CENT ANS D'INDUSTRIE MOSELLANE



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Transcription:

CENT ANS D'INDUSTRIE MOSELLANE Un siècle de transformations économiques continues ont fait de la Moselle un des plus grands complexes industriels mondiaux par M. RENÉ BOUR Le centenaire qui s'est écoulé depuis le milieu du siècle dernier a été capital pour la Moselle : c'est lui qui a fixé et modelé la physionomie industrielle de ce département. Deux coups de baguette magique sont à la base d'une brillante fortune qui hisse aujourd'hui la Moselle au rang des grands complexes mondiaux; l'application, après 1880, du procédé Gilchrist et Thomas qui permet de débarrasser la minette lorraine du phosphore qu'elle contient, rendant sa fonte cassante et impropre à fournir de l'acier; la découverte, au lendemain de la libération, de procédés rendant possible la cokéfaction du charbon lorrain, d'où l'expansion soudaine et foudroyante du bassin de charbon. * * * Il y a un siècle, la Moselle achevait une première révolution lourde de conséquences, ici comme ailleurs; le chemin de fer était mis en place. En 1850, Metz avait été relié par le chemin de fer à Nancy, puis à Paris (par Frouard) et à Strasbourg. En 1852, la voie ferrée unissait Metz à Sarrebruck, par Forbach, et, en 1854, Metz à Thionville, puis à Luxembourg. Un peu plus tard, une ligne traverse le département de Carling à Bitche, par Sarreguemines, et aboutit à Niederbronn en Alsace; après 1870, elle sera prolongée de Carling à Thionville. Non seulement les chemins de fer vont bouleverser les conditions de vie, mais vont aussi profiter à la grande industrie de la deuxième moitié du siècle.

CENT ANS D'INDUSTRIE MOSELLANE 39 En 1850, l'arrondissement de Sarreguemines est le plus industriel Quelle est donc, vers le milieu du XIX siècle, la structure économique de la Moselle? e Jusqu'en 1850, le département reste agricole, la grande industrie est inexistante. Bien sûr, on extrait le minerai de fer à Hjayange, où la famille de Wendel s'est installée en 1704, mais il est aussi extrait et travaillé à Ottange, à Moyeuvre, à Creutzwald, à Hombourg-Haut. Mais c'est l'arrondissement de Sarreguemines qui est le plus industriel et qui va encore le rester durant plusieurs années. Il le doit à ses entreprises nombreuses et variées : forges à Mouterhouse et Sarralbe; salines autour de Sarralbe (Saltzbronn, le Haras) ; faïenceries de Sarreguemines; verreries de Gœtzenbruck et de Meisenthal; cristalleries de Saint-Louis-lès-Bitche; fabrique de peluche (pour les chapeaux haut de forme, alors à la mode), à Sarreguemines et Puttelange; fabrique de chapeaux de paille à Sarralbe, fabriques d'allumettes, de tabatières, de coffres-forts, à Sarreguemines et un peu partout, de petites entreprises de boiserie, de clouterie, de quincaillerie, etc. En 1847, cet arrondissement comptait plus de 4.000 ouvriers, alors que ceux de Metz et de Thionville n'en groupaient chacun que 1.800. A cette date, d'ailleurs, et c'est là un grand étonnement pour l'historien, plus d'hommes vivaient de la fabrication des étoffes (le chanvre, qui sert à la confection à domicile de toiles grossières, est encore cultivé un peu partout) que de la métallurgie, environ 4.000 personnes contre 2.800. Après 1850, production accrue de la minette Mais, après 1850, en liaison avec le développement de la voie ferrée, la situation change, et la Moselle occidentale, la Moselle de la «minette», entame une expansion continue. Jusqu'au milieu du XIX siècle, on recherchait surtout le minerai de fer des «; minières», c'est-à-dire des mines peu profondes, e à ciel ouvert ou à flanc de coteau. Ce minerai, surtout exploité dans la région d'aumetz, était plus riche en fer que la minette, mais revenait beaucoup plus cher; on abandonne progressivement son

