A. Introduction et aperçu



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Transcription:

La création du ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement : critères pour accroître l efficacité et la cohérence du développement international et de l aide humanitaire A. Introduction et aperçu Cette année, le Canada a une occasion rêvée de renforcer son programme de développement international et d aide humanitaire, et de le faire de façon transparente et démocratique. Dans le cadre de son budget 2013, le gouvernement Harper a en effet dévoilé son intention de fusionner le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI) avec l Agence canadienne de développement international (ACDI). Selon ce qui a été annoncé, l ACDI, au sein du nouveau ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (MAECD), continuera de jouer le même rôle, toujours axé sur la réduction de la pauvreté et la prestation d aide humanitaire. Julian Fantino, le ministre responsable de l ACDI, a d ailleurs déclaré dans la foulée que cette fusion ferait en sorte «que le développement, le commerce et la diplomatie se retrouvent sur un même pied d égalité». En fait, le budget 2013 nous apprend que le gouvernement «enchâssera dans la loi, pour la première fois, les importants rôles et responsabilités du ministre du développement et de l aide humanitaire», et qu il «mettra à profit les synergies qui résulteront de la fusion pour maximiser l efficacité des ressources disponibles en vue du développement et de l aide humanitaire». Le Conseil canadien pour la coopération internationale (CCCI) salue cette volonté du gouvernement d accorder un poids égal au commerce, à la diplomatie et aux objectifs des politiques de développement afin de garantir la cohérence des politiques au service du développement. Le MAECD est une tribune tout indiquée pour raffermir la cohésion des politiques canadiennes à l égard des pays en développement et pour rendre plus efficaces les efforts du pays en matière de réduction de la pauvreté et d intervention humanitaire. Toutefois, nous croyons que cette fusion présente deux dangers bien réels : elle risque d accroître au contraire le décousu des politiques, et d assujettir encore plus le développement aux impératifs commerciaux et diplomatiques. C est pourquoi le CCCI, de concert avec d autres acteurs du développement international et de l aide humanitaire, a élaboré un ensemble de critères qui définissent notre position par rapport à cette fusion et orientent notre analyse des éléments juridiques et structurels qui en découleront. Nous croyons que le gouvernement doit satisfaire à ces critères s il veut maximiser le potentiel du MAECD et réaliser les objectifs mis de l avant dans son récent budget. Ces critères couvrent trois aspects, soit la législation, l intégration du mandat de l ACDI dans ce nouveau ministère, et la redéfinition du cadre stratégique pour le développement et l aide humanitaire. Nous sommes d avis que contribuer à réduire la pauvreté tout en défendant les droits de la personne et en tenant compte du point de vue des plus démunis trois visées qui sont au cœur de la Loi sur la responsabilité en matière d aide au développement officielle (LRADO) représente un mandat toujours d actualité pour le MAECD. Conséquemment, la prochaine loi et la structure du nouveau ministère doivent consolider l importance accordée à cette mission fondamentale de la politique canadienne. Ces mots prononcés par Nelson Mandela n ont rien perdu de leur justesse : «Vaincre la pauvreté n est pas un geste de charité. C est un acte de justice. Il s agit de protéger les droits humains fondamentaux. Toute personne, partout dans le monde, a le droit de vivre dans la dignité, libre de toute crainte et de toute oppression, libérée de la faim et de la soif, et libre de s exprimer et de s associer comme elle l entend. Cependant, à l aube de ce nouveau siècle, des millions de personnes sont toujours 1/7

