cherchant à inculquer à ses hommes une éducation militaire faite d'esprit d'initiative et de responsabilisation, au rebours de l'éducation militaire prussienne, brutale, rigide et lourde de l'armée de Frédéric II (toujours battue par Souvorov), considérée pourtant à l'époque comme un modèle d'efficacité. Son génie militaire, étayé par un palmarès de victoires sans précédent dans l'histoire militaire, en fait un égal d'alexandre ou de César. L un de ses disciples fut sans nul doute le maréchal Koutousov (1745-1813). Le vainqueur de Borodino en 1812, face à l envahisseur napoléonien en fit un héros, y compris dans l armée soviétique plus d un siècle plus tard. Il s opposa dans la résistance à opposer aux français aux doctrines de l ordre linéaire inspiré au Tzar Alexandre 1 er (1777-1825) par ses conseillers d origine étrangère dont Barclay de Tolly, qui lui suggèrent d affronter Napoléon au cours d une bataille décisive. Koutouzov préfère utiliser l espace, le climat et les troupes irrégulières contre les Français que prendre le risque d une nouvelle défaite. Koutousov ne survivra pas à sa dernière campagne. 7
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