40 GENT ANS D'INDUSTRIE MOSELLANE extraction, qui tombe de 47.000 tonnes en 1857 à 26.000 tonnes en 1867. Par contre, la production de minette se développe, et pour la transformer en fonte, les établissements de Wendel utilisent le coke au lieu de bois ou du charbon de bois. La production mosellane, surtout concentrée à Hayange et à Moyeuvre, qui n'était que de 4.500 tonnes en 1817, passe à 77.000 tonnes en 1847, bondit à 770.000 tonnes en 1867 pour dépasser le million de tonnes en 1869. Dès lors, la Moselle est au premier rang pour la production du minerai de fer en France. L'extraction du premier charbon, il y a à peu près un siècle On se met donc à rechercher le charbon, puisque la métallurgie utilise désormais le coke. Des sondages avaient été entrepris dès le lendemain de 1815, aux environs de Forbach et de Creutzwald, mais les découvertes n'avaient donné aucun résultat pratique. Tout changea à partir du jour où une nouvelle société se fut constituée pour exploiter la concession de Schœneck (près de Forbach) et qui compta M. de Wendel parmi ses principaux actionnaires. Stimulée par la prochaine ouverture de la voie ferrée de Sarrebruck, qui traversait la concession, elle atteignit la houille à Petite- Rosselle en 1847, mais ce n'est que neuf ans plus tard que l'exploitation industrielle débuta. Puis, on rechercha et on trouva le charbon également à Carling et à L'Hôpital. Mais la présence des nappes d'eau rendit l'exploitation difficile. Ce ne fut qu'en 1860 que le puits de Carling recoupa la houille et que l'on put promener dans les rues de Metz et de Sarreguemines, aux sons d'une musique militaire, un bloc que l'on avait réussi à extraire. En 1869, la Moselle produisait 200.000 tonnes de houille, mais elle n'en demeurait pas moins tributaire des mines prussiennes pour les quatre cinquièmes au moins de ses besoins. Elle leur demande surtout du coke, indispensable à sa métallurgie. Avant 1870, Stiring-Wendel est le premier centre métallurgique Et c'est pour être le plus rapproché des mines sarroises que les établissements de Wendel, utilisant la voie ferrée pour leur approvisionnement en coke étranger, installent un gros centre métal-

GENT ANS D'INDUSTRIE MOSELLANE 41 lurgique entre Sarrebruck et Forbach, à Stiring-Wendel (d'où le nom de la localité), qui reçoit le minerai de fer de Hayange. Mise en marche en 1853, cette usine, qui compte quatre hauts fourneaux, est la plus importante du département; se spécialisant dans la production des rails, elle dépasse Hayange (fabrication des tôles et de fers blancs) et Moyeuvre (fabrication de rails). La grande métallurgie mosellane est née. Elle compte, en 1869, cinquante hauts fourneaux et produit 350.000 tonnes de fonte, soit déjà le quart de la production nationale. Les établissements de Wendel emploient, à cette date, 8.000 ouvriers; à côté, un grand ensemble métallurgique est installé à Ars-sur-Moselle, près de Metz, il a huit hauts fourneaux et emploie 1.300 ouvriers; une deuxième entreprise, à Ars, a deux hauts fourneaux et donne du travail à 250 ouvriers. Dans l'est du département, le haut fourneau de Creutzwald s'éteint et la forge de Sarralbe (éloignée de la voie ferrée) disparaît. Par contre, celle de Hombourg, grâce à la voie ferrée, progresse, et Mouterhouse, à l'extrémité du département, atteint spn apogée : sa forge se transforme en aciérie et elle fabrique surtout des bandages de roues pour wagons et locomotives. Dernière aciérie de la Moselle orientale, Baerenthal fabrique surtout des sabres. Ainsi, lorsqu'éclate la funeste guerre de 1870, les bases de la prospérité mosellane sont posées, et le département de la Moselle a déjà conquis le premier rang dans la métallurgie lourde française. Sous l'annexion, expansion de la sidérurgie La défaite de 1870 arrache la Moselle à la France, une Moselle qui est territorialement la nôtre, mais dont l'étendue n'était pas la même avant 1870. En effet, l'arrondissement de Briey, qui allait révéler sa remarquable richesse en minette après 1883, anciennement mosellan, reste français. Par contre, les arrondissements de Château-Salins (avec les salines et industries chimiques de Dieuze) et de Sarrebourg, auparavant du département de la Meurthe, sont annexés et rattachés à la Moselle. Bien pourvus en charbon, les Allemands, durant près d'un demi-siècle d'annexion, ne s'intéressent qu'à l'extraction du minerai de fer et à sa métallurgie. Celle-ci prend son essor définitif lors-