prisonnières, esclaves et enchaînées. [ ] Tant que la pauvreté persistera, il ne saurait y avoir de véritable liberté.» Puissance attachée aux grandes valeurs que sont la démocratie, la justice et les droits de la personne, le Canada a l obligation morale d être aux premières lignes de la lutte planétaire contre la pauvreté et l injustice. B. Présentation des critères et des moyens pour les atteindre I. Législation et procédures 1. Préserver la Loi sur la responsabilité en matière d aide au développement officielle, qui encadre les dépenses d aide publique au développement (APD) de l ensemble des ministères, et veiller à ce que la prochaine loi en respecte les dispositions. Bien que le Canada ne se soit jamais doté d une loi définissant dans le détail le rôle et le mandat de l ACDI et de son ministre, la LRADO 1 énonce des principes clés qui balisent la prestation de l aide canadienne : celle-ci stipule en effet que l aide fournie à l étranger par le Canada doit viser la réduction de la pauvreté, tenir compte de la réalité des plus démunis et respecter les normes internationales en matière de droits de la personne. Dans une optique de responsabilisation et de transparence, elle oblige aussi tous les ministères à rendre des comptes au Parlement concernant leurs dépenses d aide. De cette exigence résultent deux documents pangouvernementaux, Aperçu de l aide au développement officielle du gouvernement du Canada et Rapport statistique sur l aide internationale, mais aussi une standardisation des rapports produits par les ministères, notamment le MAECI et celui des Finances, qui administrent ces fonds en compagnie de l ACDI. Dans le rapport 2011-2012, la ministre de la Coopération internationale dégageait en outre cinq thèmes prioritaires au sein de l appareil gouvernemental (même si, dans les faits, seuls les trois premiers concernent directement l ACDI) : la sécurité alimentaire, les enfants et les jeunes, la croissance économique durable, la sécurité et la stabilité, ainsi que la démocratie. Toute prochaine loi doit faire sa pierre d assise de la LRADO, dont les préceptes invitent déjà les différents ministères à être plus cohérents et à faire preuve d une meilleure collaboration. S assurer que la LRADO demeure le cadre de référence pour ce qui est de la prestation canadienne d aide publique au développement (APD); Poser la LRADO comme pierre d assise de la prochaine loi pour tout ce qui touche l aide canadienne, y compris l aide octroyée par la MAECD, afin que l objectif de réduction de la pauvreté soit respecté à l échelle gouvernementale; Préciser comment la LRADO s inscrit dans la politique étrangère globale du Canada, en prenant soin de définir des objectifs clairs en matière de coopération au développement; Continuer d assurer un suivi et de produire des rapports comme le prescrit la LRADO, mais en veillant à ce que le MAECD présente des données non agrégées afin de bien distinguer entre les ministères et d avoir un portrait juste de ce qui peut être considéré comme de l aide publique au développement, et sous le leadership du ministre du développement et de l aide humanitaire. 1 Voir Loi sur la responsabilité en matière d aide au développement officielle, L.C. 2008, ch. 17. 2/7

2. La loi encadrant le nouveau MAECD doit accorder un mandat fort au ministre du développement et de l aide humanitaire, en lui confiant des pouvoirs précis et distincts au sein du Cabinet, et en lui conférant le même poids que les ministres du Commerce international et des Affaires étrangères. Dans une étude portant sur le Royaume-Uni, la Suède et les Pays-Bas, Ashoff 2 a relevé les principaux facteurs qui, dans ces pays, ont contribué aux succès des efforts gouvernementaux visant à assurer la cohérence des politiques de développement : un engagement net du ministre responsable à ce sujet; la place accordée par le Cabinet au développement; un argumentaire étoffé en faveur d une telle cohérence; une définition nette des mesures à prendre pour y arriver dans les secteurs de politiques clés; une attitude proactive de la part des principaux intervenants; ainsi qu une volonté des ministères de collaborer et de mener des analyses conjointes. D autres chercheurs ont conclu que si l engagement politique est essentiel, la cohérence n est possible qu au sein de structures organisationnelles elles-mêmes conséquentes. Par exemple, la Grande-Bretagne, plutôt que d amalgamer ses mécanismes d aide et de diplomatie, a confié à son ministre responsable de l aide un poste à part entière au sein du Cabinet. Le développement est donc une composante importante et bien distincte de sa politique étrangère globale, étant à ce titre sur le même pied que le commerce et la défense. S assurer que la loi exige un engagement ferme envers le développement et la réduction de la pauvreté; Attribuer au ministre du Développement et de l Aide humanitaire un poste important au sein du Cabinet, ainsi qu un siège à tous les comités du Cabinet et comités parlementaires pertinents; Maintenir le pouvoir de signature du ministre pour toutes les activités associées aux programmes et projets, tout en permettant au besoin la décentralisation et la délégation au sein du nouveau ministère comme sur le terrain; Adapter les structures du ministère de telle sorte qu elles favorisent la réalisation du mandat du ministre par exemple, nommer un sous-ministre adjoint et un sous-ministre délégué qui veilleront à la mise en oeuvre des programmes et politiques de développement et d aide humanitaire. 