42 CENT ANS D'INDUSTRIE MOSELLANE qu'on utilise, à partir de 1880, le procédé Gilchrist et Thomas. Alors, des établissements nouveaux se créent pour rechercher et travailler la minette. Les Belges viennent les premiers : quatre sociétés belges s'établissent à Aumetz, à Fontoy, à Knutange et à Maizières. Elles disparaissent ou sont rachetées par les Allemands. La société de Dillingen s'établit à Rédange, Stumm à Uckange, Roechling à Thionville, Spaeter à Rombas et à Amnéville, Thyssen à Hagondange. Une société germano-luxembourgeoise s'installe à Ottange, une société allemande à Audun-le-Tiche, et une lorraine, la seule, à Algrange. Les usines allemandes encerclent ainsi les usines de Wendel qu'ils n'ont pu acheter. Pour protéger le patrimoine industriel et lui garder son caractère français, Mme François de Wendel avait constitué, avant sa mort, en 1871, la société «Les Petits-Fils de François de Wendel». Autour de ce noyau, strictement familial, devaient se regrouper les intérêts lorrains en terre annexée, et toute tentative allemande de prise de participation fut ainsi vouée à l'échec. Ce prodigieux essor bouleverse la physionomie de la région du fer. Les vallées de l'orne et de la Fensch se couvrent donc d'usines, et des villages deviennent des villes bourdonnantes. La route de Metz à Thionville se transforme en une rue industrielle. Par contre, Stiring-Wendel et Ars-sur-Moselle ont cessé leurs activités, Mouterhouse et Hombourg arrivent à se maintenir. Sarreguemines se spécialise dans la fabrication du coffre-fort. Désormais, la métallurgie est toute concentrée dans la région même du fer. La production du minerai de fer dépasse 3 millions de tonnes en 1891, 7 millions et demi en 1900, pour atteindre 21 millions de tonnes en 1913. En 1913, 64 hauts fourneaux produisent près de 4 millions de tonnes de fonte, et 13 grandes usines fournissent 2.300.000 tonnes d'acier. Les voies navigables négligées par l'occupant Par contre, si la production de charbon est sensiblement supérieure à ce qu'elle était à la veille de 1870, sa progression ne suit pas le rythme impressionnant de celle du minerai de fer. L'extraction est faite par les trois compagnies de Petite-Rosselle, Creutzwald-La Houve et Sarre et Moselle (Merlebach et L'Hôpital). Elle

CENT ANS D'INDUSTRIE MOSELLANE 43 passe néanmoins de 1.300.000 tonnes en 1901 à 3.850.000 en 1914. Forbach et Sarreguemines doublent leur population. Celle de Merlebach bondit de 600 à 4.000 habitants, et celle de Petite- Rosselle de 1.800 à 7.000. Salines, verreries, faïenceries continuent leurs progrès amorcés avant 1870. Les usines Solvay s'installent à Sarralbe. Si la Moselle annexée a un réseau ferré extrêmement dense, davantage, d'ailleurs, pour des raisons d'ordre militaire (acheminement rapide des troupes vers la frontière) que pour des motifs d'ordre économique, les voies navigables n'intéressent pas les Allemands, qui restent sourds à la canalisation de la Moselle : il ne s'agit pas de favoriser l'industrie lourde du pays annexé au détriment de la toute puissante industrie de la Ruhr, laquelle, disposant de la houille et du coke, ne voit dans la Lorraine annexée qu'une annexe destinée à l'alimenter en minerai de fer et à se subordonner à ses besoins. Ventre-deux guerres La victoire de 1918 refit l'unité du bassin lorrain. Les anciennes usines allemandes furent attribuées à des entreprises françaises, dont les principales sont : la Société des Aciéries de Longwy (hauts fourneaux de Thionville), l'u.c.p.m.i. (mines de fer à Roncourt et Algrange, usines à Hagondange), la Société métallurgique des Terres-Rouges (mine et usine à Audun-le-Tiche), les Forges et Aciéries de Nord et Lorraine (hauts fourneaux d'uckange), la Société métallurgique de Knutange (mines à Aumetz, à Boulange, à Hayange, hauts fourneaux et usines à Nilvange), la Société lorraine des Aciéries de Rombas (usine à Rombas, hauts fourneaux à Maizières). L'industrie métallurgique atteint son apogée entre 1924 et 1929. En 1929, les productions de minerai de fer et de fonte rattrapent leurs chiffres de 1913, et celle d'acier les dépasse d'un tiers. Mine et usines emploient 40.000 ouvriers. Les installations se modernisent. A Hagondange, une nouvelle usine (la S.A.F.E.) se crée et se construisent des cokeries importantes. Thionville ajoute des aciéries et des laminoirs à ses hauts fourneaux. La crise éclate à partir de 1930. En 1932, la production (minerai de fer, fonte et acier) n'est que la moitié de celle de 1929. Elle se relève légèrement après 1935.