3. Les rôles et responsabilités du ministre du Développement et de l Aide humanitaire doivent concourir à renforcer l adhésion du Canada aux principes généralement reconnus aiguillant l efficacité de l aide et du développement ainsi que les bonnes pratiques d action humanitaire, et s inscrire dans la continuité du mandat fondamental de l ACDI : améliorer la vie des gens vivant dans la pauvreté, et produire des résultats tangibles et durables. La cohérence requiert que les rôles et responsabilités des ministres du nouveau MAECD soient clairement définis. Afin de s assurer d une politique cohérente forte pour le développement, c est au ministre du développement et de l aide humanitaire de superviser les politiques et programmes liés à l APD tel que défini par la LRADO, et de veiller à ce que le programme de développement du Canada respecte sur le terrain les principes clés de l efficacité de l aide notamment mis de l avant dans la Déclaration de Paris, le Programme d action d Accra et le 2 Guido Ashoff, Enhancing Policy Coherence for Development: Justification, Recognition and Approaches to Achievement, Bonn, Institut allemand de développement, 2005. 3/7

Partenariat de Busan pour une coopération efficace au service du développement. Le nouveau ministère devrait se doter de mécanismes et politiques transparents pour démontrer l engagement du Canada envers la réduction de la pauvreté, les droits humains et les principes humanitaires, dans la mise en œuvre de sa politique étrangère et de commerce. Par exemple, lorsque surviennent des situations d urgence complexes, l un des plus grands défis consiste à accorder ou non une aide humanitaire sans que le verdict soit teinté par les objectifs en matière de politique étrangère. L aide humanitaire et la politique étrangère doivent par conséquent demeurer des dossiers indépendants; pour que les décisions soient jugées impartiales, il est essentiel de respecter les principes humanitaires et d adopter une approche axée sur les besoins. C est d ailleurs pourquoi le règlement n o 1257/96 adopté par le Conseil de l Union européenne prescrit que l aide humanitaire «n est autre que la prévention et l allégement de la souffrance humaine [ ] sur la base de la non-discrimination des victimes [ ] et ne saurait être guidée par ou subordonnée à des considérations politiques». La prochaine loi doit commander un engagement juridique quant à l application de ces principes, établir un cadre de référence en fonction duquel les responsables de l action humanitaire canadienne seront tenus de rendre des comptes, et conforter l opinion publique en posant sans ambages que l aide humanitaire sert la lutte contre la souffrance humaine, et non des fins politiques. Définir clairement les rôles et responsabilités du ministre; Intégrer des principes généralement reconnus en matière d efficacité de l aide et du développement; Reconnaître le fait que le Canada est signataire de la Convention de Genève et d autres cadres juridiques visant à renforcer l application du droit humanitaire international; Adhérer aux principes humanitaires, tels que respect pour l humanité, neutralité, impartialité et indépendance opérationnelle; Assurer la livraison de l aide humanitaire de façon à ce qu elle soit indépendante des autres intérêts nationaux de politique étrangère, sur la base des principes humanitaires; 4. Veiller à ce que le processus d élaboration de la prochaine loi et d un cadre stratégique prévoie un dialogue respectueux, éclairé et constructif au sein du Parlement et une consultation auprès des intervenants canadiens. Les valeurs qui guident les programmes canadiens de développement et d aide humanitaire à l étranger démocratie, droits de la personne, responsabilisation et transparence doivent aussi orienter le processus d élaboration et d approbation de la nouvelle loi canadienne sur l aide. Celle-ci doit prendre la forme d un projet de loi autonome ou de modifications à un projet de loi existant que l on présentera au Parlement et aux comités concernés afin de rallier le plus grand soutien possible. Adopter une loi autonome; Organiser des consultations approfondies auprès des intervenants et tenir des débats fructueux au Parlement. 4/7

II. Politiques orientant l intégration du mandat de l ACDI dans le nouveau ministère 5. Afin d appuyer le ministre dans la réalisation de son mandat, appliquer les pratiques exemplaires et les leçons tirées de fusions similaires ayant été opérées dans d autres pays donateurs, et s assurer que des ressources distinctes en matière d analyse politique et géographique sont affectées au développement. Pour l élaboration de la loi et la création de la nouvelle structure qui en découlera, le Canada doit tenir compte de l expérience d autres pays donateurs, comme la Norvège, la Suède, le Danemark, la Belgique et les Pays-Bas : ces pays ont fusionné leurs ministères des Affaires étrangères et du Développement international de différentes manières, mais avec une approche de l aide qui s appuie sur les grands principes internationaux. Dans des pays comme la Norvège, où le budget consacré à l aide est administré par le ministère des Affaires étrangères, les dépenses en la matière ont été clairement délimitées, la priorité demeurant la réduction de la pauvreté. Si l engagement de la Suède envers la cohérence a été inscrit dans la loi, le Royaume-Uni a obtenu le même résultat grâce à un livre blanc présentant sa vision du développement. En 1997, la Suisse a quant à elle adopté une loi fédérale qui définit clairement l engagement du pays à fournir une aide humanitaire ainsi que les principes qui en orientent la prestation : l objectif de l aide suisse est de sauver des vies et d aider les personnes dans le besoin d une façon neutre, impartiale et inconditionnelle. Dans chaque cas, comme nous l avons mentionné précédemment, il s est révélé essentiel de prendre un engagement politique ferme, et de définir soigneusement les buts et les objectifs ainsi que les rôles et les responsabilités qui en découlent. La cohérence des buts et des objectifs ne signifie toutefois pas que tous les ministères doivent travailler exactement de la même façon. Il serait souhaitable que le gouvernement consulte les parties prenantes sur comment le nouveau ministère du Développement pourrait intégrer les programmes bilatéraux aux programmes multilatéraux, aux programmes de partenariat et aux analyses des politiques de développement, tout en maintenant le caractère développemental distinct de ces programmes. S engager fermement à assurer la cohérence des politiques pour le développement qui reflètent les valeurs centrales de droits humains, de durabilité environnementale et de développement inclusif; Définir clairement les buts, les objectifs, les rôles et les responsabilités au sein du nouveau ministère; Préserver les capacités fonctionnelles fondamentales identifiables de prestation de l aide et d analyse des politiques de développement; Établir des mécanismes intra-gouvernementaux de collaboration et de consultation en matière de coopération au développement; Reconnaître explicitement la possibilité de tensions entre les différents objectifs de la politique étrangère, et s engager à adopter des politiques et pratiques transparentes, incluant des consultations au-delà du gouvernement, qui favorisent des synergies entre les autres intérêts de politique étrangère, de commerce et d investissement, sur la base de la promotion des droits humains, de la durabilité environnementale et du développement inclusif. 5/7

6. Afin de préserver la prévisibilité et l efficacité de l aide canadienne, réaliser la fusion à un rythme mesuré de sorte que l affectation des fonds destinés au développement et à l aide humanitaire ainsi que la mise en œuvre des programmes ne soient pas interrompues. La fusion pourrait rendre encore plus difficile l amélioration de la prévisibilité de l aide canadienne au développement; le CAD de l OCDE a d ailleurs déjà noté que le Canada accusait un retard sur ce plan. Le gouvernement canadien devra s assurer que la fusion ne retarde pas l affectation des fonds ni la mise en œuvre des programmes, y compris la prestation d une aide humanitaire appropriée et efficace qui vienne rapidement soutenir ceux qui en ont besoin. S engager fermement à préserver les programmes actuels et à fournir rapidement les ressources en matière d aide; Prendre des dispositions pour que l affectation des fonds et les versements ne soient pas interrompus durant la fusion, tout en présentant ces dispositions de façon claire et transparente aux