44 CENT ANS D'INDUSTRIE MOSELLANE Parallèlement, le bassin houiller poursuit un développement lent, mais continu, et sa production atteint 6 millions de tonnes en 1938. Le bassin est prospecté vers le sud-ouest, et deux sociétés nouvelles sont fondées en 1928. Elles construisent des puits à Faulquemont et à Folschviller. Seul le premier est terminé en 1939. 25.000 ouvriers travaillent aux charbonnages. L'extraction et l'industrie du sel ont toujours comme grands centres Sarralbe (usines Solvay, fabriquant la soude) et Dieuze (usines des produits chimiques Kuhlmann), verrerie et faïencerie conservent leur importance. C'est donc un département en pleine prospérité que va secouer la deuxième guerre mondiale, un département qui entend doter sa structure économique de bonnes voies de communication : liaison directe par fer de Metz à Paris, en passant par Lérouville et Arnaville; canalisation de la Moselle de Metz à Thionville; un département, enfin, où Metz est redevenue la grande place de commerce. Le développement du bassin houiller, révélation de Vaprès-guerre La deuxième guerre mondiale accumule les ruines, et la Moselle a le triste et peu enviable privilège d'être un des départements le plus sinistré; il faut donc reconstruire. Toutefois, le département ne se rétablit pas sur les bases d'avant-guerre : il amorce une nouvelle évolution économique. La révélation de cet après-guerre est bien l'expansion soudaine du bassin houiller, dont les réserves avaient été trop longtemps insoupçonnées. Sa production dépasse 12 millions de tonnes en 1952, soit le double de celle de 1938. Les mines sont équipées d'un matériel moderne. Et, coup de baguette magique, les techniciens arrivent, enfin, à transformer le charbon lorrain en un coke pouvant être employé par la sidérurgie. C'est là une grande découverte comparable à celle faite naguère par Gilchrist et Thomas. Trois procédés sont mis au point et employés à Carling, Marienau et Thionville. Le paysage est bouleversé. On défriche la forêt de Carling pour bâtir la plus grande centrale thermique de France. Depuis l'automne dernier, le gaz récupéré des cokeries du bassin houiller et du bassin du fer est acheminé à Paris par un «feeder», c'$st-

CENT ANS D'INDUSTRIE MOSELLANE 45 à-dire par une conduite de 350 kilomètres partant de la cokerie de Carling. Enfin, on construit, au même endroit, une immense usine fabriquant des engrais ammoniacaux en partant des gaz récupérés de la cokerie voisine. La remise en état des mines de fer, terriblement éprouvées par l'occupant, qui avait complètement négligé les travaux d'entretien, est plus lente. Toutefois, en 1951, la production de minerai de fer dépasse celle de 1938 et contìnue de progresser. En 1954, la sidérurgie mosellane a fourni 3.300.000 tonnes de fonte et 3.200.000 tonnes d'acier, soit respectivement 37 % et 32 % de la production française. Le bassin du fer a vu naître, lui aussi, de nouvelles installations, comme l'immense usine de la Sollac, édifiée dans un temps record entre Ebange et Serémange, et dont les laminoirs sont entièrement automatiques, comme la centrale de Richemont, qui récupère le gaz des hauts fourneaux de plusieurs usines avoisinantes et le leur restitue sous forme d'énergie électrique. La région-pilote de Véconomie française Le rythme prodigieux de la transformation de la Moselle lui a valu d'être surnommée la région-pilote de l'économie française, voire le «Far-Est» de la France. Sait-on que la population a augmenté de 23,70 % entre les deux recensements de 1946 à 1954, soit le plus fort pourcentage d'augmentation enregistré en France? Sait-on aussi que, selon une récente statistique du Comité national du patronat français, la Moselle est aussi* le département qui est en tête pour son enrichissement? Est-ce à dire que les Mosellans soient satisfaits? Non! Ils savent que rien n'est plus dangereux que de s'endormir sur ses lauriers. Aussi, certains dirigeants clairvoyants estiment-ils indispensable de promouvoir une politique d'expansion rurale en voie de dépeuplement. D'ailleurs, ne serait-ce pas combler une invraisemblable lacune ne s'expliquant que par des facteurs historiques (annexion à l'allemagne), car il y a bien lieu de manifester un grand étonnement en constatant que la Moselle, assise sur le charbon et sur le fer, n'a pas les industries de transformation appropriées à ses industries extractives. De même, les Mosellans s'inquiètent de l'insuffisance de leurs voies de communication, et prin-

46 CENT ANS DMNÍ3USTRIE MOSELLANE cipalement de l'indigence des Voies d'eau. Ils réclament la canalisation de la Moselle, qui permettra à la sidérurgie d'avoir enfin un indispensable accès à la mer. La question est agitée depuis plus d'un siècle. Mais, aujourd'hui où existe une Communauté du charbon et de l'acier, il est indispensable que la sidérurgie lorraine ait, par une voie d'eau appropriée, une possibilité de transport très économique, afin de lui permettre de soutenir la concurrence de la Ruhr, qui dispose de la magnifique artère rhénane. Ainsi, en un siècle, la Moselle a conduit à bien une prodigieuse révolution industrielle, entravée par un demi-siècle d'annexion, mais dont le terme se dessine, terme qui va la placer aux premiers rangs des régions industrielles françaises. René BOUR, professeur diplômé d'études supérieures à l'ecole normale de la Moselle.