partenaires; S engager publiquement à fournir une aide humanitaire appropriée, rapide et efficace, conformément aux Principes et bonnes pratiques pour l aide humanitaire. III. De la loi à une politique publique de développement et d aide humanitaire bien étayée 7. En consultation avec les principaux intervenants, élaborer un cadre stratégique de développement et d aide humanitaire qui se fonde sur la Loi sur la responsabilité en matière d aide au développement officielle et sur de grands principes reconnus à l échelle internationale, et qui propose une vision ferme et claire de la façon dont le Canada s attaquera à la pauvreté mondiale et à l injustice, dans le cadre des politiques étrangères canadiennes. Par le passé, en raison de l absence d un cadre stratégique clair et englobant pour orienter les efforts de développement du Canada, les modifications apportées aux politiques semblaient arbitraires et manquaient de transparence. En 2012, l Examen de l aide par le CAD a d ailleurs fait ressortir la nécessité pour le Canada de proposer une vision d ensemble du développement. Selon le CAD, cette vision doit s inscrire dans le contexte de sa politique étrangère et définir, pour les cinq à dix prochaines années, «la façon dont sa nouvelle approche de la coopération pour le développement va prendre corps dans des objectifs, une stratégie et des programmes». Elle doit aussi respecter les grands principes de l efficacité de l aide et du développement, et «démontrer [que le Canada] applique les principes humanitaires». Par exemple, l Europe a établi le Consensus européen sur l aide humanitaire, qui reconnaît ouvertement le droit humanitaire international, les principes en la matière et les engagements de l Initiative sur les principes et bonnes pratiques d'action humanitaire. Ce Consensus a été atteint à l issue d un processus consultatif très exhaustif. L absence d un tel cadre empêche le gouvernement de communiquer efficacement sa vision du développement au public. Par conséquent, le CAD de l OCDE recommande aussi que l ACDI «[fasse] preuve d une plus grande ouverture en instaurant un processus régulier de dialogue et de communication afin de tenir ses agents et ses partenaires informés des changements et des mesures de réforme», et qu il élabore des lignes directrices pour les consultations sur les 6/7

politiques. Le gouvernement canadien a 45 ans d expérience en la matière, et peut compter sur les pratiques exemplaires et les leçons dégagées par un vaste éventail de spécialistes. Il serait donc très avantageux, lors de l élaboration d un prochain cadre stratégique, d établir un dialogue avec les principaux acteurs du développement et de l aide humanitaire au Canada, notamment les organisations non gouvernementales, les organismes de l ONU, la Croix-Rouge, les organisations de défense des droits de la personne, les universités et les centres de recherche. En définitive, un tel cadre, comme l observe l OCDE, pourrait accroître la responsabilisation et la transparence dans le cadre des processus décisionnels liés aux programmes de développement et d aide humanitaire; il fournirait une justification des priorités et mettrait au jour les liens entre les buts, les objectifs, les politiques, les programmes, les partenariats, les suivis et les rapports du gouvernement au sein de ses différents ministères. Il renforcerait davantage la cohérence des politiques de développement en ce qui a trait aux enjeux prioritaires, et établirait des objectifs clairs pour les ministères concernés. Créer un cadre stratégique pour le développement et l aide humanitaire qui définisse : o la vision du Canada en matière de coopération au développement et d aide humanitaire, en précisant comment elle s arrime à la LRADO, aux engagements internationaux et aux grands principes d aide humanitaire et de développement, au sein de la politique étrangère canadienne; o les buts, les objectifs, les politiques et les programmes proportionnels visant à concrétiser cette vision; o une stratégie pangouvernementale assortie de rôles et de responsabilités clairs, d objectifs transparents et mesurables, ainsi que de résultats escomptés, laquelle s inscrirait dans la lignée des principes d efficacité de l aide et du développement de Paris, d Accra et de Busan ainsi que des Principes et bonnes pratiques pour l aide humanitaire. Mener en temps opportun des consultations publiques ouvertes, constructives et éclairées auprès des intervenants clés du développement et de l aide humanitaire. 7/7